Saint Césaire comme précurseur provençal de Nostradamus.
Par
Jacques Halbronn
La question de l’antidatation ne se
pose pas uniquement pour les Centuries.
L’idée d’attribuer un texte à un
auteur plus ancien appartient à ce
genre. On connait le cas du Zohar de
Moshé de Léon (cf. Le
monde juif et l’astrologie, Ed Archè, 1985), celui de la Prophétie
de Saint Malachie (cf Papes et prophéties, Ed Axiome,
2005) mais nous avons aussi le cas du Mirabilis
Liber dont la traduction française
reparaitra au XVIIe siècle conjointement avec certaines éditions
troyennes des Centuries. C’est à la fin
du XVIIIe siècle, au lendemain de la Révolution Française que
l’on attribuera certaine pièce de ce recueil prophétique, à savoir
celle campant le personnage de Jean de
Vatiguero à Saint Césaire d’Arles, lequel vécut au Vie siècle de
notre ère et qui appartient à la même région- la Provence- que Nostradamus
I
La fortune du Mirabilis Liber de Louis XVI à Henri V
Les événements révolutionnaires eurent pour effet une certaine résurgence du Mirabilis Liber,
parfois rendu Liber Mirabilis . En dehors de la
traduction d’ailleurs quelque peu tronquée d’Edouard Bricon (1831), avec le « Livre Admirable renfermant
des prophéties, des révélations et une foule de choses étonnantes, passés,
présentes et futures, », il ne s’agira plus que d’extraits du recueil ,
traduits du latin de façon assez
orientée et aux allusions plus ou moins transparentes.
Les premières rééditions se situent
à la fin du XVIIIe siècle :
Le chant du Coq ou prophéties mémorables recueillis au
commencement du XIVe siècle pour la fin du XVIIIe, 1793.
Le focus y est mis sur Sainte
Brigitte, d’où la référence au titre au XIVe siècle, ce qui renoue avec les premières occurrences (1515). Le chant du
coq est un titre faisant directement référence
à un texte brigidien, le coq représentant la France face à l’Aigle impérial, ce qui
correspond à une des vignettes des éditions allemandes.
J.A. S. CH. « Prédiction
pour la fin du XVIIIe siècle tirée du
Mirabilis Liber ». On en connait deux
éditions. (BNF Vp 16055-6). L’auteur, à
la toute fin du siècle, prend la peine
de guider le lecteur : « en demandant
à la Bibliothèque le volume
in 12 (cote Z 2537) portant en titre Mirabilis Liber (.)
On trouvera la prédiction qui a excité la curiosité publique depuis le bas de
la première colonne du folio 55 jusqu’au
haut de la première colonne du fol. 58 » (pp. 3-4)
D’aucuns y virent annoncée la figure
de Napoléon (au lendemain d’Austerlitz) : « Prophétie qui n’a
jamais été imprimée (sic) dont on voit
aujourd’hui l’accomplissement parfait tirée d’un livre très rare,
intitulé Liber Mirabilis (sic) mise au jour par E. J. B. Vignier (…) présenté à
son Eminence le Cardinal Caprara (…) »
Paris 1806 (BNF Rp 2395)
D’autres celle
de Louis XVIII, au début de la
Restauration :
1814 Prophétie
de Saint Césaire au Vie siècle
par M. L. C. de R. C’est-à-dire le Chevalier de Roujoux.
1815
Prophétie écrite en 540 par Césaire évêque d’Arles,
Paris, 1815
Prophétie recueillie et
transmise par Jean de Vatiguerro extrait du Liber Mirabilis par le chanoine Hyacinthe-Olivier Vitalis, Carpentras, 1814. L’auteur y mentionne le récent travail de Roujoux.
