mercredi 23 octobre 2024

jacques halbronn Jean Bodin ou l'occasion manquée du Droit Constitutionnel . La SurNature

jacques Halbronn Jean Bodin ou l'occasion manquée du Droit Constitutionnel La SurNature. Bodin se demande dans ses Six Livres de la République (1576). .Chapitre II : « S'il y a moyen de sçavoir les changemens, et ruines des Republiques à l'advenir." et d'envisager l'observation des astres pour y parvenir, suivant notamment la théorie des Grandes Conjonctions (Jupiter- Saturne) d'Albumasar qui jouissait encore d'un certain crédit de son temps.(cf travaux de Marie-Dominique Couzinet: Or, il semble qu'une telle piste de recherche n'ait finalement guère été suivie, avec le recul de quatre siècles et demi plus tard, le Droit constitutionnel ayant pris le parti du monde sublunaire, celui du pouvoir des sociétés humaines, sous l'influence notamment du monde anglo-saxon. C'est ainsi que les prévisions mises en place constitutionnellement sont auto-réalisatrices et n'auraient donc pas besoin d'un quelconque fondement extérieur. Les sociétés se fixent des échéances et affichent du mépris pour tout ce qui reléverait de près ou de loin de l'Astrologie; Il est intéressant de s'arrêter sur le cas de Durkheim Bernard Lahire. ( Les structures fondamentales des sociétés humaines (ed La Découverte= 2023, pp; 280 et seq) signale chez ce sociologue une "rupture avec la biologie", autour de la dialectique Nature.Culture. la sociologie aurait tout intérêt, selon Durkheim, à ne pas chercher à s'appuyer sur la Nature. C'est le pari inverse que fera l'astrologie à la fin du XIXe siècle en tentant de renforcer son lien avec l'astronomie, donc avec la nature. Ce sont ces deux erreurs d'aiguillages, simultanées, qui expliquent le marasme de ces deux domaines incapables de s'entendre. Selon nous, le champ des sciences sociales est celui de la SurNature et de la Surculture, un plan intermédiaire entre Nature et Culture et l'Astrologie bien comprise reléve d'un tel angle d'approche, ce qui recoupe également la démarche théologique, quant à l'intervention d'un Surhomme ou d'un Surdieu pour donner sa forme actuelle à notre Humanité. Il y a là une dimension éminemment technologique, à savoir d'une technologie en avance sur notre mais dont nous dépendons absolument et sur laquelle nous n'avons point prise. Cela passe notamment par le sang dans un sens génétique dont nous avons par ailleurs montré toute l'importance pour le judaisme en la personne de Abel, fils d'Adam, combattu par Cain qui a peur du sang et lui préfére ce qu'il fabrique de ses propres mains. JHB 23 10 24

jacques halbronn Le monde de Caïn est marqué par l'attachement à la t...

jacques halbronn La liturgie synagogale et la Bible ont été israélis...

jacques halbronn Emancipation ou Etat Juif? Réflexions sur "Israel face à Israel. Promesses et dérives d'une utopie. 2106

jacques halbronn Emancipation ou Etat Juif? Réflexions sur " Israel face à Israel; Promesses et dérives d'une utopie." Ed Autrement, 2018, par Pierre Blanc et Jean Paul Chagnollaud Dans un précédent texte dédié à l'histoire de l'idée du projet territorial, comme "solution" de la Question Juive, nous avons souligne certaines insuffisances dans la description de l'enchainement des attentes et des tentatives en matière d'émancipation et d'installation. Si l'on examine l'ouvrage en question, force est ainsi de constater en dépit de nos travaux, que l'épisode roumain aura été sauté. Les auteurs n'oublient pas ce qui s'est joué sous la Révolution Française (pp.18 et seq) on y aborde la condition juive dans les "confins européens". On y mentionne un Léon Pinsker et son Autoemancipation (1882) et les débuts du "sionisme" avec Max Nordau et Herzl (cf notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Ed Ramkat 2002) et on y met l'accent sur 1917,qui fut l'année où les Britannique "accordèrent un Foyer juif en Palestine", en raison de leur victoire sur l'empire ottoman (p; 25) Sur le web "Soutenue, selon les aléas, par les coreligionnaires des empires centraux, des pays neutres et des pays de l'Entente, c'est finalement la conférence de paix de Paris qui proclame l'émancipation des Juifs roumains, par l'article 7 du traité des minorités que la Roumanie finit de signer le 9 décembre 1919." C'est cette autre voie paralléle à la Déclaration Balfour que nos auteurs semblent avoir totalement ignorée dans leur ouvrage pourtant bien documenté par ailleurs. Il importe de remonter au congrès de Berlin, quarante ans plus tôt.(cf Jacques Halbronnn La période 1876-1886 essentielle pour l’Histoire du Sionisme.) où la France insista pour que la Roumanie pratiquât une politique d'émancipation ouverte à tous, Juifs compris. Il apparait ainsi que nos auteurs qui avaient pourtant commencé par évoquer l'Emancipation des juifs du Royaume de France, à la fin du régne de Louis XVI, auront complétement oublié d'aborder les autres tentatives d'Emancipation tout au long des XIXe et XXe siècle, depuis la Roumanie jusqu'à l'Algérie. Or, dans ces deux cas, la France fut directement impliquée, dans la foulée de 1791 tant en 1879 qu'en 1962.Or, ces deux processus d'émancipation et d'Etatisation se complétent et l'on peut encore signaler le cas des "refuzniks", celui des juifs d'URSS finalement autorisés à partir et pas forcément pour Israel, ce qui est un autre mode d'émancipation, par exfiltration. sur le web "L'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev dans l'Union soviétique du milieu des années 1980 et sa politique de glasnost et de perestroïka, de même que le désir d'entretenir de meilleures relations avec l'Ouest, amenèrent des changements considérables. La plupart des refuzniks furent alors autorisés à émigrer. Avec la dislocation de l'Union soviétique à la fin de la décennie, le terme refuznik passa au registre de l'histoire." JHB 23 10 24

jacques halbronn Bible. Cain et le Royaume d'Israel, Abel, le Royaume de Juda

jacques halbronn Bible. Cain est le Royaume d'Israel, Abel, le Royaume de juda. En suivant notre méthodologie de datation illustrée dans notre communication de 1997 (« Les prophéties et la Ligue », Colloque Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier, 15, Paris, Presses de l'Ecole Normale Supérieure.), consistant à déterminer le terminus d'un passage par sa coincidence avec tel ou tel événement historique - en l'occurrence tel verset de tel quatrain de la iVe Centurie avec tel épisode du temps de la Ligue- nous nous proposerons, ici, de dater l' affaire de Cain et Abel au prisme de la situation née du schisme survenu à la mort du roi Salomon (Xe siècle avant notre ère) qui donna naissance à la formation de deux royaumes ennemis. La question qui est ici posée est la suivante : à quel Etat est associé Caïn et à quel Etat l'est Abel étant entendu que dans de nombreux textes, Caïn est censé renvoyé aux Juifs, comme le montrent les extraits suivants: Michaël Vessière "Qu'est-ce que la marque de Caïn? : "Dans l'antijudaïsme chrétien traditionnel, la marque de Caïn fut utilisée pour condamner les juifs déicides." Alexandra Schmidt. Ethnométhodologie : Regards sur un terrain interdit, Chapitre III. Présentation de la secte Moon à travers son langage naturel "Les mots/noms d'Abel et de Caïn sont omniprésents. Il est impossible d'aborder la Pensée de l'Unification, et donc de parler "comme il faut", sans comprendre tout ce que représentent aussi bien les mots eux-mêmes que la/les relations qu'ils impliquent. Abel symbolise "tous les degrés du bien", et Caïn "tous les degrés du mal" [PD], l'histoire biblique d'Abel et de Caïn symbolise une position précise dans une relation [relation Dieu-individu, Dieu- nation, individu-individu, nation-nation, etc...]. Le schéma Abel-Caïn, tout comme celui de sujet- objet, s'applique à tous les niveaux de la vie mooniste, la façondont il pense, la façon dont il analyse le monde, ce qui l'entoure, y compris et surtout, les autres. Le mooniste doit payer l'indemnité pour Caïn en lui donnant tout son amour*. Par exemple, pour un mooniste, j'étais donc Caïn, dont il lui faut "indemniser" le péché en assumant toute souffrance et la capacité d'amour* qu'aurait dû montrer Abel." wikipedia "Dans le chapitre 4 du livre biblique de la Genèse1, Caïn et Abel sont les deux fils aînés d'Adam et Ève2. Caïn, le premier-né, était cultivateur (céréalier), et son cadet Abel était berger. Les deux frères ont accompli des sacrifices à leur Dieu, cependant ce dernier a préféré le sacrifice d'Abel plutôt que celui de Caïn". Dans le Livre de la Genése, dès les premiers chapitres, Dieu distingue entre les offrandes, acceptant celle qui vient d'Abel, rejetant celle qui vient de son frère Caïn. De même, Dieu appréciera qu'Abraham soit prêt à lui sacrifier son premier né (Ismaël ou Isaac selon les traditions) et cela vaut aussi, éventuellement, dans le cas de Jésus. De telles réflexions nous permettent de jeter un nouveau regard sur le rejet de l'idolatrie laquelle apparait comme un substitut au sacrifice voire un subterfuges. D'une certaine façon, nos civilisations tendraient à préferer les idoles, un Jésus statufié (avec le crucifix) plutôt qu'un Jésus immolé de son vivant. Quand Cain refuse d'offrir à Dieu les "premiers nés" de son troupeau, alors qu'Abel avait accepté, au fond, nous nous sentirions plus proches de Caïn selon nos valeurs actuelles. Le sacrifice des premiers nés (que l'on retrouve dans les 7 plaies dEgypte) accorde aux femmes un rôle qui ne leur est plus imparti quand il s'agit de fabriquer des objets. Il nous revient de réfléchir sur l'inspiration des chapitres II à IV du Livre de la Genése, qui comportent la Création de la femme, la mère de Cain et d'Abel. Ces passages sont favorables aux sacrifices humains. Jésus sera également sacrifié et l'eucharistie évoque son sang (par le vin) mais il ne s'agit plus là d'un sacrifice humain mais d'un produit de la terre, Ce passage du sang vers le vin relève d'une forme de substitution propre à l'idolatrie; pour les juifs, seul le sang compte comme avec la circoncision laquelle ne saurait être remplacée par le baptéme; Genése IX Alliance noachide et la sacralisation du sang ךְ-בָּשָׂר, בְּנַפְשׁוֹ דָמוֹ לֹא תֹאכֵלוּ. 4 Toutefois aucune créature, tant que son sang maintient sa vie, vous n'en mangerez. ה וְאַךְ אֶת-דִּמְכֶם לְנַפְשֹׁתֵיכֶם אֶדְרֹשׁ, מִיַּד כָּל-חַיָּה אֶדְרְשֶׁנּוּ; וּמִיַּד הָאָדָם, מִיַּד אִישׁ אָחִיו--אֶדְרֹשׁ, אֶת-נֶפֶשׁ הָאָדָם. 5 Toutefois encore, votre sang, qui fait votre vie, j'en demanderai compte: je le redemanderai à tout animal et à l'homme lui-même, si l'homme frappe son frère, je redemanderai la vie de l'homme. ו שֹׁפֵךְ דַּם הָאָדָם, בָּאָדָם דָּמוֹ יִשָּׁפֵךְ: כִּי בְּצֶלֶם אֱלֹהִים, עָשָׂה אֶת-הָאָדָם. 6 Celui qui verse le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé car l'homme a été fait à l'image de Dieu. On peut en conclure que le sang versé par les hommes à destination de Dieu est une chose, celui qui est versé d'un homme vers un autre homme en est une autre. Se pose ainsi la question des lois alimentaires (kashrout) Sur le web " Tout animal doit être tué par un abattage rituel puis vidé de son sang : il est en effet interdit de consommer du sang (Deutéronome 12,23) car « le sang c’est la vie et tu ne mangeras pas la vie avec la chair ». On ne saurait selon nous ignorer dans quel contexte politique s'inscrit la mise en scéne opposant Caïn et Abel. Cain refuse le sang y compris la circoncision, ce qui sera notamment un point central pour le christianisme. L'eucharistie substitue le vin au sang. Cela conduit au culte des idoles, à l'importance accordée aux déclarations, aux conversions à l'opposé de la généalogie, des liens du sang; Si la terre est maitrisable par l'humanité, le sang, quand à lui, échappe à son contrôle, ce qui lui confère une dimension divine. Il est donc clair que c'est bien Caïn qui correspond à la maison d'Israel et Abel à celle de juda et non l'inverse, contrairement à ce qu'affirme le théologie coréen Moon. Il conviendra donc de dater le passage sur Cain et Abel de postérieur à la mort de Salomon. Cain, c'est le sédentaire, doté d'une terre alors qu'Abel est le pasteur nomade si bien qu'un Hitler semble bel et bien préfigurer un Caïn, initiateur d'un holocauste(Shoah) durant la Seconde Guerre mondiale. C'est dire que c'est d'un contre sens flagrant que d'associer les Juifs au personnage de Caïn, mais l'attachement à la Terre de la part des Israéliens sionistes pourrait, en revanche, faciliter un tel rapprochement. On retrouve ce lien avec la Terre dans le Jardin d'Eden où sera commis le "péché originel",en raison du fruit défendu. JHB 23 10 24

jacques halbronn Le texte prophétique. Discours de la méthode.

Babel Littératures plurielles Littérature et prophéties à la Renaissance Le texte prophétique Discours de la méthode Jacques Halbronn Littérature et prophétie entretiennent un lien complexe : il s’agit de deux sphères différentes, antagonistes même, ne répondant pas aux mêmes enjeux et ne regardant pas dans la même direction. En revanche l’interface entre prophétisme et actualité politique est beaucoup plus nette : le prophète interpelle son contemporain, cherche à peser sur les événements. Pour être bien comprise la littérature prophétique doit donc être replacée dans le contexte politico-religieux qui l’a vu naître, sans quoi elle risque de n’être prise que pour un délire sans fondement. Les ambiguïtés sémantiques et les incohérences apparentes du texte prophétique s’éclairent ainsi d’un jour nouveau lorsqu’on les envisage à l’aune de certaines réalités contextuelles, mais aussi lorsque l’on parvient à les resituer par rapport à tout un corpus de textes plus ou moins aisément identifiable qui leur a servi de source première et féconde. Le texte prophétique doit être envisagé en réseau, comme une variation au sein d’un vaste continuum textuel et langagier. 1Le prophétisme oscille, dans le champ littéraire, entre la Cassandre d’Homère et Monsieur Oufle de l’abbé Bordelon, entre la tragédie et la satire. Certes, Rabelais a mis les rieurs de son côté avec sa Pantagruéline Pronostication et Fontenelle a organisé une de ses comédies autour de la comète de 1680, mais on peut aussi camper un héros victime d’un destin inextricable, tel Œdipe. 2Personnage ridicule et bafoué de l’astrologue ou de celui qui accorde trop d’importance aux charlatans de tous poils, ou bien silhouette pathétique de celui qui subit sans s’en douter un sort dont on lui révèle in extremis les arcanes... On vous l’avait bien dit ! 3On comprend dès lors que l’acte prophétique ait pu inspirer, au cours des siècles, les genres les plus divers : autant le prophète est-il souvent exposé à la dérision, autant le destin est-il chose grave. Comment rendre compte, en vérité, d’un tel paradoxe ? 4C’est un peu comme la tour de Babel, à laquelle la présente revue a emprunté son nom : celui qui veut atteindre le ciel est condamné à la confusion ou à la chute d’un Icare. Or, prophétiser, c’est bel et bien prétendre accéder au firmament, tant réel - celui des étoiles - que virtuel, celui du Créateur de toutes choses. Grave question : l’homme est-il prophète ? Non pas, certes, chacun d’entre nous mais au moins, l’un d’entre nous, tel est bien l’enjeu du prophétisme, de ce que l’on pourrait appeler la « conspiration » prophétique. Entendons par là que la question n’est pas mince et qu’elle peut justifier les moyens les plus douteux. On connaît l’histoire de celui qui, après avoir exprimé toutes sortes de prétentions, avoue, in fine, qu’il a le défaut d’être menteur.... 5Nous sommes ici au cœur de la condition humaine : sublime et grotesque tout à la fois, sise entre deux infinis. Qui veut faire l’ange fait la bête. Mektoub ! 6Que penser d’ailleurs d’un Jonas, à la fois instrument de Dieu pour prévenir Ninive et se rebiffant contre sa mission, ne parvenant dans sa fuite qu’à être avalé par une baleine ? Et un tel prophète ne peut réussir qu’en échouant : s’il est entendu, la prophétie ne se réalisera pas et s’il est rejeté, quel terrible châtiment ! 1 Milan, Arché, 1985. 7Nous avons abordé dans notre thèse consacrée au Monde juif et à l’astrologie1 la place de l’astrologie dans l’exégèse biblique. Nombre de commentaires représentaient tel personnage du Pentateuque, parfois Dieu lui-même, comme agissant selon un plan qui donnait sens à un récit autrement décousu. Accorder un don de double vue à un héros permet, a posteriori, de régler certaines questions éthiques ardues : il a fait le mal mais en sachant qu’au bout du compte, cela se changerait en bien. On pourrait aussi dire que tel oracle dit n’importe quoi, mais que ses interprètes lui trouveront du sens. 8Il y a aussi celui qui est annoncé, tel le Jésus de l’Evangile, né d’une vierge comme il se doit. Quel ressort pour un récit ouvert par l’Etoile des Mages et s’achevant sur une mission divine qui n’est pas reconnue par les siens ! 9Pour celui qui découvre le champ du prophétique, il est louable de résister à la tentation de considérer un texte de cet ordre, isolément, comme s’il s’agissait de la production spécifique d’un auteur. 10En effet, un texte prophétique est rarement publié sans arrière-pensée politico-religieuse, pas plus qu’il ne reparaît sans de tels enjeux et il appartient à l’historien de ce domaine de resituer chaque édition dans son contexte, plutôt que de s’en remettre au seul bon plaisir du libraire. Ce n’est pas rien qu’un texte ressorte ! Il ne s’agit pas ici simplement de satisfaire un public avide de distractions ou d’émotions, sans rapport avec les implications sociales de l’époque. Un tel texte est fonction d’opportunités, il est au service d’une cause et ne circule que dans la mesure où il s’insère dans un projet qui le dépasse. 2 D’ailleurs, dans la stratégie épistolaire, une seule formule parfois justifie l’envoi, parfois un p (...) 11Parfois, certes, la dimension proprement « littéraire » semble quantitativement prédominer - on pense aux Centuries de Nostradamus - mais, que l’on ne s’y trompe pas, pour les lecteurs de l’époque, il y avait bel et bien un message - une petite phrase2 - ayant une incidence sur les événements en train de se dérouler. La fixation d’échéances à long terme masque souvent des perspectives beaucoup plus proches. C’est ce passage qui donne sens à l’ensemble et non l’ensemble qui fait sens. Le texte fait souvent de la figuration. 12Approche certes alambiquée : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, dira-t-on ? Mais telle nous semble bien être cependant la règle du genre : il est des propos que l’on ne peut tenir trop ouvertement, qui ne sont tolérés qu’au sein d’un certain magma langagier, leur conférant une apparence d’innocence ou de bouffonnerie, d’archaïsme et de grandiloquence. Le prophète ne serait-il pas d’ailleurs une sorte de fou du roi, le texte prophétique devant se vêtir d’atours plus ou moins grotesques pour être toléré, pour s’inscrire dans le tissu socio-culturel ? 13Ce qui n’implique nullement que l’historien du texte prophétique doive agir à la légère. Il lui est demandé de rechercher les sources, les intertextes et de découvrir les incidences, les ajustements. 3 Ce que nous appelons intertextualité « dure » par opposition à « molle » quand il s’agit surtout de (...) 14Par sources, nous entendons les emprunts les plus directs, souvent proches du plagiat plus ou moins littéral et non pas quelque vague inspiration possible. Le plagiat a cela de particulier qu’il est, quand il est découvert, à peu près irréfutable3. Par incidences, il faut comprendre ce à quoi veut en venir le texte prophétique considéré, quels en sont les mobiles. L’« auteur » de texte prophétique s’inscrirait donc bel et bien dans un ensemble de données qui limiterait sensiblement sa marge de manœuvre. Certes, celui-ci peut-il présenter un texte déconnecté de toute tradition prophétique et de tout engagement partisan... Mais en sera-t-on jamais certain ? N’est-ce pas plutôt notre ignorance qui nous fait mettre un texte à part, sui generis ? 4 J. Halbronn, « Créativité de l’erreur », in Éloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris (...) 