Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
samedi 16 septembre 2023
jacques halbronn Commentaire autour d'une conférence de Sylvain Bouchet "tLes Centuries de Nostradamus ou les "Fake News" de la Renaissance"
Jacques halbronn Commentaire autour d'une conférence de Sylvain Bouchet
Nous avons apprécié que cet auteur parle de "quatrains ajoutés après la mort " de Nostradamis, "truqués voir totalement inventés" En revanche, quand Sylvain Boucjet écrit. "Ce passage n’apparaît pas dans les Prophéties, tout simplement parce que Nostradamus s’exprimait en quatrains et que, la forme employée ici, n'est pas celle du quatrain." Pour nous, le quatrain n'est nullement la marque de Nostradamus" Ce sont ses textes en prose; ses Epitres - et notamment celle adressé en 1561 au pape Pie IV qui générent des quatrains lesqiels sont l'oeuvre de versificateurs qui agencent les mots à leur guise. Nous avons ainsi montré que le second volet des Centuries était précédé d une épitre à Pie IV et à Henri II car on retrouve dans les dites centuries des termes qui sont absents de l'Epitre au Roi de France alors qu'ils figurent dnas la Préface au Pape. Mais peut être Sylvian Bouchet n'aura jamais pris connaissance du texte adressé à Pie iV et d'ailleurs très vite traduit en italien (voir sur Gallica BNF)
JHB 16 09 23
Université inter-âges du Bugey
Les Centuries de Nostradamus ou les "Fake News" de la Renaissance
Date de la conférence : 17/01/2019
PRÉSENTATION DE LA CONFÉRENCE
"Les Prophéties" de Nostradamus, dont la première publication date de 1555, est sans doute le texte français qui aura été le plus manipulé.
Sans parler des interprétations farfelues du protégé de Catherine de Médicis, ce sont bien les quatrains ajoutés après la mort de l'auteur, truqués voir totalement inventés, qui trahissent la volonté, comme les "Fake News" actuels, de modifier l'opinion publique à des finalités politiques et idéologiques.
Il faut dire que le style littéraire original des quatrains et la biographie même de Nostradamus (largement construite sur des légendes et des fausses informations d'ailleurs!) se prêtent à merveille à ce genre de manipulation.
Ainsi, au gré des contrefaçons, Nostradamus s'est vu tour à tour asseoir les pouvoirs d'Henri IV et de Louis XIV, discréditer Mazarin, appuyer les idées de la Révolution Française jusqu'à, plus récemment, être au centre d'une lutte psychologique franco-allemande lors de l'Occupation.
Quelle était la véritable démarche de Nostradamus? En quoi son style d'écriture est propice à l’actualité contrefaite?
Comment les faussaires ont opéré et pourquoi?
Sylvain Bouchet, historien spécialiste de Nostradamus, se propose de revenir sur ces questions et de mettre en parallèle l'époque qui a vu naître l'imprimerie et le colportage avec celle, actuelle, d'Internet et des réseaux sociaux.
23 mars 2020
Depuis quelques jours circule sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Facebook, une prétendue prédiction de Nostradamus (1503-1566) annonçant l’actuelle épidémie de Coronavirus (Covid-19).
Voici le message, tel qu’il apparaît dans ce qui est une véritable Fake News:
« Nostradamus a écrit en 1555 ceci ! Il y aura une année jumelle (2020) d’où surgira une reine (Corona) qui viendra de l’Orient (Chine) et qui étendra une plaie (Virus) dans les ténèbres de la nuit, sur un pays aux 7 collines (Italie) et transformera en poussière (Mort) le crépuscule des hommes, pour détruire et ruiner le monde. Ce sera la fin de l’économie mondial (sic) tel que vous le connaissez. »
Première remarque. Ce passage n’apparaît pas dans les Prophéties, tout simplement parce que Nostradamus s’exprimait en quatrains et que, la forme employée ici, n'est pas celle du quatrain.
