samedi 16 septembre 2017

jacques Halbronn Saint Césaire comme précurseur provençal de Nostradamus


 Saint Césaire  comme  précurseur provençal de Nostradamus.
Par  Jacques  Halbronn
La question de l’antidatation ne se pose pas uniquement pour les Centuries.  L’idée  d’attribuer un texte à un auteur  plus ancien appartient à ce genre.  On connait le cas du Zohar  de  Moshé de Léon (cf. Le monde juif et l’astrologie,  Ed Archè, 1985), celui de la Prophétie de  Saint Malachie (cf Papes et prophéties, Ed Axiome, 2005) mais nous avons aussi le cas du Mirabilis Liber dont la traduction française reparaitra  au XVIIe siècle  conjointement avec certaines éditions troyennes des Centuries.   C’est à la fin du XVIIIe siècle, au lendemain de la Révolution Française  que  l’on attribuera certaine pièce de ce recueil prophétique, à savoir celle  campant le personnage de Jean de Vatiguero  à Saint Césaire d’Arles, lequel vécut au Vie siècle de notre  ère et qui appartient à la  même région- la Provence- que Nostradamus
I    La fortune du Mirabilis  Liber  de Louis XVI à Henri V
Les événements révolutionnaires  eurent pour effet  une certaine résurgence du Mirabilis Liber, parfois rendu  Liber Mirabilis . En dehors de la traduction d’ailleurs quelque peu tronquée d’Edouard Bricon (1831),  avec le «  Livre Admirable renfermant des prophéties, des révélations et une foule de choses étonnantes, passés, présentes et futures, », il ne s’agira plus que d’extraits du recueil , traduits du latin de façon  assez orientée et aux allusions plus ou moins transparentes.
Les premières rééditions se situent à la  fin du XVIIIe siècle :
Le chant du Coq  ou prophéties mémorables recueillis au commencement du XIVe siècle pour la fin du XVIIIe,  1793.  Le focus  y est mis sur Sainte Brigitte, d’où la référence au titre au XIVe siècle, ce qui renoue avec  les premières occurrences (1515). Le chant du coq est un titre faisant directement référence  à un texte brigidien, le coq représentant  la France face à l’Aigle impérial, ce qui correspond à une des vignettes des éditions allemandes.
J.A. S. CH.  « Prédiction pour la fin du XVIIIe siècle  tirée du Mirabilis Liber ». On en connait deux éditions. (BNF Vp 16055-6).  L’auteur, à la toute fin du siècle,  prend la peine de guider le lecteur : « en demandant  à la Bibliothèque le  volume in  12 (cote  Z 2537) portant en titre Mirabilis Liber (.) On trouvera la prédiction qui a excité la curiosité publique depuis le bas de la première colonne du folio  55 jusqu’au haut de la première colonne du fol. 58 » (pp. 3-4)
 D’aucuns y virent annoncée la figure de Napoléon (au lendemain d’Austerlitz) : « Prophétie  qui n’a jamais été imprimée (sic) dont on voit  aujourd’hui l’accomplissement parfait tirée d’un livre très rare, intitulé Liber Mirabilis (sic) mise au jour par E. J. B. Vignier (…) présenté à son Eminence le Cardinal Caprara (…) » Paris  1806  (BNF  Rp 2395)
 D’autres celle  de Louis XVIII, au début de  la Restauration :
1814   Prophétie de Saint  Césaire  au Vie siècle  par M. L. C. de R.  C’est-à-dire le Chevalier de Roujoux.
1815  Prophétie écrite en 540  par Césaire évêque d’Arles, Paris, 1815
Prophétie recueillie et transmise par  Jean de Vatiguerro  extrait du Liber Mirabilis   par le chanoine  Hyacinthe-Olivier Vitalis, Carpentras, 1814.   L’auteur y mentionne le récent travail  de Roujoux.