15Comment prouver une filiation, une influence, par delà les rapprochements approximatifs ? Cela tient selon nous précisément à la tentation du plagiat, de la reproduction quasi à l’identique, bref du recyclage. En d’autres termes, si les hommes ne se recopiaient pas les uns les autres, l’on ne pourrait faire apparaître de succession chronologique. Mais économie de moyens il y a, qui conduit à n’innover qu’à la marge et qui dès lors relativise sensiblement la notion même d’auteur, plus chargé de gérer le signifié que le signifiant. Le chercheur est souvent surpris de noter à quel point un texte est reproduit quasiment mot pour mot, avec des erreurs qui le rendent incompréhensible4 ; on a d’ailleurs souvent le sentiment que celui qui recopie celui-ci n’en comprend ni n’en assume nécessairement toutes les implications. Peut-on dès lors lui prêter toutes les idées et les références liées à un texte qu’il n’a probablement choisi que pour un bref passage ? 16Le biographe ne peut plus se contenter de se reposer sur des bibliographies a priori suspectes parce qu’elles n’ont le plus souvent pour objet que d’être fonctionnelles, ne reculant pas devant l’arbitraire des classements ; il ne peut camper un auteur s’il n’a pas retrouvé les lectures qui étaient les siennes et les publications qu’il a réellement engagées. Il ne peut davantage se fier aux travaux de ceux qui poursuivent d’autres objectifs que les siens, qui sont de retrouver une certaine vérité historique. Or, dans nombre de cas, le biographe se contente de mentionner des références lointaines, qui ne correspondent pas à ce qui s’est réellement passé - à force de coller par trop aux apparences, on tombe dans le virtuel - conférant ainsi du crédit à des contrefaçons. Mais comment s’assurer de démêler le bon grain d’avec l’ivraie ? L’historien serait ainsi pris en tenailles entre les fausses évidences du bibliographe et les mirages existentiels du biographe. 17On ne saurait exagérer le rôle des très grandes bibliothèques, en ces temps où se rode, à Paris, le nouveau site de Tolbiac, rez de jardin. On y trouve un réseau serré de documents qui permettent de déconstruire le travail du faussaire, d’apprécier l’impact, de déceler l’emprunt à un texte oublié et qui constitue le chaînon manquant, le seul qui fasse vraiment sens sur le plan historique. 18Le texte prophétique est à ce propos exemplaire dans la mesure où il s’inscrit à la fois dans une certaine pérennité et à la fois exige de constants mais minimes ajustements au niveau du signifiant, aux effets considérables pour ce qui est du signifié. Nécessité pour le prophétisme de produire des dates et de le faire dans le cadre d’une tradition qui lui confère ses lettres de noblesse. 19Il y a comme une dialectique du prophétique et du « littéraire » : dans un cas, le fantasme se dissimule sous le masque du vraisemblable, de ce qui est à venir - c’est un futur factice - dans l’autre, c’est l’inverse : ce qui est arrivé se présente comme étant fiction. Dans les deux cas, il importe de ne pas gêner par une indiscrétion ou par un calcul. Dès lors qu’un texte est décrété prophétique, il est regardé autrement tout comme une œuvre dite d’art sera perçue sur un autre registre de sensibilité. On est toujours en quête d’une clef pour savoir quel est le bon angle d’approche. 20A l’arrière-plan du texte prophétique, il y a un corpus plus ou moins aisément identifiable, une certaine réalité politique qui l’est également. En revanche, pour le texte proprement littéraire, il s’agit le plus souvent d’accéder au vécu personnel de l’auteur, ce qui ne va pas forcément de soi. Les archives de l’Etat, les éléments de contextualité de la vie publique, sont, dans leur ensemble, plus faciles à examiner que celles d’un particulier. 21Il importe, selon nous, pour fonder sérieusement les études prophétiques de poser comme postulat qu’a priori, l’homme ne peut pas prévoir. Dès lors, si un texte nous apparaît comme réellement prophétique, il en devient ipso facto suspect. Toutefois, si l’on peut soupçonner une manipulation, il peut parfois s’agir d’une rencontre heureuse qui aura justement contribué à faire sortir un texte de l’oubli. Dans ce cas, ce qui est suspect ce n’est pas le texte mais l’édition qui n’est pas produite par hasard, qui s’articule sur une certaine actualité. 22Souvent, le texte original est réinterprété en conséquence et on lui fait dire ce qu’il ne dit pas - si tant est qu’il dise quelque chose - tout simplement en le plaçant dans un autre contexte temporel. On pense au quatrain de Varennes, étudié par Dumézil. Problème du mode d’emploi perdu, de la clef égarée. 23Certes, on peut vouloir ne voir dans le texte prophétique qu’un discours assez peu cohérent mais c’est bien une solution de facilité que de séparer un auteur de la mouvance à laquelle il se réfère, et de ne pas restituer le raisonnement sous-jacent pour n’y distinguer qu’une idiosyncrasie amusante. Parfois, l’incohérence apparente n’est due qu’à une corruption du texte ou à un propos allusif que l’auteur ne prend pas la peine de reprendre in extenso et dont, d’ailleurs, il n’a pas forcément, lui-même, la clef, s’il est en position d’emprunteur. A bon entendeur, salut ! Ce n’est pas une raison pour le taxer un peu vite - ou en tout cas le texte qu’il reprend - de propos sans suite ! Peut-être le lecteur n’avait-il pas besoin qu’on lui mît les points sur les i. 5 De même qu’une phrase bascule facilement du positif au négatif au prix d’une addition minime. 24Il est précieux, au demeurant, de mettre en place des critères de surdétermination permettant d’orienter la lecture du texte, lorsque celui-ci est ambigu. Le lieu de publication est sur ce point déterminant : on ne publie pas les mêmes idées, aux XVIe et XVIIe siècles, à Paris et à Bruxelles, à Genève et à Lyon, on ne pratique pas la même eschatologie en milieu catholique et en milieu réformé ou du moins, même si d’aventure l’on recourt au même intertexte, on ne l’applique pas dans le même esprit. La connaissance de quelques invariants tant géographiques qu’idéologiques évitera bien des contre-sens permis par les ambiguïtés sémantiques. Précisons cependant que la même « matière textuelle » peut figurer dans des contextes très différents. Dans ce cas, il convient de repérer l’éventuelle addition, parfois un mot, un chiffre, qui permet d’user d’un texte dans un autre cadre, parfois diamétralement opposé5. 6 Mais n’en est-il pas de même d’une langue ayant recouru à des emprunts ou à des néologismes ? 25Question de définition : qu’est ce qu’un texte, à vrai dire ? Faut-il parler d’un seul et même texte, avec ses avatars et ses variations à recenser ou bien à chaque modification, se trouve-t-on en présence d’un nouveau texte sinon d’un texte nouveau6 ? La notion d’intertexte suffit-elle en l’occurrence ? Cela implique un travail attentif de comparaison des diverses versions et plus en amont une recension aussi systématique que possible de celles-ci. 26L’historien des textes, selon nous, doit travailler sur des documents très proches les uns des autres, ne se distinguant parfois que par un iota, et passer au crible ce qui se présenterait un peu vite comme identique. Il devra aussi rassembler des textes qui, bien que très semblables, se présentent sous des titres différents. La numérisation des textes devrait encourager ce genre d’exercice. On est loin d’un certain comparatisme - d’un analogisme facile - ne tenant pas assez compte de la proximité textuelle immédiate. 27Il convient probablement de « casser » l’image de l’auteur créant, au prix d’efforts démesurés, du texte à loisir : la recherche des sources n’est plus une simple question subsidiaire, elle est impérative pour cerner l’apport, l’ajout de 1’« auteur ». Au niveau biographique, elle permet de déterminer comment ledit auteur a œuvré, les ouvrages qu’il avait sur sa table de travail et non simplement d’évoquer quelques réminiscences lointaines qui seraient intervenues on ne sait trop comment, sans substrat historique viable. Cette recherche intertextuelle et contextuelle n’est plus un luxe, un ornement, l’expression d’un genre académique, celui notamment de la thèse ; elle devient une nécessité première dans la mesure où elle vise à préciser et à corriger l’image que l’on se faisait du texte considéré, de sa formation et de sa fortune. 28Pour en venir à Descartes, nous dirons que l’historien des textes ne saurait démissionner face au document : entendons par là qu’il ne saurait renoncer à une certaine exigence intellectuelle, à un certain bon sens, à une rationalité, dont il fait preuve dans sa vie quotidienne. La compréhension est à ce prix. Le texte n’est pas un objet sacré obéissant à d’autres règles. Or, face au texte prophétique, il est facile de n’appréhender celui-ci que dans son apparente étrangeté. Prophétisme n’est généralement pas synonyme de délire personnel, ce n’est souvent là qu’apparence, que particularités du genre. L’étude ponctuelle d’un texte - pis d’une seule version, d’une seule édition - n’a guère de sens, il importe de reconstituer un continuum aux variations souvent très douces. 29Il serait bon, donc, de ne pas être dupe : ni des manipulations de date - y compris celles des éditions elles-mêmes - ni des changements de surface qui font oublier le modèle d’origine : faux anciens et faux nouveaux. Trop souvent, l’historien ne fait que crédibiliser les impostures en les prenant pour argent comptant et tombe ainsi dans le roman. 30On nous objectera peut-être que chaque fois qu’un texte est remanié, repris autrement, il y a création. Encore serait-il souhaitable que l’on ait identifié les matériaux utilisés de façon à cerner l’apport spécifique de l’auteur. Création, certes, à condition de ne pas supposer qu’elle soit ex nihilo. 7 7 J. Halbronn, « Les prophéties et la Ligue », Colloque Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cah (...) 31Parfois, on ne connaît un texte que par une version tardive, on ne perçoit son importance que par sa fortune, a posteriori. Bien plus, il peut arriver qu’on ne découvre l’existence d’un faux antidaté qu’en constatant à quel point tel texte est marqué par tel événement bien postérieur à la date indiquée7. La recherche des sources peut se faire en aval comme en amont... 32D’où la reconnaissance du rôle déterminant des éditeurs par rapport aux auteurs : ce sont souvent eux qui décident de recycler un texte, qui sont liés à un parti, à une ville, qui ont pignon sur rue. Tâche souvent obscure que celle d’un petit monde de faussaires, d’adaptateurs, de compilateurs qui permettent au monde de tourner en rond et que la Nouvelle Histoire tend à ignorer comme si la durée allait de soi et qu’il suffisait simplement de l’appréhender. 33Il nous semble que la méthodologie d’abord des textes prophétiques peut féconder celle plus générale des textes littéraires en remettant l’accent sur la récurrence textuelle et en soulignant le côté préfabriqué de toute expression langagière. 34Quand le prophétisme se fait littéraire, il s’émascule, pensons-nous, dans la mesure où il ne poursuit plus guère d’enjeu politique immédiat. 35Il y a le cas d’un Nostradamus qui, dans ses Centuries, serait, aux dires d’aucuns, poète. Il est vrai que dans ce cas, le prophétisme se pare des atours de la muse. Un Victor Hugo ne se verra-t-il pas étiqueté comme prophète ? Dans ce cas, ce ne sont pas des personnages de la fiction qui revêtent cette dimension mais l’auteur lui-même au second degré. 36En fait, n’importe quel texte peut un jour ou l’autre être récupéré par le prophétisme, grand dévoreur de mots. Il peut ainsi être détourné de son sens, mis soudain au service d’enjeux politiques, au service d’une cause bien différente de celle que semblait avoir voulu défendre son auteur. Et inversement ce qui était prophétique peut cesser de l’être. Dans la longue durée, tel texte pourrait n’être prophétique qu’à un moment de son histoire. 8 Un tel texte annoncerait les Protocoles des Sages de Sion, texte dont la dimension prophétique ne f (...) 37Un prêté pour un rendu : on réduit le prophète à un argument littéraire et, à l’inverse, on transforme un chapitre de roman - on pense au Redcliff de l’allemand Hermann Goedsche - en description « véridique » d’une assemblée de conspirateurs8. Or qu’est-ce qu’un complot sinon des plans sur la comète ? 38Opposition intéressante entre celui qui trame une affaire ou qui prétend, tel un détective, y voir clair, remonter le fil d’Ariane et celui qui se déclare pouvoir décrypter de mystérieux desseins. On passe du polar au fantastique, d’Edgar Poe à Lovecraft. 39Le prophète n’a pas pour vocation de révéler ce qui a déjà eu lieu à la différence d’un Hercule Poirot, mais d’annoncer ou d’empêcher ce qui ne s’est pas encore pleinement déroulé. Tant la connaissance du passé s’avère aussi troublante et inaccessible que celle de l’avenir. 40Mais dans un cas comme dans l’autre, il importe de retrouver l’auteur du « crime », celui qui a tout manigancé - Dieu ? Satan ? - d’obtenir confessions et révélations. 41Le prophétisme aurait-il fécondé la littérature de science fiction ? Un Jules Verne n’est-il pas prophète ? Combien de fois la fiction a rejoint la réalité ! En fait, la science fiction serait marquée par un contexte scientifique plus ou moins extrapolé et anticipé, qu’il convient à l’historien de cerner tout comme la littérature prophétique le serait par un contexte politico-religieux. 9 De la même façon, le charlatan ne serait pas tant celui qui trompe autrui que celui qui se trompe l (...) 42Mais pour nous le vrai prophète - mais d’aucuns diront que c’est là précisément un « faux prophète » ! - ne cherche pas tant à avoir raison plus tard qu’à peser sur les événements, en frappant les esprits, quitte à proposer des perspectives à long terme pour donner le change. Un Jérémie cherchait d’abord à orienter le cours des choses de son temps, plutôt qu’à voir ses menaces se réaliser. Le prophète serait une sorte de maître-chanteur, qui ne veut surtout pas qu’on le mette au pied du mur, pesant sur le futur pour engranger dans le présent9. 43Au fond, un texte ne serait prophétique que parce qu’il se donne comme tel, tout comme est art ce qui s’affiche ainsi. Le même texte qui ne se prétendrait point tel serait lu avec un autre regard, déclencherait une autre sémantique. Le lecteur a besoin d’être guidé : est-ce de la fiction ou est-ce un récit, est-ce un exercice formel ou bien un discours politique ? Est-ce que cela se mange ou est-ce que cela se sent ou se regarde, dira-t-on pour un fruit. 44Mais il est des genres chauve-souris qui cultivent délibérément l’ambiguïté. Le prophète est-il un bouffon qui délire ou bien l’agent de quelque parti, qui instrumentalise, délibérément, un levier de l’opinion ? 45Les contemporains d’un texte prophétique en cernent très vite la portée alors que ceux qui viennent ensuite passent à côté. Mais c’est précisément alors, avec le temps, qu’un tel texte peut se mettre à dire ce que son auteur ne percevait que comme du signifiant, du remplissage. Des signifiés insoupçonnés font irruption. L’approche historique n’est pas achevée tant que l’on n’a pas cerné les tenants et les aboutissants. 46Nous dirons qu’à l’instar du devin, de la pythie, le prophète n’existe que par son interprète, vit aux dépens de celui qui l’écoute. C’est son lecteur, celui des générations suivantes, qui fera de celui qui se présente comme prophète un prophète à part entière. Il y a de l’apprenti-sorcier dans 1’ acte de jouer au prophète. Mais c’est aussi ce qui permet de pérenniser un texte. Qu’importe que ce texte soit ancien, nous dit-on, puisqu’il n’est pas enfermé dans son temps ! Dire qu’un texte est prophétique, c’est laisser entendre qu’il est actuel et inversement si un texte ne fait pas sens pour aujourd’hui, peut-il être qualifié de prophétique ? 47On n’emprunte jamais sans risque une identité voire un simple mot. Un signifiant adopté sans prendre garde a vite fait de revêtir une réalité prégnante, d’établir des connections imprévues, de se trouver entraîné dans quelque réseau. Il n’y a pas grande différence entre jouer au prophète et être pris pour tel. 48D’autant que le prophétisme se pratique comme un art. Il s’agit moins d’être inspiré que d’inspirer le lecteur, d’accéder à la transcendance que de conduire l’autre à se dépasser. L’artiste, s’il a la maîtrise de son art, n’a certes pas celle de son message. Il accède à l’universel parce qu’il évolue dans l’indéfini et, disons-le, dans l’ambiguïté. Il est miroir. 49Le prophétisme parle au futur, faisant mine de prendre ses désirs pour des réalités, il tente de déboucher sur une praxis - « si vous le voulez, ce ne sera pas une légende », disait à ses frères juifs un Théodore Herzl - auteur d’’Altneuland- tandis que la littérature transfigure le vécu en roman. 50A l’aube de l’An 2000, quelle est la place du prophétisme dans notre société ? Prophétie des papes, ère du verseau, Nostradamus, nombreux sont les textes qui annoncent une révolution, la fin d’un monde. Les sectes véhiculent de telles idées du « nouvel âge ». Mais chaque siècle a eu son lot de prophéties, a celles qu’il mérite. 51Mais notre fin du XXe siècle, plutôt que d’être apocalyptique, n’aurait-elle pas plutôt été un autre monde dans lequel les siècles précédents auraient sagement enterré leurs déchets prophétiques, un cimetière de prophéties ? 52Il y a une forme de poésie dans toute expression prophétique : on ne peut y dire les choses carrément, il y faut avancer masqué, parler par allusions, par jeux de mots, encoder. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un discours onirique éveillé. Joseph et Daniel, dans la Bible, furent interprètes de songes. Comme une vérité qui sortirait de la bouche d’un homme ivre. 10 Voir J. Delumeau, Mille Ans de Bonheur, Fayard, 1996 53Le prophète d’aujourd’hui est-il l’« intellectuel » à la façon d’un Sartre, qui, notamment dans la presse, interpelle le politique ? Littérature militante qui, depuis Marx, prend des allures scientifiques qui ont laissé des stigmates sur le discours sociologique10. 54Prophétie et littérature ? Deux processus antagonistes, même lorsque le prophétisme se veut littéraire et que la littérature s’amuse à prophétiser. Le prophétisme ne trouve sa véritable intensité que lorsque le lecteur prend le texte au sérieux et l’utilise comme un système de décodage du réel. En revanche, le lecteur de roman recherchera avant tout une résonance en lui-même, par rapport à son monde intérieur, quand bien même serait-il apparemment en prise avec des personnages ayant existé. L’un nous fait citoyen de l’univers, l’autre nous place au cœur de notre microcosme. 55L’interface entre prophétisme et politique nous a semblé nettement plus essentielle que celle qui s’articule entre littérature et prophétie mais entre les deux règnent de toute façon la complicité et le malentendu du texte et du lecteur et l’on bascule aisément, selon l’humeur, de l’immanence à la transcendance. Inicio de página NOTAS 1 Milan, Arché, 1985. 2 D’ailleurs, dans la stratégie épistolaire, une seule formule parfois justifie l’envoi, parfois un post-scriptum, le reste n’étant que banalités. 3 Ce que nous appelons intertextualité « dure » par opposition à « molle » quand il s’agit surtout de références vagues qui ne nous disent pas vraiment de quel ouvrage un auteur s’est servi. 4 J. Halbronn, « Créativité de l’erreur », in Éloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris, Lierre & Coudrier, 1990. 5 De même qu’une phrase bascule facilement du positif au négatif au prix d’une addition minime. 6 Mais n’en est-il pas de même d’une langue ayant recouru à des emprunts ou à des néologismes ? 7 7 J. Halbronn, « Les prophéties et la Ligue », Colloque Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier, 15, Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1998. 8 Un tel texte annoncerait les Protocoles des Sages de Sion, texte dont la dimension prophétique ne fut que ponctuelle. Voir notre thèse d’Etat, Paris X Nanterre, 1999, Le texte prophétique en France. Formation et fortune. 9 De la même façon, le charlatan ne serait pas tant celui qui trompe autrui que celui qui se trompe lui-même. 10 Voir J. Delumeau, Mille Ans de Bonheur, Fayard, 1996 Inicio de página PARA CITAR ESTE ARTÍCULO Referencia en papel Jacques Halbronn, «Le texte prophétique», Babel, 4 | 2000, 25-36. Referencia electrónica Jacques Halbronn, «Le texte prophétique», Babel [En línea], 4 | 2000, Puesto en línea el 27 mayo 2013, consultado el 23 octubre 2024. URL: http://journals.openedition.org/babel/2845; DOI: https://doi.org/10.4000/babel.2845 Inicio de página AUTOR

jacques halbronn Le temps de la réforme du judaisme a sonné. Le sa...