Ensuite, s’il l’on prend la peine de vérifier le texte original (certes publié en 1555 comme annoncé sur Facebook… mais il y aura d’autres éditions augmentées), aucun quatrain n’évoque, de près ou de loin, cette prétendue prédiction. Nous avons donc affaire ici à un véritable montage, ou création apocryphe du texte de Nostradamus, comme il est d’ailleurs fréquent de rencontrer au fil de l’Histoire, en particulier lors des périodes d’inquiétude et/ou de grands changements : Révolution Française, Guerres napoléoniennes, Guerres mondiales, et plus récemment le 11 septembre 2001…
Pour ce dernier évènement, voici le quatrain qui se mit à circuler sur le tout jeune réseau Internet :
In the year of the new century and nine months,
From the sky will come a great King of Terror…
The sky will burn at forty-five degrees.
Fire approaches the great new city.
Indice de la supercherie, le quatrain n’est pas numéroté. En étudiant le texte original, il est possible de retrouver une approximative correspondance (la traduction du français à l’anglais permet d’ailleurs beaucoup d’arrangements !) dans deux quatrains écrits par Nostradamus. Les voici :
X-72 (= quatrain numéro 72 de la Xe Centurie) [au passage, publié deux ans après la mort de Nostradamus]
L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois,
Du ciel viendra vn grand Roy d’effrayeur:
Resusciter le grand Roy d’Angolmois,
Auant apres Mars regner par bon-heur.
VI-97 (= quatrain 97 de la VIe Centurie)
Cinq & quarante degrésciel bruslera,
Feu approcher de la grande cité neusve,
Instant grand flamme esparse sautera,
Quant on voudra des Normans faire preuve.
Comme vous le voyez, la lecture d’un quatrain de Nostradamus est d’une grande complexité (ancien français, métaphores et autres figures de style…). Par conséquent, et c’est ce qui fait le succès de Nostradamus : il est possible de lui faire dire tout et n’importe quoi (et surtout de faire dire exactement ce que l’on veut lui faire dire !). Toutefois, malgré cette immense souplesse d’interprétation, il arrive qu’un évènement ne trouve pas sa correspondance dans le texte d'origine. Dans ce cas, la ruse consiste à extraire des séquences de quatrains en les associant ensuite entre eux, « à la manière de », pour créer une coïncidence avec un fait d’actualité (c’est le cas avec l’exemple du 11 septembre 2001).
Pour la fausse prédiction qui nous intéresse ici, celle du Coronavirus, la manipulation est encore plus grande puisque seuls quelques mots isolés sont utilisés… or ces mots (Nuit, Orient, Plaie…) sont d’une grande banalité. Seule l’année jumelle aurait été une évocation « troublante » mais, nulle part dans les Prophéties, ce terme apparaît (et d’ailleurs pourquoi penser à 2020 ? 1818, 1919, 2222… fonctionneraient tout autant pour une année jumelle).
Voici, sous forme de tableau, les correspondances et récurrences entre la fausse prédiction et le texte original de Nostradamus :
Nous sommes donc loin, très loin, d’une prédiction du Coronavirus par Nostradamus. Et n’oublions pas que, sur près de 1000 quatrains que comportent les Prophéties, la probabilité d’une correspondance avec un ou deux mots est immense.
Cependant, si Nostradamus n’évoque pas le Coronavirus, une autre épidémie traverse littéralement ses Prophéties : la peste. Pas moins de 40 récurrences (avec les variantes : pestilence et pestiférer) envahissent ses quatrains. Et pour cause, la peste, en ce XVIe siècle, est le quotidien de Nostradamus. Sa première Université à Avignon ferme ses portes en raison d’une épidémie (1520), interrompant net les études de Nostradamus et de ses camarades. Il reprend, dix ans plus tard, le chemin de l’Université, à Montpellier cette fois, pour devenir médecin. À ce titre il est appelé à Marseille, Aix-en-Provence, Lyon et Salon (sa cité de résidence), sinon pour soigner, du moins pour tenter de contenir les épidémies successives. Il relate son expérience lors de la publication d’un Traité des Fardements (1555) et d’un Traité de la peste (connu à travers une édition de 1598). Il prône des règles d’hygiène élémentaires comme se laver les mains ou la destruction des effets personnels contaminés. Au passage, une épidémie emportera sa première épouse et leurs deux enfants.
Nostradamus, dans ses Prophéties, parle avant tout de son époque, pensant, peut-être tout simplement, que les malheurs d’hier sont les malheurs d’aujourd’hui… et seront les malheurs de demain. Guerre, épidémie, catastrophes naturelles…
Mais dans cette noirceur réelle du texte de Nostradamus (inutile donc de créer de faux quatrains dans le but de produire du sensationnel et de l’angoisse), il y a sans doute un message tout simple. Le message d’un médecin au contact de malades, le message d’un veuf, le message d’un père qui a perdu deux de ses enfants : Prendre conscience de la fragilité, de la beauté et du caractère unique de la vie.
Sylvain BOUCHET, le 19 mars 2020 Historien, Spécialiste de Nostradamus
9 JUIN 2021
Sylvain Bouchet nous informe de la parution d'une suite de la conférence ci dessus :
" Nostradamus. Docteur Astrophile "pièce de théâtre commentée par Sylvain Bouchet Edition Chomarat
RÉSUMÉ DU CONFÉRENCIER
LE CONFÉRENCIER
sylvain-bouchetSylvain BOUCHET
Sylvain Bouchet, historien spécialiste de l'Antiquité (Thèse sur les Jeux Olympiques, Lauréat du Prix Coubertin) s’intéresse depuis une dizaine d'années maintenant à la restitution de la culture greco-romaine par les Humanistes de la Renaissance.
Et, parmi cette effervescence culturelle du XVIe siècle, le personnage de Nostradamus, que Sylvain Bouchet analyse avec les outils d'un historien en se gardant de toute interprétation.
Sylvain Bouchet est un historien, spécialiste des Jeux Olympiques. Lauréat du Prix Coubertin pour sa thèse de doctorat consacrée aux cérémonies olympiques. Il assure des commissariats d’expositions, notamment à l’Exposition universelle de Shanghai, donne des conférences et anime des émissions de radio sur l’histoire du sport et de l’olympisme.
Il enseigne à l'ISCOM de Lyon (Institut Supérieur de la Communication et de la Publicité) le lobbying et la communication des grands évènements mondiaux: Jeux Olympiques et Expositions Universelles.
Passionné par le lien entre les civilisations antiques et modernes, il consacre les plus récents de ses travaux à l'Humanisme de la Renaissance. Intéressé par les arts du spectacle et la mise en scène, il enseigne depuis 2007 la dramaturgie à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques de Théâtre (ENSATT).
Jacques halbronn L'astrologie mondiale d'André Barbault. L'indice cyclique et la dialectique Tension Détente
jacques halbronn L’astrologie mondiale d’André Barbault. L’indice cyclique et la dialectique Tension/détente
Le graphique de l’indice cyclique avec la courbe qui monte et qui descend (sur la base des conjonctions au sein d’un bouquet de 5 planétes, de Jupiter à Pluton) a été présenté ( Les astres et l’HIstoiure, 1967) comme faisant alterner périodes de tension et de détentte.
Sur Intenet
« En astrologie mondiale, l’indice cyclique peut-il être un paramètre astronomique pertinent pour apprécier et prévoir les périodes de tension et de détente à l’échelle mondiale?’
Or, selon nos recherches, il n’y a pas une seule forme de détente pas plus qu’il n’y a qu’une seule forme de tension et d’ailleurs, tout concept est voué à une telle dualité. Nous avons ainsi pu montrer qu’en phase « solsticiale », il y avait détente à l’intérieur des entités politiques et tension entre celles-ci et que c’était l’inverse qui se produisait en phase « équinoxiale ». Il n’est donc guère pertinent de parler d’une alternance de détente et de tension sans autre précision.
En revanche, l’on peut prévoir une aggravation des tensions internationales durant telle période (de 7 ans ) ou au contraire, une baisse de tension, ce qui est déjà en soi une indication précieuse en géopolitique. Mais on n’oubliera pas qu’au niveau intérieur de chaque pays, l’équation s’inversera. On sait que l’unité nationale est de rigueur quand un pays est en guerre alors que cette unité bat de l’aile quand les clivages sociaux à l’échelle mondiale sont nettement perceptibles et donc ne peuvent faire l’objet d’un déni. On connait la formule « Prolétaires de tous les pays unissez-vous! »Les luttes sociales ne s’arrêtent pas aux frontières. Le cas de 1848 est bien connu:
Sur Internet : Eric Anceau « 1848, le Printemps des peuples européens » ‘En 1848, une vague révolutionnaire ébranle l’ordre conservateur qui a présidé aux destinées de l’Europe depuis la chute de Napoléon et le congrès de Vienne de 1815. Des insurrections chassent les souverains ou les contraignent à octroyer une constitution, instaurent de nouveaux régimes fondés sur la souveraineté nationale et les libertés fondamentales. C’est le « printemps des peuples ». La dimension européenne de l’événement est à la fois indéniable, mais doit se discuter dans sa forme comme dans son contenu ».
