Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
mardi 25 juillet 2023
Patrice Guinard Averussement à la critique nostradamique de J. Halbronn
Avertissement à la critique nostradamique de J. Halbronn
par Patrice Guinard
[L'article de Jacques Halbronn1 est] une sorte de condensé à l'ouvrage qu'il a récemment confié aux Editions Ramkat : Prophetica Judaïca Aleph. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus (Feyzin [Rhône], 2002, Ed. Robert Benazra, robertbenazra@infonie.fr), et qui reprend une partie de sa thèse doctorale (1999).
Il est réservé aux spécialistes et lecteurs avertis. Le lecteur non familiarisé avec le corpus nostradamique et l'histoire des éditions des textes du prophète de Salon gagnerait, avant de s'engager dans sa lecture, à consulter les quelques ouvrages de référence en la matière, à savoir ceux de Daniel Ruzo (1982) et de Robert Benazra (1990) cités dans la bibliographie de cet article, celui de Michel Chomarat (1989), ceux de Pierre Brind'Amour (1993 et 1996), et de Bernard Chevignard : Les Présages de Nostradamus (Paris, Le Seuil, 1999).
Dans la première partie de son texte, Halbronn exploite assez amplement l'argument autoritaire et sceptique, fréquent aussi dans les traités anti-astrologiques, sous la forme du “on ne nous la fait pas”, par ailleurs bien ancré dans la mentalité française, et qui souvent va de pair, bien que ce ne soit pas ici le cas, avec l'ignorance brute. A la Renaissance, on croyait en l'homme, avec Plutarque, et en sa “vertu” et puissance d'accomplir des oeuvres personnelles véritables (comme en littérature celles de Rabelais, Montaigne, Shakespeare ou Cervantes), lesquelles vont bien au-delà des intrigues politiques et des querelles de pouvoir. Les oeuvres de Nostradamus et de Paracelse échappent à cet embrigadement de la pensée par la raison d'état qui a commencé à se mettre en place au début du XVIIe siècle. Dans son ouvrage, Halbronn dénie toute possibilité d'interprétation positive des Quatrains (« exégètes allumés », p. 8 ; « hypothèse des plus chimériques », p. 175 ; cf. aussi p. 165), et se montre incapable d'en rendre compte, si ce n'est par un dénigrement sans discussion.
Inutile d'insister sur le fait que les spéculations halbronniennes sont à l'opposé des miennes. On peut voir des faussaires partout - et Halbronn connaît son sujet ! -, surtout pour des textes qui ont vraisemblablement fait l'objet d'un nettoyage systématique dans les grandes bibliothèques européennes aux XVIIIe et XIXe siècles, lesquelles connurent leurs « rationalistes » et idéologues zélés. Semble corroborer cette idée le fait que des exemplaires des premières éditions des Prophéties n'ont pu être retrouvées que dans des bibliothèques d'Europe de l'Est, ou dans de modestes bibliothèques municipales et universitaires. L'édition n° 5 (Répertoire Benazra) des Prophéties (Lyon, Antoine du Rosne, 1557) n'a été sauvegardée qu'à Budapest, à Moscou, et à la bibliothèque universitaire d'Utrecht. Un exemplaire de la bibliothèque d'état bavaroise (Munich) a disparu au cours de la seconde guerre mondiale. L'édition n° 1 (Répertoire Benazra) des Prophéties (Lyon, Macé Bonhomme, 1555) a été retrouvée à Vienne (Autriche) et à la modeste bibliothèque d'Albi, les exemplaires de l'ancienne bibliothèque de la Ville de Paris et de la bibliothèque Mazarine ayant disparu, ainsi que celui de Daniel Ruzo. Deux exemplaires très incomplets de l'Almanach pour l'an 1561 (Paris, Guillaume Le Noir, 1560) ont récemment été retrouvés par le personnel de la Bibliothèque Nationale de France, déposés à la bibliothèque Sainte Geneviève à Paris, et identifiés, non par R. Amadou (contrairement à ce qu'indique Robert Benazra dans son Répertoire, p. 632), mais par monsieur Nicolas Petit, l'ex-conservateur de la réserve de Sainte Geneviève (communication personnelle) : ils avaient servi de papier d'emballage ! Il en va ainsi de la plupart des oeuvres de Nostradamus, et il est devenu, au fil du temps, relativement aisé de spéculer en profitant des failles du matériel existant et de la disparition probable de documents essentiels au débat, à supposer que l'auteur de ce texte, directeur de la Bibliotheca Astrologica (à Paris), bibliothèque personnelle rassemblant des articles, ouvrages, archives et copies d'ouvrages dans les domaines de l'astrologie, du prophétisme et du judaïsme (laïc), ait bien voulu exploiter la totalité des documents qu'il a pu rassembler, ou qu'il accepte de les partager.
On ne peut dénier le caractère original et tonique des théories de Jacques Halbronn, à savourer avec modération et entre connaisseurs, lesquelles ouvrent un réel débat dans le cadre des études nostradamiques. Dans l'immédiat, il reste à contrôler l'ensemble des ouvrages des imposteurs et faussaires, imitateurs de Nostradamus (Antoine Crespin dit Archidamus, Michel Nostradamus le Jeune, Florent de Crox, l'italien Philippe de Nostredame...) pour vérification de la thèse concernant les centuries V, VI et VII. Une simple supposition de bon sens voudrait qu'Antoine Crespin ait tout simplement utilisé deux éditions à trois centuries, par exemple l'édition n° 1 et l'édition n° 6 (Répertoire Benazra), autrement dit une édition à 353 quatrains et une autre à 300 quatrains, attestée par la deuxième page de titre des éditions de 1568 (Lyon, Benoist Rigaud), pour concocter sa compilation bâclée.
Halbronn soutient que la publication des éditions des années 90 par de brillants faussaires, supposées être les premières à contenir dix Centuries, serait conjointe à celle d'éditions antidatées pour les années 1555, 1557 et 1568, celles que nous connaissons aujourd'hui. Il passe sous silence les références aux premières éditions des Centuries des Bibliothèques de François Grudé (1584), assasssiné à Tours en 1592 à l'âge de quarante ans, et d'Antoine Du Verdier (1585). Ce dernier, pourtant peu favorable à la poétique du prophète de Salon, lui préférant de banales pièces rimées ayant pour thème favori de petites aventures d'alcôves, atteste l'existence à cette date de l'édition Benoist Rigaud de 1568 : « Dix Centuries de prophéties par Quatrains qui n'ont sens, rime ni langage qui vaille. » (p. 912). On imagine difficilement que Du Verdier ait pu se laisser piéger par d'hypothétiques fausses éditions, et complètes, parues dans les années 75 - 80 et qui auraient bien sûr disparu, ayant lui-même été publié par le même Benoist Rigaud, précisément en 1568 ! (Antitheses de la paix & de la guerre, avec le moyen d'entretenir la paix, & exhortation d'aller tous ensemble contre les infideles Machometistes, Lyon, Benoist Rigaud, 1568). Ce sont plutôt les éditions de Crespin et de ses acolytes qui sont de grossiers plagiats antidatés, vraisemblablement concoctés dans les milieux réformés de Zurich et de Genève.
Une lecture attentive du texte complet d'Halbronn (Feyzin, 2002) montre quelques faiblesses par endroits dans son ingénieuse mise à plat, et notamment des passages où la logique cède le pas à la spéculation négationniste. Quoiqu'il en soit ces théories sont nouvelles et dignes d'être lues (étonnant cependant que la falsification des textes attribués à Nostradamus n'ait pas même été suggérée, ni à l'époque des « multiples faussaires »supposés, ni après !), mais demandent des analyses collatérales, d'ordre linguistique et lexicographique (comme pour la datation d'objets antiques, laquelle réclame la concordance de méthodes indépendantes). Inutile d'insister sur le fait que l'auteur dénie toute aptitude prophétique à l'esprit humain, et au cas contraire (où cette aptitude pourrait être montrée de quelque manière), ses thèses nous conduisent dans des voies fortement improbables, à savoir l'existence de plusieurs prophètes actifs à la même époque !, et même invraisemblables si le corpus nostradamique est globalement codé comme de nombreux indices le suggèrent (cf. mon article sur Les planètes trans-saturniennes, mon texte La troisième et dernière épître de Nostradamus : Son Testament, et d'autres à paraître sur le Site du CURA).