jacques halbronn Le prophétisme antéchristique

Le prophétisme antéchristique par Jacques Halbronn “[Pierre d’Ailly] pense faire beaucoup de vouloir accommoder les histoires aux grandes conjonctions qui se font au signe d’Aries présupposant cela advenir au bout de 960 ans qui est faux Il n’y faut que 800 ans ou environ. De quoi il faut que vous soyez averti (s’adressant à Bodin) pour effacer cette erreur de votre livre, car vous avez suivi presque les mêmes d’Alliac et des astrologues pour le renouvellement des dites conjonctions. Cela se fait de 800 ans en 800 ans, un peu plus ou moins, sans passer outre” (Auger Ferrier) De quelle façon le prophétisme a-t-il affecté et marqué les diverses sensibilités du christianisme - ainsi pour le protestantisme exacerbé par la Révocation de l’Edit de Nantes - mais aussi quelles répercussions une certaine eschatologie a-t-elle entraînées dans les milieux juifs ? On pense bien entendu aux Protocoles des Sages de Sion, parus, selon nous, en réaction à la tenue des premiers congrès sionistes de la fin du XIXe siècle. Mais le prophétisme biblique n’est-il pas au demeurant une des sources de l’antijudaïsme, lorsque les prophètes juifs mettent en cause, avec virulence, les pratiques de leur propre peuple ? Pratique répandue, pour l’exégèse chrétienne, de retourner leurs débats internes contre les Hébreux. Le pape joue, dans cette affaire - et malgré lui - un rôle essentiel et avant tout en tant que repoussoir. Les spéculations sont souvent liées à la fin de la papauté et cela bien avant l’émergence du protestantisme qui, dans ses expressions eschatologiques, sera l’héritier d’une hostilité de certains milieux ecclésiastiques médiévaux connus sous le nom de spirituels. Pour les uns, la fin d’une papauté antéchristique est attendue avec espoir tandis que pour les autres, elle est le dernier rempart avant l’avènement redouté. Les enjeux politiques inversés impliquent, chorématiquement, certaines gesticulations, ce qui est bon pour l’un est mauvais pour l’autre, ce qui est “millénariste” - c’est-à-dire ère de bonheur - devient “antéchristique”, temps de souffrance : l’un est le revers de l’autre : c’est pourquoi aux 1000 ans de l’Apocalypse font pendant les 1290 jours / ans (selon l’exégèse joachimite) du Livre de Daniel. Et ce, éventuellement, pour rendre compte de la même époque historique. Ajoutons que chaque grille de lecture implique une interprétation plus ou moins forcée et simplifiée des événements révolus, notamment en ce qui concerne la vision daniélienne de la succession des empires. En réalité, dans tous les cas de figure, le pape est en ligne de mire car s’il n’est pas, synchroniquement, l’Antéchrist, tôt ou tard il s’en fera diachroniquement le complice - annoncent les Vaticinia en se servant d’une iconographie saisissante et se retrouvera quelque temps sous sa coupe, tant et si bien que toute eschatologie, d’où qu’elle vienne, apparaîtra comme fâcheuse pour la papauté sinon pour la Chrétienté. Les échéances prophétiques et leur report Avec le recul, force est de constater que depuis des siècles, l’on n’a pas cessé de repousser les échéances comme le montre caricaturalement le passage de 3 ans et demi pour le règne de l’Antéchrist à 1260 ans, par un simple jeu d’écritures. Le néo-prophétisme, c’est aussi ce réajustement des chiffres. Face à un prophétisme articulé autour des cycles astronomiques, il en est justement un autre qui tient sa place à la Renaissance et qui fonde ses calculs sur un certain nombre de données chiffrées issues de la Bible, telles qu’on les trouve notamment dans le Livre de Daniel, dans les Evangiles et dans l’Apocalypse. Mais ce prophétisme là aura imposé une thématique centrale, celle de l’Antéchrist comme étant associée à toute échéance. On observera que certains livres bibliques comportent des chiffres, quelque forme de chronologie, peut-être d’inspiration astrologique ou du moins hémérologique. Qu’à cela ne tienne, il s’agit là de textes dont il est loisible d’extraire des éléments prévisionnels à condition toutefois de déterminer un point de départ et c’est la fixation de celui-ci qui donnera lieu à un nombre quasi illimité de spéculations, depuis la date de la mort de Jésus jusqu’à celle près de treize siècles plus tard, de la fondation, en 1299, par Osman de l’Empire Ottoman, portant son nom, en passant par Constantin ou la prise de Jérusalem. L’Histoire n’est évidemment pas chiche en matériel sur lequel adapter tel ou tel chiffre à condition toutefois de lui conférer une dimension à long terme : là où le texte biblique parle de jours, mieux vaudra comprendre années, tous les moyens sont bons pour couvrir plusieurs siècles passés et déboucher ainsi sur un avenir plus ou moins proche. Il conviendra d’aborder un certain nombre de modèles nourrissant le texte prophétique de nature non plus astrologique mais exégétique. Il s’agit, pour les auteurs qui suivront, d’articuler quelques thèmes, par exemple l’Antéchrist, sur quelques chiffres, tels les 1260 jours prophétiques de l’Apocalypse. Mais, ces chiffres prophétiques ne sont-ils pas issus, à leur tour, du calendrier voire de quelque cycle planétaire ? Quelle est, au vrai, la nature des liens existant entre astrologie et prophétisme ? Il conviendrait de préciser qu’il s’agit du “prophétisme moderne” face à une astrologie antique, à laquelle il convient parfois de se référer sans nécessairement en assumer les contraintes. Pierre Brind’amour, en privilégiant parfois la dimension astronomique proprement dite, n’a-t-il pas exagéré une dépendance plus formelle que réelle ? L’astrologie n’est-elle pas devenue à la Renaissance un langage relativement peu contraignant avec lequel on trouve des arrangements et qui, par sa complexité même, autorise tous les montages souhaités par le politique ? Que l’on songe que Jean-Aimé de Chavigny fait accepter, dans le Janus Gallicus de 15941 la thèse selon laquelle les “présages” tant en prose qu’en vers parus pour telle année, donc a priori sur une certaine base astronomique, peuvent valoir pour une autre année. N’est-ce pas la preuve que ces quatrains n’ont en fait aucune assise temporelle, qu’ils peuvent en tout cas être recyclés ? C’est d’ailleurs une des causes de son déclin au XVIIIe siècle - et de sa survie dans la marginalité socio-culturelle - qu’un certain désir d’autonomie face au politique, d’exister en tant que science, d’où ce pseudo-débat sur la place de l’astrologie à l’Académie Royale des Sciences dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Un tel besoin d’émancipation aura brisé l’écosystème permettant à l’astrologie de s’épanouir à l’ombre du pouvoir. Autrement dit, l’astrologie aurait depuis longtemps perdu sa virginité, elle a du apprendre, pour qu’on continue à la tolérer dans les hautes sphères, à servir certains intérêts parfois aux dépens de sa rigueur doctrinale. Il se pourrait que l’homme ait un besoin de transcendance - culte des astres, des animaux, des dieux, des prêtres(ses), des rois, des femmes etc. - et qu’il confère à certains objets, à certains êtres, un pouvoir dont ceux-ci risquent d’abuser par une sorte de contre-transfert et c’est alors le temps des révolutions qui remettent chacun à sa place. On y brûle ce qu’on a adoré. Encore convient-il de distinguer les cas où une date avancée est proprement astronomique - mais ne peut-on aisément trouver un substrat astral à toute date - et le fait que telle année soit associée à tel événement politique que l’on cherche en fait à expliquer après coup, quitte, au prix d’une interpolation ou d’un faux, à faire croire que telle prophétie avait fourni à l’avance la date du dit événement. Ne serait-il pas plus pertinent de parler d’un lien entre prophétisme et astronomie ? Nostradamus annonce des “quatrains astronomiques” dans la Préface à César. Certes, en ce temps, l’on tend à confondre les termes : astronomia et astrologia, certes, à la façon de J. Kepler, tel astronome fut également astrologue. Il n’en reste pas moins que les deux disciplines, unies au sein des Arts libéraux, se distinguent nettement, comme déjà le notait Ptolémée, dans le Tetrabiblos, au IIe siècle de notre ère : “Nous allons parler de la seconde partie qui n’est ni si assurée, ni si parfaite, selon une méthode convenable à la philosophie, et de telle sorte que toute personne qui aimera la vérité ne comparera pas les arguments avec la certitude de l’autre immuable doctrine, lorsqu’il pensera combien grande est la faiblesse commune et la difficulté de conjecturer etc. ”.2 A quel moment passe-t-on de l’astronomie à l’astrologie ? Tant que l’on se contente de décrire des configurations planétaires, que l’on publie un Ephemeridum ou un Eclipsium, organisés année par année, à la façon de Leovitius, on reste dans le champ astronomique, on décrit des faits célestes avec plus ou moins de précision mais on ne “mord” pas sur l’astrologie. Encore que, comme le note Isabelle Pantin, que de tels ouvrages soient surtout utiles pour les astrologues auxquels ils évitent de lourds calculs. Quand on signale une comète ou une stella nova, on ne se situe pas davantage ipso facto dans ce domaine. En revanche, est-ce que tout discours sur ces phénomènes ne devient pas d’emblée d’ordre astrologique ? Mais faut-il nécessairement un discours en bonne et due forme lorsque le lecteur a vaguement une idée de ce que présagent de tels événements cosmiques ? Que signifient en effet de telles données pour le lecteur averti ? Les comètes frappent les esprits même non avertis, le nom des astres est suffisamment parlant même pour le non initié. C’est la base d’une certaine astrologie populaire, qui ignore la sophistication d’une lecture plus savante. L’astrologie est constituée par un corps de doctrines, qui se retrouve en partie dans le Tetrabiblos mais qui englobe toute une littérature traitant de la signification des planètes, des signes, des maisons (terrestres), des aspects. Lorsque le discours dépasse les possibilités de l’astrologie - comme c’est notamment le cas chez Nostradamus - l’on bascule dans le prophétisme qui lui-même, réduit à un ornement, ferait la jonction avec le champ politique, selon les enjeux réels du moment. Mais l’on peut se demander si le dit prophétisme ne peut pas directement traiter avec l’astronomie et laisser à l’astrologie, devenue quelque peu encombrante, la portion congrue. L’Astrologie, en effet, ne serait véritablement en prise ni avec le réel naturel ni avec le réel politique, elle apparaîtrait de plus en plus comme un fantasme de science et un rêve d’humanité. Mais même les références astronomiques seront bientôt fictives, on y a annoncera, dans la seconde partie du XVIe siècle des conjonctions qui n’existent pas ou plutôt on recyclera, sans scrupules, des textes ayant servi pour d’autres époques en traitant l’astrologique comme déconnecté du réel astronomique. Or, si l’on peut changer une date dans un texte sans référentiel astronomique, en revanche, un texte qui s’appuie sur le mouvement réel des astres est a priori difficilement récupérable, à moins de retrouver une configuration comparable à venir. Nous assistons en effet à un double mouvement : d’une part, divers savoirs s’émancipent de l’astrologie, de l’autre, l’astrologie prétend prendre le relais : le médecin ne s’intéresse plus à l’astrologie, qu’à cela ne tienne, l’astrologie, elle, continuera à se vouloir médicale, mais il s’agira dès lors de médecine dans un ouvrage d’astrologie et non plus d’astrologie dans un livre de médecine. Le prophétisme ne recourt plus à l’astrologie que de façon de plus en plus symbolique, ce qui n’empêchera pas l’astrologie de se vouloir prophétique, en introduisant des éléments vaticinatoires au sein de ses pronostications, à la façon d’un Lichtenberger.3 La tentation d’avancer des dates, même en dehors de tout substrat astronomique, ne relève-t-elle pas ipso facto d’une allégeance imitative à la démarche astrologique ? C’est, au vrai, ce passage à l’acte dans la fixation d’une date bien définie dans un calendrier préétabli, qui a le plus souvent retenu notre attention. Il reste qu’astrologie et prophétisme, s’ils font un “bout de chemin ensemble” poursuivent des enjeux différents sinon opposés : l’astrologie se demande - et cette question est clairement posée par Jean Bodin, dans la République - si elle pourra constituer un jour une structure objective au sein de laquelle s’inscriront les activités humaines, tandis que le prophétisme s’efforce de peser sur ceux qui exercent le pouvoir - et qui au fond incarnent Dieu, situé au dessus des astres. Fonction ancillaire que celle de l’astrologie au service des dieux et des rois, par le truchement du prophétisme ou clef pour comprendre le monde dans ses cycles cosmiques en se plaçant au service de la parole prophétique ? Dans un cas comme dans l’autre, le prophétisme se situerait, selon nous, à l’interface entre savoir et vouloir. Dans le cas de Nostradamus, si nous lisons dans la préface à César4, il est dit : “j’ay composé Livres de prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties”, force est de constater que le résultat ne correspond pas à l’annonce. Un grand nombre de quatrains n’ont pas de rapport, ni de près ni de loin, avec les calculs astronomiques, et ceux qui offrent ce lien sont à l’évidence ceux qui frappent le moins le lecteur du fait même de leur jargon mais leur présence est, apparemment, rassurante, elle fournit un gage. Anthropologie de l’astrologie En ce qui concerne l’astrologie, la définition anthropologique des limites est peut-être plus délicate que pour le prophétisme et notamment en ce qui concerne la fixation de dates à venir. Entendons par là qu’il n’existe pas de consensus absolu à ce propos sur ce qui peut ou non être calculé. Point de doute, cependant, que l’astronomie soit en mesure de prévoir le mouvement d’une planète, très longtemps à l’avance. Mais est-ce qu’un tel rendez-vous a des incidences sur le destin des hommes et des sociétés ? Que penser d’un prophétisme qui serait sous-tendu par une base astronomique rigoureuse, qu’il faudrait parfois reconstituer? Est-il absolument exclu qu’il n’y ait pas de dimension cyclique aux mutations des Républiques, comme s’interrogeait un Jean Bodin ? Il est clair que l’astrologie ne peut que s’inscrire au sein de problématiques anthropologiques, il lui est demandé de répondre aux questions que se posent les hommes, à un moment donné, sur l’ordre du monde, non pas seulement pour prévoir passivement mais pour éventuellement mieux conduire les affaires de la Cité. Tout changement de questionnement nécessite un autre modèle astrologique. Nous souhaitons simplement souligner le fait que l’argumentation chronématique ne saurait avoir la même assurance lorsque l’on a affaire à une échéance, fixée par quelque calcul astronomico-astrologique plusieurs siècles à l’avance - 1789 - et lorsqu’il s’agit de la mention à peine transposée du nom d’un ministre, comme c’est apparemment le cas, on le verra, dans les Centuries, pour Mazarin ? En effet, l’astrologie ne prétend pas tant annoncer des événements ponctuels - une exécution par exemple - que des “révolutions” qui reviennent régulièrement. On ne peut, anthropologiquement parlant, affirmer avec certitude que la vie des sociétés humaines ne tient pas en partie à de tels processus récurrents qui pourraient être retrouvés ou recoupés empiriquement. Autrement dit, la “prophétie” alliacienne nous apparaît comme fondamentalement d’ordre astrologique, elle est à long terme, se projetant vers l’inconnu, alors que tant d’autres prophéties sont à court terme - pas celle du pseudo-Malachie cependant - même si elles sont ensuite, en quelque sorte, reconduites. Et d’une certaine façon, dans le cadre de notre thèse, c’est la seule prophétie qui ait connu un certain succès, non entaché de subterfuge, non point tant par les effets politiques à terme que par l’impact psychologique sur les esprits qu’elle semblait annoncer. Après avoir rappelé certaines pratiques de calcul qui ne sont pas toujours explicitement astronomiques, nous axerons notre exposé sur les notions de base de l’astronomie : les signes du zodiaque et les planètes et ce dans la longue durée sans prétendre aucunement proposer une “histoire de l’astrologie”. Notons que la généalogie des dieux - Saturne-Jupiter-Hercule - nous ramène à l’astrologie dans la mesure où Saturne et Jupiter se cherchent, se combattent, se trouvent - tant comme dieux que comme astres - sur la piste du zodiaque, en rapport avec les douze travaux d’Hercule, imposés par Junon, rapprochement proposé par un Charles-François Dupuis, à la fin du XVIIIe siècle. L’astrologie liée à l’astronomie comporte une teneur chronologique précieuse pour l’historien. Au XIXe siècle, notamment à propos des documents égyptiens, des savants, tel un J. F. Champollion, s’essaieront à dater certaines pièces à partir des références astronomiques qu’elles comportaient, ce qui servit à établir la succession des dynasties. Nous avons préféré la formule de prophétisme “zodiacal” à celui de planétaire, parce que le zodiaque nous apparaît comme le vecteur principal, lié au calendrier d’une part, englobant saisons et constellations, mais balisant également la succession des grandes conjonctions, passant d’un Elément à un autre, selon la qualité des signes accueillant la rencontre Jupiter-Saturne. Ce système conjonctionnel, articulé sur des faits astronomiques apparemment clairement définis, avait acquis un prestige certain à la fin du Moyen Age et à la Renaissance, et chaque nouvelle échéance astronomique alimentait nécessairement des spéculations qui n’étaient pas sans implication politique. Nous aborderons le système conjonctionnel qui a pour axe le Bélier, premier signe, celui du point vernal. Le calendrier ne s’accorde pas nécessairement avec ce point et la coutume voulait de commencer l’année au 1er janvier (Janus), la France n’en resta pas moins jusqu’au milieu des années 1560 fidèle au “style de Pâques”, ce qui n’est pas sans créer quelque risque de confusion dans la datation des textes, l’année changeant alors de millésime au Printemps. Il importe de poser au départ quelques définitions concernant le Zodiaque. C’est le lieu de passage des planètes du système solaire - à commencer par le soleil et la lune - dans le ciel, vu de la Terre. En fait, le nombre douze, pour les signes comme pour les mois, est lié au nombre de conjonctions ou nouvelles lunes se produisant au cours d’une année, définie par le retour des saisons et des travaux agricoles. En ce sens, le zodiaque est lunaire et l’on trouve d’ailleurs une division de cet espace en 28 sections, sur la base des 28 jours environ que couvre un mois lunaire. C’est son découpage qui pose problème : où fixer son commencement ? L’on s’accorde certes à nommer bélier / aries le degré zéro, mais il existe divers critères pour situer ce point. Le zodiaque tropique est établi à partir des équinoxes et des solstices tandis que le zodiaque sidéral l’est conventionnellement à partir d’une certaine étoile n’offrant pas ou plus de caractère spécifique. Telle étoile est conventionnellement le début de la “constellation” du Bélier, qui ne coïncide pas avec l’axe équinoxial. A partir de la fin du XVIIIe siècle, le zodiaque sidéral va jouer un certain rôle en parallèle avec le zodiaque tropique : question des ères précessionnelles, datation du zodiaque de Dendérah. En outre, ce zodiaque sidéral est celui qui est généralement en usage chez les astronomes et chez les astrologues indiens pour situer les planètes, alors que le zodiaque tropique est la référence pour l’astrologie occidentale. En ce qui concerne le symbolisme du zodiaque, il y eut un certain nombre de transformations, d’inversions, notamment pour les gémeaux et la vierge qui perdirent leur dimension sexuée, vénusienne pour devenir mercuriens. C’est ainsi que dans l’iconographie du Kalendrier des Bergers, les gémeaux sont représentés plutôt comme un couple et la “vierge” n’est dite mercurienne probablement que sous l’influence alchimique. En ce qui concerne les Quatre Eléments, entre lesquels se répartissent les douze signes, selon quatre triangles équilatéraux, ce placage daterait des Grecs et ne coïncide pas nécessairement avec les caractéristiques du signe : ainsi le verseau est-il un signe d’air et le scorpion un signe d’eau etc. Cette répartition entre triplicités n’en est pas moins le fondement de la théorie