En 1848 pour 1849, à la suite des
évenements qui conduisirent à la chute de Louis-Philippe, l’ »Almanach
prophétique, pittoresque et utile (…)
publié par l’auteur de « Nostradamus »
Eug. Bareste », évoquera (pp/ 68 et seq.) notre ouvrage (BNF 8° Lc 22-124, 1849(A9))/ sous le titre « Prophétie de Saint Césaire,
évêque d’Arles » : » On vient
de remarquer qu’après avoir
retracé en traits rapides et expressifs
nos grandes agitations politiques, saint Césaire fait luire en terminant d’heureuses espérances. A la
suite de tant d’années d’orage, il laisse
entrevoir l’heure de la paix et de la concorde « (p. 72)
Mais c’est bien dans les
dernières années du XVIIIe siècle que le « revival » du Mirabilis Liber doit être situé
avec un texte qui circule attribué à Saint Césaire, évêque d’Arles du Ive siècle
sans que l’on connaisse les raisons d’une telle indication si ce n’est la
volonté d’associer à un texte le nom
d’un prélat français, dont le nom n’apparait nulle part dans le recueil. En tout état de cause, le texte qui attire
l’attention ne fait que quelques pages, au sein du Mirabilis Liber, et se
présente comme l’œuvre d’un certain Jean de Vatiguero. Il est
perçu comme annonçant le rétablissement de la monarchie, au lendemain de la Terreur.
La Bibliothèque Royale qui en possède des
exemplaires : l’existence de
passages jugés éloquents, ce qui alerte les services de police et conduit à la
suspension d’un bibliothécaire un peu trop complaisant. Un document circule
dont le signalement est conservé dans
les Archives Nationales (F 6165) : « ¨Prophétie de Saint
Césaire » (…) tirés d’un livre intitulé
Liber Mirabilis »
Jean
Harmand, en 1913 (cf infra) signale un écho à cette affaire dans le « Magasin
Encyclopédique ou Journal des Sciences, des lettres et des arts
rédigé par A. L. Millin. »
(c 1799). Dans le nouveau département de
l’Oise, à Compiégne, la police est sur
le qui-vive, vers 1798, car l’opinion est sensibilisée..
Le recyclage de la chronologie
dépassée du Mirabilis Liber passe par le recours à l’ère dioclétienne, ce
qui permet ainsi de se situer dans le XVIIIe siècle et non plus dans le XVIe.
De même avait-on reconverti une prophétie pour 1588 en une annonce pour 1788. (cf notre étude « Exégèse prophétique de la
Révolution Française », Politica
Hermetica, n°8, 1997).
A partir de l’effondrement du Second
Empire, une nouvelle vague
prophétique profite à la fortune du Mirabilis Liber avec notamment la
question du Comte de Chambord, désigné par ses partisans sous le nom d’Henri V.
Lyon 1870
« Recueil de prophéties
remarquables (Bib. Arsenal 8°H 11542 (9) (…)
Saint Césaire etc. On y trouve (p. 33)
les « Prédictions recueillies par
Jean de Vatiguero, vulgairement
attribuées à Saint Césaire
d’Arles ». On y précise que les
dates avancées peuvent être revues à la lumière des événements qui y sont
décrits. Il semble qu’il s’agisse d’un digest
d’un ouvrage de Collin de Plancy paru la même année
En 1871, Adrien Péladan publie
un « Nouveau Liber
Mirabilis où toutes les prophéties
authentiques sur les temps présents «, Nimes. Le titre « Liber
Mirabilis » sert ici à désigner un
recueil prophétique.
On notera « l’Etonnante prophétie du Mirabilis Liber touchant notre
époque et jusqu’à la fin du monde copiée à la Bibliothèque Nationale à Paris et
traduite par M. Le chevalier de Maynard
« (Fontenay-le Comte, 1883, Bib. Arsenal
Br 43900) faisant allusion à
Henri V (qui meurt en cette même année 1883) et au pape Pie IX. En 1896, paraissent « L es Prophéties Modernes, Recueil des principales prédictions relatives
à l’avenir prochain de la France : (…) Saint Césaire) »,
à Foix.
On y retrouve la « Prophétie de Saint Césaire » (pp. 12 et
seq), dans la traduction de l’abbé Trichaud et on nous dit que selon l’abbé
Curicque, le texte se trouve « rapporté dans les œuvres de Saint Augustin
au tome IV de l’édition des Bénédictins, Livre de l’Antéchrist ». Mais il s’agit en réalité ici du texte campant Jean de Vatiguero et
évoquant les « fils de Brutus ». Or dans son ouvrage « Histoire de Saint Césaire, archevêque d’Arles »,
Arles, 1853, (BNF 8 Ln27 3771, l’abbé Trichaud écrivait (p.
336) sous le titre « Prophéties de
saint Césaire » :
« Dans le Liber Mirabilis, Jean
de Vatiguerre (sic) a recueilli des prédictions attribuées vulgairement à saint
Césaire, archevêque d’Arles qui vivait, dit-il, sous le régné de Dioclétien.
