mardi 27 février 2024

Louis Chatellier (1935-2016) , directeur du post doctorat de Jacques Halbronn, Soutenance novembre 2007

Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux Louis Châtellier (1935-2016) directeur du post doctorat de Jacques Halbronn 2007 Le DOminicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle 1 Sur Alphonse Dupront, voir ce qu’il écrit dans « Avant-propos », Prière et charité sous l’Ancien Ré (...) 2Nommé dans un lycée de Strasbourg, il fut chargé par V.-L. Tapié d’inventorier les monuments et objets d’art de l’Alsace pour une enquête sur le patrimoine diligentée par André Malraux. Ce Normand se plongea alors dans la documentation en allemand et s’initia à la société locale si particulière, à laquelle il s’attacha profondément. V.-L. Tapié, qui avait étudié le baroque à partir du cas tchèque, l’orientait en même temps vers l’histoire de l’Europe centrale et du Saint Empire, auxquels l’Alsace du xviie siècle se rattachait encore du point de vue linguistique, politique, religieux et culturel. Son travail d’inventaire sur les pratiques de la « religion populaire », comme on disait alors, ne pouvait que le conduire à la fréquentation d’Alphonse Dupront, et l’associer à la grande enquête sur les pèlerinages de ce dernier1. 2 Paris 1988, 530 p. 3Sa thèse d’État, soutenue à Strasbourg en 1979, sous la direction de Georges Livet, intitulée Tradition chrétienne et renouveau catholique dans le cadre de l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770)2, porte sur une région marquée par la division entre catholiques et protestants à une époque où la France en prenait possession, faisant du Rhin une frontière politique et culturelle, alors que le diocèse s’étendait sur les deux rives du fleuve. Cet ouvrage contribua à l’important renouvellement que connaissait alors l’histoire de l’Alsace. Mais Louis Châtellier, pas plus que d’autres artisans de ce renouvellement, comme Dominique Lerch et Alfred Wahl, ne devint prophète dans son pays. Avec un regret lancinant pour sa province d’adoption, il trouva sa place à l’université de Nancy, où il succéda naturellement à un pionnier de l’histoire du catholicisme moderne, René Taveneaux. Il y exerça jusqu’à sa retraite en 2003. Élu membre de l’Institut Universitaire de France en 1994, il devint directeur d’études cumulant à la cinquième section de l’EPHE en 1998, sur une chaire intitulée « Histoire du catholicisme moderne ». 3 Voir M. Vénard, D. Julia (dir.), Répertoire des visites pastorales de la France. Première série : a (...) 4 Pour une synthèse historiographique sur les confréries, voir B. Dompnier, P. Vismara, « De nouvelle (...) 5 Ouvrage tiré de la thèse : Contre-Réforme et réforme catholique en Bas-Languedoc. Le diocèse de Nîm (...) 6 Ouvrage tiré de cette thèse : Réforme protestante, Réforme catholique dans la province d’Avignon au (...) 4Dans l’ouvrage issu de sa thèse, une première partie campe le paysage, la démographie et les institutions dans un territoire complexe. La seconde, consacrée à la « vie chrétienne » se montre résolument anthropologique. Enfin sont retracées les étapes d’une mainmise politique et religieuse pilotée à partir de Versailles pour donner au diocèse de Strasbourg « le caractère d’un diocèse français » et y former le clergé sur le modèle « de l’intérieur ». L’ouvrage montre le goût de l’auteur pour la cartographie et l’analyse quantitative appliquée aux faits religieux, qu’on retrouve dans ses ouvrages suivants. Il s’inscrit dans « l’histoire des mentalités » telle qu’elle s’épanouit dans ces années, dans le sens d’une analyse anthropologique des systèmes de croyance et des représentations, fortement ancrée dans le contexte social et institutionnel. Il contribue aux chantiers d’histoire religieuse qui renouvellent alors considérablement l’histoire ecclésiastique, à travers l’étude d’objets comme les visites pastorales3, les confréries4, les pèlerinages, les miracles… Sa thèse est d’ailleurs contemporaine de celle de Robert Sauzet (1976)5 et de celle de Marc Vénard (1977)6. 7 W. Reinhard, « Was ist katholische Konfessionalisierung ? », dans W. Reinhard, H. Schilling (dir.) (...) 5Après avoir relevé les ambiguïtés de la frontière confessionnelle, qu’il était bien difficile de tracer au xviie siècle, Châtellier note que la prise de conscience de la différence entre catholiques et protestants n’intervient qu’au Siècle des Lumières, qui est celui de l’éloignement croissant entre les deux communautés chrétiennes. Son travail aurait pu alimenter le concept de « confessionnalisation catholique », que Wolfgang Reinhard promouvait dans les années 1980 pour l’histoire de l’Allemagne, mais la discussion sur cette notion ne s’était alors pas encore acclimatée en France7. 