des Grandes Conjonctions. Bien plus, cette dernière ne fonctionne que dans le cadre d’un référentiel tropicaliste où les 12 signes sont égaux. Le principe de ce qu’on nomme, au Moyen-Age et à la Renaissance, “grandes conjonctions” semble avoir d’abord été une observation d’ordre astronomique et géométrique sur laquelle des réflexions de type astrologique se sont greffées. Cette théorie est fondée sur les aspects planétaires, technique astronomique de localisation des astres les uns par rapport aux autres, avant de servir aux spéculations astrologiques. Albumasar, lorsqu’il étend ce système à l’astrologie ne fera donc que s’appuyer sur des travaux astronomiques antérieurs, lesquels font remarquer qu’en règle générale, deux conjonctions successives de Jupiter et de Saturne se produisent avec un intervalle de 120° environ, ce qu’on nomme trigone (soit un angle d’un tiers de cercle). Puis, au bout d’un certain temps, le rythme en question est temporairement rompu, lors d’une conjonction qui ne suit pas cet agencement, pour reprendre à la conjonction suivante selon les mêmes écarts et ainsi de suite. Or, l’on peut traduire ces “sauts” périodiques en langage astrologique en parlant de passage d’un Elément à un autre, étant donné que les Quatre Eléments (feu, terre, air, eau) se répartissent conventionnellement entre les signes du zodiaque selon un dispositif triangulaire qui recoupe exactement celui des aspects de trigone, de tiers de cercle (120°). Mais cette théorie des grandes conjonctions ne fera que se survivre au XVIIe siècle - l’Eclipse de 1654 aura plus d’écho - on ne connaît rien de commun, nous semble-t-il, avec les alertes de 1524, de 1564 ou de 1584. En revanche, les comètes maintiendront-elles plus facilement leur fascination, elles qui sont à l’abri des contrefaçons - mais point des erreurs de calcul - et qui n’exigent pas d’intermédiaire pour frapper les esprits. Les échéances astrologiques Trois siècles avant Pierre d’Ailly, Abraham Bar Hiyya, juif catalan, mort vers 1136, dans un ouvrage rédigé en hébreu, le Meguilat Hamegalé, avait désigné comme échéance la fin du XVe siècle, à plus de trois cent ans de distance. Son raisonnement, malgré les apparences, ne repose nullement sur les seules configurations astronomiques, mais fait appel à une exégèse scripturaire autour du Livre de Daniel. Les auteurs chrétiens, en quête de datation, commenteront également l’Apocalypse, ouvrage qui reprend en partie les schémas daniéliens. Cet Abraham de Barcelone appuie en effet ses calculs sur le livre de Daniel : il prend le chiffre de 1290 jours qu’il convertit en années, il l’ajoute à la date de la destruction du Second Temple, soit l’An 68, selon sa chronologie. On obtient ainsi 1358. Le calcul final donne 1448 ou 1468, selon les versions. Il ne s’agit nullement d’Abraham Ibn Ezra contrairement à ce qu’écrit en 1580 Jean Bodin, dans la Démonomanie des Sorciers (Livre I, Chap 5) : “Comme aussi a fait Abenesra (abréviation d’Abraham Abraham Ibn Ezra) qui avait prédit qu’il naîtrait un grand Capitaine pour affranchir les Juifs qu’il appelle Messie, en MCCCCLXIIII, ce qui n’est point advenu.” (p. 34) En 1464, se forma une conjonction Jupiter-Saturne, mais c’est en réalité l’an 1468 qui intéresse Bar Hiyya ; c’est alors qu’aurait dû selon les dires de cet astrologue catalan apparaître le Messie Juif. Prophétie au demeurant à trois siècles de distance comme le sera celle de Pierre d’Ailly en 1414. Nous verrons que ce décalage de 4 années entre la conjonction et ses effets se retrouvera à propos de la prophétie dite régiomontanienne pour 1588, ancrée sur la conjonction de 1584. Du côté chrétien, l’on attendrait plutôt l’avènement à la fois redouté et espéré de l’Antéchrist, mais qui serait suivi du second avènement du Christ. Au XIXe siècle, l’influence du jésuite chilien en rupture de ban, Manuel Lacunza y Diaz (1731 - 1801), confirmera cette influence du monde hispanique. Relativité de l’argument conjonctionnel Il importe de préciser d’emblée le caractère quelque peu factice du recours aux grandes conjonctions. En principe, il existe certes des échéances distantes de plusieurs siècles, en pratique, les conjonctions Jupiter-Saturne ont lieu tous les 20 ans et ne manquent pas de focaliser les attentes et quand une conjonction est passée, on s’intéresse à la suivante. Ces conjonctions ordinaires sont les “petites conjonctions”. Les conjonctions qui se tiennent au début d’un nouveau trigone élémentaire seraient “moyennes” et ont lieu tous les 200 ans et enfin la “grande” conjonction serait le retour, tous les 800 ans environ, dans le trigone igné. Le succès de cette théorie résiderait plus dans son rythme somme toute rapide que dans les perspectives à long terme. Ainsi, la conjonction de 1524 qui eut un tel retentissement est a priori assez peu significative du point de vue du cycle des grandes conjonctions (cf. infra), à tel point que le phénomène, par son caractère plus visuel que structurel nous semble plus relever de l’astronomie que de l’astrologie, mais il nous semble que les astrologues, pour ne pas être en reste, emboîtèrent le pas à ceux qui avaient ameuté l’opinion, sur des bases plus spécifiquement symboliques (le poisson) et prophétiques (le Déluge). Mal leur en prit. On aurait tort de croire en effet que les relations entre astronomie et astrologie sont nécessairement fructueuses. Nous verrons que Leovitius, dans son traité des conjonctions, n’hésite pas à considérer abusivement chaque conjonction comme rarissime puisque dans l’absolu, chacune n’a lieu qu’à de longs intervalles, mais qu’est ce à dire qu’une succession de telles configurations ? On pourrait parler d’une perversion du système. Il y a véritablement une rhétorique astronomique fondée sur une prétendue rareté de la configuration attendue, argument récurrent et qui finit par se vider de sa substance. Il n’en reste pas moins que l’on observe deux attitudes : l’une quantitative qui s’intéresse au fait qu’un maximum de planètes se trouve rassemblé dans le même signe du zodiaque (c’est le cas de février 1524), l’autre qualitative qui étudie le cycle des deux planètes les plus lentes, à l’époque, à savoir Jupiter et Saturne. Avant d’aborder les principales pièces de notre corpus, il importe, dans ce chapitre, de décrire les outils disponibles au XVe siècle. En effet, celui qui fait appel aux planètes - qu’il s’appuie sur des éphémérides ou sur des systèmes plus proches de la numérologie - a le choix entre plusieurs techniques qu’il combinera d’une façon ou d’une autre. L’erreur consisterait à réduire le raisonnement d’un auteur donné à un seul critère. En effet, nous sommes le plus souvent en face de systèmes récurrents, comportant des échéances renouvelées : c’est typiquement le cas des grandes conjonctions - lorsque Jupiter (12 ans de révolution, à travers le zodiaque) rejoint Saturne (29 ans de révolution à travers le zodiaque), qui se reproduisent tous les vingt ans. Pourquoi insister sur telle conjonction plus que sur une autre ? Il existe certes une hiérarchie de ces cas de figure, mais d’autres paramètres rendront compte en définitive du choix d’une certaine date. Entre Pierre d’Ailly à Nicolas de Cuse, entre Daniel à Trithème, l’auteur de prophéties ou de commentaires sur les prophéties, devra faire son choix, ce qui induira des échéances différentes mais qui parfois convergeront. Or, pour comprendre un texte, en saisir les éventuelles corruptions, les retouches, les interpolations tardives, on ne peut faire l’économie de leur description d’autant que les auteurs n’explicitent pas toujours tous les tenants et aboutissants. Le prophétisme d’après le Déluge Il ne faudrait pas croire que l’échec prévisionnel relatif du Déluge de 1524 n’aura pas laissé de traces et que le prophétisme n’en ait pas longtemps porté les stigmates, notamment, cinquante ans plus tard, dans la République de Bodin, aux multiples éditions et traductions. Le non-événement du Déluge renvoie au demeurant à la Bible. Il se veut répétition, révolution. Il est, à l’instar de 1689, le contraire de l’échéance réussie de 1789. L’attente de l’an 1524 n’avait pas véritablement respecté la théorie des grandes conjonctions, elle s’appuyait sur une observation plus frustre mais peut être plus efficace dans l’esprit du public : le fait tout simple de la présence des sept astres entourant le soleil - du point de vue géocentrique - dans une même région du ciel comme une armée qui se serait regroupée. En revanche, pour l’orthodoxie albumasarienne, 1524 était tout au plus le lieu d’une de ces conjonctions Jupiter - Saturne qui revenaient tous les vingt ans, le véritable rendez-vous était pour la fin du siècle, soixante ans plus tard. Mais le prophétisme avait ses impatiences et pouvait accommoder l’astrologie à sa guise. 1524 aura donc été pour nous l’occasion d’un divorce : pour la doctrine astrologique médiévale, tout un système s’était élaboré autour d’une cyclicité qui exigeait de ne s’intéresser qu’aux deux astres les plus lents, Jupiter et Saturne, en laissant peu ou prou de côté les astres plus rapides, placés à un rang subalterne. En revanche, pour une école qui se serait voulue plus astronomique qu’astrologique, 1524 avait une dimension remarquable, au niveau visuel, mais il s’agissait là d’une approche qui voulait ignorer le modèle de l’astrologie arabe. 1524 fit appel aux lecteurs de l’Ancien Testament qui, selon un raisonnement assez simpliste du point de vue astrologique, relièrent le fait que ce rassemblement astral avait lieu en signe d’eau avec le Déluge biblique. Jean Bodin, quand il ironisera sur l’échec de 1524, n’en restera pas moins fidèle à la théorie des grandes conjonctions pour laquelle la seule défaite fut qu’on n’en ait pas tenu compte. 1584 - 1588 devait être, espérait-on, pour l’astrologie orthodoxe, la revanche de 1524, mais elle sera le fait des réformés qui y verront la fin de Rome. Mais justement, pour Bodin, 1524 n’était pas réellement concluant. Encore, lorsque nous examinerons le corpus lichtenbergien, conviendra-t-il de s’arrêter sur l’an 1567 qui semble correspondre également à un “annus mirabilis”. Mais pour le public profane, le Déluge qui ne vint pas n’en fut pas moins mis au passif de l’Astrologie. Quarante ans après 1524, l’antiprophétisme rappelait cette déconfiture d’autant plus cuisante que l’annonce du Déluge avait dû être prise au sérieux. Boaistuau alias Pierre Launay, en 1560 (chez Vincent Sertenas), dans ses Histoires Prodigieuses, véhiculera, au fil des éditions, cette infamie au cours de sa dix neuvième histoire : “Cherchons donc désormais en nature les causes & essences des choses sans nous arrêter aux friperies, prestiges & mensonges des Astrologues Judiciaires, lesquels nous ont tant de fois déçus & trompez qu’ils devraient être bannis & exilez de toutes Républiques bien constituées ; mais quel trouble, perplexité & terreur engendrent-ils en une infinité de consciences de pauvres créatures ? L’an 1524, lorsqu’ils publièrent partout avec obstination qu’il y aurait au mois de Février un Déluge presque universel par la conjonction de toutes les planètes au signe de Pisces & néanmoins le jour auquel se devaient produire ces eaux fut l’un des plus beaux & plus tempérés de l’année. Combien que plusieurs grands personnages intimidez de leurs prophéties ont fait provision de biscuits, farines, navires, propres pour la ecoq attribue à Jean Thénaud. Or, nous avons retrouvé, à la Bibliothèque Mazarine la traduction d’un traité allemand, parue en 1521 à Paris et qui expose les arguments pour et contre le Déluge. Il s’agit du Traicté composé par ung grand Astrologue dallemaigne: pour adviser le monde du Dyluge Deaulx : qui est à doubter de venir lan MDXXIIII selon la nature et constellations des Planettes. Ensemble linterprétation des grandes et merveilleuses impressions qui furent veus en allemagne au Ciel Lan passé.” On peut y lire : “Vray est que beaucoup de gens présomptueusement (non pas mieux entendant) mesprisent les loyaux advisements des gens doctes & littérés ; faict des espouventables pugnations que doivent venir par dyluge. Lan Mil cinq cens XXIIII. Ensemble des espouventables menassemens des grans & merveilleux signes: lesquels ont esté veuz en Allemaigne. Lan Mil cinq cens vingt et tels fols despassemens me ont esmeu (pour advertir les bons) de faire de cecy & des aultres constellations du ciel un petit traicté par lequel advisement aucuns cueurs aveugles se pourroient convertir à la crainte de Dieu & faire pénitence pour avoir la grace & misèricorde de nostre Seigneur Jésus Christ dieu tout puissant. Ainsi comme firent ceulx de Ninive.” Dieu a dit qu’il n’y aurait point de Déluge ou encore : “L’Hermite appelé Nollart digne de grande foi disait que Saturne et Mars par les guerres du grand et puissant lion qui sont les Vénitiens lesquels ont assez effusé le sang humain se tournent vers la nation d’Allemagne auprès de la grande rivière Tunnau (Danube). Et dit Sainte Brigitte que en ce temps rompra la haie sur le Rhin & sera fait un grand intrage par lequel entrera un grand prince puissamment avec l’aide des scorpionistes et persécutera grandement les trois évêchés : Trèves, Cologne & Mayence de telle façon que ce sera une grande chose de ouïr parler.” En fait, il semblerait que cette date de 1524 serait apparue bien avant 1499 comme année météorologique déterminante. Nous avons retrouvé cette date, ou plutôt 1523, ce qui permet d’exclure l’hypothèse d’une interpolation tardive, dans un manuscrit daté de 1466 de la Bibliothèque Municipale de Nimes au fonds J. F. Séguier. Une seconde date figurait : 1676, ce qui montrait bien que ce type d’annonce pouvait s’effectuer longtemps à l’avance. Il conviendrait aussi, pour ce qui concerne le domaine français qui est d’abord le nôtre, de signaler la satire genevoise des Merveilles advenir en cestuy an Vingt et sis, qui pourrait viser une oeuvre latine au titre comparable de Jean Albertin ou Albertini, De mirabili temporis mutatione ac terrene potestatis a loco in locum translatione. Il est remarquable que les deux textes soient parus chez le même Wygand Köln. De fait, après 1524, les astrologues ne se résigneront pas à abandonner une rhétorique fondée sur une sorte de rassemblement général des astres dans un signe et même si celui-ci n’a plus lieu, on ne se privera pas pour autant de l’annoncer à nouveau pour 1588. L’astrologie tend à s’émanciper de l’astronomie ou bien elle tend à échapper aux astrologues pour n’être plus qu’un argument prophétique ayant l’inconvénient de ne pas être assez malléable. Mais bientôt qui va aller vérifier si les calculs mathématiques sont justes ? Seul importe l’impact. I - Le schéma daniélien et le millénarisme Il nous semble que le principe d’une ère de paix de 1000 ans trouve son origine dans le recours à la Semaine. En effet, comme l’affirme Saint Hippolyte, si le monde doit d’abord couvrir une période de 6000 ans, correspondant aux Six Jours de la Création, le septième jour, qui est aussi le Sabbat, jour du repos, correspondra à 1000 ans, ce qui serait le fondement du Millenium, le millénarisme étant lié à la croyance en une période de 1000 ans et non à l’approche d’une fin de millénaire, comme le précise J. Delumeau Jean, encore que le calendrier et le décompte des années apparaissent volontiers comme une référence sur laquelle le prophétisme est susceptible de bâtir ses spéculations. Toutefois, il semblerait qu’une autre lecture ait attribué à chacun des jours non pas 1000 ans (système décimal) mais 360 ans (système sexagésimal). Mais plus concrètement, ces mille ans de paix renvoient à l’Apocalypse5 où il est annoncé que Satan sera mis hors d’état de nuire pendant 1000 ans. Toute la question est de savoir quand ce temps a commencé ou va débuter et quand il prendra fin, étant entendu que le règne de Satan est hypothéqué par la perspective de ces 1000 ans d’immobilisation et qu’à l’issue de cette période, il ne pourra se manifester que pour peu de temps, soit 3 ans 1/2, en règle générale. Ce temps de 3 jours 1/2 figure dans l’Apocalypse (Ch. XI, 12) : “Après trois jours et demi, un souffle de vie, venu de Dieu, entra en eux et ils se dressèrent”. Il s’agit des deux témoins mis à mort par la Bête, ce qui signifie bien que Satan eut raison d’eux pendant une demi-semaine. On serait donc passé de 3 jours et demi à 3 ans et demi ou 1260 jours et finalement à 1260 ans. C’est au demeurant, selon nous, dans le Livre de Daniel, qui reflète des enjeux du début du IIe siècle avant l’ère chrétienne, qu’il faut rechercher la marque la plus forte du rapport de l’homme à l’Antéchrist. En effet, c’est l’arrêt du sacrifice au Temple qui semble avoir provoqué une certaine panique dans la population de Judée. Chez les juif, toute pratique semble trouver sa justification en ce qu’elle parvient à éloigner ou à neutraliser les forces du mal. Ainsi la suspension de l’holocauste perpétuel, sous Antiochus IV Epiphane, ne pouvait qu’attirer Satan ou ses créatures et favoriser leur règne sur terre. L’on réalise ainsi les répercussions de toute destruction de lieu de rite ou de tout empêchement liturgique pour une religion qui est marquée par un certain manichéisme qui sera transposé du Livre de Daniel dans celui de l’Apocalypse (Révélation) johannique. Encore importe-t-il de mettre en évidence des contradictions : dans le Livre de Daniel, le temps durant lequel l’holocauste fut interrompu correspond à celui de l’abomination et les exégètes ont transposé 1290 jours en 1290 ans pour déterminer le règne de Satan. En revanche, dans l’Apocalypse, ce qui est indiqué c’est la durée de l’exil de Satan, le temps de sa mise hors d’état de nuire, qui est de 1000 ans. Deux millénarismes en quelque sorte : un millénarisme des ténèbres chez Daniel, un millénarisme de lumière dans l’Apocalypse. Dans un cas, une fois passé ce temps où Satan n’est plus dominé, la paix revient, dans l’autre cas, il faut espérer entrer dans un temps d’où Satan sera exclus. Dans un cas, le millénariste devra annoncer la fin du règne de Satan / Antéchrist - ainsi, chez les Réformés qui spéculent sur la fin de l’Eglise de Rome, se situant dans la ligne d’un joachimisme daniélien, et dans l’autre cas, comme chez un Pierre d’Ailly, après mille ans de paix, viendra l’Antéchrist - à la fin du XVIIIe siècle - pour quelque temps, à savoir 3 ans 1/2 qui correspondent à 1260 jours, presque immédiatement suivis de la fin du monde. Dans un cas, l’échéance est à espérer, dans l’autre, elle est à redouter. Dans un cas, il faut espérer qu’elle se rapproche, dans l’autre, qu’elle soit reportée. Ceux qui sont favorables au maintien des choses, opteront pour une lecture de l’Histoire où Satan est lié et il faut craindre le moment où il sera délié; ceux qui souffrent de l’état en vigueur, ne pourront qu’annoncer qu’il s’achèvera bientôt. Opposition entre conservateurs catholiques dominants et réformistes dominés, du moins dans le contexte français car dans d’autres pays, la situation est inversée. C’est également dans le cadre d’une politique traditionnelle d’alliance avec les Turcs qu’il faut probablement situer les auteurs réformés, tel Pierre Du Moulin, qui annoncent la victoire ottomane sur les armées chrétiennes, surtout catholiques. Si l’on considère les spéculations sur les papes, force est de constater qu’à la fin de la série viendra l’Antéchrist. Dès lors, il nous apparaît que les lectures des catholiques et des protestants sont littéralement inverses. Les demi-semaines L’unité de mesure choisie apparaît être la demi-semaine, soit 3 jours et demi et plus généralement 3 1/2. Or les 1260 jours de l’Apocalypse obéissent au même principe, puisque 1260 jours égalent à 1080 jours soit 3x 12 mois de 30 jours plus six mois de 30 jours (180 jours). Mais ces calculs ne reposent pas sur une année lunaire mais sur un système sexagésimal comportant 12 mois répartis sur 360 jours. En fait, le passage de la demi-semaine de 3 jours 1/2 à 1260 jours, implique déjà le rapport 1 jour = 1 an. Par conséquent, passer de 1260 jours à 1260 ans constitue un deuxième niveau de transposition. De même le nombre 42 correspond à 3 ans et demi puisque cela correspond à 42 mois. (36 + 6). Ce nombre est à rapprocher des 45 jours du Livre de Daniel, car cette durée correspond à un huitième d’année (360 jours) ou à la moitié d’une saison, introduisant ainsi un parallèle entre la semaine et la saison. Il semble donc que le