A partir de trois-quatre vers, suppléés par quelques fragiles indices, Halbronn a élaboré toute une théorie des contrefaçons et avancé l'hypothèse de la mise en place, sous la Ligue, d'un véritable gang de faussaires et d'éditeurs complices, resté impuni, et n'ayant laissé aucune trace, ce qui suppose l'ingénuité et/ou la collaboration de tous les commentateurs jusqu'au début du XVIIe siècle, au service d'un projet politique, aux « enjeux plus sérieux » (!) selon Halbronn, que l'oeuvre prophétique. Ces idées présupposent en outre des acteurs d'une habilité prodigieuse, sachant imiter aussi bien les vers que la prose du maître, ayant peut-être même quelque don de prophétie. Un simple coup d'oeil à la prose poussive et ampoulée du faussaire Crespin, son Epitre dediee a la puissance Divine, comme son avertissement Aux faux juifs execrables & marrans, chicaneurs & revolteurs de proces (texte reproduit dans l'ouvrage d'Halbronn), suffit à se rendre compte du fossé qui sépare Nostradamus de son imitateur. Il y a plus encore, puisque les originaux de cette supposée fabrication collective auraient bien sûr disparu tout comme les premières éditions des Centuries. Nous sommes en présence d'une hypothèse beaucoup plus hallucinante que celle laissant à Nostradamus la paternité légitime de ses écrits : Halbronn n'a pas tiré leçon d'Ockham et de son rasoir. Et comme l'écrit Nostradamus en son Almanach pour l'an 1566 : « les livres de leurs vrais exemplaires si elongnez & corrompus qu'on ne sçaura à la parfin à qui croire. »
J'en profite, comme m'y incite amicalement Jacques Halbronn, pour lancer un appel de recherche au sujet de la bibliothèque rassemblée par Daniel Ruzo (décédé en 1992). Que les lecteurs soient remerciés par avance, qui pourraient et voudraient me communiquer tous documents, textes ou actes notariés relatifs à cette question de l'authenticité du corpus nostradamique.
Patrice Guinard
Carcassonne, le 13 Mars 2002
Note
1 Nous vous invitons vivement à consulter l'importante étude de J. Halbronn directement à sa source, sur le C.U.R.A. (Centre Universitaire de Recherche en Astrologie), intitulée : Michel de Nostredame face à la critique nostradamique, et pour les plus courageux, à lire l'intégralité de sa thèse sur ce sujet, publiée aux Editions RAMKAT.Retour
Jacques halbronn Antoine Crespin, le second Nostradamus
94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Notre rapport à l’œuvre de Crespin a évolué sur une vingtaine d’années. Au début des années 90 du siècle dernier, nous pensions avoir trouvé en Crespin le témoignage d’une diffusion tardive des Centuries, à savoir au lendemain de la mort de Michel de Nostredame. Certains ouvrages de ce Crespin « dict Nostradamus »- selon la première formulation que l’on trouve, dans les titres de ses impressions, fourmillaient d’éléments qui se retrouvaient dans les Centuries[1]. Il n’y a qu’à lire les bibliographies de Chomarat et de Benazra pour remarquer à quel point de telles observations n’avaient pas encore été faites dans les années 1989 -1990. On ne trouve pas davantage cette information dans le Nostradamus astrophile de Pierre Brind’amour (1993). Et puis, soudainement, quand parait, en 1996, l’édition critique du chercheur québécois, qui venait de décéder, concernant les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555, les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise figurent dans le corpus de textes de P. Brind’amour. Il semble qu’il y ait eu des « fuites » et que les mémoires que nous avions consacré à Nostradamus, dans le cadre d’une thèse d’Etat dont la préparation s’étala jusqu’en 1999, parvinrent à la connaissance de ce chercheur que nous-mêmes fréquentions mais sans lui communiquer pour autant nos travaux. Toutefois, nous l’avions incité à rechercher des preuves extérieures aux éditions centuriques de leur circulation. Il est vrai qu’à l’époque, personne ne se souciait d’apporter de telles preuves dans la mesure où l’existence même des dites éditions faisait foi. L’idée qu’il ait pu s’agir de contrefaçons n’allait pas au-delà du cas de l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 – et dont on savait qu’elle avait été réalisée au début du XVIIIe siècle, l’erreur des faussaires ayant été de confondre Pierre avec son père Benoist, lequel Pierre ne pouvait exercer en 1566. L’erreur venait probablement de ces éditions non datées parues à la fin du XVIe et au début du XVIIe que l’on pouvait trouver dans les bibliothèques tantôt associées à Benoist, tantôt à Pierre et les faussaires pensèrent probablement qu’ils étaient frères et comme Benoist avait publié en 1568 une édition des Centuries, pourquoi pas Pierre, dont les éditions étaient identiques, en raison de la similitude extrême entre les éditions 1568 et celles parues trente ans plus tard. Nous nous mettons ici, on l’aura compris, dans la peau des faussaires eux-mêmes trompés par d’autres faussaires du XVIIe siècle sans parler de ceux du XVIe.Il s’agit bien là d’une tradition de contrefaçon nostradamique- avec les faux almanachs et les fausses pronostications - d’abord, centurique ensuite.
Mais Crespin est-il un faussaire ? Nous ne le pensons pas. Le fait qu’il reprenne le nom de Nostradamus ne trompe personne. On observe une telle transmission de nom en Angleterre encore au XIXe siècle avec la succession des Raphaels. Crespin ne se présente pas, en tout état de cause avec le prénom Michel et l’on notera que c’est la forme « Michel Nostradamus » qui fait référence dans les éditions centuriques, le prénom ne disparaissant que dans des éditions modernes. Il serait donc bon à l’avenir de ne jamais oublier le prénom pour ne pas confondre avec Antoine Crespin Nostradamus, qui mérite vraiment le titre de second Nostradamus que nous lui accordons. De fait, on notera que sous le nom de Nostradamus, les bibliographes englobent tous les auteurs qui se référent à ce nom et pas uniquement Michel Nostradamus. Ce qui vient compliquer les choses, c’est que nous avons des centuries de Michel Nostradamus qui rassemblent ses quatrains d’almanachs et des centuries qui ne sont pas de sa plume et qui font appel à d’autres « Nostradamus », comme Mi. De Nostradamus ou Nostradamus le Jeune sans oublier, bien évidemment, Antoine Crespin-Nostradamus, même si celui-ci employa par la suite le nom d’Archidamus, ce qui serait aussi une façon de le distinguer. Mais, rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi dans les années 1580, on publie des Prophéties qui associent le nom et le prénom, dans le but d’établir une distinction avec d’autres Nostradamus. Mais dès lors, en précisant le prénom, on bascule quelque part dans la contrefaçon, ce qui n’aurait pas été le cas si l’on s’était contenté simplement de « Nostradamus » sans rien ajouter de plus. Du vivant de Nostradamus, le problème ne se posait pas encore puisqu’il était le premier de la lignée mais il n’en sera plus de même par la suite. Il nous semble souhaitable, ou en tout cas moins inadéquat, tant qu’à faire, de placer les « centuries » de quatrains à durée non déterminée sous le nom d’Antoine Crespin Nostradamus et ce d’autant que l’on n’est pas certain que Michel Nostradamus mettait la dernière main à « ses » quatrains la composition desquels lui échappait probablement en grande partie.
La légitimité de la filiation en quelque sorte professionnelle de M. Nostradamus à A. C. Nostradamus nous semble confirmée par le fait que sa vignette est la seule qui comporte en son sein son nom, à l’instar de M. Nostradamus, dont le nom figure sur les vignettes de ses seules pronostications ‘M. de Nostredame » : « AC Nostradamus, astrologue du Roy ». Le prénom Michel est absent comme il se doit. Toutes les épitres qui sont envoyées par Crespin à de hauts personnages auraient-elles pu s’imprimer chez des libraires ayant pignon sur rue, à commencer par Benoist Rigaud- si l’on était dans le domaine de l’imposture ? Il faudrait en tout cas comprendre que l’imposture, quand elle existe, a ses règles, ses codes et ses limites pour qu’elle soit tolérée. C’est ainsi que Barbe Regnault publie des ouvrages sous le nom de Nostradamus mais en utilisant des vignettes différentes qui, elles, ne comportent pas son nom, en quelque sorte son sceau. Quant aux quatrains mensuels qui finiront par y figurer, ils sont certes repris de M. Nostradamus mais à partir d’almanachs d’années antérieures, comme l’a bien montré Robert Benazra (RCN), ce qui les déconnecte du texte en prose.