En 1848 pour 1849, à la suite des évenements qui conduisirent à la chute de Louis-Philippe,  l’ »Almanach prophétique, pittoresque et utile  (…) publié par l’auteur de «  Nostradamus » Eug. Bareste »,  évoquera (pp/  68 et seq.) notre ouvrage (BNF  8° Lc 22-124, 1849(A9))/ sous le  titre « Prophétie de Saint Césaire, évêque d’Arles » : » On vient  de remarquer qu’après avoir  retracé  en traits rapides  et expressifs  nos grandes agitations politiques, saint Césaire fait luire   en terminant d’heureuses espérances. A la suite  de tant d’années d’orage, il laisse entrevoir  l’heure de la paix  et de la concorde « (p. 72)
  Mais c’est bien  dans les dernières années du XVIIIe siècle que le « revival » du Mirabilis Liber doit être situé avec un texte qui circule attribué à Saint Césaire, évêque d’Arles du Ive siècle sans que l’on connaisse les raisons d’une telle indication si ce n’est la volonté  d’associer à un texte le nom d’un prélat français, dont le nom n’apparait nulle part dans le recueil.  En tout état de cause, le texte qui attire l’attention ne fait que quelques pages, au sein du Mirabilis Liber, et se présente comme l’œuvre d’un certain Jean de Vatiguero.  Il est  perçu comme annonçant le rétablissement de la monarchie, au lendemain  de la Terreur. 
 La Bibliothèque Royale qui en possède des exemplaires : l’existence  de passages jugés éloquents, ce qui alerte les services de police et conduit à la suspension d’un bibliothécaire un peu trop complaisant. Un document circule dont le signalement est conservé  dans les Archives  Nationales (F 6165) : « ¨Prophétie de Saint Césaire » (…) tirés d’un livre intitulé  Liber Mirabilis »
Jean  Harmand, en 1913 (cf infra) signale un écho à cette affaire  dans le « Magasin  Encyclopédique ou Journal des Sciences, des lettres et des arts  rédigé par  A. L.  Millin. »  (c 1799). Dans le nouveau département de l’Oise, à Compiégne,  la police est sur le qui-vive, vers 1798, car l’opinion est sensibilisée..
Le recyclage de la chronologie dépassée du Mirabilis Liber  passe par le recours à l’ère dioclétienne, ce qui permet ainsi de se situer dans le XVIIIe siècle et non plus dans le XVIe. De même avait-on reconverti une prophétie pour 1588 en une  annonce pour 1788. (cf  notre étude « Exégèse prophétique de la Révolution Française », Politica Hermetica, n°8, 1997). 
A partir de l’effondrement du Second Empire,  une nouvelle vague prophétique  profite à la fortune du Mirabilis Liber avec notamment la question du Comte de Chambord, désigné par ses partisans sous le nom d’Henri V.
Lyon   1870  «  Recueil de prophéties remarquables (Bib. Arsenal 8°H 11542 (9) (…) Saint Césaire etc. On y trouve  (p. 33) les « Prédictions  recueillies par Jean de Vatiguero, vulgairement  attribuées à Saint  Césaire d’Arles ».  On y précise que les dates avancées peuvent être revues à la lumière des événements qui y sont décrits. Il semble qu’il s’agisse d’un digest  d’un ouvrage de Collin de Plancy paru la même année
En 1871, Adrien Péladan publie un   « Nouveau  Liber Mirabilis  où toutes les prophéties authentiques sur les temps présents «,  Nimes. Le titre «  Liber Mirabilis » sert ici à  désigner un recueil prophétique.
On notera « l’Etonnante prophétie du Mirabilis Liber touchant notre époque et jusqu’à la fin du monde copiée à la Bibliothèque Nationale à Paris et traduite par M. Le chevalier de Maynard « (Fontenay-le Comte, 1883, Bib. Arsenal  Br 43900)  faisant allusion à Henri V (qui meurt en cette même année 1883) et au pape Pie IX. En 1896,  paraissent «  L es Prophéties Modernes,  Recueil des principales prédictions relatives à l’avenir prochain de la France : (…) Saint Césaire) », à  Foix.  On y retrouve la « Prophétie de Saint Césaire » (pp. 12 et seq), dans la traduction de l’abbé Trichaud et on nous dit que selon l’abbé Curicque, le texte se trouve « rapporté dans les œuvres de Saint Augustin au tome IV de l’édition des Bénédictins, Livre de l’Antéchrist ».  Mais il s’agit en réalité ici  du texte campant Jean de Vatiguero et évoquant les « fils de Brutus ». Or dans son ouvrage « Histoire de Saint Césaire, archevêque d’Arles », Arles, 1853, (BNF  8  Ln27 3771, l’abbé Trichaud écrivait  (p. 336)  sous le titre « Prophéties de saint Césaire » :