texte de l’Apocalypse soit plus correct sur ce point que celui du Livre de Daniel et l’on peut raisonnablement supposer que le rédacteur de l’Apocalypse a pu utiliser une version du Livre de Daniel comportant un tel nombre : 1260 plutôt que 1290. On ne peut d’ailleurs exclure que l’on soit passé dans Daniel de 1260 à 1290 par besoin d’ajustement à une situation donnée. Daniel (XII, 11) : “Et depuis le moment où sera supprimé l’holocauste perpétuel et établie l’abomination horrible, il se passera mille deux cent quatre vingt dix jours.” (Saint) Irénée (mort vers 208 de l’ère chrétienne), évêque de Lyon, un des Pères de l’Eglise, dans Contre les Hérésies, situe l’Antéchrist par rapport aux chiffres de l’Apocalypse : “Or, après que l’Antéchrist aura réduit le monde à l’état de désert, qu’il aura régné trois ans et six mois et qu’il aura siégé dans le temple de Jérusalem, le Seigneur viendra du haut du ciel, sur les nuées dans la gloire de son Père, et il enverra dans l’étang de feu l’Antéchrist avec ses fidèles, il inaugurera en même temps pour les justes le temps du royaume, c’est-à-dire le repos, le septième jour”. Ezéchiel, Ch. IV : “Et moi je te compte en jours les années de leur iniquité, trois cent quatre vingt dix jours.” “pendant 40 jours, c’est jour pour année, jour pour année que je te l’impose” Le parallèle entre le Livre de Daniel et celui de l’Apocalypse, concernant les périodes de temps, est tout aussi instructif. Un an pour un jour ou l’inverse chez Ezéchie l : un jour égal un an. Ch. IV : “Je te compte en jours les années de leur iniquité, trois cent quatre vingt dix jours.” Ch. XI : “trois jours et demi ! une demi-semaine.” Verset 11 : “Après les trois jours et demi, un esprit de vie” Cela deviendra 3 ans et demi, soit une demi semaine d’années. Daniel (IX, 25) : “Il y a sept semaines et durant soixante-deux semaines” Daniel XII : “Et depuis le moment où sera supprimé l’holocauste perpétuel et établie l’abomination horrible, il se passera mille deux cent quatre vingt dix jours” Apoc. XI : “Je donnerai à mes deux témoins le pouvoir de prophétiser revêtus de sac pendant 1260 jours” (voir Jurieu) Apoc. XII : “Et la femme s’enfuit dans le désert où elle avait un lieu préparé par Dieu afin qu’elle y fût nourrie pendant mille deux cent soixante jours” 1260, nombre apocalyptique L’an 1260 fut bel et bien considéré comme “apocalyptique”, mais il semblerait que Joachim de Flore (1145 - 1202) ait espéré un changement dès 1200. On peut expliquer, selon nous, l’importance accordée à l’An 1200 au regard de sa théorie des sept âges qu’il faut compter depuis la naissance de Jésus. Or, 1200 correspond à six périodes de 200 ans. En 1200, par conséquent, aurait commencé la septième période. Il n’est pas rare que plusieurs paramètres convergent ainsi autour d’une période et que l’on passe successivement de l’un à l’autre. C’est vers 1240, bien après sa mort, qu’une telle spéculation se mit en place, se référant à Joachim de Flore, dans l’attente du début d’un Troisième Etat, celui du Saint-Esprit, après ceux du Père et du Fils, autour de la date daniélienne de 1260. Etrange situation que celle de Joachim de Flore spéculant sur le passage de 1260 jours à 1260 ans et ne souhaitant apparemment pas accorder de l’importance aux approches de l’An 1260. Alfred Vaucher note (Lacunziana) que c’est en 1200 que devaient aboutir les 1260 ans. Est-ce que le Calabrais souhaitait à tout prix être témoin de ce changement d’ère : en 1260, il aurait été plus que centenaire ? Toujours est-il que par la suite, le problème se posera à l’inverse comme le note Jean “Quidort“ de Paris, élève de l’anglais Roger Bacon : on commencera par ajouter aux 1260 ans les 34 ans de la Résurrection - ce qui donnait 1294, puis les 96 ans de la date de rédaction supposée de l’Apocalypse de Jean qui comporte ce chiffre, ce qui permettait d’atteindre 1356. Et plus le temps passera, plus il faudra ajouter des coefficients importants : temps d’Hadrien, temps de Constantin, temps de Mahomet, temps du démembrement de l’Empire Romain, temps de la tyrannie de la Papauté etc ce qui permettra d’atteindre allègrement et successivement, les dix-huitième, dix-neuvième siècles. II - La Conjecture de Nicolas de Cuse Un de ceux qui conférèrent aux chiffres scripturaires une nouvelle dimension prophétique susceptible de rivaliser avec les constructions plus “scientifiques” d’un Pierre d’Ailly, fut, en effet, le cardinal Nicolas de Cuse. Nicolas de Cuse, aurait rédigé sa Conjectura de ultimis diebus en 1452 - année du couronnement de l’empereur Frédéric III à Rome - laquelle sera imprimée à Nuremberg moins de vingt ans plus tard. On peut cependant se demander si la prise de Constantinople par les Turcs et son impact sur les esprits au printemps 1453 n’aurait pas poussé le cardinal de Cusa à repousser les échéances et si le document n’aurait pas été antidaté de quelques mois. La catastrophe a pu apparaître comme un signe antéchristique et il convenait peut-être, pour calmer le jeu, de mettre en place un système de rechange. La conjectura pose comme point de départ que l’unité de temps est le jubilé de 50 ans. Dès lors, la vie de Jésus est de 33 ans ou plutôt sa Résurrection se produisit à 34 ans. Or 34 ans x 50 donnent 1700. Cuse va ajouter en fait encore une période de 34 ans pour parvenir à 1734. “Cecy s’accomplira après l’année de la naissance du Fils de Dieu au moment de mil sept cents (sic), avant l’année mil sept cens trente & quatre.” (p.31) Par ailleurs, Nicolas de Cuse note que les épreuves de Jésus débutèrent quand il atteignit l’âge de 29 ans, ce qui coïncide, selon le même raisonnement, avec l’an 1450 : “Seulement ie diray comme Chrestien sans iugement opiniâtre & téméraire que si considérons les choses faites par nostre Seigneur & celles qu’il a endurées après la vingt & neuvième année de son eage jusqu’au jour de sa puissance & divine résurrection, estendant une de ses années en iubilé, nous pourrons par coniectures probables deviner les derniers temps.” (trad. Bohier, p. 30) Or, Cuse indique (trad. Bohier, page 24) qu’il écrit en 1452 : “Et aussi véritablement depuis l’Ascension de nostre Salvateur ont iusques à maintenant ia passé MCCCCLII ans. Voyla l’espace & la plus grande duree de l’Eglise militante, laquelle, comme dyrons cy apres sera de beaucoup abregée.” Si l’on ajoute 250 (soit 5 ans (34 - 29) x 250) à 1452, l’on obtient 1702. En tout état de cause, Cuse laisse entendre qu’à compter de la parution de sa Conjectura, l’Humanité serait rentrée dans une période analogue à la période finale du Christ, soit dans sa vingt-neuvième année. Il conviendra, selon le cardinal, de rechercher, pour décrypter la période qui s’étendra jusqu’au début du XVIIIe siècle, des clefs dans le récit des Evangiles pour les dernières années de Jésus. Mais Cuse introduit d’autres raisonnements qui n’ont rien à voir avec l’astronomie, ni de près ni de loin : “Vu que la révélation a esté faite au prophète Daniel, la troisième année de Balthazar, la première du Roi Cyrus qui, selon les témoignages de Saint-Hierosme (...) et de Josèphe, a précédé Nostre Seigneur environ 559 ans. Il apper assez manifeste que les derniers temps de l’Eglise Chrestienne selon le nombre prédit, transcrivant un jour en un an (...) l’an de grâce 1700 & avant l’an 1750, l’Eglise sera transférée de ce monde corruptible au Ciel, ce qui accorde aux choses devant dites.” En fait, on obtient plus précisément 1741 si l’on soustrait 559 de 2300. Ce nombre 2300 - qui figure dans les éditions latines - se trouve au Ch. VIII de Daniel (13 - 14) : “Puis j’entendis un saint prendre la parole et un (autre) saint demander à celui qui parlait. ” Jusqu’à quand (les indications de) cette vision : l’holocauste (le sacrifice rituel) perpétuel (supprimé), le crime abominable, le sanctuaire et l’armée piétinés ? Et il me dit “Jusqu’à deux mille trois cents soirs et matins, alors le sanctuaire sera réhabilité.” (Trad. Z. Kahn) La traduction de 1562 est défectueuse (p. 35), car au lieu de soustraire 559 de 2300, elle propose, ce qui n’est pas dans le texte latin, ni dans la traduction de 1733, de soustraire de 1290, autre chiffre daniélien. Si nous rappelons que le Livre de Daniel date des années 160 du IIe siècle avant notre ère, tout calcul effectué à partir du temps de Balthazar semble singulièrement vain et en fait en rupture avec l’Histoire. III - Le cycle trithèmien Dans la Préface à César, en tête de ses Prophéties / centuries, en date de 1555, Michel Nostradamus Michel se réfère à des périodes de 354 ans attribuées successivement à l’un des astres du septénaire. L’origine de ce nombre tient à ce que l’on nomme l’année lunaire de 354 jours et qui est en fait la somme de douze lunaisons, c’est-à-dire de rencontre soleil-lune. C’est donc une notion essentiellement hémérologique. La lune se conjoint chaque fois avec le soleil dans un signe zodiacal différent puisque celui-ci avance d’un signe d’un mois sur l’autre. Ce rapport jour / an est d’ailleurs celui qui rapproche la Lune et Saturne, cette planète franchissant le zodiaque en autant d’années que la lune traverse de mois, soit en un peu moins de 30 ans / jours. On trouve ce système chez Trithème mais il est signalé chez un Turrel Pierre ou un Roussat Richard, au Liber rationibus attribué à Abraham Ibn Ezra à savoir des périodes non plus de 300 ans comme chez Albumasar mais de 354 ans. Dans la Préface à César6, Nostradamus ne fait qu’esquisser partiellement le dispositif en question (cf. infra). Ces périodes de 354 ans semblent ne comporter aucun fondement astronomique sinon celui d’être une transposition de l’année lunaire (354 jours), de jours en années. En réalité, cette durée revêt également une dimension saturnienne dans la mesure où 354 ans correspond à douze révolutions de Saturne, Saturne ayant une périodicité correspondant à ce rapport un jour pour un an: une révolution de 28 ans pour 28 jours à la Lune notamment. On ne peut exclure que ce système de périodes de 354 ans - l’attribution à chaque période du nom d’une des sept planètes étant indifférent ici puisque le système se poursuit indéfiniment - ait été constitué initialement sur une base astronomique, encore faudrait il déterminer laquelle. Or, comme le rappelle Pierre Brind’amour (1993, p.188), Trithème, dans la Chronologia mystica (1508), traduite en allemand en 1522 (Von den syben Planeten) juste avant l’échéance de 1525 : “l’auteur comptait vingt périodes, chacune dirigée par un ange et décrivait les événements historiques. ” La vingtième sous la direction de Gabriel allait commencer selon lui le 4 juin 1525 et se terminer en octobre novembre 1879. Or, Brind’amour ne remarque pas, malgré son vif intérêt pour les équations astronomiques, que dans les deux cas Saturne se trouve au début du signe du Bélier. Le système des périodes de 354 ans s’appuierait donc en fait sur le passage de Saturne dans le premier signe du zodiaque, le Bélier. Les autres systèmes s’en trouveraient disqualifiés. L’on peut ainsi retrouver approximativement les dates précédant 1525 : 112 (en fait début 113), 466, 819 / 820, 1172 / 1173, 1525 / 1526 toutes espacées d’environ 354 ans et correspondant à la présence de Saturne en Bélier, condition nécessaire mais non suffisante puisque Saturne y passe tous les 30 ans environ. Ces années diffèrent toutefois légèrement de celles avancées dans le traité des Causes Secondes : 109, 463, 817, 1171, 1525 qui ne correspondent pas tout à fait avec le passage de Saturne en bélier, le cycle étant légèrement supérieur à 354 ans. Quant à Michel de Nostredame, dans sa Préface à César, il fait référence à des âges planétaires, notamment à un Age de la Lune, système que l’on trouve chez Trithème, selon l’ordre de succession, inverse de celui des jours de la semaine -eux-mêmes rattachés à un astre : Jupiter (Jeudi), Mercure (Mercredi), Mars (Mardi), Lune ( Lundi), soleil (Dimanche) et ainsi de suite, et qui est exposé dans les Opera Omnia d Abraham Ibn Ezra. Chaque planète - mais Saturne se trouve au début et à la fin - y domine une période de 354 ans et quelques mois, le nombre 354 étant inspiré de l’année lunaire de 354 jours et quelques heures. L’absence de fondement connu de ce cycle explique probablement son abandon dans la période moderne au sein de la littérature astrologique (XIXe - XXe siècles), sauf chez certains nostradamistes. On en trouve l’exposé dans le Liber Rationum -la version de ce nom faussement attribuée à l’astrologue juif espagnol - au chapitre “De gubernatoribus Mundi”7 qui établit un rapport entre les 353 ans du cycle et les 353 jours de l’année lunaire. La Préface à César se réfère au retour de Saturne : “Car selon les signes célestes le règne de Saturne sera de retour, que le tout calculé le monde s’approche d’une anaragonique révolution” En effet, Saturne est à la tête de la série des sept âges planétaires : “Saturnus autem precessit sol & luna fuerunt creati in principio hore Saturni.”8 Ce qui, considérant que le règne de la lune a commencé, selon les calculs de Trithème, en 1525 et qu’il reste encore le règne du Soleil pour rejoindre l’âge de Saturne, donne l’an 2233. “Et maintenant que sommes conduicts par la lune (...) que avant qu’elle aye parachevé son total circuit, le soleil viendra & puis Saturne.” L’ordre de base est celui-ci : Saturne-Vénus : “Saturnus precessit. Deinde Venus & postea alii”, c’est-à-dire selon la succession “Saturne, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, Lune, Soleil” puis à nouveau Saturne. C’est l’ordre des jours de la semaine à l’envers, que l’on retrouve avec la théorie des heures planétaires. D’ailleurs, dans le pseudoLiber Rationum, on explique la prééminence de Saturne par le fait que le Soleil et la Lune furent crées à l’heure de Saturne, que le Soleil et la Lune furent crées à l’heure de Saturne. La date de 1525 On peut en fait se demander si l’importance accordée à la conjonction de 1524 ne tient pas au fait qu’elle coïncidait avec l’an 1525 qui correspond à un changement de règne planétaire. La difficulté de maniement de ces cycles tient à la fixation des dates de passage d’une domination planétaire vers une autre, étant entendu que le système s’appuie sur un point de départ lié à la chronologie biblique. Le XVIe siècle sera marqué par une “rénovation de siècle” qui ne se produit donc que tous les 354 ans. On serait alors passé de Mars à la Lune. Si l’on s’appuie sur le témoignage d’un des contradicteurs de Nostradamus, Laurent Videl Laurent : le cycle de Mars se serait achevé en 1525. En effet, écrivant en 1557, il affirme que voilà 32 ans que Mars a fini son cycle.9 Nostradamus avance, dans la Préface, un délai de 177 ans qui sont évidemment la moitié d’un cycle de 354 ans, ce qui montre que les computations de Nostradamus sont reliées à cette théorie. Mais pour que l’on puisse manier un tel nombre - 177 - il importe que la date de départ coïncide avec le dit cycle. Il ne peut s’agir, selon nous, que de l’année de changement de cycle ou de celle d’une moitié de cycle. Or, la date la plus proche pour disposer de cette situation est celle de la fin du cycle de Mars et non d’une autre année quelque peu postérieure mais qui ne serait pas pertinente dans cette perspective, comme 1555. Si nous prenons la date de Videl comme base de travail, soit 1525 et que nous ajoutons 177, nous obtenons justement l’année 1702 : “le monde s’approche d’une anaragonique révolution & que de présent que ceci j’écris avant cent & septante ans trois mois, onze jours...” (Préface à César). C’est en 1702 que l’anaragonique révolution aurait lieu selon Nostradamus, date qui coïncide par ailleurs avec une grande conjonction de Jupiter et de Saturne en bélier. Or, 1702 est une date cusanienne. Nous avons montré que chaque nouvelle période correspondait au passage de Saturne au bélier. En 1702, Saturne se trouvera également en bélier, ayant parcouru, à mi-parcours, six de ses douze révolutions. On comprend mieux dès lors une telle précision au niveau des mois qui n’aurait pas de sens s’il s’agissait d’une simple base numérique. Mais à l’évidence, Nostradamus n’a pas rédigé un tel texte en 1525, et il semble l’avoir recopié sans chercher à l’actualiser à l’instar de ce que fit un Roussat par rapport à Turrel. Celui qui rédigeait ce texte devait se situer en janvier 1525 et visant 1702, et notant que Saturne entrait au bélier au Printemps, il a pu ainsi préciser son propos. L’emprunt de Nostradamus est donc particulièrement maladroit. Il semble qu’à plusieurs reprises, l’on assiste à une combinatoire de plusieurs paramètres qui permettent, lorsqu’ils se recoupent, de déterminer des dates particulièrement importantes, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque l’on se sert de cycles réguliers et en quelque sorte perpétuels. Spéculations astronomiques et cycliques La prophétie, lorsqu’elle se met à fournir des dates, ne dépend pas nécessairement de l’astronomie / astrologie. Elle fait volontiers appel à des spéculations numériques qui, scientifiquement parlant, ne sont pas d’un meilleur aloi. Que penser de ce nombre de 1260, que l’on voudrait issu du Livre de Daniel, que les eschatologues - notamment les Réformés Français - ajouteront aux dates les plus diverses, que penser de ces 300 ans que Pierre d’Ailly additionne à partir d’une année nécessairement terminée en 89 ? Les enfants de l’An Mil En réalité, le premier nombre qui servit, au Moyen Age, à calculer la fin des temps semble avoir été les 1000 ans qui sont annoncés dans l’Apocalypse de Jean (Ch. XX) pour la durée de la mise hors de nuire de Satan. La première grande échéance prophétique semble avoir été la mise en relation de la chronologie liée à l’ère chrétienne et les 1000 ans durant lesquels une paix relative régnerait sur le monde. Passé ce cap, les malheurs devraient abonder avec le règne de Satan à qui il serait donné, comme dans Job, libre cours, pour quelque temps. Certes, ces 1000 ans seront par la suite calculés non plus après la naissance de Jésus mais celle de sa passion ; on pourra prolonger l’échéance en choisissant des dates plus tardives comme le renforcement de l’Eglise et ce non pas pour accorder un délai supplémentaire à l’humanité mais pour tenir compte du retard pris par rapport aux prévisions : il ne se passe rien qui corresponde vraiment aux attentes. Mais une autre approche consista à se servir d’un autre nombre - 1260 - qui figure dans le même Livre de l’Apocalypse mais avec une valeur inverse. Ne s’agit-il pas tout au contraire de la durée du règne de l’Antéchrist, ce qui est confirmé, avec la variante 1290, dans le Livre de Daniel ? On passerait ainsi, pour les besoins de la cause, des jours aux ans, de l’échelle individuelle à celle de l’Humanité. On nous objectera que l’on ne saurait confondre les 1000 ans durant lesquels Satan est mis hors d’état de nuire, suite à l’avènement de Jésus, et les 1260 ans que l’on attribue au temps antéchristique. On fera d’abord observer que ce passage des jours aux ans n’est pas fortuit, il correspond, à partir des XIIe - XIIIe siècles, à un désir de disposer d’un long terme comparable aux Mille ans qui ne font plus tout à fait l’affaire. Par ailleurs, l’utilisation d’un texte conçu dans un esprit différent n’a jamais été rédhibitoire, même et surtout s’il est emprunté à l’adversaire. On le verra, à de nombreuses reprises, au cours de notre travail. Mais ce n’est pas tout: le changement de référence dénote également une autre attitude face à la situation historique. Tout se passe comme si, pour de nouvelles générations, le jugement sur le passé n’était plus celui de 1000 ans de bonheur, pour reprendre l’expression de J. Delumeau. Un regard critique et rétrospectif se porte notamment sur la papauté qui conduit à préférer attendre que le temps de l’antéchrist s’achève plutôt qu’il ne débute. C’est cela que signifierait le passage de 1000 à 1260, au delà de la simple commodité des nombres. Nous verrons que pour les réformés10, mais ce fut le cas avant eux pour les communautés dites spirituelles qui les précédèrent, l’important est moins d’espérer que de dénoncer. Il ne s’agit plus d’être euphorique mais lucide, le temps n’est plus à l’autosatisfaction mais plutôt à l’autoflagellation. Une telle évolution conduit d’ailleurs insensiblement vers l’idée d’un Avènement intermédiaire, suivi à nouveau d’une période antéchristique, comme si, en quelque sorte, tout était à refaire. Peut-être