mardi 16 janvier 2024

Jacques halbronn Méthodologie de la critique nostradamique et linguistique

La critique nostradamique Pour illustrer notre méthodologie, nous aborderons, en paralléle avec le corpus biblique, le corpus "centurique", bien plus récent (fin XVIe siècle)/ Une des questions qui se posent à ce niveau est celui des contrefaçons antidatées. Le cas de Nostradamus offre des similitudes avec le cas de Moïse. Dans les deux cas, l'on aura voulu n'avoir qu'un seul auteur pour le corpus considéré. En fait, il nous a été possible de montrer que certains quatrains avaient été composés sous La Ligue, autour de 1588 et à l'approche du couronnement d'Henri IV en 1594. Nous avons montré que la Préface au Pape Pie IV (1561) avait été remplacée par une nouvelle Epitre adressée au Roi Henri II (Valois), recyclant une précédente épitres à l'intention du même souverain. César de Nostredame et la fabrication des Centuries. A la fin du XVIe siècle, trente ans après sa mort en tournoi, en 1559, Henri II, fils de François Ier, va finir par occuper une place significative dans l’élaboration de la « légende dorée » de Nostredamus et cela sous deux formes, celle du commentaire d’un certain quatrain d’une part (voir CORPUS NOSTRADAMUS 51 — par Patrice Guinard « Le décès du roi Henry II deux fois présagé par Nostradamus ») ainsi que celle de l’ Epitre introductive au second volet des « Prophéties ». I Le quatrain fatal sur Internet »Nombres de ses prédictions furent d’ailleurs publiées dans ses Centuries (1555), dont la prédiction de la mort du roi Henri II… Voici ce qu’on lit à ce sujet dans son œuvre : “Le lyon jeune le vieux surmontera En champ bellique par singulier duelle Dans Cage d’or les yeux luy crèvera Deux classes une, puis mourir, mors cruelle” Centurie I, quatrain 35 « Or, le roi décède en 1559, à la suite d’un tournoi (ce qui rappelle étrangement le singulier duel dont parlait l’astrologue royal), organisé en l’honneur d’un double mariage. « Comme le note Yves Boisson, le rapprochement entre ce quatrain et la fin du Roi n’aura été formulé que par César de Nostredame, son fils, lequel d’ailleurs est lui- même utilisé pour ouvrir le premier volet des dites prophéties (Préface) On ne saurait en effet exclure la participation du fils de Michel de Nostredame, âgé en 1588 de 35 ans, dans la mise en oeuvre posthume des Prophéties (antidatées), en puisant notamment dans les documents tant manuscrits qu’imprimés, de la bibliothèque de son père, ce qui vaudra pour le recyclage de l’Epitre à Henri II, dont la première mouture figure dans les Présages Merveilleux pour 1557 (voir notre reproduction en 2002 dans Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus) Nostredame, César de (1553-1629) : Histoire et chronique de Provence : Lyon, S. Rigaud, 1614; Reprint Marseille, Laffitte, 1971 Preface de M. Michel Nostradamus a ses Propheties Ad Caesarem Nostradamus filium, Vie et félicité. II Le recyclage de l’Epitre à Henri II de 1556 Nous avons déjà signalé cette affaire dans de précédents articles en soulignant qu’initialement c’est l’Epitre au pape Pie IV qui aurait du ouvrir le seconde volet des Centuries, ce qui est attesté par la présence de quatrains de la centurie VIII qui en dérivent (voir VIII, 76 et seq). Cette épitre sera remplacée à par une fausse Epitre au Roi datée cette fois de 1558, calquée sur celle de 1556. C’est dire à quel point le roi Henri II va se retrouver propulsé en position centrale à la charnière du XVIIe siècle, dans la fortune et la postérité de Nostradamus. Par ailleurs, la guerre de religion qui sèvit dans le Royaume de France n'est pas sans évoquer le "Schisme" ayant conduit à l’instauration de deux Royaumes (Israel et Judah), pratiquant des cultes fort différents comme c’était le cas entre Catholiques et Protestants (Réformés) C'est ainsi que le corpus centurique constitué de deux volets, comporte des propos contradictoires, les uns favorables à la Ligue, annonçant la ruine de Tours, qui avait accueilli l'alliance d'Henri III et d'Henri de Navarre, les autres annonçant la chute de la maison de Lorraine (les Guises). On annonce dans les dernières centuries le triomphe de Mendosus, anagramme de Vendôme,(ou plus clairement "Le ranc lorrain fera place à Vendosme," Henri de Navarre étant duc de Vendome . On instrumentalise les Centuries en les antidatant pour leur faire annoncer la victoire ou la défaite de tel camp, en associant tel personnage à l'Antéchrist. D'aucuns voudront y voir la preuve que les Centuries prophétisaient longtemps à l'avance alors qu'il s'agit de composition post eventum! Le premier commentaire des Dix Centuries (Le « Janus françois » c 1594), prises dans leur ensemble est attribué à Jean Aimé de Chavigny et il semble bien que celui-ci se soit peu ou prou retrouvé (ce qui ira dans le sens de l’Edit de Nantes de 1598) dans la situation des scribes qui eurent pour mission d’unifier les différents courants en présence, ne serait- ce qu’en les faisant cohabiter au sein d’un même corpus On pense au personnage d’Esdras au Ve siècle avant JC lequel va compiler toutes sortes de documents pour en faire un tout hétérogène associé à Moïse. Le Livre d’Esdras revient sur le rôle de Cyrus, dès son premier chapitre et là encore, c’est bien de Jérusalem et de Juda si ce n’est qu’il n’en est pas moins référé au verset 3 aux Elohei Israel, ce qui dénote bien là quelque forme de syncrétisme. Les contrefaçons des almanachs de Nostradamus. La prise en compte des almanachs nostradamiques nous semble fondamentale. D'une part, parce qu'il a existé des éditions pirates comme l'ont rappelé Chomarat et Benazra comportant des quatrains mais aussi de l'autre des vignettes en page de titre (imitant les vignettes des Pronostications), ce qui est le modéle suivi par les faussaires, ce qui explique à la fois les vignettes des éditions 1555 et 1557 des "¨Prophéties" et le format même des centuries de quatrains: Ce serait donc à partir de ces faux almanachs que les faussaires auraient conçu et mis en oeuvre le corpus centurique lequel puisera en différentes sources, comme l'ont montré Liaroutzos et Brind'amour; Nostradamus et l’Antéchrist En 1561, Nostradamus (qui allait décéder en 1566) s’adresse au Pape Pie IV pour lui annoncer la naissance d’un personnage qui semble correspondre à l’Antéchrist et qu’il nomme Marcelin. Il annonce sa naissance pour 1567. Ce texte aurait du figurer en tête du second volet des Centuries mais il sera remplacé par une refonte d’une Epitre à Henri II, décédé en 1559. On peut mettre en évidence la substitution dans le fait que certains quatrains reprennent en les versifiant des passages de la dite Préface au Pape (cf VIII, 76), alors que cela ne fait pas écho dans l’Epitre au monarque français. Or, l’on trouve au début du dit second volet un quatrain assez étonnant faisant référence à une durée de 27 ans. Or, si l’on ajoute 27 à 1567, année de naissance du dit Antéchrist (VIII, 77), l’on tombe sur 1594, date du couronnement ç Chartres d’Henri IV A l’évidence, ce quatrain aura été composé à ce moment- là, juste avant ou juste après. On note la mention de Chartres dans la Centurie IX. Mais l’on sait que le quatrain concerné est pris d’une source (La guide des Chemins de France de Charles Estienne) dans laquelle figurait non pas Chartres mais Chastres (Arpajon), ce qui montre que le texte aura été ajusté pour être en phase avec le lieu du couronnement (qui ne fut pas cette fois Reims) C’est d’ailleurs à ce moment -là comme il a été rappelé plus haut que parait le premier Commentaire des 10 centuries. • 76. • Plus Macelin que roy en Angleterre, • Lieu obscure nay par force aura l'empire: • Lasche sans foy sans loy saignera terre, • Son temps s'approche si presque je soupire. • • VIII, 77. • • L'antechrist trois bien tost annichilez, • Vingt et sept ans sang durera sa guerre: • Les heretiques mortz, captifs, exilez, • Sang corps humain eau rogi gresler terre. • Centuries (Nostradamus) et tarot : des cases à remplir par tous moyens Dans notre étude sur le Tarot (cf Revue Française d'Histoire du Livre, 2015), nous avons montré que certaines arcanes majeurs du Tarot étaient issues du Kalendrier et Compost des Bergiers (fin XVe siècle); à partir des vignettes représentant l'Enfer ; le Diable, la roue des damnés devenue Roue de Fortune etc. Il semble également que le tarot ait emprunté (le Pape, l'Empereur, l'Amoureux etc), puisé dans l'iconographie des 