« Dans le Liber Mirabilis, Jean de Vatiguerre (sic) a recueilli des prédictions attribuées vulgairement à saint Césaire, archevêque d’Arles qui vivait, dit-il, sous le régné de Dioclétien. Cet auteur commet une faute historique impardonnable. Saint Césaire n’a vécu que deux cents ans  après le cruel persécuteur des chrétiens. L’erreur seule démontre la fausseté de ces écrits apocryphes »
Quelle est au vrai la raison d’être de ce genre du recueil prophétique qui connait un second souffle, un nouvel âge d’or, au XIXe siècle, succédant ainsi à l’effervescence du XVIe siècle ? On peut parler d’une volonté de faire apparaitre une certaine « concordance », pour reprendra  des titres de Pierre d’Ailly. On cherche à montrer les convergences entre des auteurs et des périodes fort différents. Or, dans bien des cas, les textes tendent à reprendre les mêmes thèmes  quand ils ne sont pas copiés les uns sur les autres.  On comprend mieux, dès lors, pourquoi  l’on n’aura pas cherché avec plus de vigueur  à en montrer davantage l’unité.  On rappellera que le monument prophétique le plus remarquable du XIXe siècle aura probablement été celui qui est connu sous le titre de « Prophétie d’Orval », sous la Monarchie de Juillet. (cf. notre étude in Le texte prophétique en France, op. cité)
II  Le traitement du recueil par les bibliographes
Le recueil  va  pourtant, tout au long du XIXe siècle et au-delà,  conserver le mystère de ses origines.  Dans « Mon oncle le Crédule », de Déodat de Boipreaux, en 1820, alors que Napoléon n’est pas encore décédé,  l’ensemble est décortiqué, analysé,  sur des dizaines de pages (tome II). On y trouve une étude intitulée « Auteurs connus ou présumés du  Mirabilis Liber » (pp. 116  et seq) sans qu’aucun rapprochement ne soit proposé avec la production de Lichtenberger ou même avec un quelconque ouvrage d’origine étrangère.
En 1829, à son tour, Charles Nodier aborde (Mélanges tirés d’une petite bibliothèque ou variétés littéraires  et philosophiques, Paris, Crapelet (Bib Arsenal, Grande Réserve 8°Z 12307)  le cas de ce recueil (XXXI, pp. 234 et seq) : « De quelques prophéties qui se sont réalisés et en général des ouvrages qui traitent de l’art de prédire ou qui annoncent les évènements futurs ». Cela débute par l’étude du Mirabilis Liber.  Nodier rappelle que la fortune du recueil date de la Révolution. Il précise à juste titre (p. 238) qu’il ne faut pas confondre le Mirabilis Liber et le « Livre Merveilleux » (cf.  Notre ouvrage  Le texte prophétique en France, formation et fortune, Ed. du Septentrion, 1999). Mais pour ce qui concerne notre sujet, nous  reproduirons ce que Nodier écrit (p. 239) sur Lichtenberger (dans une édition datée de 1508 de la Pronosticatio) dont il ne perçoit pas la parenté avec le Mirabilis Liber :
« Il est orné de 44 vignettes en bois, sans compter le frontispice et une figure finale qui représente le prophéte ». Il est vrai que si les vignettes n’avaient pas été supprimées de l’édition française, il ne fait pas de doute que l’on n’aurait pas tardé  à  établir les convergences.   Ce qui est étonnant, c’est que le latin de Lichtenberger est conservé dans le Mirabilis Liber. Certes, il a existé des traductions françaises mais sous la Révolution et au XIXe siècle, aucun rapprochement n’est fait entre celles-ci et l’original, à telle enseigne que Bricon s’engagera, en 1830, dans ce qu’il croit être la première traduction de la partie latine du recueil.  Le même Bricon avait publié en 1830 un Recueil de prédictions depuis le seizième siècle jusqu’à la consommation des temps, Paris,   à la librairie du même nom. (BNF R 48368) qui comporte, avec le français en vis-à-vis du latin,  la « Prédiction  de Jean de Vatiguero connu sous le nom de prophétie de Saint Césaire » (pp. 49 et seq) en se référant au  Liber Mirabilis. « Livre qui n’est autre chose qu’un recueil de prophéties dans le genre de celui que je publie ». Dans son commentaire, Bricon reprend la thèse de la possibilité de modifier les dates avancées par le dit Vatiguero et qui sont en fait celles de Lichtenberger pour le début du XVIe siècle. (cf. supra)
En 1870, Collin de Plancy publie un recueil de pièces prophétiques, illustré d’un certain nombre d’images, renouant ainsi avec la tradition germanique. Il y a étudié séparément  le « Liber  mirabilis »  et le «   Lichtenberger ».