les 1000 ans n’ont-ils pas encore débuté, après tout, Satan n’est pas encore été refoulé: rien d’essentiel n’aurait encore changé depuis le temps de Jésus. Bien pis, Satan règne là où précisément on attendrait le salut, à la tête de l’Eglise, tant la duplicité de l’Antéchrist est grande : c’est la “Synagogue de Satan”, où l’on ne sait plus qui est qui. Fixer une échéance, même à court terme, c’est de toute façon fixer un délai : on ne prophétise pour annoncer un événement immédiat. Il vaut mieux dans ce cas avancer une date lointaine que de laisser le champ libre à des dates trop proches. C’est semble-t-il l’avis de saint Augustin qui souhaitait, nous semble-t-il, faire un usage raisonnable du discours prophétique, en ayant les avantages - la structuration du temps - sans les inconvénients - l’attente fébrile. Cela dit, pour Augustin, les 1000 ans avaient déjà débuté ave le Christ, il n’était pas nécessaire de spéculer sur leur commencement. Mais cette solution ne pouvait être satisfaisante que jusque vers l’An Mil. A l’approche de cette date, la question du règne de l’Antéchrist était incontournable. Pour un homme des IV - Ve siècles, la position d’Augustin était acceptable mais à la longue, elle se révéla angoissante puisque tout a une fin. Les échéances nostradamiques A propos des éditions nostradamiques, nous avons pu constater qu’un des critères permettant, selon nous, de distinguer ce qui était de Michel de Nostredame et ce qui ne l’était pas, concernait les échéances fixées par les uns et par les autres. C’est ainsi que nous faisions remarquer qu’à une exception près, celle de la “deuxième” Epître à Henri II, Nostradamus; n’avait pas manifesté d’intérêt pour les années 80 de son siècle, restant ainsi en dehors d’un courant que l’on pourrait appeler “des Années Quatre-Vingt” qui remonte au moins, pour la France, à Pierre d’Ailly. IV - Fortune des Grandes Conjonctions La théorie des Grandes Conjonctions pesa fortement au XIVe siècle, notamment à propos de la Grande Peste de 1348 que l’on expliquera après coup par une grande conjonction dans le signe du verseau survenue trois ans plus tôt. De nombreux textes d’époque seront consacrés à l’Epidemia et notamment le Compendium de la Faculté de Médecine de Paris qui aborde la dimension astrologique. E. Littré signala en son temps le Libellus de judicio Solis in conviviis Saturni de Simon de Covino, ou de Couvin, daté de 1350, auquel Symon de Pharès, à la fin du XVe siècle, dans son Elucidaire, attribue également le mérite d’avoir prédit le sort de la bataille de Poitiers. Covino combine dans son Libellus astronomie et mythologie et campe une discussion qui n’est pas sans évoquer le Livre de Job. L’auteur imagine un débat entre Saturne et Jupiter, lors d’un banquet. Saturne (Satan ?) demande au Soleil (Dieu ?) la destruction du genre humain que défend Jupiter. Mercure s’efforce de démontrer que les hommes ont péché davantage que lors du Déluge, ce qui conduit Jupiter à changer d’avis, il fait alors la paix avec Saturne sur le dos de l’Humanité : tous les astres / dieux sont d’accord pour un châtiment exemplaire : rappelons que Job fut aussi puni dans sa chair, par une lèpre (II, 7). Deux siècles plus tard, un quatrain de la première centurie nostradamienne - le seizième- nous semble évoquer cette conjonction en verseau : Faulx à l’estang joinct vers le Sagittaire En son hault auge de l’exaltation Peste, famine, mort de main militaire Le siècle approche de renovation. “Estang” comporte une valeur “Eau”, par exemple le Verseau, un des domiciles de Saturne. Dès lors, le Sagittaire renverrait à Jupiter, maître du signe. On aurait ainsi une grande conjonction en Verseau, encore que ce signe soit catalogué comme signe d’air, mais il n’en reste pas moins, comme le fera remarquer Paul Le Cour, en 1937, que le Verseau est Ganymède, l’échanson des dieux.11 Or, si l’on consulte des Ephémérides pour retrouver à quelle date la dernière grande conjonction en Verseau eut lieu, l’on trouve que ce fut le cas justement en 1345, c’est un des topoi de l’astrologie, illustré notamment par Jean de Murs et Jean d’Eschenden. Or, que lisons-nous dans le quatrain des Centuries ? “Peste, famine, mort de main militaire”, la Peste figure en premier à la suite de la description astrologico-astronomique. Ne se pourrait-il que le terme “auge” (du latin alveus), plutôt que de relever de la cosmographie ou de la théorie astrologique des Dignités planétaires, signifie simplement Verseau - le verseur d’eau, l’échanson Ganymède, souvent représenté par une amphore (on l’appelle aussi amphora) ? Après tout, nous dit le dictionnaire, une auge, c’est une manière de récipient, de nos jours une mangeoire pour bestiaux. D’autant que Saturne dans le signe du verseau est dans un de ses “trônes”, et il est possible que l’auteur ait confondu avec l’exaltation, autre position forte de Saturne, dans le signe de la Balance. Dans ce cas, il y aurait redondance puisque le Verseau figurerait à deux reprises, dans le même quatrain avec estang et avec auge. En tout état de cause, si l’on interprétait auge comme signifiant augmentation, on aurait aussi un double emploi avec exaltation au sein du même vers. Mais il en est de même chez Turrel : “pourquoy pestilence, famine & toutes sortes de corruption en ce siècle redonderont” et chez Roussat : “Par quoy pestilence, famine & toutes sortes de corruptions tant aux corps que biens en ce siècle redonderont”. Association donc du passage de Saturne en son “auge” et du déclenchement de la pestilence. Il faut lire selon nous, pour “en son auge”, Saturne en verseau. Cependant, il nous apparaît que la source de Nostradamus ne peut avoir été ici Roussat ou Turrel du moins dans les éditions que nous connaissons. J. P. Boudet a signalé qu’il avait existé d’autres éditions qui n’ont pas été conservées et nous pensons que c’est l’une d’entre elles que Nostradamus a eu en main, plus correcte, où il était fait d’une part allusion à une conjonction en Bélier en 1643 et en Sagittaire en 1603 et d’autre part à une conjonction en Verseau en 1345. On pourrait certes soutenir que Nostradamus aurait pu se contenter de recopier la phrase de Roussat : “lors se conjoindront Saturne & Jupiter au Sagittaire”, mais la présence de l’estang nous conduit à repousser une telle lecture. Le quatrain de Nostradamus nous apparaît finalement parfaitement correct sur le plan du savoir astrologique de l’époque et l’on pourrait le confirmer par la citation de traités, dans leur chapitre concernant Saturne. Ainsi, l’importance que Nostradamus était supposé avoir accordée au début du XVIIe siècle, sur la base de ce quatrain, nous apparaît comme improbable (cf. infra). Saturne est bel et bien puissant - exalté - en Verseau (Aquarius), et Jupiter s’y trouve par comparaison en position de faiblesse, lui qui a son exil dans un autre signe d’air, les Gémeaux. Dans la dialectique Jupiter Saturne, Jupiter est puissant dans les triplicités de feu et d’eau de par ses domiciles dans des signes de ces éléments et Saturne dans les triplicités d’air et de terre de par ses domiciles dans des signes de ces autres éléments. On ajoutera que les deux planètes se répartissent chacune un demi-cycle de plus de 400 ans. En effet, Saturne va régner d’abord sur les grandes conjonctions en signe d’air puis, juste après, sur celles en signe de terre avant de céder la place à Jupiter qui dominera deux siècles d’eau suivis de deux siècles de feu. Le retour vers les fiefs de Saturne s’opérera à une date assez significative : 1782, sept ans avant la Révolution Française, lorsque Jupiter rejoindra Saturne dans les derniers degrés du Sagittaire, c’est-à-dire presque en Capricorne, signe de Terre et son autre domicile avec le Verseau, la conjonction ayant lieu en 1802 au début de la Vierge, autre signe de terre. Le cycle de Saturne se sera achevé en 1345 avec la Grande Peste et aura repris avec la Révolution Française. Il est à noter que les juifs seront tenus pour responsables de l’épidémie et qu’ils seront exclus du Royaume pour n’être réintégrés, officiellement du moins, qu’au lendemain de la Révolution Française (1791). Vingt ans après, la conjonction de 1365, marquera un changement de triplicité, d’un signe d’air (verseau) vers un signe d’eau, le scorpion, phénomène qui n’a lieu que quatre fois au cours d’un cycle complet allant d’une conjonction Jupiter-Saturne en Bélier à la suivante, soit tous les deux siècles environ. C’est en quelque sorte l’acte de naissance de l’Astrologie Mondiale en Occident Chrétien, étant entendu que pour le monde Juif espagnol, par exemple, l’attente, à partir de 1179, de la conjonction de 1186 en Balance, deux siècles plus tôt, avait défrayé la chronique sous le nom de Lettre des astrologues arabes. Précisons cependant que la Lettre de Tolède qui traite de cette conjonction aurait été envoyée au pape Clément III qui ne régna qu’à partir de 1187. Ce texte, comme l’a montré Grauert (1901), connut une fortune remarquable jusqu’au XVIe siècle; il fut notamment rapproché de la troisième croisade, qui fit suite à la prise de Jérusalem en octobre 1187, par les armées de Saladin. Les historiens, tel Gaster, dans son article de 1902, ont relevé que le texte de la prophétie élaborée autour de la configuration dans le signe de la balance aurait été réemployé à diverses reprises, des siècles durant, sous des identités successives. Or, la question qui se pose dans le rapport astrologie-prophétie est double: certes, l’on peut souligner qu’en dépit de la caducité de la dimension astronomique, un texte puisse être reconduit mais il conviendrait de ne pas oublier l’hypothèse suivante: peut-être les astrologues avaient-ils plaqué sur les données planétaires un discours prophétique, sans lien directe avec la science astrologique ? L’étude des commentaires successifs des conjonctions Jupiter-Saturne montre assez à quel point un même discours peut revenir alors que les signes zodiacaux changent. Mais ce sont probablement les conjonctions attendues pour la seconde partie du XVe siècle qui marquèrent le plus les esprits comme en témoigne Pic de la Mirandole dans ses Disputationes, relayé par Bodin. Un des textes les plus remarquables sur le sujet reste le Meguilat Hamegalé, rédigé en hébreu au XIIe siècle, à la veille de la conjonction de 1186 par le Juif barcelonais Abraham Bar Hiyya, qui annonce 1464 pour la naissance du Messie. Le recours à un cycle de 795 / 800 ans est relativement récent et permet de dater certains textes qui se prétendraient plus anciens qu’ils ne le sont. En effet, durant tout le Moyen Age, le chiffre en vigueur fut longtemps 953 / 960 ans. Encore au XVIe siècle, les deux données cohabitent. C’est ainsi que certaines dates fournies par Pierre d’Ailly sont astronomiquement fausses, ce que ne relève pas Carl Jung Carl (1983, pp. 110 - 111) qui indique 1693 comme année de grande conjonction en Bélier alors qu’en cette année là Jupiter et Saturne ne se rencontrent même pas et qu’aucune des deux planètes ne passe dans ce signe. Toutefois, en 1702, une telle conjonction aura lieu mais la véritable maxima coniunctio eut lieu, selon nous, dès 1583, ce qui correspond à peu près au décalage signalé (cf. supra). En réalité, les erreurs qui pèsent sur l’oeuvre de Pierre d’Ailly ne compromettent nullement la fixation de la date de 1789 qui relève d’une autre dimension de l’astrologie “saturnienne”. Une des victimes les plus célèbres de cet imbroglio est Jean Bodin, Jean, auteur de la République, qui consacra le chapitre II du quatrième Livre à l’astrologie. Il fut contraint lors d’une édition ultérieure de corriger ses calculs, notamment à la demande du médecin toulousain Auger Ferrier, Auger; , qui lui avait reproché de s’attarder sur des données dépassées, chères à un Pierre d’Ailly. C’est ainsi que l’on découvrit, à la fin du XVe siècle, semble-t-il, que la célèbre théorie des Grandes Conjonctions, grâce laquelle l’Histoire de l’Humanité s’expliquait toute entière, s’appuyait sur un écart beaucoup trop important (environ 20 %). Cette prise de conscience fut aussi importante, épistémologiquement, que la découverte de nouvelles planètes, voire de nouveaux satellites, depuis la lunette de Galilée. Comment dès lors attribuer à Regiomontanus; cette connaissance du cycle de 800 ans grâce auquel l’année 1588 pouvait avoir été étayée ? On fera remarquer que cet intérêt pour les années quatre-vingt n’est nullement le fait de Michel de Nostredame (cf. infra) mais de ceux qui se dirent ses enfants ou ses disciples et qui avaient d’autres échéances devant eux. l l’année 1588 pouvait avoir été étayée ? On fera remarquer que cet intérêt pour les années quatre-vingt n’est nullement le fait de Michel de Nostredame (cf. infra) mais de ceux qui se dirent ses enfants ou ses disciples et qui avaient d’autres échéances devant eux.” Ce type de problème montre à quel point l’Astrologie fut longtemps tributaire des progrès de l’Astronomie, mais il semble bien que très vite une estimation astronomique d’une longue cyclicité devint un nombre accepté comme base de travail pour les recherches en Astrologie Mondiale, celle-ci devenant par certains traits une sorte de numérologie que l’on légitimait de par les recoupements historiques ainsi obtenus. L’approche de Loys Leroy Citons aussi un auteur dont les réflexions précédent de peu la République de Bodin, il s’agit de Loys le Roy, auteur de Considération sur l’Histoire Françoise et l’universelle de ce temps dont les merveilles sont succinctement récitées (Paris, Fred. Morel), A la Royne Mère du Roy (Catherine de Médicis), juin 1567,: “Tellement que selon les aspects, oppositions, conjonctions, distances, apparences, cachemens des astres descendent ça bas diverses influences rendant les hommes plus disposez en l’une saison qu’en l’autre à la vertu, aux lettres & aux armes, puis sortans de la mesme cause céleste grands & espouventables evenemens de guerres, famines, pestes, inondations, tremblemens de terre, seicheresses & bruslemens altérer tous cas humains par certaines révolutions de l’univers selon que les parties du ciel & de la terre correspondent & que la matière y est disposée.“12 “Lesquelles mutations adviennent en certaines saisons par la providence divine & la loi fatale du monde, tant selon le mouvement du premier ciel dont les autres mouvemens inférieurs dépendent & toute nature que par les conjonctions & séparations des planètes auxquelles les choses qui en sont composées obéissent. Aussi plusieurs passans outre, se sont efforcez déterminer par telles révolutions les aages & fortunes non seulement des hommes mais aussi des citez et des estats comme Platon en l’huitième de la République & au Politique, Ptolémée au Quadripartite & les anciens Chaldées & Egyptiens. D’avantage, les Arabes et plusieurs savants Chrétiens y ont adjouté les sectes des religions & entreprins juger de leur durée comme Pierre Dally Theologien & Cardinal de Cambray au traité qu’il a faict de la Concorde - Concordia, concordance, terme que l’on retrouve chez Joachim de Flore - de l’astrologie et de théologie auquel s’est opposé le Comte Iean de la Mirandole au cinquiesme contre les Astrologiens & Vives au deuxième de la vérité de la foy Chrétienne.” Or, ce texte figurait également au Livre XI de la Vicissitude des changemens, ruines et conservations des Estats publics avec les causes des émotions civiles, leurs maux et remèdes13 du même L. Leroy, le traité étant une traduction par Regius du Livre V de la Politique d’Aristote. Bodin et les grandes conjonctions Le personnage de Jean Bodin est complexe. Considéré comme un des plus grands juristes de son temps14, il fut aussi l’auteur d’une Démonomanie des Sorciers dans laquelle, avant Kepler qu’il influença peut-être, il prône une voie intermédiaire entre le rejet et l’adhésion. A tort ou à raison, on lui attribue15 une Lettre de Mr Bodin parue en 1590, en faveur de la Ligue hostile à Henri IV. Bodin est rarement cité pourtant dans listes de sectateurs de l’astrologie. Ce texte fait partie d’un arsenal prophétique qui incluait, on l’a vu, en ce temps, les Centuries de Nostradamus : “S’il y a moyen de savoir les changements & ruines des Républiques à l’advenir”, première édition non corrigée, 1576 : “Je toucherai seulement ceux qui ont été en réputation d’avoir mieux entendu les jugements du ciel, pour les changements des Républiques lesquels a esté Pierre d’Arliac (c’est-à-dire d’Ailly en latin Alliacus) Chancelier de Paris & depuis Cardinal l’an 1516 (sic) qui a rapporté les naissances, changements & ruines des Républiques & des régions aux conjonctions des hautes planètes & duquel Jean Pic, Prince de la Mirande (c’est-à-dire, de la Mirandole).” “Et ne se faut pas arrêter à la grande conjonction des deux plus hautes planètes au premier point (degré) du Bélier, ce qui n’est jamais advenu ni par le calcul d’Alphonse ni aux conjonctions rapportées par le Cardinal d’Arliac (...) Et l’an mil cinq cents octante quatre Saturne & Mars se joindront au premier point & 46 minutes du Bélier & Jupiter au même signe, mais toutefois éloigné de douze degrés avec le Soleil et Mercure. Et ne retournent au même point sinon en 953 ans & 91 jours lequel nombre si on tire, en rétrogradant des ans du monde, quand une grande conjonction est advenue, on trouvera quasi semblables effets et changements.” Bodin signale donc les rencontres planétaires de 1584 -à peu de distance de la date de publication de son ouvrage, Certes, Mars, Jupiter et Saturne seront en Bélier mais il n’y aura pas de conjonction exacte dans ce signe de Jupiter et de Saturne. Celle ci aura eu lieu au signe précédent des Poissons : “... Ce que j’ai dit des grandes conjonctions se peut aussi dire des moyennes qui adviennent en deux cents quarante ans & des moindres qui adviennent de vingt en vingt ans, qui ont les effets plus grands si les regards (aspects) des autres planètes, éclipses ou conjonctions y sont mêlés (…) Car de dire que les étoiles fixes ayant changé leurs signes ont changé les triplicités des régions, c’est abuser de la science & faudrait aussi ruiner les principes & maximes d’astrologie qu’on voit être semblables es horoscopes humains & tels qu’ils étaient il y a deux mille ans (…) Aussi voit-on quatre ou cinq ans devant le changement de la République Romaine en Monarchie sous la puissance de César & alors que toute l’Europe était en armes, que la grande conjonction se fit au Scorpion. La même conjonction se fit l’an 630 (…) Et la même conjonction se fit au même signe l’an 1464... Mais la conjonction des hautes planètes (…) Nous voyons aussi la grande conjonction au signe de l’Archer (Sagittaire) l’an 74 après J.C. que toute la Palestine fut saccagée (...) Bref, s’il y a quelque science des choses célestes pour le changement des Républiques, il faut voir les rencontres (aspects) des hautes planètes depuis 1570, les conjonctions, éclipses et regards des basses planètes & des étoiles fixes lorsque se sont faites les grandes conjonctions & les rapporter à la vérité de l’Histoire & des temps & aux conjonctions précédentes. & ne s’arrêter du tout à l’opinion de ceux qui ont déterminé les triplicités aux régions, que j’ai vérifié ci dessus par exemples évidents n’estre pas assurées mais bien à la nature des signes & des planètes. Et toutefois rapporter les causes & les effets d’icelle au grand Dieu de nature & non pas l’asservir à ses créatures comme Cyprian Leovice Leovitius; qui assure par ses écrits que la fin du monde viendra en 1583 / 1584. Puisqu’il assure si fort qu’on n’en doit aucunement douter, pourquoi a-t-il taillé des éphémérides pour 30 ans après la fin du monde viendra en 1583 / 1584. Puisqu’il assure si fort qu’on n’en doit aucunement douter, pourquoi a-t-il taillé des éphémérides pour 30 ans après la fin du monde ?” “Albumazar, Alcabice & Leopold (d’Autriche) appellent grande conjonction des deux hautes planètes qui se fait de 20 en 20 ans environ (conjunctio magna) et la plus grande est de Saturne & Jupiter au changement de triplicité qui se fait en 240 ans environ (conjunctio major) & la très grande qui se fait de Saturne & Jupiter au signe d’Aries (Bélier) en 960 ans environ (conjunctio maxima). Mais Messahala appelle très grande conjonction des trois hautes planètes qui ne se fait pas (comme dit Leovitius; Léovice) l’an 1583 mais seulement de Mars & Saturne au second degré du Bélier & Jupiter en est éloigné de douze degrés (...) Ces grands