8 Paris 1987, 315 p. Ouvrage traduit et publié en anglais et en italien. 6À propos de l’art religieux, il fait le constat d’une « grande communauté baroque, de Vienne à Saverne ». Dans les ouvrages suivants, c’est davantage encore qu’il portera son regard sur une Europe catholique allant de la Pologne à l’Espagne, de la Flandre à l’Italie. Cette dimension européenne de l’œuvre de Louis Châtellier est, dans le contexte hexagonal, une de ses grandes originalités. Son grand livre, L’Europe des dévots, paru en 19878, mène l’enquête sur un espace qu’on a pu nommer la « dorsale catholique » de l’Europe, un axe allant d’Anvers à Naples, en passant par Cologne, Ingolstadt, Fribourg (Suisse). Dans cet espace, le réseau des congrégations jésuites mis en place à partir de la fin du xvie a contribué sur le temps long à la construction d’un habitus catholique spécifique, mêlant paradoxalement l’obéissance à l’ordre établi et le respect des divisions sociales d’une part, à l’initiative individuelle et à l’engagement pour la justice d’autre part. Cette synthèse entre un catholicisme militant et la société aurait posé les jalons d’un christianisme social, incarné jusqu’à nos jours dans les pays concernés par la démocratie chrétienne et le syndicalisme chrétien. Si cette thèse peut être contestée, elle n’en débouche pas moins sur un fécond horizon de débats et de recherches. 9 Paris 1993, 351 p. Ouvrage traduit et publié en anglais, italien, espagnol et portugais. 10 Voir « Les frontières de la mission », MEFRIM 109 (1997), II, p. 485-782. Contribution de Louis Châ (...) 7La religion des pauvres. Les sources du christianisme moderne XVIe–XIXe siècles, paru en 19939, poursuit la même enquête, élargie cette fois à l’Espagne et à la Pologne, et centrée sur un autre outil de cette acculturation catholique, les missions intérieures, à un moment où l’historiographie prenait conscience du lien entre l’apostolat lointain et les « Indes d’ici », et lançait des séries d’enquêtes sur celles-ci10. Par rapport à l’ouvrage précédent, celui-ci se concentre sur l’éducation des pauvres, par laquelle les campagnes-repoussoir, considérées comme siège de l’ignorance et de l’impiété au xviie siècle, se transforment en refuges de la piété et de la religion au xixe siècle. Châtellier veut en même temps démontrer que le modèle post-tridentin des missionnaires a dû s’accommoder d’une forme d’imperméabilité des campagnes, et que le christianisme qui est sorti de ce contact est le résultat de cette acculturation à l’envers, évêques et religieux « réformateurs » devant finalement accepter le culte des saints thérapeutes ou intercesseurs et le dogme de l’Immaculée Conception envers lesquels ils s’étaient montrés réticents. 11 Paris 2003, 267 p. 8À partir de 1999, les séminaires de Louis Châtellier à l’EPHE se concentrent sur les rapports entre foi, incroyance et science, qui feront l’objet du troisième ouvrage de sa trilogie, Les espaces infinis et le silence de Dieu, Science et religion, xvie-xixe siècles11. Il s’agissait d’explorer, notamment au travers d’un certain nombre de figures individuelles, pour lesquelles Châtellier avait une prédilection, comme Mersenne, Leibnitz, Buffon ou Ampère, la nature de la foi des savants confrontés aux révolutions scientifiques de leur époque. Cette enquête venait compléter ou corroborer les conclusions des ouvrages précédents sur l’évolution de la religion au siècle des Lumières. La science progressivement s’est émancipée de la religion, pour construire son propre régime de vérité. Mais la thèse de Châtellier est que la religion s’est transformée également, entre le début du xviie siècle et le début du xixe. La Bible comptait de moins en moins comme source de savoir et de vérité. Dieu s’éloignait de l’univers. Dans le même temps toutefois le Christ se faisait plus proche de l’homme que jamais, y compris du savant. 12 Citons P. Martin, Pèlerins de Lorraine, Metz 1997, 287 p., et Les chemins du sacré, Metz 1995, 358 (...) 13 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique (Syrie, Liban, Pales (...) 