Sur le «  Liber Mirabilis »  -suivi de Prédictions recueillies par Jean de Vatiguero, vulgairement attribuées à saint Césaire », l’auteur  reconnait que tout l’intérêt de ce texte placé à la fin de la partie latine, tient au fait qu’il comporte toute une série de dates qui, même si elles semblent décalées au regard du XVIIIe siècle,  n’en  fournissent pas moins un certain scénario qui semble évoquer les événements révolutionnaires qui agitèrent la France.   Puis il passe, un peu plus loin, à  la « Prédiction de  Lichtenberger » (pp. 68  et seq) dont il donne des cotes de la Bibliothèque Royale (sic) et de la Bibliothèque Sainte Geneviève, avec un texte proposant des clefs : le lis pour le Roi de France,  l’aigle pour l’empereur. Mais avec l’empire  napoléonien, l’aigle ne renvoie plus forcément, comme au XVIe siècle,  à l’Allemagne et la perte annoncée  de la couronne par le roi de France n’implique plus une conquête venue de l’étranger. Une fois de plus, le rapprochement entre le Mirabilis Liber et  Lichtenberger n’aura pas lieu.
En 1913,   Jean  Harmand consacre une étude qui parait dans la Revue  des  Etudes  Historiques (Septembre-octobre 1913)  « Une prophétie  du XVIe siècle sur la Révolution. Le Liber Mirabilis ». Harmand note à tort,  que «  durant toute la période napoléonienne, le Liber  Mirabilis  rentre dans l’ombre pour renaitre semble—t-il avec les espoirs royalistes ». On a signalé (cf supra), en effet,  une  publication de 1806 qui n’est nullement royaliste, ce qui montre que  chacun pouvait trouver dans de tels textes ce qui va dans son sens. 
L’approche scientifique de cette littérature prophétique comporte bien des aléas. Si d’une part, on nous parle, sous la Révolution, d’un Saint Césaire dont on ne trouve pas de trace dans le Mirabilis Liber,  on  ne parvient pas, d’autre part- encore en 1913, dans l’étude  de  Jean  Harmand qui parait dans la « Revue des Etudes historiques » (cf supra) - à établir des connexions entre Lichtenberger – en italien, son nom est maintenu ainsi que les vignettes -, le Mirabilis Liber et  les traductions françaises du XVIe siècle de la partie latine (entrées par ailleurs dans le corpus  Nostradamus), sous le titre de « Recueil de Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes », ce qui rend pourtant assez fidèlement le sous-titre latin « qui prophetias revelationesque presentes et futuras demonstrat ». Même après la traduction française de Bricon, en 1831,  on ne fera pas le rapprochement avec  le volume qui est associé aux centuries de Nostradamus et dont une nouvelle édition parait en 1866, à Paris, chez Delerue.  On a vu que Nodier, en 1829,  qui semble avoir eu sous la main  tant le Mirabilis Liber que la Pronosticatio de Lichtenberger  les considérait comme deux ensembles distincts, tout autant que le « Livre Merveilleux »- qui est diffusé en France dans la seconde moitié du XVIe siècle- marqué par l’apport de Telesphore de Cosenze. Pas davantage, n’établissait-on, il y a encore un siècle,  de lien entre la «  Prophetia Mirabilis  de Sainte Brigitte » (Lyon, 1515)  et le Mirabilis Liber, paru à la suite, alors même que le nom de la sainte figure dans le dit recueil et est mentionné dans les traductions françaises, au titre. Il semble que ce cloisonnement ait tenu au fait que l’on ait plus accordé d’importance au signifié qu’au signifiant, à la filiation des idées qu’à celle des textes et de leur arborescence.