changements se voient plus évidents avec la conjonction des trois hautes planètes aux signes du Soleil et de Mars comme il advint l’an 1564 que les hautes planètes se trouvèrent conjointes au Lion avec le Soleil et Mercure.” En réalité, nous le savons, le rythme est de 200 ans environ et non de 240 ans, tant il est vrai que l’astrologie est tributaire de l’astronomie et de son évolution. Une telle échéance pour les années 1560 était déjà familière à la fin du XVe siècle chez un Lichtenberger (cf. infra). Les difficultés d’application Il importe de rappeler que la théorie des grandes conjonctions comporte une part d’imprécision. Ce modèle d’origine arabe est fondé sur l’observation selon laquelle la conjonction Jupiter-Saturne, qui a lieu tous les vingt ans, se déplace d’une fois sur l’autre d’environ un tiers du Zodiaque. Or la tradition astrologique avait introduit une division des signes également selon le principe de triangulation du Zodiaque, triangle (ou triplicité) de feu : bélier (1er signe ), lion (5e signe), sagittaire (9e signe), triangle de terre : taureau (2), vierge (6) et capricorne (10), triangle d’air : gémeaux (3), Balance (7), Verseau (11), triangle d’eau : cancer (4), scorpion (8), Poissons (12). Il était donc tentant de rapprocher ces deux notions. Mais quand la conjonction a-t-elle lieu ? Il semble que les critères astronomiques aient quelque peu varié. Nous en resterons à la méthode consistant à déclarer qu’il y a conjonction lorsque Jupiter (révolution en 12 ans environ) et Saturne (révolution en 29 ans environ) se retrouvent sur un même degré de longitude céleste, à tel degré de tel signe zodiacal. Or, dans certains cas, il s’en faut de peu que cette rencontre ait lieu dans un signe plutôt que dans un autre lorsque la conjonction se tient en fin de signe ou en début de signe - notamment en raison des rétrogradations - et cela est d’autant plus important quand cette conjonction est censée déterminer un changement de triangle dans la mesure où ces passages qui ont lieu à plusieurs siècles de distance sont alors plus importants que ceux qui se tiennent tous les 20 ans. Et l’enjeu est encore plus grave lorsqu’il s’agit du retour de la conjonction Jupiter Saturne dans le premier signe du Zodiaque, correspondant au début du Printemps, marqueur du début de l’année, le bélier car il s’agit là du début d’un nouveau cycle complet des quatre triplicités, ce qui ne se produit que tous les 800 ans ou quasiment tous les mille ans selon l’approche choisie. Les astrologues sont à la merci de ces imprécisions, ce qui d’ailleurs est bien commode lorsque l’événement attendu n’a pas lieu, permettant ainsi de fixer une nouvelle échéance 20 ans plus tard. On ne sait pas toujours à l’avance si la prochaine conjonction est la première d’une nouvelle triplicité ou la dernière de la triplicité en cours. Il nous semble plus raisonnable de ne pas faire preuve de trop de minutie en ce qui concerne le changement de triplicité : il est clair que si le laps de temps correspondant à une triplicité s’est écoulé, l’on doit passer à la triplicité suivante même si, à quelques degrés près - ce qu’on appele “orbe” en astrologie - la conjonction n’a pas vraiment eu lieu dans le signe souhaité. En ne procédant pas ainsi, c’est tout le système d’Albumasar; qui se trouve inapplicable. Le calendrier des grandes conjonctions Rappelons la succession des quatre triplicités depuis l’émergence de l’Islam jusqu’à la Révolution Française. On précisera que l’ordre des éléments est celui que l’on trouve dans le zodiaque : feu-terre-air-eau, à savoir bélier (feu), taureau (terre), gémeaux (air), cancer (eau), lion (feu) et ainsi de suite. EAU 590, tout début Cancer (signe d’eau) FEU 789, fin Poissons (signe d’eau) presque en Bélier (signe de feu) TERRE 988, fin Sagittaire (signe de feu), presque en Capricorne (signe de terre). On est aux approches de l’An Mille. AIR 1186, début Balance (signe d’air), cette échéance a été très fortement vécue par le milieu astrologique, comme nous l’avons rappelé EAU 1384, début Cancer (signe d’eau), presque fin Gémeaux. FEU 1583, début Bélier (signe de feu) mais en fait fin Poissons (signe d’eau) ce qui reporte le changement de triplicité à 1603 en Sagittaire (signe de feu). Rappelons que le signe des poissons (longitude 330-359° 59’59") précède immédiatement celui du Bélier. (0°-29°59’59"). Toutefois, nous pensons que les signes de feu ne sont pas interchangeables et que le passage au Bélier, lorsqu’il coïncide avec un changement de triplicité, correspond à une conjunctio maxima, même si elle a lieu, selon nous, en fait à la fin des Poissons. Une grande conjonction au bélier comme celle de 1702 en plein milieu de la période ignée de 200 ans n’a pas le même impact sur le plan de la théorie. TERRE 1782 fin Sagittaire (signe de feu), presque Capricorne (signe de terre) ce qui reporte le changement à 1802, en Vierge (signe de terre). Cette conjonction, proche de 1789, est la réédition de la conjonction de 988, près de huit siècles plus tôt. Mais il faut bien comprendre que la fixation de la date de 1789 est indépendante du calcul des grandes conjonctions et que la mention de l’écart est purement informative. Pour nous résumer, en 590, on achève un grand cycle conjonctionnel, s’achevant toujours par l’élément eau, et c’est en 789 qu’ on est entré dans une conjonction en Bélier, donc une maxima coniunctio, puis vers 988, (ou 20 ans plus tard), on est entré dans une triplicité de Terre, puis en 1186, on est entré dans une triplicité d’Air, puis en 1384, on est entré dans une triplicité d’Eau et en 1583 ou en 1603 dans une triplicité de Feu pour revenir en 1782 dans une triplicité de Terre. Si l’on affirme que le cycle des conjonctions Jupiter-Saturne ne dépasse pas 800 ans, il importe de se satisfaire de l’approximation des conjonctions en Bélier à la fin des Poissons, ce qui fut le cas de 789 et de 1583, années séparées par un écart de 795 ans. En étant par trop formaliste, l’écart séparant deux premières conjonctions, au sein de deux cycles successifs, en Bélier stricto sensu, l’on augmente considérablement la durée du cycle. Le décalage entre les deux écoles n’est probablement pas tant une question de précision astronomique qu’un problème de définition. Or, dans la perspective millénariste où se situe Pierre d’Ailly et qui conduit à l’avènement de l’Antéchrist, force est bien, en principe, au cardinal, à supposer la fin d’une période de 1000 ans comme le veut l’Apocalypse de Jean. Dès lors, il n’est peut être pas indifférent qu’il y ait cet espace de temps entre 789 et 1789. Notons cependant qu’à la différence d’un Téléofre / Télesphore de Cosenze, le millénaire ne s’achève pas au XIVe siècle mais au XVIIIe. Le problème de la Coniunctio Maxima La simplicité du système des grandes conjonctions n’est en effet qu’apparente. En tout cas, dans le cours du XVIe siècle va régner une certaine confusion aboutissant à deux dates, ayant chacune leurs partisans, à l’instar des papes et des antipapes. Or, l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de fixer le début de la Coniunctio Maxima, qui commence un nouveau cycle de plusieurs siècles ! A priori, le problème se réduit à rechercher à quelle date a lieu la première conjonction dans le signe du Bélier. Il y aura donc les astrologues qui ont fixé ce changement à la fin du XVIe siècle et ceux qui attendront le début du XVIIIe, l’an 1702, soit un écart de 120 ans, correspondant à plus de la moitié du temps que passe une grande conjonction à travers les signes d’une même triplicité. Une troisième approche consiste à prendre en compte l’année de la première conjonction en signe de feu, que ce soit ou non le signe du Bélier. Ainsi en 1603, la rencontre de Jupiter et de Saturne en Sagittaire sera-t-elle déterminante. Chaque camp a ses arguments: ceux qui tiennent compte de la durée de 200 ans propre à chaque passage au sein d’une triplicité, peuvent arguer de ce que la précédente entrée, en signe d’eau, eut lieu en 1384 et qu’il convient de fixer le changement en 1584 mais en cette année là, la conjonction eut encore lieu en signe d’eau, dans le signe qui précède le bélier, à savoir les poissons. Mais pour Leovitius, la conjonction en bélier fait immédiatement suite, dans l’année qui vient, à celle en poissons. Il y a donc ceux qui repoussent de vingt ans en 1603 mais alors la conjonction n’aura pas lieu en bélier. Ceux qui prônent 1702, appliquent littéralement le principe selon lequel la coniunctio maxima correspond à la première présence de la grande conjonction en bélier. Mais en 1643, aurait du se produire une conjonction au bélier, or, elle se tint à la fin des Poissons, à quelques degrés de l’entrée au bélier. Les trois échéances de Leovitius Il convient de ne pas affirmer que la seule échéance annoncée par Leovitius Cyprien; concerne les années Quatre-Vingt. Une telle lecture est tardive et relève - on le verra pour la prophétie d’Orval au XIXe siècle - d’une réactualisation, une fois une première échéance franchie. Dans le Pronosticon, qui est la partie prévisionnelle de son oeuvre, il doit, à trois reprises, discourir sur une grande conjonction Jupiter-Saturne: dans les années soixante, dans les années Quatre-vint et dans la première décennie du XVIIe siècle. Reprenons les trois textes correspondants : “Je pense de vray que depuis huict cens ans n’y a eu telle, ne sy grande coniunction de planetes au signe de Léo et qu’il n’y en aura de semblable d’icy à huict cens ans à l’advenir. Il s’en feit une pareille l’an 769 etc.” (1584) “Depuis lequel temps n’en a esté une semblable (...) et celle qui adviendra l’an 1583, laquelle indubitablement nous sera significative du second advenement du Fils de Dieu.”16 (1583) Cette fois-ci, il s’agit d’une éclipse qui se manifesta en 1605 : “C’est chose toute certaine que plusieurs siècles auparavant n’en a esté une plus grande & n’en sera possible une telle pour l’advenir.”17 En fait, Leovitius reste extrêmement vague, après une échéance grave, on passe à l’attente de la suivante comme si la vie allait se poursuivre normalement. La conclusion du recueil est révélatrice : “J’ay discouru cette présente prognostication jusqu’à l’an 1607 (...) Ce faisant attendront le second advenement du Fils de Dieu qui semble estre fort prochain”18, et d’entrer dans des considérations extra-astrologiques : fin du règne de Mahomet qui pourrait avoir lieu au bout de 1000 ans, donc dans le cours du XVIIe siècle, fin du monde au bout de 6000 ans mais qui peut être abrégée. Au fond à la façon d’un astronome conseillant d’observer telle éclipse puis telle autre, Leovitius signale des moments importants et si ce n’est pas l’un, ce sera le suivant. Or, à plusieurs reprises la date de 1607. Le fait que Leovitius ait publié son diptyque - De coniunctionibus et Pronosticon - en 1563 nous conduit à penser que les lecteurs s’intéressèrent au premier chef à la première grande conjonction annoncée, celle de 1564. Leovitius ne précise-t-il pas : “Toutes lesquelles choses conviennent de poinct en poinct avec la prognostication astrologique que j’ai faicte il y a bien huict ans en mon livre des éclipses pour les années 1564, 1565 & pour le premier semestre de l’an 1566.” Au vrai, si Nostradamus a lu Leovitius dans les années Cinquante, au travers de l’Eclipsium et de l’Ephemeridum, on peut raisonnablement penser que la première échéance importante qui lui fut proposée concernait les années Soixante et non les années Quatre-Vingt. En fait, le propre de l’astrologue n’est-il pas de plier les lois du cosmos aux impératifs de la politique et de savoir mobiliser régulièrement l’opinion en laissant de côté les prédictions pour les années passées. Cela dit, ce genre d’ouvrages qui couvre une quarantaine d’années nous permet de mieux cerner les procédés employés. C’est là que la différence entre astrologie et astronomie s’avère frappante: l’astronome qui annonce une succession de configurations, étalées sur des décennies, reste dans un processus cyclique tandis que l’astrologue qui est préoccupé de la fin du monde a une approche plus linéaire et est contraint à des acrobaties pour laisser entendre qu’on se rapproche de l’issue mais sans savoir exactement quand elle aura lieu. Il convient donc de lire Leovitius comme quelqu’un qui fournit des données, en considère les implications possibles mais reste finalement dans l’expectative. Il est évident que plus le temps passe, plus l’échéance, a priori, se rapproche. Par la suite, les Prédictions des choses mémorables paraîtront dans les années soixante-dix, à l’initiative de Nostradamus le Jeune, avec quelques variantes, sans les paragraphes consacrés aux années Soixante. Et après avoir insisté sur le caractère crucial de la conjonction de 1583 / 84, cette nouvelle version s’arrête à 1585, mais ce qui est dit sur cette année n’a plus rien de dramatique, comme si l’orage était passé. Nous avons l’impression d’un certain mélange des genres. Visiblement, cette étude année par année s’apparente aux prophéties agricoles de type Moult : telle année, la récolte est bonne, telle autre elle sera médiocre et ainsi de suite. Mais qu’en est-il dès lors que l’on applique un tel schéma aux affaires des hommes ? On ne peut écrire en telle année, aura lieu le second avènement du Christ puis poursuivre pour l’année suivante comme si de rien n’était, c’est ce que Jean Bodin Jean avait remarqué. La vision eschatologique convient finalement mal à un processus récurrent régulier, elle parasite le discours de l’astrologue et l’amène à produire une cote mal taillée. La date de 1583 Le problème pour les astrologues du XVIe siècle, tient au fait que la première vraie conjonction en signe de feu ne se tint pas en bélier, premier signe mais en sagittaire, neuvième signe, ce qui posait un problème supplémentaire. D’où la tentation de considérer 1583 comme, à quelques degrés près, la Très Grande Conjonction du bélier, bouclant tout un cycle. La difficulté tient ici qu’en cas de non rencontre dans la triplicité prévue, il y a un report de 20 ans et qu’en cas de non-rencontre dans le signe prévu, dans l’ordre prévu, le bélier notamment, il n’y a pas de report possible sinon sur plusieurs siècles ! Certes, il y aura des conjonctions en Bélier durant les deux siècles liés à la Triplicité de Feu mais non pas lors de la conjonction suivante puisque la progression est triangulaire, mais une telle conjonction n’aura pas eu lieu lors du changement de Triplicité. En 1643, au lieu du bélier, c’est à nouveau le signe des Poissons qui sera le lieu de la Conjonction, on retourne en Triplicité d’Eau, ce qui est contraire au système. Il convient donc, nous semble-t-il, d’accorder, comme en astrologie généthliaque, une certaine “orbe” et privilégier la structure géométrique sur le seul symbolisme zodiacal. La lecture des textes de l’époque montre bien que la conjonction de 1583 est présentée comme une sorte d’ouroboros, c’est-à-dire comme la conjonction entre le dernier signe (la queue) et le premier signe (la tête). Dans ce sens, la conjonction de 1583 apparaissait comme singulièrement cruciale, comme un événement rarissime dès lors qu’il était précédé vingt ans plus tôt d’une conjonction en signe d’Eau. Il fallait remonter pour cela au VIIIe siècle, au début de l’an 789 où là encore la conjonction se fit en Poissons mais faillit, à quelques jours près, avoir lieu en bélier. Dans les Pléiades de 1603, Jean-Aimé de Chavigny cite Leovitius Cyprien et Liberati Francesco, et l’année 1782 apparaît à chaque reprise (p. 216 et 283), ce qui n’est certes guère éloigné de 1789 : “Pourtant depuis l’an 1583 jusques à l’an 1782 que règne ce trigone igné, avant le mi-temps, dit icelui Liberati, commencera une haute & sublime monarchie & toutes choses seront réduites & gouvernées par un seul Monarque (...) et je tiens par nos présages que sera plustost qu’on ne pense.” Il semblerait que pour Liberati, le début de la série ignée des conjonctions Jupiter-Saturne ne soit pas 1603 mais 1583. Or lorsque Saturne parvint en 1584 à 0° du Bélier, Jupiter était passé sur ce même point moins d’un mois auparavant. Les deux planètes se sont rencontrées quelques mois plus tôt en 1583 à 20° des poissons, à dix degrés donc du début du bélier. Guillaume Postel Guillaume a pour échéance cette période de 1583 - 1584, comme l’indique un élément du titre d’un recueil resté manuscrit, le Thrésor ou recueil des prophéties de l’univers : “bien tost en adviendra par la conjunction maxime qui sera l’an de grâce 1584 et monstre ja son préparatif depuis l’an 1500 et s’estendra jusques à 800 ans ou 795 après comme toutes les passées ont faict et principalement celle qui meut Auguste et celle qui excita Charlemaigne, là où creut la sacrée authorité des sainctes Escriptures et celle de la Glosse ordinaire et ses despendences avec la sanction des romaines lois.”19 En fait, si l’on étudie (cf. infra) l’histoire d’un recueil prophétique comme le Livre Merveilleux, il reparaît au milieu des années 1560, sous Charles IX, puis dans les années 1580, lors de la crise dynastique, du fait des échéances qu’il avait fixées bien à l’avance, en rapport avec cette exceptionnelle conjonction en Bélier. La compilation d’Estienne Tabourot On est toujours étonné de relever qu’un texte annonçant une échéance pour une date précise puisse poursuivre sa carrière en conservant les données initiales. La Pronosticatio de Lichtenberger reparaîtra en 162020 en précisant, en son titre, que la première édition date de 136 ans. En ce qui concerne l’Almanach et Pronostication des Laboureurs de Tabourot, la mention de 1588 survivra à l’entrée dans le XVIIe siècle.21 Scheler s’est intéressé à cette édition de 1610 : “Dans la Préface - que l’éditeur et ses successeurs supprimeront par la suite - l’auteur se réfère au sieur Arbeau (“dont le Compost, dit-il plus loin, n’ayant été imprimé qu’au lieu de Langres n’a pas encore esté veu ny leu de beaucoup de gens”) Jean Tabourot ayant sous le nom de Thoinot Arbeau; publié en 1582 à Langres un Compost et manuel Kalendrier, cette remarque montre que la préface de Maginuse a été écrite avant 1610 et que l’almanach donné à cette date par Nicolas Oudot n’est lui-même qu’une réimpression. ” Il est surprenant que Scheler n’ait pas remarqué que ce Jean Tabourot était, du moins dans le catalogue de la BNF, crédité d’un Almanach et Pronostication des Laboureurs, comportant notamment ladite Préface. Bien plus, l’exemplaire de la BNF est relié avec le Compost et Manuel Calendrier et porte la même cote ! La Grande Pronostication du Seigneur des Accords de Jean Vostet Breton - pseudonyme ici d’Estienne Tabourot - accorde une certaine importance aux grandes conjonctions et notamment à Leovitius, Cyprianus. Mais à la même époque le libraire Parisien Jehan Bonfons publie une édition du Kalendrier des Bergers comportant des extraits d’Alcabitius sur les conjonctions. Il y est notamment dit que la conjonction Jupiter-Saturne en Bélier annonce “quelque nouvelle secte advenir“. D’une conjonction l’autre En 1484, la conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe du scorpion (et non dans la constellation du même nom) se produisit donc dans un signe d’Eau. Le XVIe siècle sera traversé par des grandes conjonctions en Eau, réputées favorables aux Musulmans - l’Islam est né au VIIe siècle, dans le cadre de conjonctions Jupiter-Saturne en signes d’eau - ce qui expliquerait, selon l’auteur des Prédictions de la décadence des Empires, l’échec de Charles Quint en ce domaine et de l’Empire en général. Cette conjonction est au coeur de la Pronosticatio de Lichtenberger et donc figure en bonne place dans le Mirabilis Liber. Un de ceux qui ont attiré l’attention sur cette configuration serait Jean de Bruges et ce dès 1444. En 1503, une conjonction a lieu en Cancer, autre signe d’eau. Nous avons retrouvé un écho de cette rencontre dans la Nef des Fous de Sebastian Brandt, sous la forme d’une illustration reprise dans Rabelais François. Cette conjonction sera mentionnée par Carion à la fin du troisième livre de ses Chroniques trente ans plus tard, à partir des propos d’un Laurent Miniatensis, napolitain, qui auraient été tenus en 1473, “en son tiers livre de la conjonction de Jupiter et Saturne au signe de l’écrevisse”.22 On y cite une présentation latine versifiée de la conjonction ainsi restituée en français : “Celle conjonction qui viendra en nostre aage./ Plus bénigne