Si l’on considère, par exemple, le cas actuel de l’Iran en 2023, force est de constater que ce pays n’est pas condamné au niveau international à l’isolement alors même qu’il vit sous tension à l’intérieur. On aurait bien tort d’ignorer la récurrence d’un tel paradoxe apparent qui en fait obéit à le doxa astrologique.
On peut lire ainsi sur Internet « Les BRICS intégreront six nouveaux membres en 2024 : l’Iran, l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis » Il est en effet fréquent que la politique étrangère d’un pays contraste avec ce qui se joue en son sein. On dira même que c’est la régle. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Dès lors, annoncer un temps de tension laisse par trop de marge de manoeuvre à une prévision astrologique car on est sûr que tension, quelque part, il y aura. On ne joue pas ici à pile ou face!
JHB 16 09 23
André Vauchez Prophétes et prophéties.
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André Vauchez (dir.) Prophètes et prophétisme, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Histoire », 2012, 475 p.
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1« Homme de l'attente », selon la formule de Henri Desroche, le prophète surgit au moment où l'histoire qu'il habite semble se clore, toute signification perdue. Il surmonte cet échec, lui donnant sens, et transfigure la désespérance du siècle, et les figures sociales du désenchantement, en instances capables de « faire advenir du nouveau ». Loin donc de « prédire », le prophète dit, et, par sa parole, son action, et ses propres blessures, prend acte des faillites de son temps pour en indiquer l'issue désirable. Ainsi le prophétisme traverse-t-il toute l'histoire de l'Occident judéo-chrétien comme l'une de ses agences les plus essentielles de bouleversement, fondé sur ce que Weber définissait comme « puissance révolutionnaire » du charisme. Regroupant les différentes formes et dispositifs prophétiques, de l'aube biblique à nos jours, mais en Afrique contemporaine aussi bien, en Amérique latine (J.-P. Bastien) et en Amérique du Nord (I. Richet), l'ouvrage dirigé par André Vauchez propose un parcours en terres inspirées, où les interprètes de la parole divine prennent en charge les déficits de leur temps propre pour en énoncer le caractère irrémissible et la nécessité, et l'urgence, d'une refondation, par quoi l'histoire reprendrait cours nouveau. Je m'en tiendrai aux prophétismes européens et africains, matrices premières et fécondes.
2Au temps biblique d'Israël, analyse Pierre Gibert, le prophète, plus interprète que messager de Dieu, fonde son autorité sur le lien « exclusif et définitivement garanti à Yhwh », à ce Dieu dont il fait cette « expérience personnelle » qui détermine sa vocation et son autorité. Par ses « oracles », ses paraboles, ses énigmes, ses « poèmes », et jusqu'à la « mise en scène du silence », le prophétisme est attestation irrécusable d'un face à face avec Dieu, « unique, exclusif de toute autre divinité » – et contribue de façon décisive à l'évolution religieuse d'Israël vers la formalisation du monothéisme comme accomplissement nécessaire d'une rupture d'histoire. Dans les livres « historiques » de la Bible, du Pentateuque aux Livres des Rois, et aux grands Prophètes qui suivent, s'avère cette « nouveauté totalement originale », que représente la genèse d'un culte nouveau. Telle est la propriété exceptionnelle du peuple hébreu, que d'avoir pu penser, par le recours prophétique, le dépassement du sens immédiat d'un temps et d'un espace, pour se déployer en des temporalités exigeant d'autres attributions de sens. Ainsi de l'apocalyptisme, des prophéties de malédiction ou de consolation, etc., qui exigent une relation entièrement renouvelée du peuple à son dieu, de Job à Yhwh, d'Israël à la Loi. Par la personnalisation du salut, et « à travers une figure humaine liée à Dieu », le christianisme se réappropriera le prophétisme, que Paul dira apanage de tous les chrétiens, et claire parole, seule capable d'édifier la communauté des croyants.