Mais venons en aux faits : à savoir que Crespin n’emprunte pas ses textes à M. Nostradamus comme pourrait le faire croire une lecture décalée qui était encore la notre en 2002[2], lorsque nous publiâmes nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus.(aux éd. Ramkat, dirigées par R. Benazra). A l’époque, nous nous contentions de ,nous servir de Crespin pour situer la publication des Centuries après la mort de M. Nostradamus, remettant donc en question toutes les contrefaçons antidatées, censées être parues de son vivant. Par contraste, l’on pouvait en effet noter qu’aucun phénoméne comparable d’emprunt aux centuries « prophétiques », c'est-à-dire non fondées sur un substrat astronomique n’avait pu être observé avant la mort de M. Nostradamus. Nous avions d’ailleurs découvert le premier qu’il avait fallu attendre 1570 pour trouver un quatrain centurique, dument libellé, dans une épitre de Jean de Chevigny à Mgr Larcher –document en l’occurrence contrefait. Nous avions également signalé la mention dans les Significations de l’Eclipse de 1559 d’une « seconde centurie », autre document contrefait. Bilan, en tout état de cause, bien maigre pour une production centurique réputée, selon les biographes, avoir rencontré un franc succès et qui contrastait justement avec l’enseignement que nous pensions pouvoir tirer du phénoméne Crespin. Nous n’avions pas compris, à l’époque, que ce qui se référait à 1568 n’était pas initialement du à une production posthume de ces fameuses centuries mais à la parution (non conservée) du recueil de ses quatrains d’almanachs, probablement augmenté d’une notice biographique et de quelques commentaires, un matériau qui sera repris et complété dans le Janus Gallicus, en parallèle avec le Recueil des Présages Prosaïques (1589).
En 2005, nous donnâmes une communication au Congrès Mondial des Etudes Juives au sujet de Crespin et des Juifs d’Avignon qui étaient un de ses sujets de préoccupation, en utilisant un autre ouvrage de cet auteur[3] Demonstracion de l’eclipce lamentable du Souleil, Paris, Nicolas Dumont, 1571. A cette date, nous affirmions qu’il fallait lire Crespin pour comprendre certains quatrains car le dit Crespin accompagnait ses vers ou ses formules lapidaires de développements fort copieux. On pouvait certes imaginer que Crespin soit allé prendre des quatrains de M. Nostradamus pour illustrer son propos, ce qui en aurait fait le tout premier commentateur des Centuries prophétiques...
Quelle était la position de Patrice Guinard face à nos travaux sur Crespin[4] ? Pour lui, Crespin étant un « imposteur », son témoignage ne valait pas grand-chose. En fait, ce serait un plagiaire qui non content d’usurper un nom, s’emparait d’une œuvre. Etrange personnage ce Crespin qui aurait repris des séries de quatrains, en ordre dispersé, il est vrai, alors même que les Centuries étaient connues d’un grand nombre ! Mais il est vrai que dans les années 1570, on a un grand trou dans la série des éditions centuriques, que Guinard a tenté, assez vainement, de combler en étalant les éditions Rigaud 1568 sur toute la décennie alors que lesdites éditions furent réalisée au milieu du XVIIe siècle, vraisemblablement à Troyes, tout comme l’édition Pierre Rigaud 1566 le sera à Avignon au début du siècle suivant... Crespin nous semble au contraire occuper le terrain nostradamique pendant cette décennie 1570 et en fait prépare la décennie suivante puisque c’est encore Crespin, mais cette fois anonymement, qui sera mobilisé pour ressusciter M. de Nostradamus. Un prêté pour un rendu.
Si l’on en croit nos sondages, réalisés avec la collaboration de Robert Benazra, il y a une quantité considérable de textes parus dans les ouvrages de Crespin que l’on retrouve dans les nouvelles Centuries, à commencer par le premier quatrain de la première centurie. Or, ce quatrain se retrouve également dans telle ou telle publication de Nostradamus le Jeune, ce qui nous interpelle quant aux relations entre ces deux personnages qui tous deux s’adressèrent au duc d’Alençon, le dernier fils de Catherine de Médicis.
-Prognostication et prédictions des quatre temps pour l’an 1572 (…) contemplé & calculé par M. Anhoine Crespin, Lyon, Melchior Arnoullet (à rapprocher de François Arnoullet l’éditeur des Prophéties du même Crespin) BNF.
-Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois, (mis) en lumière par M. de Nostradamus le Jeune, Paris, Nicolas du Mont 1571 (Bib. Ste Geneviève).
En outre, le même libraire parisien, Nicolas Du Mont publie, on le voit, les Présages pour 13 ans de M. Nostradamus le Jeune mais aussi la Démonstracion de l’éclipce lamentable et l’Epitre démonstrative à Elisabeth d’Autriche, de Crespin qui sortent chez ce libraire qui ne s’en plaint pas moins, hypocritement, de tous ces imitateurs de Nostradamus qui font marcher son commerce..
On peut se demander si ces deux personnages ne faisaient pas qu’un. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se communiquaient leurs textes.
En 1578, dans une édition Rigaud, Crespin se plaint de toute une série d’imposteurs dont d’ailleurs un Nostradamus le Jeune dont cependant on ne connait plus d’édition depuis le début des années 1570. Il semble que les éditions ultérieures de Crespin des années 1580 pourraient être des reprises ou des recyclages de ses textes de la décennie précédente, notamment la Prophétie Merveilleuse contenant au vraie les choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année 1590 iusques en l’année 1598, parue chez Pierre Ménier en 1590. Or ce libraire est un des libraires parisiens qui publient les nouvelles Centuries. On a une première édition de Ménier datée de 1589. Nous avons montré, dans de précédents mémoires, que cette « Prophétie Merveilleuse », datée du 20 mars 1589, au lendemain de l’assassinat d’Henri III, censée avoir été dédiée au Roi choisi par la Ligue, un autre Bourbon qui devient Charles X, reprenait des données astrologiques parues sous le nom de Crespin et qui ne correspondaient plus du tout à l’année 1590. C’est dire que le lien entre Crespin et les « Prophéties de M. Michel Nostradamus », que le dit Crespin soit ou non encore en vie, ce qui importe assez peu, nous semble avéré.
Il convient donc de réhabiliter Crespin dont les textes alimenteront indifféremment les 10 centuries et qui constitue donc une source privilégiée de ce corpus et non pas seulement un témoignage. Autrement dit, s’il y a des différences entre le corpus centurique et le corpus Crespin, ce n’est pas dû à quelque étourderie de Crespin mais à des ajustements de la part de ceux qui l’utilisent.
Dès lors que les faussaires – au sens où ils veulent faire passer un Nostradamus pour un autre- pouvaient puiser dans un ensemble de textes dans le style Nostradamus – et ils ne parvinrent pas à l’épuiser comme on peut le voir en notant que de nombreux textes parus alors et qui auraient pu servir ne furent pas mobilisés – on ne s’étonnera plus de la rapidité avec laquelle des centuries supplémentaires purent être pettes dans des délais apparemment fort courts. Il ne restait plus en effet qu’à procéder à quelques ajustements sut un matériau amplement fourni.
JHB
17. 08. 12
[1] Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin, in Analyse, Espace Nostradamus.
[2] Nous avions déjà développé cette thèse dans notre doctorat d’Etat. Le texte prophétique en France (cf site propheties.it)
[3] Voir le texte anglais de notre conférence sur nos HR.
[4] Voir de P. Guinard le récent CN 142- « Analyse critique des 22 opuscules connus mis au nom de Crespin (1570-1578, 1585-1604 »
jacques Halbronn Fortune du prpphétisme d'Antoine Crespin Archidamus
ES
137
Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin Archidamus
par Jacques Halbronn
Force est de constater que le texte centurique est doué d’une certaine force d’évocation et ce n’est pas sans raison qu’il a suscité autant d’intérêt au cours des siècles. La question qui se pose est la suivante : qui est l’auteur de ce texte ou en tout cas d’une partie significative de celui-ci ? La plupart des nostradamologues répondent : Michel de Nostredame. Qu’on nous permette d’en douter ! Nous exposerons ici la thèse Crespin. En effet, la meilleure façon pour déterminer qui est l’auteur d’un texte, c’est encore de rapprocher le dit texte de l’ensemble des oeuvres de tel ou tel auteur et il nous semble que Crespin donne, de ce point de vue, plus satisfaction que Michel de Nostredame, quand bien même viendrait-il après lui chronologiquement. En ce sens, le disciple, plus ou moins patenté, aurait dépassé le maître.