Cet auteur commet une faute historique impardonnable. Saint Césaire n’a vécu
que deux cents ans après le cruel
persécuteur des chrétiens. L’erreur seule démontre la fausseté de ces écrits
apocryphes »
Quelle est au vrai la raison d’être
de ce genre du recueil prophétique qui connait un second souffle, un nouvel âge
d’or, au XIXe siècle, succédant ainsi à l’effervescence du XVIe siècle ?
On peut parler d’une volonté de faire apparaitre une certaine « concordance »,
pour reprendra des titres de Pierre
d’Ailly. On cherche à montrer les convergences entre des auteurs et des
périodes fort différents. Or, dans bien des cas, les textes tendent à reprendre
les mêmes thèmes quand ils ne sont pas
copiés les uns sur les autres. On
comprend mieux, dès lors, pourquoi l’on
n’aura pas cherché avec plus de vigueur
à en montrer davantage l’unité.
On rappellera que le monument prophétique le plus remarquable du XIXe
siècle aura probablement été celui qui est connu sous le titre de « Prophétie
d’Orval », sous la Monarchie de Juillet. (cf. notre étude in Le texte
prophétique en France, op. cité)
II
Le traitement du recueil par les bibliographes
Le recueil va
pourtant, tout au long du XIXe siècle et au-delà, conserver le mystère de ses origines. Dans « Mon
oncle le Crédule », de Déodat de
Boipreaux, en 1820, alors que Napoléon n’est pas encore décédé, l’ensemble est décortiqué, analysé, sur des dizaines de pages (tome II). On y
trouve une étude intitulée « Auteurs connus ou présumés du Mirabilis Liber » (pp. 116 et seq) sans qu’aucun rapprochement ne soit
proposé avec la production de Lichtenberger ou même avec un quelconque ouvrage
d’origine étrangère.
En 1829, à son tour, Charles Nodier
aborde (Mélanges tirés d’une petite bibliothèque
ou variétés littéraires et
philosophiques, Paris, Crapelet (Bib Arsenal,
Grande Réserve 8°Z 12307) le cas de ce
recueil (XXXI, pp. 234 et seq) : « De quelques prophéties qui se sont
réalisés et en général des ouvrages qui traitent de l’art de prédire ou qui
annoncent les évènements futurs ». Cela débute par l’étude du Mirabilis Liber. Nodier rappelle que la fortune du recueil
date de la Révolution. Il précise à juste titre (p. 238) qu’il ne faut pas
confondre le Mirabilis Liber
et le « Livre Merveilleux » (cf.
Notre ouvrage Le texte prophétique en France, formation et fortune,
Ed. du Septentrion, 1999). Mais pour ce qui concerne notre sujet, nous reproduirons ce que Nodier écrit (p. 239) sur
Lichtenberger (dans une édition datée de 1508 de la Pronosticatio) dont il ne
perçoit pas la parenté avec le Mirabilis
Liber :
« Il est orné de 44 vignettes
en bois, sans compter le frontispice et une figure finale qui représente le
prophéte ». Il est vrai que si les vignettes n’avaient pas été supprimées
de l’édition française, il ne fait pas de doute que l’on n’aurait pas
tardé à
établir les convergences. Ce qui
est étonnant, c’est que le latin de Lichtenberger est conservé dans le Mirabilis Liber. Certes, il a
existé des traductions françaises mais sous la Révolution et au XIXe siècle,
aucun rapprochement n’est fait entre celles-ci et l’original, à telle enseigne
que Bricon s’engagera, en 1830, dans ce qu’il croit être la première traduction
de la partie latine du recueil. Le même
Bricon avait publié en 1830 un Recueil
de prédictions depuis le seizième siècle jusqu’à la consommation des temps,
Paris, à la librairie du même nom. (BNF
R 48368) qui comporte, avec le français en vis-à-vis du latin, la « Prédiction de Jean de Vatiguero connu sous le nom de
prophétie de Saint Césaire » (pp. 49 et seq) en se référant au Liber
Mirabilis. « Livre qui n’est autre chose
qu’un recueil de prophéties dans le genre de celui que je publie ». Dans
son commentaire, Bricon reprend la thèse de la possibilité de modifier les
dates avancées par le dit Vatiguero et qui sont en fait celles de Lichtenberger
pour le début du XVIe siècle. (cf. supra)
En 1870, Collin de Plancy publie un
recueil de pièces prophétiques, illustré d’un certain nombre d’images, renouant
ainsi avec la tradition germanique. Il y a étudié séparément le « Liber mirabilis » et le «
Lichtenberger ».