9Louis Châtellier a dirigé des thèses de doctorat, et a fait école à travers un certain nombre de disciples qui ont occupé par la suite des postes d’enseignants-chercheurs12. Le plus étonnant a priori est qu’il ait dirigé celle de l’auteur de cette notice13. J’ai fait sa connaissance dès ma première année d’université à Strasbourg. Il m’intimidait et me fascinait en même temps, quand il venait à chaque séance de travaux dirigés en portant sous le bras la pile d’ouvrages concernant le sujet à l’ordre du jour. Mais il a été aussi un des rares enseignants que j’ai osé aborder pour des conversations particulières. C’est par lui que j’ai découvert Montaillou, village occitan d’Emmanuel Leroy-Ladurie et La peur en Occident de Jean Delumeau, qui allaient déterminer le chemin que j’allais prendre par la suite. En préparant l’agrégation, j’ai retrouvé avec plaisir ses cours magistraux riches et bien structurés, par lesquels j’ai commencé à m’initier plus précisément à l’histoire religieuse de l’Ancien Régime. Nous avons noué alors des relations plus personnelles, où nous communions dans notre attachement à l’Alsace. Mais je me sentais attiré par les horizons levantins, pour lesquels il ne se reconnaissait aucune appétence ni compétence particulières, tout en m’encourageant à persévérer dans l’apprentissage de l’arabe. Il a avoué bien plus tard qu’il ne croyait pas à mon projet. Il lui a néanmoins donné l’impulsion décisive lorsqu’il m’a envoyé à Rome avec une bourse de l’École française de Rome et une liste d’archives jésuites à consulter. J’allais retrouver dans les fonds romains concernant les chrétiens de l’empire ottoman, puis dans ceux qui étaient conservés à Alep, les mêmes objets que ceux qu’il avait étudiés : des « courses apostoliques » des missionnaires dans les montagnes, des congrégations mariales jésuites, des manuels de dévotion très diffusés, comme ceux du jésuite Paolo Segneri, traduits en arabe. J’allais me poser à sa suite la question de la construction d’un habitus catholique et d’une différenciation confessionnelle au cours du xviiie siècle, mais cette fois dans les villes et les campagnes de Syrie. Haut de page Notes 1 Pour une bio-bibliographie complète de Louis Châtellier, voir sa notice sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Châtellier (consultée le 15 février 2017). 1 Sur Alphonse Dupront, voir ce qu’il écrit dans « Avant-propos », Prière et charité sous l’Ancien Régime = Histoire, Économie et Société 10/3 (1991), p. 281-282. Voir aussi sa contribution « Pèlerins des temps modernes », dans A. Dupront (dir.), Saint-Jacques de Compostelle. Puissances du pèlerinage, Turnhout 1985, p. 96-111. 2 Paris 1988, 530 p. 3 Voir M. Vénard, D. Julia (dir.), Répertoire des visites pastorales de la France. Première série : anciens diocèses (jusqu’en 1790), Paris 1977-1985, 4 vol. 4 Pour une synthèse historiographique sur les confréries, voir B. Dompnier, P. Vismara, « De nouvelles approches pour l’histoire des confréries », dans B. Dompnier, P. Vismara (dir.), Confréries et dévotions dans la catholicité moderne (mi XVe-début XIXe siècle), Rome 2008, p. 405-423. Contribution de L. Châtellier dans ce volume : « De la mutation des confréries au XVIIIe siècle. L’exemple rhénan », p. 193-200. 5 Ouvrage tiré de la thèse : Contre-Réforme et réforme catholique en Bas-Languedoc. Le diocèse de Nîmes au XVIIe siècle, Paris-Louvain 1979. 6 Ouvrage tiré de cette thèse : Réforme protestante, Réforme catholique dans la province d’Avignon au XVIe siècle, Paris 1993. 7 W. Reinhard, « Was ist katholische Konfessionalisierung ? », dans W. Reinhard, H. Schilling (dir.), Die katholische Konfessionalisierung, Gütersloh 1995 (Schriften des Vereins für Reformationsgeschichte 198), p. 419-452. 8 Paris 1987, 315 p. Ouvrage traduit et publié en anglais et en italien. 9 Paris 1993, 351 p. Ouvrage traduit et publié en anglais, italien, espagnol et portugais. 10 Voir « Les frontières de la mission », MEFRIM 109 (1997), II, p. 485-782. Contribution de Louis Châtellier : « La mission au XVIIIe siècle, aux frontières de l’esprit tridentin et de l’idéal des Lumières », p. 757-766. 11 Paris 2003, 267 p. 12 Citons P. Martin, Pèlerins de Lorraine, Metz 1997, 287 p., et Les chemins du sacré, Metz 1995, 358 p. ; C. Martin, Les compagnies de la Propagation de la foi, Genève 2000 ; S. Simiz, Confréries urbaines et dévotion en Champagne (1450-1830), Villeneuve-d’Ascq 2002, 402 p. ; L. Orešković, Le diocèse de Senj-Modruš en Croatie habsbourgeoise de la Contre-Réforme aux Lumières (1650-1770), Tournai 2008, 575 p. 13 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique (Syrie, Liban, Palestine, XVIIe–XVIIIe siècle), Rome 1994, 665 p. (rééd. 2014). Haut de page Table des illustrations

Aucun commentaire: