mardi 6 juillet 2021

Jacques Halbronn Les Centuries et le prophétisme à court terme

Les Centuries et le prophétisme du court terme par Jacques Halbronn Il nous apparaît que le prophétisme du second XVIe siècle œuvre sur des échéances brèves et qu'il est/serait donc illusoire d'y chercher des dates plus ou moins lointaines. Lorsque Michel de Nostredame se lancer dans des spéculations autour de l'Antéchrist (voir notre récente étude sous ce titre), il s'inscrit, à n'en pas douter, dans un futur immédiat d'à peine quelques années tout au plus, autour de 1566 (année de sa mort par ailleurs). D'une façon générale, ses publications annuelles se limitent à l'année en cours ou à venir. D'où des formules telles que « Présages Merveilleux pour 1557 » Mais cette analyse vaut pour l'usage des quatrains sous le Ligue et au début du régne d'Henri IV comme nous l'avons montré pour le quatrain 'Tours » et le quatrain 'Chartres en prise directe, selon nous, avec l'actualité et les enjeux du moment . On peut dès lors parler d'un prophétisme de circonstance. D'ailleurs, cela ne vas pas sans embûche dans la mesure où le texte entend influer sur ce qui est en train de se passer, c'est la forme progressive comme disent les grammaires de l'anglais (en « ing »), on est dans le « participe présent ». Comprenons que le discours prophétique ne trouve vraiment sa raison d'être que dans le court terme, lorsque les dés ne sont pas encore jetés, ce qui permet encore d'espérer agir sur les événements « en cours ». Inversement, quel intérêt y aurait-il à annoncer des temps hors de portée ne relevant pas d'une certaine urgence?Autrement dit, l'événement concerné restera très proche dans son occurrence de la date de son annonce, ce qui permet à l'historien des textes de ne pas beaucoup risquer de se tromper sur la fourchette, le terminus de la publication. C'est ainsi que si tel quatrain annonce le couronnement d'Henri de Navarre, son, avénement à la Couronne de France, l'on peut être assuré que la rédaction ou la retouche du dit quatrain aura précédé de fort peu le dit avénement attendu. Et de même (cf notre texte « Les prophéties et la Ligue, 1997), la mise en garde à l'encontre des gens qui se réunissent près de Tours en 1588, à la suite de la Journée des Barricades qui force Henri III à s'enfuir.de Paris. Et d ailleurs, ce n'est qu'ainsi qu'un texte pourra être entendu de façon pertinente avec une certaine assurance par le lecteur. D'où l'importance de restituer le contexte auquel il est fait allusion, référence. Si ce contexte est lointain, c'est que la date de rédaction du texte devra être repoussée en conséquence. Parfois, il peut s'agir d'un texte relativement ancien qui aura été réactualisé au prix d'une retouche comme dans le cas de Chastres dans la Guide des Chemins de France des années 1550 qui devient à la fin des années 1580 « Chartres » pour viser la cathédrale du Couronnement d'Henri IV. Dans certains cas, un texte pourra être antidaté pour faire croire qu'il avait été prévu à la veille de tel événement. Autrement dit – et cela vaut plus globalement pour l'astrologie- la prédiction ne ferait sens que très peu de temps avant l'échéance prévue. On pense d'ailleurs au prophéte Jonas qui doit compter avec une catastrophe annoncée qui ne doit être ni trop lointaine ni déjà advenue. Il y a là un juste dosage à mettre en œuvre ! Il serait donc anachronique de s'intéresser à des échéances lointaines qui n'intéressent personne si ce n'est que lorsque tel intérprète les instrumentalise, il enclenche une mise à jour, un aggiornamento ! C'est alors la date de cette mise à jour qui fera foi et relancera les délais. D'ailleurs, une prévision à long terme sera condamnée à rester dans le vague, incapable de s'inscrire dans un contexte bien circonscrit. D'aucuns, certes, vont s'extasier face à un pronostic à échéance de plusieurs décennies, ce qui peut tenter l'astrologue se fondant sur des retours cycliques de plusieurs décennies. Certains interprétes des Centuries, comme Patrice Guinard se seront ainsi laissé entrainer par le mirage de prédictions au lointain et l'on pense à Denis Labouré, dans le même cas, s'intéressant à un Pierre d'Ailly ayant pointé en1414 l'an 1789 ! Ce qui au contraire doit intéresser l'historien des textes prophétiques, c'est le contexte socio-historique et non les seuls computations astronomiques. Il y aurait là facheux mélange des genres. Quand nous étudions les astrologues à l'oeuvre