Sur le « Liber
Mirabilis » -suivi de Prédictions
recueillies par Jean de Vatiguero, vulgairement attribuées à saint
Césaire », l’auteur reconnait que
tout l’intérêt de ce texte placé à la fin de la partie latine, tient au fait
qu’il comporte toute une série de dates qui, même si elles semblent décalées au
regard du XVIIIe siècle, n’en fournissent pas moins un certain scénario qui
semble évoquer les événements révolutionnaires qui agitèrent la France.
Puis il passe, un peu plus loin, à la
« Prédiction de
Lichtenberger » (pp. 68 et
seq) dont il donne des cotes de la Bibliothèque Royale (sic) et de la
Bibliothèque Sainte Geneviève, avec un texte proposant des clefs : le lis
pour le Roi de France, l’aigle pour
l’empereur. Mais avec l’empire
napoléonien, l’aigle ne renvoie plus forcément, comme au XVIe siècle, à l’Allemagne et la perte annoncée de la couronne par le roi de France
n’implique plus une conquête venue de l’étranger. Une fois de plus, le
rapprochement entre le Mirabilis Liber et
Lichtenberger n’aura pas lieu.
En 1913, Jean
Harmand consacre une étude qui parait dans la Revue des
Etudes Historiques
(Septembre-octobre 1913) « Une prophétie du XVIe siècle sur la Révolution. Le Liber
Mirabilis ». Harmand note à tort,
que « durant toute la période napoléonienne, le Liber Mirabilis
rentre dans l’ombre pour renaitre semble—t-il avec les espoirs
royalistes ». On a signalé (cf supra), en effet, une
publication de 1806 qui n’est nullement royaliste, ce qui montre
que chacun pouvait trouver dans de tels
textes ce qui va dans son sens.
L’approche scientifique de cette
littérature prophétique comporte bien des aléas. Si d’une part, on nous parle,
sous la Révolution, d’un Saint Césaire dont on ne trouve pas de trace dans le Mirabilis Liber, on ne
parvient pas, d’autre part- encore en 1913, dans l’étude de
Jean Harmand qui parait dans la
« Revue des Etudes historiques »
(cf supra) - à établir des connexions entre Lichtenberger – en italien, son nom
est maintenu ainsi que les vignettes -, le Mirabilis Liber et les traductions françaises du XVIe siècle de
la partie latine (entrées par ailleurs dans le corpus Nostradamus), sous le titre de « Recueil de Prophéties et Révélations tant anciennes que
modernes », ce qui rend pourtant assez
fidèlement le sous-titre latin « qui prophetias revelationesque presentes
et futuras demonstrat ». Même après la traduction française de Bricon, en
1831, on ne fera pas le rapprochement
avec le volume qui est associé aux
centuries de Nostradamus et dont une nouvelle édition parait en 1866, à Paris,
chez Delerue. On a vu que Nodier, en
1829, qui semble avoir eu sous la
main tant le Mirabilis Liber que la Pronosticatio de
Lichtenberger les considérait comme deux
ensembles distincts, tout autant que le « Livre Merveilleux »- qui
est diffusé en France dans la seconde moitié du XVIe siècle- marqué par
l’apport de Telesphore de Cosenze. Pas davantage, n’établissait-on, il y a
encore un siècle, de lien entre la
« Prophetia Mirabilis de Sainte
Brigitte » (Lyon, 1515) et le Mirabilis Liber, paru à la
suite, alors même que le nom de la sainte figure dans le dit recueil et est
mentionné dans les traductions françaises, au titre. Il semble que ce
cloisonnement ait tenu au fait que l’on ait plus accordé d’importance au
signifié qu’au signifiant, à la filiation des idées qu’à celle des textes et de
leur arborescence.