La thèse la plus souvent admise est que Crespin aurait intégré dans ses oeuvres des quatrains ou des versets des Centuries, c’est implicitement celle qui est soutenue par Pierre Brind’amour dans son édition des Premières Centuries (Genève, Droz, 1996, p. XXVI). Toutefois, cette thèse fait problème et il nous semble, désormais, nécessaire de l’inverser, c’est-à-dire de considérer que ce sont les Centuries qui ont emprunté à Crespin, avec ou sans la complicité du dit Crespin. Si Crespin est un faussaire, il l’est aussi par son rôle dans la fabrication des Centuries comme étant l’oeuvre de Michel de Nostredame. Décidément, Crespin est une pièce maîtresse pour resituer la genèse du phénomène centurique et nous mêmes n’avons pas su en prendre immédiatement toute la mesure, comme il ressort de la lecture de nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus (Feyzin, Ed. Ramkat, 2002) qui n’étaient pas encore tout à fait parvenus à se dégager d’un certain schéma préexistant.
Le cas de l’Epître à Henri II
En vérité, nos positions telles qu’exprimées, il y a maintenant trois ans, n’étaient pas excessives mais bien au contraire bien timorées. Nous signalions alors (pp. 52-53) le témoignage de Crespin concernant la parution de l’Epître de juin 1558 au Roi. Or, à y regarder de plus près, il n’est pas question dans les passages que nous reproduisions de divers textes de Crespin (notamment dans son Epître à Catherine de Médicis (“la royne mère”) d’une quelconque Préface placée en tête de Centuries :
“& si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter, que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophétie qui est faicte le XXVII. Jour de Iuin, 1558.à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophetie est mort & décédé.”
D’abord, l’Epître centurique à Henri II - que nous connaissons - n’est pas située à Lyon mais à Salon de Provence. Ensuite, elle ne comporte pas de référence explicite à la grande conjonction Jupiter-Saturne attendue pour 1583. Il n’est pas ici question d’une Préface mais d’une Prophétie à part entière qui semble avoir été publiée pour elle-même et sans addition. Comme quoi, l’on se précipite un peu vite et on ne retient que le passage qui nous convient, ce qui vaut aussi bien entendu pour l’interprétation des quatrains où un mot est sorti de son contexte. En ce début des années 1570, Antoine Crespin, par ailleurs, ne cite pas ici le nom de Nostradamus mais se contente de préciser que l’auteur de la dite Prophétie est mort.
Indiscutablement, cette Prophétie va par la suite inspirer l’Epître à Henri II en tant que présentation d’un lot de Centuries - et encore pas forcément dans les conditions qui prévaudront par la suite - la date du 27 juin 1558 sera maintenue mais pas le lieu. Quant au contenu, il sera probablement maintenu partiellement tant il est vrai que cette Epître offre un caractère composite qui trahit le fait qu’elle n’a pas été conçue d’un seul tenant. Rappelons qu’une autre Epître datant, elle aussi, de 1558 (14 Août), et une fois de plus se présentant comme faite à Salon, et attribuée à Nostradamus constitue, avec un autre dédicataire (le vice-légat d’Avignon), les Significations de l’Eclipse de 1559.
Selon nous, en ce tout début de la décennie 70 du XVIe siècle, le corpus centurique n’a pas encore été établi même si certaines pièces sont déjà en place, mais sous des formes sensiblement différentes de ce qu’elles deviendront quelque temps plus tard, dans le courant de la dite décennie.
C’est bien entendu le cas de la matière même des quatrains dont une partie se trouve déjà chez Crespin et dont nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une compilation d’une quelconque édition des Centuries et certainement pas, comme le soutiennent Patrice Guinard et Robert Benazra, d’une combinaison bien improbable de l’édition à 4 Centuries Macé Bonhomme 1555 et du second volet de l’édition Benoist Rigaud 1568, ce qui permettrait d’expliquer l’absence de versets issus des Centuries V-VII chez Crespin. Cela ne signifie pas pour autant que Crespin n’ait pas compilé quelque texte pour produire cette matière mais il ne l’a pas fait à partir de Nostradamus mais de quelque autre document, vraisemblablement même pas prophétique, peut-être quelque livre d'Emblèmes, que notre ami Patrice Guinard nous déclare avoir retrouvé.
Cette analyse ne remet pas pour autant en question la thèse d’une édition posthume comportant une Epître de Nostradamus à Henri II et introduisant les Centuries mais nous apporte des éléments nouveaux sur la genèse de la dite Epître.
Le matériau centurique pris à Crespin
On commencera par ce passage de l’Epître que Crespin adresse à Charles IX dont on connaît deux éditions, l’une à Paris chez Martin le Jeune et l’autre à Lyon chez le libraire Benoist Rigaud en personne, lequel est censé avoir publié en 1568 une fort improbable édition à dix centuries qui serait due à Michel de Nostredame. Ce même Benoist Rigaud avait déjà publié, du vivant même de Michel de Nostredame la Prognostication ou révolution avec les Présages pour l’an mil cinq cens soixante cinq de Mi. de Nostradamus.C’est peut-être pour cela qu’on lui assigna la publication de l’édition de 1568. Toujours est-il que le frontispice de l’ouvrage en question comporte le même personnage mesurant le globe terrestre avec un compas que celui qui figure sur la page de garde des Prophéties par l’astrologue du très Chrestien Roy de France (Antoine Crespin) Lyon, François Arnoullet.1 Entre les divers disciples, pour le moins, des codes communs.
Epître à Charles IX Extrait de l’Epître
Epistre dédiée à Charles IX avec sixain en page de titre :
“O Roy très invincible & la Majesté de Messeigneurs les Ducs d’Anjou, & d’Alançon, voz frères & le Pape de Rome, ensemble tous ses adherans & Messieurs de la Justice; & en general tout vostre peuple & tous les Princes & peuples de l’Europe, Soyez avertis que nous avons contemplé les neuf Climats de la terre, par les mouvements agilles du Firmament, que pour la negligence des Europiens, sera passage à Mahommet ouvert, la terre sera de sang trempée, les ports de Mer seront de voilles & Nefs couverts, l’ennemy, l’ennemy, foy promise ne se tiendra, les captifs retournez : soubz edifice Saturnin, trouve urne d’or, Capion ravi & puis rendu, Classe adriatique, citez vers la Tamise le quart bruit, blesse de nuict les reposans. Venus Neptune poursuivra l’entreprise, seres pensifz, trop les opposans. Vienne le temps que la vertu & regne florissant, tout par tout oste le vice: banny les moeurs, amendant les humains & inhumains faux & desbordez.”
Quels recoupements et ceux-ci se situent-ils toujours hors des Centuries V-VII ?
I, 18
Par la discorde negligence Gauloise
Sera passaige à Mahommet ouvert
De sang trempé la terre & mer Senoise
Le port Phocen de voiles & nefz couvert
Un quatrain centurique, certes, mais avec des variantes importantes.
Prognostications pour 1571
On retrouve une partie de ce texte en exergue des Prognostications avec ses présages pour MDLXXI, Paris, Robert Colombel :
L’ennemy, l’ennemy, foy promise
Ne se tiendra le captif retourne
Soubz edifice Saturnin trouvé urne
D’or Capion ravy & puis rendu
X, 1
L’ennemy l’ennemy foy promise
Ne se tiendra les captifs retenus
VIII, 29
Soubz l’edifice Saturnin trouvee urne
D’or Capion ravy & puis rendu
Voilà qui montre que cette prose pouvait fort bien se présenter sous forme de quatrain mais on notera l’absence de rime entre promise et rendu.
Mais le passage en question se termine sur un quatrain dûment rimé - ce qui nous permet d’en affirmer l’existence - et qui correspond au quatrain d’almanach pour octobre 15552, en fait dans la Prognostication pour 1555 - puisqu’il semble qu’initialement les quatrains mensuels aient figuré dans une Pronostication et non dans un Almanach, et ce probablement à la rubrique des Lunes qui fait suite à l’étude des saisons - mais avec des versets autrement disposés :
Venus Neptune poursuivra l’entreprinse
Serrez pensifs, troublez les opposans
Classe en Adrie, citez vers la Tamise
Le quart bruit blesse de nuit les reposans
Au lieu, chez Crespin, de :
Classe adriatique, citez vers la Tamise
Le quart bruit, blesse de nuict les reposans
Venus Neptune poursuivra l’entreprise
Seres pensifz, trop les opposans.