En 1830-1831, au début de la Monarchie de Juillet,  Edouard Bricon  juge bon de faire connaitre  dans sa totalité le Mirabilis Liber, dont il traduit d’abord la prophétie de Vatiguero puis  le reste,  non sans quelques coupes. Il  considère comme particulièrement important  dans le  Mirabilis Liber la pièce prise de  Jérome Savonarole de Ferrare. (p. VI)  et que l’on retrouve dans la Préface de Nostradamus à César,  comme le notera l’abbé Torné Chavigny.  Bricon avoue « il m’a été impossible de m’assurer quels sont les véritables auteurs des pièces anonimes de ce livre. Je ne pense pas qu’il y en ait de saint Césaire, mort près de mille ans avant son impression »
III  Le traitement du corpus « Lichtenberger »  à la BNF
Si l’on étudie la situation à la Bibliothèque Nationale de France, on note que le Mirabilis Liber n’est toujours pas, dans le catalogue, associé au nom de Lichtenberger- en dépit de l’exposition  que nous y avons organisé en 1994, « Astrologie et prophétie. Merveilles sans images » - dont l’établissement possédé deux exemplaires d’ une édition datée de 1499, à Strasbourg, chez B. Kistler (BNF Réserve  pR 385 et  D 5451, exemplaire tronqué en son début) et une édition datée de 1526, dotées des vignettes appropriées. La BNF utilise d’ailleurs parallèlement la forme «  Johann Lichtenberger » et « Jean de Lichtenberg », ce qui peut aussi générer quelque confusion. Quant au « Recueil des  Prophéties et Révélations », il faut le chercher sous le nom d’un certain François Gruget (Paris, Le Mangnier,  1561), sans que l’on ait la moindre idée quant à la raison d’une telle attribution, d’autant que cette traduction du latin vers le français  reprend une mouture  antérieure parue sous le nom de Prophétie Merveilleuse (cf supra). Le nom de Sainte Brigitte de  Suède (1303 ?-1373) figure également dans la notice bibliographique pour le dit « Recueil des Prophéties et Révélations ». On connait une édition toulousaine de 1590 ‘(BNF D 11023) de  la « Prophetia divae Brigittae ; viduae, anno Salutis 1360 ».   Est-ce que cela fait sens de décrire ainsi dans un catalogue un  recueil par  l’auteur (supposé) de l’une de ses pièces faute d’identifier  l’auteur du recueil en tant que tel ?  Dans ce cas, il faudrait procéder de même pour chaque pièce d’un recueil par-delà les noms signalés au titre.
La question qui se pose dans le référencement des recueils est évidemment celle  des auteurs des dits recueils.  Il nous apparait que ces auteurs doivent être signalés comme tels et non pas telle ou telle pièce des dits recueils. Dans le cas de Lichtenberger, en dépit des emprunts qu’il a pu effectuer (cf supra), il  reste l’auteur d’une compilation bien précise dont il importe de suivre tous les avatars. On définira un recueil par l’agencement, l’ordre précis des pièces qui s’y trouvent et qui est censé faire sens au même titre que l’ordre des mots dans un texte. Il est probable que la numérisation croissante des documents devrait mettre fin aux cloisonnements qui persistent encore indument. Peut-on plagier l’auteur d’un recueil sous prétexte que les pièces qui s’y trouvent ne sont pas de son cru quand bien même, comme dans le cas du Mirabilis Liber, on aurait adjoint au dit recueil un second volet en français, ne figurant pas dans le recueil  d’origine en question  ou  supprimé les vignettes qui  en faisaient partie et dont l’absence  aura  évité  certains rapprochements entre un recueil allemand et un recueil  français?  Nul doute que la question du classement des recueils ne soit toujours  la bête noire des bibliographes et des bibliothécaires. Dans le cas de Lichtenberger, une difficulté vient s’ajouter, à savoir que le titre de l’ouvrage n’indique aucunement qu’il s’agisse d’un recueil,  vu qu’il se présente comme une pronostication (en allemand on emploie le terme latin  Practica, qui est celui utilisé dans les incunables latins des premières éditions) pour une année donnée  suivie de la formule  « et  les suivantes. » (« et sequentibus  quam plurimis annis»)  Or, un tel stratagème conduisant  à dépasser le cadre prévu du genre   est précisément celui que Nostradamus utilisera,  quelque peu abusivement, dans son almanach pour 1562  dédié au pape Pie IV (dont seules des traductions italiennes de la partie  à long terme, nous sont parvenues, du moins sous la forme imprimée avec des titres indiquant  que l’ouvrage couvre plusieurs années, et dont la BNF possédé des exemplaires). Le fait que le recueil de Lichtenberger  soit à cheval sur le XVe et les XVIe siècles ne facilite pas les choses du fait que les incunables dépendent, à la BNF,  d’un autre service. On rappellera que le nom même de Lichtenberger ne  figure pas au titre de son recueil, dans les éditions de la fin du XVe siècle mais seulement dans celles des années 1520 et au-delà.
