samedi 23 janvier 2010

L'anti-astrologie dans la France de l'après 1870

par Jacques HalBronn

Un des signes de déclin de l'astrologie correspond à une baisse des attaques dont elle est l'objet. C'est quand elle relève la tête qu'elle est en butte à des critiques. Sinon on la traite par le silence et le mépris.
On ne sera donc pas surpris d'observer que les quelques braises que nous avons récoltées dans les années 1870 (voir notre étude dans la présente livraison) coïncident peu ou prou avec un pamphlet anti-astrologique assez virulent, du à l'abbé nostradamologue Henri Torné-Chavigny, auteur notamment d'une "Nouvelle Lettre du Grand Prophète" intitulée "Nostradamus et l'astrologie".
La comparaison avec le dominicain Giffré de Réchac, deux siècles plus tôt, est significative, ce dominicain, passionné par le corpus Nostradamus, étant, quant à lui, tout à fait acquis à l'astrologie.(voir notre post doctorat sur cet auteur, sur le site propheties.it). Il n'en reste pas moins que cette critique émane d'un milieu que l'on ne saurait qualifier de scientifique encore que l'on trouve sous la plume de l'abbé Torné, un argument à caractère épistémologique quand il reproche aux astrologues qui ont pointé la fin du XVIIIe siècle, à commencer par Pierre d'Ailly, dès le début du XVe siècle, de faire des prédictions "conditionnelles", ce qui leur enlève une grande partie de leur valeur prophétique, à son point de vue. Torné va ergoter sur le fait que Nostradamus a annoncé 1792 et non 1789, dans l'Epître à Henri II. Quel paradoxe, tout de même, qu'un tel succès prévisionnel, fondé, indiscutablement, sur des configurations/conjonctions planétaires - mais aussi sur un cycle de 300 ans correspondant à dix révolutions de Saturne- (voir l'ouvrage de L. Smoller sur Pierre d'Ailly) coïncide avec une époque -la fin du XVIIIe siècle - où l'astrologie française - du moins officiellement- n'aurait plus eu les moyens d'analyser et d'exploiter le dit succès! Ajoutons que l'image de Nostradamus, pourtant astrologue de son état, laborieux faiseur de prédictions annuelles, laquelle se perpétue de siècle en siècle, ne profite guère à l'astrologie, du fait de l'amalgame qui en est fait avec une dimension prophétique assez trouble.... C'est dire que le prophétisme fait de l'ombre à l'astrologie!
Torné cherche à tout prix, en tout cas, à démarquer Nostradamus de son image d'astrologue alors que Chabauty, qui tend à rejeter le dit Nostradamus de son corpus prophétique ne cesse de traiter d'astrologue tant Nostradamus que son "Commentateur" ("Lettres sur les prophéties modernes et concordance de toutes les prédictions jusqu'au règne d'Henri V", Poitiers, H. Oudin et Paris, V. Palmé, 1872, suivi, après la mort de Napoléon III qui porta un coup apparemment fatal au camp prophétique, des "Prophéties modernes vengées ou défense de la concordance de toutes les prophéties", ibidem, 1874) et les astrologues vivement attaqués par les nostradamistes, à l'instar d'un abbé Torné-Chavigny. On notera l'importance de Poitiers, comme lieu de publication d'ouvrages tant de Torné que de Chabauty, curé de Saint André à Mirebeau de Poitou - deux ecclésiastiques de la région actuelle Poitou-Charente - en rappelant que l'abbé Torné est, au début des années 1870, curé de Saint Denis du Pin après avoir été celui de la Clotte. Angoulême joue aussi un certain rôle dans l'édition des travaux de Torné (voir R. Benazra, RCN, pp. 418 et seq), lequel publie également à Saint Denis du Pin, chez lui, dans le département de la "Charente Inférieure" (aujourd'hui Charente Maritime, dans la région Poitou-Charente). Henri Oudin, l'éditeur poitevin, publiera ainsi les ouvrages des différents camps prophétiques...Or, le département signalé avait été surnommé dans les années 1870, la Corse continentale ou Corse intérieure, en tant que bastion électoral du bonapartisme. En 1848, c'est de Saint Jean d'Angély, que Louis Napoléon avait déclaré être candidat à la présidence de la République après l'avoir emporté aux législatives, dans le dit département. Or, Saint Denis du Pin où parurent de nombreux textes de l'abbé Torné est lié à Saint Jean d'Angély (voir R. Benazra, "Répertoire Chronologique Nostradamique", Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1990, op. cit. pp 425-. 426)..