sera, ne contenant l’oultrage / Que celles de devant (...) Un roy exempt de vice en ce temps régnera (…) Il sera Empereur etc.” Du fait de la fortune des Chroniques, cette conjonction sera signalée pendant tout le XVIe siècle. En 1524, nous trouvons celle qui fut la plus célèbre, en poissons. Elle était réputée annoncer un nouveau Déluge et provoqua une polémique, notamment autour de Nifo. Si la conjonction suivante, en 1544, en scorpion, n’a pas retenu notre attention, en revanche, en 1563, Leovitius Cyprien, on l’a noté, s’intéressa vivement à cette conjonction en cancer qu’il relie à la conjonction suivante en 1583 en poissons. Cette dernière est rapprochée, sans trop d’explication, de l’Annus Mirabilis de 1588. Florimond de Raemond, en 1597, dans son Antichrist23 fera remarquer au chapitre VII que Jupiter étant dans un de ses domiciles, il ne pouvait avoir des effets négatifs. Il cite un poème à ce propos dont nous reprenons le début : “Que vous êtes hélas de honte et de foy vuides Escrivains qui couchez dans vos Ephémérides L’an, le mois et le jour qui clorront pour toujours La porte de Saturne aux mois, aux ans, aux jours etc.” La date de 1603 La première conjonction en signe de feu, liée au nom de Laurent de Naples, eut en fait lieu en signe du sagittaire et elle est rapprochée de la naissance de Louis XIII en 1601. Jean Belot, Jean (cf. supra) s’intéressera à la conjonction en sagittaire et réutilisant notamment le quatrain de Nostradamus déjà affecté par certains à 1603, “Faux à l’estang joinct vers le sagittaire” du seizième quatrain de la première centurie (cf. infra) qu’il faudrait lire, selon Brind’amour (1993) que nous ne suivrons pas faux à l’estaing, la faux représentant traditionnellement au niveau iconographique Saturne et l’étain étant le métal (alchimique) de Jupiter (cf. infra). Notons ainsi que le Janus Gallicus (art. 298) voit dans l’estang, le signe du verseau. En 1615, dans son Amphitheatrum Providentiae Aeternae, paru en latin à Lyon, l’Italien Jules César Vanini, qui allait être exécuté (brûlé) en 1619, à Toulouse, pour ses idées, s’insurgera contre la théorie des Grandes Conjonctions dans son rapport avec l’histoire des religions, telle que l’a exposée Jérome Cardan, auteur, comme Pierre d’Ailly, d’un Horoscope de Jésus Christ. Cardan relie la Triplicité d’Eau à la suprématie des Musulmans comme ce fut le cas au VIIe siècle, après la conjonction en scorpion (Exercice VIII de l’Amphitheatrum). Il ne semble pas que le système des grandes conjonctions ait marqué le dix-septième siècle prophétique comme cela avait été le cas pour les siècles précédents mais Claude Comiers s’intéressera encore à la conjonction de 1683 qui fera également sens pour Jurieu. On ne cessera pas pour autant au delà du XVIe siècle de faire des prévisions eschatologiques mais sans nécessairement le secours de la logistique planétaire, ce qui correspondra à un regain des computations scripturaires. Après la conjonction de 1623 en lion, l’Alsacien Eberhard Welper célébrera aussi la conjonction de 1643 en poissons (en bélier) puis celle de 1663 en Sagittaire, qui inspirera également un Samuel Desmarets, Samuel et un Pierre Serrurier : les réflexions de ce dernier seront traduites en anglais (cf. infra). Enfin, en 1682, en Lion, la conjonction ignée coïncidera avec la défaite des Turcs, car le Feu est favorable aux Chrétiens à la différence de l’Eau. L’on trouve chez Turrel; et chez Roussat la référence suivante : “Car cette présente triplicité aquatique terminée (de quoi nous reste seulement, du calcul de cette présente année 1548, quatre vingt quatorze ans) viendra la triplicité de feu”24, ce qui conduit à 1642. Le total donne 1548 + 94 = 1644, année où la conjonction en bélier a failli en effet avoir lieu. Le système se détraque ou du moins son formalisme aboutit à divers clivages, tous les paramètres ne convergeant pas. La conjonction de 1643, coïncidera avec la mort coup sur coup de Louis XIII et de Richelieu. Il semble qu’Yves de Paris;, dès 1640, avait annoncé, sur la base de cette rencontre planétaire, de tels événements. Jacques Mengau, en 1652, s’appuie curieusement sur cette conjonction déjà ancienne, du 26 février 1643, qui, selon lui, agira dix ans après, soit jusqu’en 1653. La date de 1702 Il convient également de signaler l’importance accordée aux premières années du XVIIIe siècle par les hommes du XVIe siècle. On citera les travaux du bourguignon Pierre Turrel (qui influencent Roussat Richard et Nostradamus). Il désigne, dès 1531, notamment l’an 1702 comme déterminant : “l’autre fameuse approximation de Saturne & Jupiter que se fera par la tête de Aries, l’an 1702, montrera en la terre universelle & plus que grandes altercations et & mutations ainsi que Léopold d’Autriche en son introductoire au sixième traité nous a laissé par écrit.” Notons toutefois que cette conjonction en bélier ne saurait être une conjunctio maxima car elle n’inaugure pas le passage de la conjonction Jupiter-Saturne en signe de feu. Il faudrait ainsi attendre 1702, qui correspond d’ailleurs peu ou prou aux calculs du Cardinal de Nicolas de Cuse;, fondés apparemment sur des critères non astronomiques mais que Michel de Nostredame reprit, nous semble-t-il, à son compte. V - Pierre d’Ailly et 1789 Tous les prophètes se réfèrent peu ou prou à l’Antéchrist de l’Apocalypse ou à la Prophétie de Daniel. Il importe de distinguer ceux qui utilisent le matériau scripturaire comme thématique et ceux qui s’en servent pour fixer un calendrier scripturaire. On ne saurait cependant qualifier les calculs du cardinal de Cuse d’astrologiques, ils se fondent sur des passages de l’Ecriture, Daniel, les Evangiles. Il est cependant intéressant de comparer les prophéties des deux cardinaux, Pierre d’Ailly; et Nicolas de Cuse, ce dernier écrivant sa Conjectura de ultimis diebus, un demi-siècle environ après la Concordantia astronomie et theologie etc..25 En tout cas, au cours des XVI - XVIIIe siècles, le texte prophétique de Nicolas de Cuse; fut publié en français à plusieurs reprises tandis que les textes prophétiques d’Ailly ne furent pas traduits, à notre connaissance, durant cette même période, ce qui ne les empêcha pas de marquer certains auteurs français du XVIe siècle. Les méthodes et les échéances divergent : Pierre d’Ailly; recourt à une astrologie saturnienne - grandes conjonctions, cycle de dix révolutions de Saturne - Cuse, lui, s’appuie sur les étapes de la vie de Jésus. Si le cardinal français vise 1789, le cardinal allemand est plutôt enclin à fixer pour échéance les premières décennies du même XVIIIe siècle. Certes, l’un comme l’autre recourent à l’imagerie antéchristique mais au lieu de voir l’Antéchrist oeuvrer de leur temps - en ces temps de schisme, le terme est alors souvent employé contre les papes - il s’agit d’en reporter l’avènement aux calendes grecques. Ce n’est peut-être pas par hasard si, en 1414, le nouveau cardinal de Cambrai, alors que s’ouvre le Concile de Constance auquel il va participer - convoqué, en terre allemande, par l’Empereur Sigismond de Luxembourg pour régler la question de la pluralité des papes - met la dernière main à un texte qui vise à calmer les effets d’une certaine rhétorique. Pour d’Ailly, partisan de l’autorité prévalante des conciles, la fin des temps n’a pas à être calculée à partir d’une succession des papes mais selon les lois de l’astronomie / astrologie et en s’appuyant sur une certaine numérologie. En cela, le contraste est complet avec les hommes du XIVe siècle, comme Jean de Roquetaillade et Théolofre de Cosenze, chez qui les implications politiques (élections de l’Empereur, du Pape) immédiates sont très fortes. Cela dit, nous restons assez perplexe : d’une part, nous ne disposons évidemment pas d’imprimé d’époque mais pas davantage de témoignage de contemporains; il faut attendre, apparemment, la fin du siècle, pour que le texte relatif à 1789 soit disponible au sein d’un ensemble d’oeuvres de Pierre d’Ailly. Car, il nous est difficile d’envisager qu’un texte soit paru, en l’état, daté de Constance même, en cette année 1414, qui exigeait au contraire une mobilisation des esprits, une certaine pression que le prophétisme - il n’était question de rien de moins que de la démission de trois papes ! - a en quelque sorte pour fonction d’exercer et non des développements généraux ne visant nullement l’époque de leur parution. Faut-il parler d’un prophétisme conciliaire visant à empêcher qu’un pape, tel Jean XXII, un siècle plus tôt, puisse être traité d’Antéchrist, par certains Franciscains de Provence - les "spirituels" - annonçant, selon le découpage joachimite, l’ère du saint-esprit ? Le fait que le texte reparaisse à la fin du XVe siècle, à Louvain (c 1480), à Augsbourg (1490), ne serait-il pas lié à l’importance accordée à l’année 1489, soit un cycle saturnien de 300 ans avant 1789 ? Ailly est d’ailleurs associé, dans ces recueils, à Jean de Gerson qui fit également partie de la délégation française à Constance, avec Guillaume de Fillastre. Dans une de ses Concordiae, Pierre d’Ailly a certes annoncé en toutes lettres 1789. Mais ce faisant, il ne s’est pas appuyé sur les seules grandes conjonctions, il a recouru à un cycle de 300 ans qui croise le cycle de 800 ans. Il convient de débrouiller, avec autant de précision que possible, les arcanes du raisonnement qu’il développe et qu’il adopte, dans la ligne de l’astrologie arabe qu’il ne connaît pas nécessairement de première main. VI - Un autre système saturnien Il convient de mettre mieux en évidence l’idée qui sous-tend un tel dispositif jumeau de celui des grandes conjonctions et que Jung Carl n’a pas vraiment explicité. En soi le passage de Saturne dans les signes cardinaux est d’une grande banalité puisqu’il se produit tous les sept ans environ tout comme la conjonction Jupiter Saturne dont la périodicité est de 20 ans. Tout l’art d’Albumasar; est de faire apparaître des superstructures sans que ni lui, ni Pierre d’Ailly ne s’expliquent clairement en ce qui concerne le concept de cycle de dix révolutions de Saturne. Tout comme la théorie des grandes conjonctions des deux planètes les plus lointaines (jusqu’à la découverte d’Uranus à la veille de la Révolution Française) met en avant Cf. infra la division du zodiaque en quatre groupes de trois signes (feu, terre, air, eau), celle des "dix révolutions" s’appuie sur une autre division, ternaire cette fois, entre signes cardinaux, fixes et mutables. De même qu’Albumasar avait remarqué pour le passé que ces conjonctions restaient un certain nombre de fois dans des signes de même élément, puis changeaient de “triplicité”, de même il semble qu’il ait observé que toutes les dix révolutions, Saturne se décalait d’un quart de zodiaque et passait successivement du bélier au cancer, du cancer à la balance, de la balance au capricorne, du capricorne au bélier et ainsi de suite, en respectant l’ordre des saisons. Le point de départ du système pourrait être le Bélier comme c’est le cas pour les Grandes Conjonctions. L’attente de la coniunctio maxima (retour au bélier tous les 800 ans) allait désigner comme date 1583 tandis que l’attente du retour des dix révolutions au Bélier, allait fixer l’échéance de 1789, rétrospectivement plus marquante, soit un décalage de deux siècles. Outre la fortune extraordinaire de la prophétie du Cardinal Pierre d’Ailly, pour la fin du XVIIIe siècle, il nous a semblé que la démarche alliacienne offrait, conjointement à celle de Nicolas de Cuse, qui émerge quelques décennies plus tard, une spécificité en ce qu’en reliant l’échéance à l’avènement de l’Antéchrist, elle touche explicitement ou implicitement au problème de l’anti-judaïsme. De fait, l’Antéchrist n’est-il pas ce Messie que les juifs attendent encore alors qu’ils n’ont pas reconnu le vrai qui s’est présenté, devenant ainsi la “synagogue de Satan” (Apocalypse de Jean) ? En tout état de cause, le propos sur l’Antéchrist véhicule généralement un certain antijudaïsme - il suppose le maintien des juifs, ce qui va, à l’encontre d’un processus de conversion - de “rappel” - avant la fin des temps - et il nous a paru intéressant d’étudier la contribution du prophétisme dans ce domaine, d’autant que les historiens de l’antisémitisme semblent l’avoir généralement négligé à commencer par Jules Isaac qui ne s’arrête que sur l’accusation de déicide. Or, il y a là un malentendu: tenter d’expliquer l’hostilité envers les juifs sur la seule base d’une prophétie rétrospective à savoir le reproche fait aux Juifs d’avoir tué celui qui serait considéré comme fils de Dieu par une part importante de l’Humanité. Un Tlesphore de Cosenze ne peut s’empêcher d’associer le “peuple Disrael” à l’avènement de l’Antéchrit, et l’on peut se demander s’il n’existe pas un rapport avec le fait qu’en 1394 les juifs furent expulsés du Royaume de France. Et cette fois, les Chrétiens ne revendiquent pas d’être le nouvel Israel. Pierre d’Ailly cardinal de Cambrai, n’avait aucun scrupule à annoncer la lointaine venue de l’Antéchrist. Se rendait-il compte que pour près de quatre siècles, il allait ainsi contribuer à renforcer la défiance envers les juifs qui, non seulement avaient accompli le déicide, mais en outre accueilleraient un jour l’Antéchrist ? A vrai dire, du temps de Pierre d’Ailly, les juifs, depuis peu, on l’a vu, étaient persona non grata. Ceux qui, à sa suite, adopteraient de telles Prophéties pouvaient-ils le faire, s’ils étaient juifs ou simplement d’ascendance juive ? Le problème se pose pour un Christophe Colomb Christophe; dont on se demande encore s’il était d’origine juive. Il importe de rappeler, préalablement, qu’il existe (cf. infra) des versions du récit de l’Antéchrist dépouillées en grande partie de la dimension juive. Le thème de l’Antéchrist est relayé par l’iconographie et la poésie populaire, tant pour ce qui est de l’Antéchrist que pour le déicide, comme c’est le cas pour le Dit des Sibylles censé annoncer la vie du Christ et mettant l’accent sur le rôle néfaste des juifs : déicide et antéchrist constituent une sorte de diptyque. L’iconographie antéchristique comporte une représentation des Juifs. En réalité, il aura probablement fallu que d’autres paramètres interviennent pour entretenir cette animosité à l’égard des Juifs que le seul souvenir d’un crime sacrilège au regard de la théologie - “ils ne savent pas ce qu’ils font”. Outre certains aspects de la liturgie concernant les “Juifs perfides”, il convient de s’arrêter sur le rôle conféré aux juifs dans la prophétie vouée à l’Antéchrist. Il est probable que les historiens de l’antisémitisme aient négligé cette dimension occultiste, fragilisant ainsi leur analyse. Laurence Smoller Laurence (1994) a montré que Pierre d’Ailly a évolué sensiblement dans sa pensée astrologique et prophétique tant dans le fonds que dans la forme. Avant de repousser l’échéance antéchristique aux calendes grecques, Pierre d’Ailly voyait en effet dans la rivalité entre papes de Rome et d’Avignon - grand “schisme” d’Occident (1378 - 1417) - en 1409, il y eut même trois papes, un signe de la fin des Temps. Il semble qu’il ait changé d’avis lorsqu’une solution sembla devoir être trouvée, avec la réunion du Concile de Constance, en 1414. Mais au cours de la même année, le cardinal va être amené à revoir ses calculs et ses démonstrations, c’est ainsi qu’il va, dans un Elucidarium des deux concordantiae conjointes, qu’il fait circuler en cette même année 1414, corriger certains passages du Vigintiloquium ou Concordance entre astronomie et théologie et de la Concordance entre astronomie et histoire, qui est celle qui nous intéresse au premier chef. Dans les années 1480, à Louvain, chez Johannes de Paderborn de Westphalie26 paraîtront à la suite, en annexe, du De Imagine Mundi les deux Concordances suivies de l’Elucidarium, bien que ce dernier ne soit pas mentionné dans le sommaire introductif. En 1490, l’Ymago mundi, l’édition de Ratdolt, à Augsbourg27 comprendra les deux Concordantiae et l’Elucidarium. Mais ce dernier est raccourci par rapport à l’édition de Louvain et ne comporte pas le colophon de 1414 en date du 26 septembre. A l’instar du Vigintiloquium, l’Elucidarium aurait selon les colophons, été réalisé à Cologne, comme le signale l’édition de Louvain. En effet, l’Elucidarium s’achève par une “Apologetica defensio astrologicae veritatis” qui n’a pas été retenue dans l’édition d’Augsbourg et qui donne pourtant le ton à ce supplément autocritique. Curieusement, dans l’édition de Louvain, c’est l’ “apologetica defensio” qui figure au sommaire comme un texte à part entière alors que l’Elucidarium est ignoré. Les corrections, signale L. Ackerman Smoller, portent sur la durée du cycle des grandes conjonctions et sur la notion même de conjonction, sur la question des révolutions saturniennes tant et si bien que Pierre d’Ailly assume lui même, dans l’Elucidarium, bien des critiques qui peuvent être formulées à l’encontre de son dispositif. L’ouvrage de Pierre d’Ailly est publié au sein d’un large programme de parutions chez le même libraire en 1488, Ratdolt qui se charge aussi (selon le colophon) de l’Opus Astrolabii plani in tabulis a Johanne Angeli (...) a novo elaboratum.28 L’année suivante, paraît dans les mêmes conditions (toujours selon le colophon) l’Opus Albumasaris de magnis coniunctionibus explicit feliciter magistri Iohannis Angeli viri peritissimi diligenti correctione.29 Et en 1490, c’est donc le tour de l’oeuvre de Pierre d’Ailly, avec le colophon suivant, sur le même modèle : “Opus concordantie astronomie cum theologia necnon historie veritate narratione explicit feliciter Magisteri Joannis Angeli viri peritissimi diligenti correctione.” Johannes Engel aurait donc veillé à l’édition conjointement de Pierre d’Ailly et d’Albumasar de Balkh, alias Abou Mashar Djafar Ibn Mohamed (IXe siècle) et l’on peut considérer que les deux oeuvres constituent, outre leur contenu, un ensemble, leur présentation étant par ailleurs extrêmement semblables à celle des titres. On ignore d’ailleurs ce que Johannes Engel a “corrigé”, dans le texte d’Ailly étant donné que l’édition de Louvain, chez Jean de Paderborn, vers 1483, nous semble identique.30 Comment Pierre d’Ailly parvint-il à fixer la date de 1789 ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette date ne coïncide pas avec une des grandes conjonctions de Jupiter et de Saturne, tout en relevant d’un autre découpage du cycle saturnien. Pierre d’Ailly combine la théorie des Grandes Conjonctions avec celle des révolutions de Saturne : voilà qui a égaré plus d’un chercheur d’autant que les deux systèmes cohabitent chez Albumasar au sein de son traité des Grandes Conjonctions planétaires : kitaboun kirouat fi ahkami-n-nodjoun Carl Gustav Jung (Aïon, 1983) est selon nous un de ceux qui ont le mieux signalé - par rapport à des historiens plus spécialisés - les sources qui ont marqué le travail de Pierre d’Ailly en ce qui concerne les révolutions. Jacques Halbronn Notes 1 Voir Halbronn, 1998, Livre III. Retour 2 Trad. Bourdin, Paris, 1640, BNF. Retour 3 Voir Halbronn, 1998, Livre II. Retour 4 Voir Halbronn, 1998, Livre III. Retour 5 Cf. Halbronn, 1998, Livre II. Retour 6 Cf. Exemplaire de la BM. Albi, fol B III - r.v. Retour 7 A Venise, 1507, chez Peter Liechtenstein, BNF. Retour 8 Cf. “De gubernatoribus mundi”, Liber Rationum, Venise, 1485. Retour 9 Cf. Déclaration des abus, ignorances et séditions, Avignon, Pierre Roux & Ian Tramblay, BNF. Retour 10 Voir Halbronn, 1998, Livre IV. Retour 11 Voir dans notre Livre III, l’explication du Janus Gallicus. Retour 12 Cf. BNF, Lb33 185 C p. 10. Retour 13 A Paris, F. Morel, 1566, BNF, *E 1362. Retour 14 Connu en Angleterre notamment à travers l’oeuvre de Loys Le Roy, publié en latin à Francfort. Retour 15 Voir Chavigny, Lettre à Mgr d’Ornano. Retour 16 Cf. Prédictions des choses mémorables, 1565 p.26. Retour 17 Cf. Prédictions des choses mémorables, op. cit. p. 56. Retour 18 Cf. Prédictions mémorables, op. cit., p. 70. Retour 19 Cf. BNF, MS Fr 2113 fol 27. Retour 20 Cf. BNF, M 3605. Retour 21 Cf. Ed. de Troyes, BNF, Res pV 594. Retour 22 Cf. Ed. 1548, Paris, fol. 271 v. BSG. Retour 23 A Lyon, Pillehotte, BNF, D 49420. Retour 24 Cf. Livre de l’estat, Lyon, 1550, p. 131. Retour 25 Cf. Maz MS 992 (1045). Retour 26 Cf. BNF, Res. G 345, BL IB 49230. Retour 27 Cf. BNF, Res pV 347. Retour 28 Cf. BNF, Res V 1101. Retour 29 Cf. BNF, Res V 1286. Retour 30 Cf. BNF, Res G 346. Retour