comme un André Barbault, censé avoir annoncé un événement 36 ans à l'avance (cycle Saturne- Neptune), l'on se rend compte que cet éloignement évite à l'astrologue de s'inscrire dans un contexte par ailleurs bien défini et donc l'autorise à rester dans le vague « hors contexte » , « hors sol ». Comme le formulait un Colloque en 2000, la prophétie est une arme de guerre faisant partie d'une stratégie de combat, de propagande. Si l'historien de l'astrologie n'a pas besoin de déterminer une époque, ce n'est nullement le cas pour l'historien du prophétisme lequel doit impérativement repérer à quel moment le texte est voué à impacter une situation selon le principe de la prophétie auto réalisatrice. Dans le cas de notre travail sur Nostradamus, il était essentiel de localiser l'époque de l'impact, ce qui nous a permis de déplacer la date de rédaction des Centuries de plus de 20 ans en montrant notamment que tel ajout de tel quatrain était lié à tel événement politique directement visé par le dit quatrain, ce que ne pouvaient faire ceux qui entendaient se limiter soit au vivant de Nostradamus soit au contraire à l'époque actuelle qui leur était familière alors qu'il suffisait d'étudier les dates rapprochées de publication sous la Ligue ; avec chaque fois des éléments nouveaux ajoutés au gré des circonstances entre 1588 et 1594.,..Pour défendre l'idée d'une prophétie non antidatée, on est alors obligé de croire à une prophétie de longue date. Examinons l’ouvrage de Stéphane Gerson au prisme de notre propos méthodologique : » Nostradamus. Le prophéte de nos malheurs XVIe-XXIe siècles », Paris, Tallandier, 2016 (édition anglaise 2012, Ed. St Martin’s Press). Nous y trouvons un « descriptif » - un « narratif » serait plus juste- que l’on retrouve à peu de choses près chez tant de nostradamistes (pp. 66-67) « Edité pour la première fois en 1555, l’ouvrage (les Prophéties) permit à Nostredame de rejoindre la lignée des figures prophétiques (..) Le livre se présente sous la forme d’une collection de quatrains réunis par groupes de cent appelés Centuries (..) La première édition comprenait 353 quatrains ainsi qu’une Préface adressée à César (..) Deux ans plus tard une deuxième édition comprenait sept centuries dont deux incomplètes. En 1568, deux ans après sa mort, une dernière édition en proposait trois supplémentaires (pour atteindre le nombre fatidique de dix) Et une lettre au roi Henri II. (..) L’hypothèse que les trois dernières centuries et la lettre soient apocryphes et posthumes a été défendue elle aussi ». Mais par ailleurs, Gerson n’hésite pas à signaler des additions Gerson signale des additions : certes, divers quatrains auront été ajoutés, comme dans le cas des sixains (1605) – ce qui aura suscité des réactions de la part de l’auteur (le dit Dominicain) de l’Eclaircissement des véritables quatrains (1656) –absent de sa Bibliographie- ou des mazarinades sous la Fronde ( pp. 114-115 , 135) mais il ne semble pas avoir pris la mesure de ces ajouts sous la Ligue, ce qui aura été la période la plus fortement marquée par la succession des ajouts et des contrefaçons. Toutefois, Gerson cite notre communication de 1997 « Les prophéties et la Ligue » ainsi que notre thèse d’Etat (1999), le Texte prophétique en France dont une partie traite du phénoméne Nostradamus. En revanche, il semble tout ignorer de nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus (Collection Prophetica Judaica, Ed. Ramkat 2002) pas plus de notre dossier dans la Revue Française d’Histoire du Livre paru juste avant son ouvrage en anglais mais l’édition française de 2016 aurait pu compléter. Il ressort de la posture de Gerson qu’il établit une sorte de frontière entre le temps des éditions « certaines » et celui des éditions « douteuses » ou du moins sur lesquelles il est concevable de douter. En résumé, la production 1555-1557 aboutissant à 7 centuries ferait partie du premier groupe, à coup sûr. Pourtant il suffit de parcourir les bibliographies de Chomarat et de Benazra (1989-90) pour la période 1588-1590 pour noter que l’on assiste à la formation de cet ensemble de 7 centuries. Pourquoi Gerson fait-il l’impasse sur le temps de la Ligue alors qu’il mentionne notre étude de 1997 ? Pourquoi ne se rend -il pas compte que le contexte de la Ligue éclaire la genése des éditions parues à cette époque, ce qui conduit à penser que les éditions reprenant peu ou prou leur contenu ont été antidatées ? On voit que ce cordon sanitaire – ce repli stratégique- ainsi constitué autour des 7 premières centuries est décidément bien fragile. On peut regretter que l’auteur n’ait pas pris connaissance de notre post doctorat pourtant disponible à la Bibliothèque du Warburg Institute de Londres comme une grande part de nos publications successives. Le dominicain Giffré de Rechac (1604-1660) et la naissance de la critique nostradamique, au XVIIe siècle / Jacques Hallbron. 