Mais ce même quatrain se trouve également dans le faux almanach Barbe Regnault pour 1563 (Bibl. Municipale de Lille) et cette fois avec le même agencement :
Clase en Adrie, citez vers la taminse
Le quart bruict blesse de nuict les repossant
Venus Neptune poursuivra l’entreprinse
Serrez, pensifs trouble les opposans
On relèvera simplement la variante : Classe adriatique pour classe en Adrie.
Ce quatrain est toutefois attesté en anglais dans un almanack pour 1563 :
Navy in Adrye toward the tamyse
The fourth brut hurteth them & rest in the night
Venus Neptune shall poursue entrepryse
Harde/ the pensyfe shall trouble the contrary
Il s’agirait donc de la traduction anglaise du faux almanach pour 1563, constitué de quatrains issus de divers almanachs et qu’il conviendrait évidemment de dater différemment. Ce sont en effet tous les quatrains du dit almanach qui sont ainsi traduits ainsi que tous les commentaires journaliers du calendrier.
Mais pourquoi Crespin reprend-il le quatrain “Tamise” sous la forme de l’almanach 1563 Barbe Regnault ? A n’en pas douter, la prose de Crespin dissimule des quatrains mais cela ne relève pas nécessairement d’un emprunt aux Centuries mais bien plutôt, selon nous, cela nous révèle une production versifiée propre au dit Crespin et dans laquelle les Centuries puisèrent. Avec le cas du quatrain “Tamise”, on est en face d’un autre cas de figure, un mélange de quatrains des almanachs avec d’autres quatrains qui ne sont pas encore centuriques, mélange que l’on retrouvera dans le Janus Gallicus. Il semble bien qu’en 1571, date de la rédaction de l’Epistre de Crespin à Charles IX, le faux Almanach pour 1563 ait été publié. Il a été signalé que l’Epître à François de Lorraine, mort en 1563, l’année prétendue de la publication du dit almanach, qui s’y trouve est proche de celle de Nostradamus à Henri II.3 Or, Crespin atteste en 1573, dans son Epître à la Reine mère, Catherine de Médicis, de la parution d’une Epître à Henri II en date de juin 1558. Nous avions contesté la date de 1563 qui aurait laissé entendre que la dite Epître à Henri II serait parue avant 1566 mais cela ne nous fait pas problème de la situer au tout début des années 1570, en tant qu’oeuvre présentée comme posthume. Il n’y aurait donc rien de très surprenant à ce que l’on ait imité, peu après sa parution, cette Epître au défunt Roi comme le montre ce passage de l’Epître non datée au défunt duc de Guise : “m’a faict prendre l’audace vous vouloir consacrer ce mien petit Ephemeris” etc. Il est d’ailleurs bien possible que Crespin ait joué un certain rôle dans la fabrication du dit Almanach, ce qui expliquerait qu’il en reprendrait des quatrains remaniés à sa façon. En fait, on ne connaît la première mouture de l'Epître de juin 1558 à Henri II, laquelle n’introduisait pas encore, selon nous, de centuries, que par la dite Epître au duc de Guise tout comme on ne connaît le texte de la première Epître à César - non centurique selon nous au départ - que par les éléments que nous en transmet Antoine Couillard, dans ses Prophéties (1556). Il ne suffit pas de ne garder que ce qui se retrouve dans les moutures suivantes car il peut y avoir des passages qui n’ont pas été conservés par la suite.
Passons à un sixain figurant chez Crespin, en exergue de cette même Epître dédiée à Charles IX :
Le neuf Empire en desolation
Sera changé du Pole aquilonaire
De la Sicile viendra l’emotion
Troubler l’emprinse à Philip tributaire
Le successeur vengera son beau-frère
Occuper regne soubz umbre de vengeance.
Là encore, pas de rimes, cette fois, entre “beau-frère” et “vengeance”.
Ce beau-frère, qui est ici invité à prendre le parti de la France, cela pourrait bien être l’époux de la duchesse de Savoie, soeur d’Henri II et dont Crespin se dit l’astrologue, et quant à Philip, il semble bien qu’il s’agisse là de Philippe II, vainqueur à Saint Quentin du roi de France en 1557.
Quels recoupements, cette fois, avec les Centuries ?
VIII, 81
Le neuf Empire en desolation
Sera changé du pole aquilonaire
De la Sicile viendra l’esmotion
Troubler l’emprise à Philip tributaire
Tout un quatrain à l’identique !
X, 26
Le successeur vengera son beau-frère
Occuper regne souz umbre de vengeance
Signalons, par ailleurs, un passage de la Prognostication generale pour l’année MDLXXV, parue à Lyon chez Jean Huguetan ainsi qu’à Rouen, adressée conjointement à Henri III et à son “dauphin” François d’Alençon, après la mort de Charles IX :
“Le Roy Gaulois par la Celique dextre, voyant en discord la grande hierarchie sur les trois parts fera florir son sceptre. Contre la cape de la grand monarchie montera contre un griffon Viendra le Roy d’Europe accompagné de ceux de l’Aquilon. De rouge & blanc courra grand trouble, troupe allant contre le Roy de Babilon. Le vieux monarque dechassé de son règne. A l’Orient son secours ira querre, par peu de croix payera son enseigne (...) Le grand Scirin (sic) saizie d’Avignon (...) Car siecle approche de renouvellation”
III, 47
Le vieux monarque dechassé de son regne
Aux Orients son secours ira querre
Pour peur des croix ploiera son enseigne
En Mityléne ira par port & par terre
Le dernier verset ne figure pas chez Crespin.
X, 86
Comme un gryphon viendra le roy d’Europe
Accompagné de ceux d’Aquilon
De rouges & blancz conduira grand trouppe
Et yront contre le roy de Babilon
Il s’agit probablement de la vision de Crespin prophétisant l’alliance de la France et de l’Allemagne contre les Turcs. Crespin fut frappé par le mariage de Charles IX avec la fille de l’Empereur, Elisabeth d’Autriche à laquelle il consacre, en 1571, une Epître demonstrative, Paris, Nicolas du Mont. Dans l'Epître au Roi, Crespin du fait que “Le lys (est) avec la confederation de l’aigle” - Aigle, en latin, aquila (aquilon) - annonce la prise de Constantinople, ce qui conférera l’Empire au roi de France. Mais Charles IX décédé en 1574.
IX, 41
Le grand Chyren soy saisir d’Avignon
I, 16
Le siecle approche de renovation.
On notera la forme “renouvellation” chez Crespin. Par siècle, il faut entendre ici le grand cycle (800 ans) de la grande conjonction Jupiter-Saturne, attendu pour les années 1580, en signe de feu. Cette configuration attendue dans le signe du bélier se manifesta en fait, à quelques degrés près du zodiaque, dans le signe des Poissons, le signe d’avant, mettant en cause la validité même de ce vénérable système.
II, 69
Le Roy Gaulois par la Celtique dextre
Voiant discorde de la grand Monarchie
Sur les trois parts fera florir son sceptre
Contre la cappe de la grand Hierarchie
Inversion : “Monarchie” et “Hierarchie”.
On a là un matériau qu’on ne retrouve pas toujours dans les Centuries qui aurait fort bien pu s’y trouver car il est de la même veine.
Prognostication pour 1575
Extrait de l’Epître 1 Extrait de l’Epître 2
Les Prophéties dédiées à la Nation Françoise etc
Epître 1574 Extrait de l’Epître
Il pourrait s’agir d’un faux Crespin, le privilège citant Crespin accordé à François Arnoullet étant de 1569 alors que les éditions qui nous sont parvenues sont datées de 1572. En effet, on trouve une telle série d’adresses mais avec un contenu non nostradamique également dans l’Epistre de Profetie (sic) de paix qui doit venir au Royaume de France sans dissimulation, qui régnera plus de trois cens ans, Lyon, Jean Patrasson (BNF) :
A la Royne mère du Roy (Catherine de Médicis)
A la Royne de France
A Messieurs les Frères du Roy
A ma Dame de Savoye
A ma Dame de Lorraine
A monsieur l’Amiral
A Mons. le Maréchal d’Anville
A M. le Cardinal d’Armagnac
A Monsieur l’Evesque de Grenoble
A. M. de Mandelot
A M. De Gorde
A M. Le Comte de Tournon
A M. De Montbrun
A tous les Princes & Princesses de la Chrestienté
Au Grand Turc
“Aux Juifs exécrables & à tous ceux qui donnent conseil injustement de ruiner le peuple. Par l’astrologue du Roy Archidamus. Il vous annonce votre ruine & deshonneur car le siècle approche de renouvellation”.