12 maisons astrologiques (cf nos recherches parues en 1993, en post-face à L'Astrologie du Livre de Toth. Ed Trédaniel (cf sur Aby Warburg, le mémoire de Laurence Garneau"CRITIQUE D'UNE HISTOIRE DE L' ART POUR UNE APOLOGIE DU DÉTAIL. L'ARBRE DANS LE CYCLE ASTROLOGIQUE AU PALAZZO DELLA RAGIONE (PADOUE, IT.) UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, 2017. Pour les concepteurs du Tarot, s'alignant sur les 22 lettres de l'alphabet hébraique, il convenait de trouver, à tout prix, 22 motifs et il leur fallu recourir au symbolisme véhiculé par les almanachs et autres livres d'heures (cf Les Très Riches Heures du Duc de Berry). Le même défi se présenta, à une autre échelle, pour la mise en chantiers des Centuries, puisque le mot Centurie renvoie au nombre 100. (cf Anna Carlstedt La poésie oraculaire de Nostradamus :, 2005) Si 4 centuries attribuées à Nostradamus se présentent comme parues à Lyon, chez Macé Bonhomme, en 1555, cela tient à la parution, bien réelle celle-là, de la sortie en 1555 chez le dit libraire des "Considerations des quatre mondes, a sauoir est: Diuin, Angelique, Celeste, et Sensible: comprinses en quatre centuries de quatrains, contenans la cresme de diuine & humaine philosophie. Par Guillaume de la Perriere tolosan" L'on imagine le travail de compilation qu'il fallut accomplir pour remplir autant de cases afin de produire autant de quatrains. Quelle besogne! Chantal Liaroutzos ( Les prophéties de Nostradamus : suivez la guide in Revue Réforme Humanisme Renaissance, 1986 et Pierre Brind'amour (Nostradamus astrophile, 1993 ont mis en évidence divers emprunts) sans pour autant mettre en doute le fait que Michel de Nostredame ait lui même ou de son propre chef commandité un tel travail. Or, c'est précisément sur ce point que nous entendons insister! Revenons donc sur le carcan des quatrains lequel conduisit à la production de quatrains supplémentaires, additionnels.(cf notre étude, en 2005, sur Ramkat.free.fr Du nombre initial de quatrains des Centuries V, VI et VII, texte complet en appendice) complétés par la suite pour respecter le cadre centurique. Il convient d'une part de discerner l'apport de quatrains de circonstance, évoquant des événements du moment, ce qui permet de dater les dits quatrains ainsi que les éditions qui les comportent (cf notre étude Les prophéties et la Ligue. Garde toi Tours de ta proche ruine (IV, 46), Colloque Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier, 15, Paris, Presses de l'Ecole Normale Supérieure, 1998), le dit quatrain figurant justement dans l'édition 1555 Macé Bonhomme dont Brind'amour livra une édition critique en 1996 ( Droz). Le second volet des Centuries ne comporte pas de tels ajustements successifs car il est fait d'une seule pièce avec ses trois centuries pleines constituées de la récupération de diverses sources, telles celle signalées par Liaroutzos ou prises dans tel texte en prose du dit Nostradamus lui -même (cf notre étude autour de la Préface au Pape Pie IV, 1561) avec des quatrains hostiles à la maison de Lorraine- Guide ou favorables à celle de Vendome-Navarre, faisant ainsi pendant, contre poids au premier volet favorable à la Ligue, bien au delà de 1566, date de la mort de Nostradamus, soit postérieurs de plus de 20 ans. Passage obligé de la prose à la poésie des quatrains (puis des sixains, cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat 2002, Prophetica Judaica Aleph). D'entrée de jeu, l'entreprise des centuries de quatrains se condamnait - elle à de tels expédients tout comme la confection à la fin du XIXe siècle des faux Protocoles des Sages de Sion (cf notre étude "Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle", Ed Ramkat 2002, prophetica judaica beith) à partir de l'oeuvre de Maurice Joly, sous le Second Empire. Mais, cette fois, sans le procédé de versification. En fait, il y avait eu des précédents, du vivant même de Nostradamus, puisque une douzaine de quatrains accompagnèrent ses Almanachs (on les désignera par la suite sous le nom de "présages, et déjà il ne nous semble pas que ceux-ci aient été dus à la plume de Nostradamus. (cf notre post doctorat Le Dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Ve section, 2007)