2006-2007. en trois volume aux cotes suivantes au Warburg (cf catalogue en ligne). FHI 285 v1, v 2, v3) Mais on trouve ces volumes en ligne sur SCRIBD. Gerson signale certes que divers quatrains ont été ajoutés, comme dans le cas des sixains (1605) – ce qui aura suscité des réactions de la part de l’auteur (le dit Dominicain) de l’Eclaircissement des véritables quatrains (1656) –absent de sa Bibliographie- ou des mazarinades sous la Fronde ( pp. 114-115 , 135) mais il ne semble pas avoir pris la mesure de ces ajouts sous la Ligue, ce qui aura été la période la plus fortement marquée par la succession des ajouts et des contrefaçons. Toutefois, Gerson cite notre communication de 1997 « Les prophéties et la Ligue » ainsi que notre thèse d’Etat (1999), le Texte prophétique en France dont une partie traite du phénoméne Nostradamus. En revanche, il semble tout ignorer de nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus (Collection Prophetica Judaica, Ed. Ramkat 2002) pas plus de notre dossier dans la Revue Française d’Histoire du Livre paru juste avant son ouvrage en anglais mais l’édition française de 2016 aurait pu compléter. ( cf Jacques HALBRONN, « Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique » ) 2015); Il est dommage par ailleurs que Gerson n’ait accordé aucune attention à ce que Nostradamus adressa au pape Pie IV –tant en français qu’en italien. (cf la réimpression de 1906, Mariebourg) . Il aurait compris que dans les années soixante, les dernières de sa vie, Nostradamus ne semble nullement avoir privilégié l’expression poétique des quatrains qui, d’ailleurs, ne sont jamais qu’une translation de sa prose. Bien au contraire, Nostradamus avance des dates précises à propos de la naissance d’un certain Marcelin, au profil antéchristique. Ce Marcelin qui apparaitra d’ailleurs dans un quatrain composé à partir de sa prose chez un Antoine Crespin.(1572) Enfin, pour en revenir au second volet des Centuries, nous dirons qu’il est probablement une imitation du premier volet, au service cette fois non point de la Ligue mais du parti d’Henri de Navarre et le dit volet se référe à Chartres, le lieu de couronnement de ce prince réformé converti.(Paris vaut bien une messe)/ Ce second volet aura d’ailleurs été bâclé ,- c’est un plagiat - comme l’a montré Chantal Liaroutzos (1987) en compilant sans état d’âme, la Guide des Chemins de France de Charles Estienne. En ce sens, d’ailleurs, il vaut mieux que Nostradamus n’ait pas été impliqué dans une telle opération. Que l’on ait recyclé les Centuries pour d’autres époques est une chose mais l’historien des textes se doit de déterminer la vraie chronologie d’un tel corpus. Il est clair que le second volet ne sera apparu qu’au début des années 1590, d’où son absence pour les années qui précédent : 1588 1589. Sa parution aura d’ailleurs précédé de peu le Janus Gallicus de Chavigny qui fait le commentaire (1594) de certaines de ses quatrains des Centuries VIII à X. A l’évidence, Stéphane Gerson n’aura pas été formé pour traiter sérieusement de la chronologie centurique qu’il adopte pour argent comptant, en toute impuissance critique, victime qu’il est du mariage périlleux entre biographie et bibliographie. Pourtant, Gerson avait pu prendre toute la mesure de la production annuelle de Nostradamus et l’on pouvait s’attendre à ce qu’il approchât les « Centuries » avec autrement plus de prudence, d’autant que leur existence du temps de Nostradamus n’était nullement une condition nécessaire à sa réputation, comme il l’aura démontré. Quelle déception : Gerson eût certainement rendu un service insigne aux études sur le « nostradamisme » en se dispensant de reproduire servilement un tel narratif, ce qui montre que les études ésotériques auront attiré peu d’esprits à la hauteur de l’enjeu scientifique et le Nostradamus de Gerson ne détone pas par rapport celui d’une Mireille Huchon chez Gallimard, maison qui avait publié la Sotie de Dumézil et le Nostradamus de Lagrange et Drévillon. JHB 10 07 21