Cette formule se trouve également dans les Prophéties à la Puissance Divine, suivie d’un texte du même acabit mais sensiblement plus long puisqu’il couvre à lui seul une page entière.4 En fait, c’est ce texte sur les Juifs qui constituerait la seule raison d’être de toute cette publication, hormis peut-être telle ou telle adresse allant dans le même sens.
PPD, Crespin 1572 Extrait des PPD
Il n’est pas impossible que les dites Prophéties à la Puissance Divine, portant la date de 1572, du moins sous la forme qui nous est parvenue, soient une contrefaçon de l’Epître de Profétie de Paix, faite à Grenoble le 24 décembre 1573. En effet, le contenu des adresses est très différent et dans ce dernier cas, ne comporte aucun élément centurique. En revanche, les Prophéties à la Puissance Divine débutent par ce qui sera connu comme le premier quatrain de la première Centurie, quatrain récurrent dans la littérature “pré-centurique”. Il faudrait dès lors dater les Prophéties à la Puissance Divine de 1574 au plus tôt. La question qui se pose est la suivante : les passages figurant dans les dites Prophéties sont-ils extraits des Centuries ? Le hic, c’est que les adresses sont constituées de quatrains issus en partie de Centuries exclues des éditions de la Ligue. Or, il existe un faux indubitable, la Prophétie Merveilleuse de 1590, parue chez Pierre Ménier, un des libraires s’étant le plus soucié de faire paraître les Centuries sous la Ligue - on a deux éditions, une datée, une non datée. On y voit Crespin faire allégeance à celui que l’on appelait Charles X, un oncle cardinal d’Henri de Navarre. Les positions planétaires des années 1580, si chères à Crespin, y sont tout simplement transposées pour la décennie suivante, ce qui leur ôte toute assise astronomique.
L’identité de Crespin
Que savons-nous au demeurant de Crespin sinon qu’il emprunta d’abord le “titre” Nostradamus pour lui préférer celui d’Archidamus ? Dans sa Prognostication avec ses présages pour l’An MDLXXI, Paris, Robert Colombel (BNF), Crespin se présente comme étant “de Marseille en Provence” et pas encore au service de la soeur d’Henri II, la duchesse de Savoie, son mariage ayant été une des conséquences du Traité du Cateau Cambrésis de 1559. Il est médecin ordinaire de Monseigneur le Comte de Tande, Admiral du Levant, personnage auquel avait eu affaire Michel de Nostredame, provençal comme Crespin. Ces origines provençales sont d’ailleurs contestées en 1571, par le libraire parisien Nicolas du Mont, dans un Avertissement au Lecteur (p. 23) qui semble le viser, même s’il n’est pas explicitement cité : “Celuy-là natif de Paris renie sa patrie & se dit Provençal”.5 Notons que le libraire affirme avoir “esté requis & quasi importuné de mettre sur la presse ces présens Présages”.
Il serait trop simple, sous prétexte que ces disciples seraient discutables de croire qu’ils n’ont fait que plagier ou compiler les Centuries. La réalité est plus complexe et il nous apparaît qu’en tout état de cause, ils auront joué un rôle essentiel, parfois à leur insu, dans la réalisation des dites Centuries lesquelles sont non point la matrice mais bel et bien la résultante de leurs productions pseudo ou néonostradamiques, si tant est qu’il s’agisse de plusieurs personnages ou d’un même usant successivement ou simultanément de plusieurs appellations. On ne saurait en tout cas ignorer à quel point cette mouvance nostradamisante est engagée politiquement dans le camp du dernier fils de Catherine de Médicis, devenu à partir de 1574, à la mort de Charles IX, l’héritier (dauphin) du trône occupé par Henri III, jusqu’à sa mort survenue dix ans plus tard et qui ouvrira une crise dynastique en faisant du prétendant Henri de Navarre, le futur Henri IV, revenu, après la Saint Barthélémy, à la religion réformée.
Reconnaissons toutefois qu’on ne sait pas grand chose de ce Crespin, sinon qu’il date ses Epîtres, un genre qu’il affectionne et que l’on retrouve dans les Significations pour 1559, qui, selon nous sont antidatées et dans l'Epître prophétique “lyonnaise” à Henri II. Crespin écrit souvent d’Italie : Turin, Messine, Venise mais aussi de La Rochelle, de Grenoble, capitale du Dauphiné, souvent de Paris. C’est un prophète itinérant, fortement marqué par l’Italie et cela pourrait expliquer en partie la vogue de Nostradamus dans cette région. Mais quelle autorité dans ses propos qui éclipse selon nous quelque peu un Michel de Nostredame. Quelle imagination politique ! On rappellera les deux quatrains de la Centurie VIII avec leurs versets répétitifs et le fait qu’un des quatrains est incomplet sous sa forme centurique : “Le Roy de Bloys dans Avignon regner” (VIII, 38 et VIII, 52), formule que l’on trouve également dans un texte de Crespin Démonstration de l’éclipce (sic) lamentable du soleil que dura le long du jour de la Seint Michel dernier passé (...) par M. Anthoine Crespin, Paris, N. Dumont, 1571. Il semble bien que les quatrains centuriques reflètent les idées politiques de Crespin, et ce quand bien même ne serait-il pas le compilateur des Centuries mais seulement leur inspirateur. On voit à quel point Antoine Crespin et Michel de Nostredame se complètent : l’un par son oeuvre, l’autre par sa vie. L’addition des deux aura donné le phénomène Nostradamus.
Demonstracion, 1571 Le Roy de Bloys dans Avignon
Crespin et le quatrain “Avignon”
C’est l’occasion de rappeler que l’antijudaïsme de Crespin qui transparaît dans certains quatrains des Centuries et qui constitue un arrière-plan de son oeuvre rend d’autant plus scandaleuse l’attribution des dites Centuries à Michel de Nostredame, dont on connaît les origines juives, lesquelles d’ailleurs étaient rappelées par certains de ses adversaires et ce d’autant plus que la famille (convertie) de Nostradamus appartenait, comme l’ont montré les biographes, à cette même communauté provençale à laquelle Crespin s’en prend.6
Crespin, s’il abuse certes de son statut plus ou moins autoproclamé, de prophète, pratique une poésie politique - comme il existe, au XVIe siècle, une poésie scientifique - n’hésitant pas à placer dans ses Epîtres des développements versifiés, ce que ne faisait pas son prédécesseur, si tant est que l’on sache exactement ce que ce dernier a véritablement produit. Que l’on lise notamment l’Epître de Crespin à Charles IX, ouverte par près d’une centaine de vers.
Il importe de ne pas diaboliser Crespin ou les Nostradamus le Jeune et Mi. De Nostradamus car leur rôle dans la formation des Centuries ne fut certainement pas négligeable dès lors que l’on ne situe la parution de celles-ci dans les années 1550 mais plutôt dans les années 1570. Un Benoist Rigaud, on l’a vu, avait, avant même la mort de Michel de Nostradame, publié du Mi. De Nostradamus. En 1574, le même Rigaud publie cette fois un recueil de M. Michel de Nostradamus le Jeune, Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir etc, ouvrage qui paraît également à Troyes, chez l’imprimeur Claude Garnier. Benoit Rigaud publiera encore sous la Ligue l’Almanach pour 1587 d’Himbert de Billy lequel almanach comporte des quatrains pour chaque mois, conjointement avec le libraire parisien Jean Cavelat. Encore en 1594, alors qu’il fait paraître le premier volet des Centuries, Benoist Rigaud publie l’Almanach des almanachs le plus certain de Cormopéde, qui truffe également son calendrier de quatrains. Il est bien possible que pour Rigaud, toute cette littérature, Centuries comprises, soit considérée comme étant du même ordre.