Dans le cas de Torné, il semble qu'à la base il soit bonapartiste, vu le contexte régional qui n'est probablement pas fortuit. Ses premiers textes nostradamiques paraissent sous le Second Empire. Mais s'il spécule, en effet, sur un éventuel retour de l'empereur déchu, fidèle en cela à la légende napoléonienne du "retour de l'île d'Elbe" (cette fois c'est d'une autre île qu'il s'agit, l'Angleterre), il n'envisage pas moins à terme l'avènement d'Henri V, au nom d'une certaine alternance dynastique dont le XIXe a donné le ton, d'autant qu'après Henri V, on en arriverait aux Orléans, Henri V n'ayant pas de descendance, ce qui n'était pas son moindre défaut...Chabauty, curé dans le même coin de France, appartient-il à la même mouvance bonapartiste que Torné, ce serait à vérifier. Certes, il ironise autour de l'échec de Torné, à la suite de la mort de l'Empereur mais attend-il du Prince Impérial qu'il joue sa carte dans le jeu politique français ou bien parie-t-il d'emblée pour Henri V.? On aura compris que l'on ne peut appréhender un tel corpus, dans le temps électoral et constitutionnel ainsi que dans l'espace politico-géographique de la IIIe République, sans maitriser tous les méandres des calculs politiques du temps.
Tant Torné que Chabauty s'accordent en tout cas pour rejeter l'Astrologie. La position du nostradamologue Torné peut sembler quelque peu délicate, en raison des liens évidents existant entre Nostradamus et la dite astrologie. L'abbé, pour tenter d'y parvenir, fait appel à une certaine connaissance de la production nostradamique. Il aura ainsi été un pionnier dans l'étude des sources de ce qui parait sous le nom de Nostradamus. C'est lui qui signale l'emprunt de la Préface à César au "Compendium" de Savonarole ou au "De l'Etat et Mutation des Temps" de Richard Roussat, sans parler de l'emprunt à l'"Eclipsium" de Leovitius dans les "Significations de l'Eclipse de 1559". Par ailleurs, il reproduit dans son "Nostradamus et l'Astrologie", des passages de la Pronostication pour 1555 et de la Prophétie Merveilleuse (datant de l'année de la mort de Nostradamus). Il est vrai que l'ensemble nostradamique est fort hétérogène- il s'agit selon nous d'une œuvre collective et étalée sur plusieurs décennies - et qu'il est loisible à Torné d'en exploiter les contradictions.
Mais Chabauty n'est pas dupe : "On nie l'évidence quand on prétend que Nostradamus n'a pas cru à l'astrologie et ne l'a pas pratiquée" ("Prophéties Modernes vengées", op. cit, p. 105)
L'astrologie fait donc office de repoussoir au sein même du "milieu" prophétique, notamment chez les ecclésiastiques. En revanche, le courant nostradamiste laïc, en la personne d'Anatole Le Pelletier et de Villeplaine est tenté par le recours aux astres pour compléter ou relayer l'approche centurique. On peut comparer ce clivage à celui qui conduira les astrologues, à la fin du XIXe siècle, à se démarquer des mancies et pratiques divinatoires qui avaient, notamment par le tarot, envahi jusqu'au thème natal -(voir Ely Star, encore en 1888, avec les "Mystères de l'Horoscope", le "Petit Homme Rouge des Tuileries" etc, la récupération des traités d'astrologie par le tarologue Etteilla, à la fin du XVIIIe siècle etc, voir nos Recherches sur l'histoire de l'astrologie et du Tarot, Paris, Ed. La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993 ) - sans d'ailleurs toujours prendre conscience des aspects divinatoires du dit thème natal (notamment au niveau des maisons), ces derniers entretenant avec Nostradamus des rapports assez ambivalents, celui-ci illustrant, certes, l'astrologie française, au niveau européen, voire mondial, mais au travers d'œuvres dont le caractère astrologique est souvent loin d'être évident. du moins dans sa conception générale, à moins de ne considérer que les seuls rares quatrains significatifs seraient ceux relevant de données astronomiques. Il y a là une promiscuité entre astrologie et prophétisme qui était déjà manifeste dans le "Mirabilis Liber", sous François Ier (voir notre "Texte prophétique en France, formation et fortune", Université Paris X, 1999, sur microfiches dans les bibliothèques universitaires françaises et à la BNF). Le cas Nostradamus n'est pas sans évoquer celui d'un Johannes Lichtenberger, quelques décennies plus tôt, à savoir celui d'un habillage prophétique ou pseudo-prophétique d'un discours astrologique ou d'un astrologue. On serait tenté de voir l'Histoire de l'astrologie passer par des cycles qui tantôt la placent au centre, tantôt la marginalisent, selon un processus de balancement.



JHB
16. 12. 09

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