La plupart des éditions du recueil de Lichtenberger  mettent dans leur titre et dans leur frontispice l’accent sur la conjonction Jupiter-Saturne de 1484. Cela vaut tant pour les édtions de 1492 que pour celles qui paraitront trente ans plus tard. Une exception toutefois avec les éditions strasbourgeoises de 1499 dont ni le titre, ni le frontispice ne vont dans ce sens, même si le thème  y est bel et bien abordé, avec l’illustration correspondante, dans le corps de l’ouvrage. Mais la question de la qualité même des vignettes va dans le sens  d’une première édition  de meilleure qualité formelle que les suivantes et dont il ne nous est parvenu que des éditions datées de 1499. Nous supposerons donc qu’il ne s’est agi à Strasbourg que de la résurgence d’une éition première entre temps disparue.
 Il est d’ailleurs intéressant de comparer les variantes sur le même schéma : dans l’édition de 1499,  un des personnages  maîtrisant un taureau porte une couronne laquelle a disparu au frontispice de 1526. L’édition 1499  est sensiblement plus travaillée en ce qui concerne les autres éditions que nous connaissons tant plus anciennes que plus tardives. On peut certes s’interroger sur le point de savoir si les vignettes qu’elle comporte ont été améliorées ou si, au contraire,  elles correspondent à un état initial qui aura été corrompu ou tronqué par la suite- ce que nous tendons présentement à penser- et dont l’édition 1499 porterait témoignage..  On notera, par ailleurs, que l’édition 1499  conservée à la BNF et à la BSB de Munich (cote    4°  Inc. c. a.  1647 ;  exemplaire numérisé avec une page de titre différente),  ne comporte pas de vignettes pour la dernière partie du texte et qu’elle ne dispose pas, en outre, d’une vignette figurant ,dans toutes les autres éditions qui nous sont connues, un moine en train de flageller un autre moine. (comparer avec l’édition de 1492 , Modéne, BNF  Microfilm   D 8548,   numérisation des vignettes sur  http://www.propheties.it/pronosticatione.htm ) .
Nous pensons que la vignette de la flagellation aura été rajoutée par rapport à la première édition que nous ne connaissons que  par celles de 1499. De même aura-t-on ajouté quelques vignettes à la  fin du recueil. On voit mal pourquoi on aurait supprimé des vignettes en 1499.
La question de la chronologie  se pose donc, comme dans notre étude sur le Splendor  Solis (RFHL, 2012), sur la base de la comparaison des vignettes entre elles d’ une édition à l’autre.  Jusqu’à nouvel ordre, nous pensons que les exemplaires Strasbourg  1499 que nous avons recensés correspondent  à un état plus ancien que les autres éditions qui nous sont parvenues dont les vignettes, selon nous, ont été tronquées et sont singulièrement plus sommaires.  Certes, l’on pourrait vouloir soutenir la thèse inverse d’éditions aux vignettes enrichies, agrandies. Quant au titre de ces éditions 1499  , « Hec practica narrat de presenti a[n]no et seque[n]tibus quamplurimis annis de nouis raris et inauditis rebus et gestis que futura sunt in hoc mu[n]do », il nous semble également correspondre à une formulation première. L’intitulé de 1492  se réfère quant à lui directement à la conjonction  « Pronosticatio latina [Joannis Lichtenbergeri], anno LXXXVIII ad magnam conjunctionem Saturni et Jovis quae fuit anno LXXXIIII ac eclipsim solis anni sequentis... conjecta. »..  Cela explique pourquoi la vignette correspondant à la dite conjonction et qui figure déjà à l’intérieur de l’ouvrage, à la place adéquate,  a été placée en frontispice selon nous dans un deuxième temps, pour faire croire au lecteur que tel est le sujet principal de l’ouvrage.
 Rappelons que dans les reprises paraissant en France, aucune vignette n’est admise, probablement pour limiter l’impact auprès du peuple  analphabète et/ou  ne lisant pas le latin. Il suffit de feuilleter la Practica de Lichtenberger  pour  se rendre compte aussitôt qu’il ne s’agit pas d’une pronostication ordinaire. A contrario,  dans les éditions paraissant en France, le titre même de Mirabilis Liber n’entend aucunement mettre l’accent sur l’Astrologie pas plus que la traduction française du titre « Prophéties et révélations », laquelle  ne rend  pas le latin «  Mirabilis »  par le terme « Merveilleux ».  On observe les rapports complexes entre astrologie et prophétie tant  chez un Lichtenberger que chez un Nostradamus, la pronostication se transformant en recueil de prophéties et l’astrologue se muant en prophète, et cela  selon un processus en grande partie posthume.

1 commentaire:

voyance a dit…

Bonne ambiance, bonne présentation etc... C’est un régal dans la journée que de venir le parcourir…
Merci d’être ce que tu es, et ne change pas surtout.
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