En 1830-1831, au début de la
Monarchie de Juillet, Edouard
Bricon juge bon de faire connaitre dans sa totalité le Mirabilis Liber, dont il
traduit d’abord la prophétie de Vatiguero puis
le reste, non sans quelques
coupes. Il considère comme
particulièrement important dans le Mirabilis Liber la pièce prise de Jérome Savonarole de Ferrare. (p. VI) et que l’on retrouve dans la Préface de
Nostradamus à César, comme le notera
l’abbé Torné Chavigny. Bricon avoue « il
m’a été impossible de m’assurer quels sont les véritables auteurs des pièces
anonimes de ce livre. Je ne pense pas qu’il y en ait de saint Césaire, mort
près de mille ans avant son impression »
III
Le traitement du corpus « Lichtenberger » à la BNF
Si l’on étudie la situation à la
Bibliothèque Nationale de France, on note que le Mirabilis Liber n’est toujours
pas, dans le catalogue, associé au nom de Lichtenberger- en dépit de
l’exposition que nous y avons organisé
en 1994, « Astrologie et prophétie.
Merveilles sans images » - dont
l’établissement possédé deux exemplaires d’ une édition datée de 1499, à
Strasbourg, chez B. Kistler (BNF Réserve
pR 385 et D 5451, exemplaire
tronqué en son début) et une édition datée de 1526, dotées des vignettes
appropriées. La BNF utilise d’ailleurs parallèlement la forme « Johann
Lichtenberger » et « Jean de Lichtenberg », ce qui peut aussi
générer quelque confusion. Quant au « Recueil
des Prophéties et Révélations »,
il faut le chercher sous le nom d’un certain François Gruget (Paris, Le
Mangnier, 1561), sans que l’on ait la
moindre idée quant à la raison d’une telle attribution, d’autant que cette
traduction du latin vers le français
reprend une mouture antérieure
parue sous le nom de Prophétie Merveilleuse (cf supra). Le nom de Sainte
Brigitte de Suède (1303 ?-1373)
figure également dans la notice bibliographique pour le dit « Recueil des
Prophéties et Révélations ». On connait une édition toulousaine de 1590
‘(BNF D 11023) de la « Prophetia divae Brigittae ; viduae, anno Salutis
1360 ».
Est-ce que cela fait sens de décrire ainsi dans un catalogue un recueil par
l’auteur (supposé) de l’une de ses pièces faute d’identifier l’auteur du recueil en tant que tel ? Dans ce cas, il faudrait procéder de même
pour chaque pièce d’un recueil par-delà les noms signalés au titre.
La question qui se pose dans le
référencement des recueils est évidemment celle
des auteurs des dits recueils. Il
nous apparait que ces auteurs doivent être signalés comme tels et non pas telle
ou telle pièce des dits recueils. Dans le cas de Lichtenberger, en dépit des emprunts
qu’il a pu effectuer (cf supra), il
reste l’auteur d’une compilation bien précise dont il importe de suivre
tous les avatars. On définira un recueil par l’agencement, l’ordre précis des
pièces qui s’y trouvent et qui est censé faire sens au même titre que l’ordre
des mots dans un texte. Il est probable que la numérisation croissante des
documents devrait mettre fin aux cloisonnements qui persistent encore indument.
Peut-on plagier l’auteur d’un recueil sous prétexte que les pièces qui s’y
trouvent ne sont pas de son cru quand bien même, comme dans le cas du Mirabilis Liber, on aurait adjoint
au dit recueil un second volet en français, ne figurant pas dans le
recueil d’origine en question
ou supprimé les vignettes qui en faisaient partie et dont l’absence aura
évité certains rapprochements
entre un recueil allemand et un recueil
français? Nul doute que la
question du classement des recueils ne soit toujours la bête noire des bibliographes et des
bibliothécaires. Dans le cas de Lichtenberger, une difficulté vient s’ajouter,
à savoir que le titre de l’ouvrage n’indique aucunement qu’il s’agisse d’un
recueil, vu qu’il se présente comme une
pronostication (en allemand on emploie le terme latin Practica,
qui est celui utilisé dans les incunables latins des premières éditions) pour
une année donnée suivie de la
formule « et les suivantes. » (« et
sequentibus quam plurimis annis»)
Or, un tel stratagème conduisant
à dépasser le cadre prévu du genre
est précisément celui que Nostradamus utilisera, quelque peu abusivement, dans son almanach
pour 1562 dédié au pape Pie IV (dont
seules des traductions italiennes de la partie
à long terme, nous sont parvenues, du moins sous la forme imprimée avec
des titres indiquant que l’ouvrage
couvre plusieurs années, et dont la BNF possédé des exemplaires). Le fait que
le recueil de Lichtenberger soit à
cheval sur le XVe et les XVIe siècles ne facilite pas les choses du fait que
les incunables dépendent, à la BNF, d’un
autre service. On rappellera que le nom même de Lichtenberger ne figure pas au titre de son recueil, dans les
éditions de la fin du XVe siècle mais seulement dans celles des années 1520 et
au-delà.