Prédictions des choses mémorables
Nous conclurons que l’on trouve chez Crespin, ailleurs que dans les Prophéties à la Puissance Divine, un matériau très proche de celui des Centuries mais qui ne coïncide pas totalement. On peut certes penser que Crespin a mal recopié ou qu’il a eu accès à une édition perdue des Centuries mais nous avons la faiblesse de croire que ce n’est pas Crespin qui a emprunté mais qu’on lui a emprunté à moins qu’il n’y ait contribué délibérément, mettant ainsi son travail au service de la cause des Centuries et du culte de Michel de Nostredame. Certes, Crespin a pu brodé et ajouter à ses emprunts des éléments de son cru mais on peut tout aussi bien admettre que l’on n’a repris qu’une partie de son oeuvre comme c’est le plus souvent la règle en cas d’emprunt ou de plagiat. Dans le domaine iconographique7, la démonstration de l’existence d’un emprunt serait probablement plus aisée, dès lors que le motif emprunté appartient à un ensemble plus vaste, on pense au signe du verseau qui serait extrait d’une scène de banquet telle qu’on en organisait au mois de janvier. Dans le domaine littéraire, la notion d’ensemble de référence est peut-être plus floue mais en tout état de cause, Crespin serait une source des Centuries bien plus que leur compilateur et il convenait bel et bien de le réhabiliter. C’est dire que la genèse des Centuries se révèle autrement plus complexe que ce qu’affirment certains qui voudraient que tout soit sorti de la tête du seul Michel de Nostredame; non seulement on a identifié un certain nombre de sources des quatrains mais même les quatrains en question semblent ne pas avoir été l’oeuvre du dit Michel de Nostredame. Il faudrait en finir - on ne cessera de le répéter- avec des formules paresseuses du style “Nostradamus a dit ceci ou cela” en parlant des quatrains voire des épîtres centuriques. La vie des textes est souvent plus fascinante que celle de tel ou tel auteur et surtout elle se situe dans une autre échelle de durée surtout si l’on prend en compte et leur formation et leur fortune.
Appendice
I - La vignette du disciple
Nostradamus le Jeune
Portrait de Nostradamus le Jeune
On a le portrait de Nostradamus le Jeune, il figure, dans les années 1560, muni d’un chapeau et d’une barbe sur certains frontispices, ou en page de garde, au dessus du premier quatrain de la première Centurie. Un des cas les plus remarquables est le frontispice des Prédictions pour vint (sic) ans (...) Mises en lumière par Mi. De Nostradamus le Ieune, Rouen, P. Brenouzer : “Estant assis de nuit secret estude/ Seul reposé sus la selle d’aerain/ Flambe exigue sortant de solitude/ Fait proférer qui n’est à croire vain.”8
Prédictions pour vingt ans
Fontispice des “Prédictions pour vingt ans”, par Mi. de Nostradamus le Jeune
Edition 1605 Edition 1649
Edition datée de 1568
Portrait de Nostradamus le Jeune
dans des éditions des Prophéties
Mais comment se fait-il qu’on le retrouve en frontispice de toute une série d’éditions des Prophéties de M. Michel Nostradamus ?9 Certaines avec l’année 1568, d’autres 1605 voire 1649. Signalons encore la présence de la dite vignette au frontispice d’un Almanach pour l’année 1651, (...) Composé par Antoine Chevillot, Troyes, I. Blanchard, ou encore, au XVIIIe siècle, sur des Prophéties générales nouvelles et curieuses (...) Depuis l’an 1760 jusqu’en l’an 1767. Tirées des anciens Manuscrits de Mre Michel Nostradamus, Troyes, Jean Garnier.
Almanach pour l’an 1651
Fontispice de l’“Almanach pour l’an 1651”, par Antoine Chevillot
Deux hypothèses s’offrent à nous : soit certains libraires se sont trompé et ont confondu Michel de Nostradamus avec un de ses disciples, soit au départ les Centuries se présentèrent comme étant l’oeuvre d’un de ses disciples ou en tout cas mises en lumière par lui.
II - La vignette d’Auger Gaillard
Dans l’historique des vignettes, nous signalerons le cas d’un poète du Sud Ouest Auger Gaillard10 dont la vignette figurant sur certaines des oeuvres parues au XVIe siècle va se retrouver sur nombre d’éditions des Centuries, au siècle suivant11 sans que l’on sache très bien pourquoi.
Auger Gaillard Edition 1644
Origine d'une vignette nostradamique du XVIIe siècle
III - Le quatrain “Secret Estude”
Ce quatrain est récurrent dans la littérature néonostradamique, c’est-à-dire celle des disciples et autres succeseurs. De deux choses l’une, ou bien il s’agit d’un emprunt au premier quatrain de la première Centurie ou bien il s’agit d’un emprunt de la dite Centurie à la dite littérature.
Or, le quatrain en question se présente parfois avec des variantes : “Que moy estant ravy en mon secret estude/ Et reposant tout seul sur la selle d’aerain/ Un exigu flambeau sortant de solitude/ Me faict dire cecy que ne croyrez en vain.”12
Quelle audace vraiment que de trafiquer un quatrain aussi célébre ! Certes Crespin, à d’autres endroits, est plus proche de la version canonique.13 Mais la variante ci-dessus nous paraît tout aussi pertinente : “ravy” étant plus “noble” que assis et aussi cette forme “dire cecy” ne convient-elle à merveille pour un quatrain introductif alors qu’il s’adresse directement à son lecteur ? Comment d’ailleurs si les Centuries étaient alors déjà parues pourrait-on se permettre de telles fantaisies de la part d’un Archidamus ? En outre, comment Crespin pourrait-il se permettre de reprendre tant de versets des Centuries sans citer ses sources ? En 1577, Crespin Archidamus connaissait-il les Centuries telles que nous les connaissons ? Il ne nous semble pas. Rappelons que nous n’avons pas d’assurance de leur existence avant 1584 et leur mention dans la Bibliothèque de Du Verdier comme l’a rappelé, en son temps, Patrice Guinard. On notera que Du Verdier désigne l’ouvrage sous le titre “Dix Centuries de prophéties par quatrains” et non par le titre que nous connaissons. On peut se demander si 1578 ne serait pas justement la “bonne” date pour situer la première parution de Centuries, attribuées à Michel de Nostredame. Entre 1578 et 1584, on sera passé à dix Centuries. On notera qu’après 1577, nous n’avons plus rien de très significatif de la part de Crespin. Le terme même de “Centurie”, comme synonyme de prédiction introduite par un quatrain, suivie d’un commentaire, ne figure chez Crespin qu’en 1586, dans la Pronostication astronomique pour six années (s.l.n.d., Bibl. Lyon La Part Dieu, cote 315920) et encore cela concerne-t-il en fait les années 1593 à 1598. En ce qui concerne l’Epître de Jean de Chevigny en tête de L’Androgyn de Dorat, Lyon, Michel Jove, 1570 et qui comporte une référence - la première du genre avec numéro canonique du quatrain et de la centurie - au quatrain correspondant au “monstre”, nous avons montré (dans une étude sur Espace Nostradamus) que nous avions affaire à un faux datant de la fin des années 1580, réalisé à partir du Tractatus de Monstris d’Arnaud Sorbin datant de 1570.
IV - Les deux éditions des Prophéties dédiées à la Puissance Divine (1572)
PPD Crespin 1 PPD Crespin 2
Les deux éditions Crespin des “Prophéties dédiées à la Puissance divine”
Les bibliographies nostradamiques n’ont pas su distinguer les deux éditions, parues chez le même libraire lyonnais, François Arnoullet, en la même année 1572 alors que la disposition de la page de titre est différente, la seconde édition (conservée à la British Library) mettant en majuscules plus de mots que la première. Mais même le titre n’est pas exactement le même :
A. Prophéties par l’astrologue du treschrestien Roy de France etc.
B. Prophéties par l’astrologue du Roy de France etc.
Privilèges Crespin
Les Privilèges des “Prophéties dédiées à la Puissance divine”
Le privilège, également, diffère : celui de la première édition14 comporte deux dates (24 mars 1572 et l’an 1569), celui de la seconde aucune. Il n’est nullement certain que ces deux éditions soient l’une et l’autre parues en 1572, année de la Saint Barthélémy. Certains traits de la seconde la rendent, en tout cas, pour le moins suspecte.15 Malgré l’addition de nouveaux versets de quatrains, ceux-ci n’appartiennent jamais aux Centuries V-VII.