La plupart des éditions du recueil
de Lichtenberger mettent dans leur titre
et dans leur frontispice l’accent sur la conjonction Jupiter-Saturne de 1484.
Cela vaut tant pour les édtions de 1492 que pour celles qui paraitront trente
ans plus tard. Une exception toutefois avec les éditions strasbourgeoises de
1499 dont ni le titre, ni le frontispice ne vont dans ce sens, même si le
thème y est bel et bien abordé, avec
l’illustration correspondante, dans le corps de l’ouvrage. Mais la question de
la qualité même des vignettes va dans le sens
d’une première édition de
meilleure qualité formelle que les suivantes et dont il ne nous est parvenu que
des éditions datées de 1499. Nous supposerons donc qu’il ne s’est agi à
Strasbourg que de la résurgence d’une éition première entre temps disparue.
Il est d’ailleurs intéressant de comparer les
variantes sur le même schéma : dans l’édition de 1499, un des personnages maîtrisant un taureau porte une couronne
laquelle a disparu au frontispice de 1526. L’édition 1499 est sensiblement plus travaillée en ce qui
concerne les autres éditions que nous connaissons tant plus anciennes que plus
tardives. On peut certes s’interroger sur le point de savoir si les vignettes
qu’elle comporte ont été améliorées ou si, au contraire, elles correspondent à un état initial qui
aura été corrompu ou tronqué par la suite- ce que nous tendons présentement à
penser- et dont l’édition 1499 porterait témoignage.. On notera, par ailleurs, que l’édition
1499 conservée à la BNF et à la BSB de
Munich (cote 4° Inc. c. a.
1647 ; exemplaire numérisé avec
une page de titre différente), ne
comporte pas de vignettes pour la dernière partie du texte et qu’elle ne
dispose pas, en outre, d’une vignette figurant ,dans toutes les autres éditions
qui nous sont connues, un moine en train de flageller un autre moine. (comparer
avec l’édition de 1492 , Modéne, BNF
Microfilm D 8548, numérisation des vignettes sur http://www.propheties.it/pronosticatione.htm
) .
Nous pensons que la vignette de la flagellation
aura été rajoutée par rapport à la première édition que nous ne connaissons
que par celles de 1499. De même
aura-t-on ajouté quelques vignettes à la
fin du recueil. On voit mal pourquoi on aurait supprimé des vignettes en
1499.
La question de la chronologie se pose donc, comme dans notre étude sur le
Splendor Solis (RFHL, 2012), sur la base
de la comparaison des vignettes entre elles d’ une édition à l’autre. Jusqu’à nouvel ordre, nous pensons que les
exemplaires Strasbourg 1499 que nous avons
recensés correspondent à un état plus
ancien que les autres éditions qui nous sont parvenues dont les vignettes,
selon nous, ont été tronquées et sont singulièrement plus sommaires. Certes, l’on pourrait vouloir soutenir la
thèse inverse d’éditions aux vignettes enrichies, agrandies. Quant au titre de
ces éditions 1499 , « Hec practica
narrat de presenti a[n]no et seque[n]tibus quamplurimis annis de nouis raris et
inauditis rebus et gestis que futura sunt in hoc mu[n]do », il nous semble
également correspondre à une formulation première. L’intitulé de 1492 se réfère quant à lui directement à la
conjonction « Pronosticatio latina
[Joannis Lichtenbergeri], anno LXXXVIII ad magnam conjunctionem Saturni et
Jovis quae fuit anno LXXXIIII ac eclipsim solis anni sequentis... conjecta.
».. Cela explique pourquoi la vignette
correspondant à la dite conjonction et qui figure déjà à l’intérieur de
l’ouvrage, à la place adéquate, a été
placée en frontispice selon nous dans un deuxième temps, pour faire croire au
lecteur que tel est le sujet principal de l’ouvrage.
1 commentaire:
Bonne ambiance, bonne présentation etc... C’est un régal dans la journée que de venir le parcourir…
Merci d’être ce que tu es, et ne change pas surtout.
voyance gratuite par mail
Enregistrer un commentaire