Jacques Halbronn
Paris, le 15 janvier 2005
Notes
1 Cf. Documents inexploités, op. cit., p. 205. Retour
2 Cf. RCN, p. 8. Retour
3 Cf. P. Guinard sur ce sujet, sur le Site CURA.free.fr. Retour
4 Cf. Documents Inexploités, op. cit., p. 226. Retour
5 Cf. Présages pour Treize ans, réalisés par M. de Nostradamus le Jeune, dédiés au Duc d’Alençon, dédicataire de nombreux textes dus à des disciples plus ou moins douteux de Michel de Nostredame. Voir Bibl. Lyon La Part Dieu, cote 315921. Retour
6 Cf. notre article sur ce sujet, sur le Site du CURA.free.fr. Retour
7 Cf. notre article paru à la rubrique Tarotica, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour
8 Cf. RCN, pp. 90-91. Retour
9 Cf. RCN, A 25 et A 26, p. 639. Retour
10 Cf. notre étude parue sur Espace Nostradamus. Retour
11 Cf. RCN, A 15 et A 16, p.637. Retour
12 In Au Roy Episre et aux autheurs de disputation sophistique, Paris, Gilles de S. Gilles, 1577. Retour
13 Cf. “Au Roy par son Astrologue”, in Prophéties dédiées à la Puissance Divine. Voir Documents Inexploités, op. cit., p. 210. Retour
14 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed . Ramkat, 2002, p. 206. Voir aussi sur Gallica, pour une version numérisée. Retour
15 Cf. notre étude de cette édition, Documents inexploités, op.cit., pp.77-80. Retour
Jacques Halbronn Etudes nostradamiques Nostradamus et les grandes conjonctions selon Albumasar
Jacques Halbronn Nostradamus et les Grandes Conjonctions selon Albumasar.
Si Nostradamus consdéra à la fin de sa vie -il décéde en 1566- que débutait une nouvelle ère, avec la naissance d'un Antéchrist qu'il situa en 1567, cela tient vraisemblablement à un changement de triplicité de la conjonction Jupiter Saturne. Dans son Nostradamus asstrophile, les astres et l'astrologie dans la vie et l'oeuvre de Nostradamus le regretté Pierre Brind'amour nous présente des passages issus de ses "préfaces"au pape Pie IV, en date de 1561, il avait déjà traité du sujet en 1991 lors du Colloque d'Histoire de l'Astrologie que nous avions organisé à Paris (cf les Actes. L'astrologie en terre de France):
" Dans l'épitre dédicatoire à Pie IV de l'almanach pour 1562, le prophète (sic) attire l'attention du Saint Père sur les dangers que réprésente en mai la conjonction de Saturne et de Mars au début du Cancer et plus tard dans l'année celle de Saturne et Jupiter dans le même signe puis en septembre 1563 celle des mêmes planétes au début du lion, produisant un passage de la triplicité aquatique à la triplicit ignée (p. 209°
Sur Internet
"Les deux planètes se retrouvent en conjonction tous les 20 ans dans la même triplicité (petite conjonction), tous les 240 ans : fin de 12 conjonctions dans la même triplicité (moyenne conjonction), tous les 960 ans : retour au point de départ après 48 conjonctions dans les 4 triplicités"
On peut se demander si les nouvelles rédactions qui se focaliseront sur la fin du XVIIIe siècle- 1792) (cf la fausse Epitre à Henri II, 1558), n'ont pas été marquées par la perspective d'un nouveau changement de triplicité, au bout de 12 conjonctions à partir des années 1560. Si l'on saute encore 200 ans, on arrive à l'An 2000 et à cette année 1999.
Rappelons que le quatrain VIII 77 visait l'an 1594, celle du couronnement d'Henri IV à Chartres en indiquant 27 ans, lesquels ajoutés à 1567 donnent bien 1594, point que ne releva pas Brind'amour alors que la mention de cette date figure dans le document "Pie IV ". Cette animosité contre Nostradamus de la part du camp réformé ne pourra que s'exacerber quand dans le quatrain en question, on associé 1594 avec le couronnement d'un prince réformé, venant d'abjurer ("Paris vaut bien une messe") à moins de considérer ce texte date de 1561 comme antidaté...
76.
Plus Macelin que roy en Angleterre,
Lieu obscure nay par force aura l'empire:
Lasche sans foy sans loy saignera terre,
Son temps s'approche si presque je soupire.
77.
L'antechrist trois bien tost annichilez,
Vingt et sept ans sang durera sa guerre:
Les heretiques mortz, captifs, exilez,
Sang corps humain eau rogi gresler terre.
. Signalons que le chercheur quebécois renvoya dans son Nostradamus astrophile mentionne à plusieurs reprises (p.481) notre étude parue dans la Revue Réforme Humanisme Renaissance (1991) "Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561)"; où on lui reprochait sa correspondance avec le pape, du fait de l'importance qu'il avait accordé au changement de triplicité pour la série des conjonctions Jupiter Saturne (cf les remarques de Michel. Chomarat sur Brind'amour : "De quelques dates clairement exprimées par Michel Michel Nostradamus dans ses Prophéties (Colloque Prophétes et Prophéties;ENS, 1998)
JHB 25 07 23
Jacques Halbronn Etudes Nostradamiques Daniel Ruzo et les 2 épitres au Roi, Jean Dipéve et la correspondance, Bertrand Chevignard et le volume des Présages Prosaiques.
Jacques Halbronn Etudes nostradamiques. Daniel Ruzo et les deux épitres à Henri II. Jean Dupébe et la Correspondance., Bertrand Chevignard et le volumes des Présages Prosaïques.
Dans son Testament de Nostradamus, traduit de l'espagnol (Ed française Le Rocher, 1982), Ruzo compare les deux Epitres à Henri II(pp; 38-39) dont il fournit les reproductions des premières pages (après la Page 286), sans conclure que la plus tardive est un faux, se substituant à la première, la preuve étant que Nostradamus ne signale pas dans la seconde (1558 en tête du second volet des Centuries, parues en fait à la fin des années 80) l'existence de la première (1556 Présages Merveilleux pour 1557). Nous avons traité de cette question dans nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002) On notera que dans la première épitre de 1556, il n'estpas fait référence aux Centuries dont pourtant trois d'entre elles étaient censées être parues (Macé Bonhoùùe; 1555) alors qu'en 1558, on mentionne leur existence. Ajoutons que la Préface à César en tête de la fausse édition de 1555 s'intitule" 'Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties".C'est dire à quel point la présentation de l'Epitre de 1556 est génante pour la chronologie des éditions centuriques. Encore faudraitt-il distinguer les quatrains des almanachs (désignés comme "Présages") et ceux des Centuries et ce n'est pas par hasard que paraitra une nouvelle série de quatrains dans des éditions contrefaites, en instrumentalisnt la production de quatrains dans les almaachs.
Voyons à présent ce que nous révéle la correspondance (Nostradamus. Lettres inédites, Ed Droz 1983). Y est-il référé aux Cenuries ou à leur contenu? La correspondance mentionne l'adresse de Nostradamus au pape Pie IV (pp; 96 et 115) sur la gravité des événéments qui se profilent mais rien sur les quatrains des Centuries! Abordons enfin le travail de Bernard Chevignard sur le Recueil des présages prosaiques (Ed Seuil, 1999 Présages en vers 1555-1567, présages en prose 1550-1559). Là encore, il y est bien traité de l'épitre à Pie IV (p. 169)*
Y est-il fait menton, de quelque façon, du corpus centurique? On trouve bien une occurrence (p.382) à propos de l'éclipse de 1559 mais nous avons déjà montré qu'il s'agissait d'un faux "à l'interprétation de la IIe centurie de mes Prophéties" qui aura été glissé subrepticement dans l'ensemble épistolaire; En revanche, la première épitre à Henri II, en tête des Présages Merveiileux est bien signalée (p p 283): "D'un autre présage sur la même année (1557) qui ne se trouve point, dédié à la Majesté du Roy tres Chrestien" Il apparait que les deux seuls documents de notre corpus relévent de l'année 1558: Epitre à Henri II"
"Or voyant que par effets le déclarer ne m’estoit possible, joint avec mon singulier désir de ma tant longue obténébration et obscurité, estre subitement esclarcie et transporté au devant de la face du souverain œil, et du premier Monarque de l’Univers, tellement que i’ay esté en doute longuement à qui je viendrois consacrer ces trois Centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la milliade" -on se référe carrément à 10 centuries!:et Eclipse de 1559, soit datées de la veille de la mort du Roi en tournoi.
JHB 25 07 23
Inscription à :
Articles (Atom)