3De l'Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, A. Vauchez présente les différentes modalités et lectures du prophétisme. De la condamnation par saint Augustin du millénarisme, à l'inscription nécessaire du charisme sous le seul contrôle de l'Église, revendiquée par Irénée de Lyon ; de l'émergence du moine et de l'ermite comme figures prophétiques de l'humanité, à l'entrée en scène de la thématique de l'Antéchrist ; de la formulation de la mission messianique portant délivrance de Jérusalem, à la question de la conversion des Juifs – le prophétisme engage l'ensemble des sociétés christianisées dans des sursauts d'histoire et des reconfigurations essentielles, qui prennent en charge le défi des fins dernières, et les tourments eschatologiques qui l'accompagnent. Disposer l'événement à venir comme accomplissement de « types » déjà présents en l'Écriture sainte, permet de « comprendre en profondeur la signification des choses passées », et de donner sens à ce qui vient en urgence de temps. Il s'agit donc moins de « prévoir l'avenir » note l'auteur, que « d'expliciter à l'humanité pècheresse le message divin et ses exigences ». Au xiie siècle, ne voyant dans l'histoire qu'un « long déclin inéluctable », Hildegarde de Bingen, pour la délivrance de ce message, « fait retour au langage des origines », avant que ne soit consommé le péché. Joachim de Flore, son contemporain, opposé à cette vision pessimiste du destin de l'homme, se tourne résolument vers l'avenir, et annonce, à partir d'une théologie trinitaire du temps, l'avènement prochain de l'âge de l'Esprit saint. Et met l'accent, précise Vauchez, sur « la liberté humaine et le libre arbitre » des croyants. Ainsi l'humanité devient-elle, dans la prophétie joachimite, « un acteur à part entière de l'œuvre rédemptrice ». Dès lors qu'au xiiie siècle Thomas d'Aquin distingue le statut scientifique de la théologie, du caractère indéterminé du message porté par le verbe prophétique, les voies de la prophétie s'ouvrent aux laïcs, aux siècles suivants, tissus d'apocalyptisme, de sentiment d'imminence de l'Antéchrist, et de positions politiques en référence à la crise de la papauté opposant Rome et Avignon. Arnaud de Villeneuve, évangéliste radical, Jean de Roquetaillade, millénariste, sainte Brigitte, la « sibylle du Nord », Romaine avant tout, sont figures capitales de ces siècles voués à prophétie. D'autres prenant à l'esprit la lettre, et la prophétie en la radicalité de son dire, vont, comme Dolcino, partisan de la pauvreté absolue, proclamer « la fin du règne de l'Église charnelle », ou, tels Wyclif et Hus, prêchant un messianisme politique, animer des mouvements sociaux de révolte, lollards et hussites. La prophétie vient à l'histoire vive comme rupture ici et maintenant.
4Une longue séquence s'ouvre, de la fin du Moyen Âge aux abords de la Révolution française, saturée de prophétisme et d'attentes réformatrices. Savonarole, en exergue des temps : « Les anges de Dieu viendront converser avec les hommes ». Cela vaut, note J.-R. Armogathe, conviction généralisée d'un nouvel âge d'or, précédée de la venue de l'Antéchrist. Si les grands Réformateurs protestants, Luther en partie, Calvin plus rigoureusement, sont réticents quant aux passions apocalyptiques, Zwingli rappelle que « le magistrat ne peut rien faire en l'absence de prophètes », inscrivant ceux-ci au centre de l'institution ecclésiale. L'Antéchrist est la papauté, disent les Réformés. Échos des soulèvements des siècles précédents, des dissidences surgissent : en terre de Réforme, Müntzer et les anabaptistes ; en catholicité, G. Bruno et sa demande d'« éthique universelle », Campanella et son « utopie républicaine ». Le prophétisme se greffe sur des savoirs nouveaux, ou des visions longuement déchiffrées d'avenir possible et pensable (Comenius, évêque des frères Bohèmes, de filiation hussite). Et sur des catastrophes culturelles ou politiques : jansénisme en convulsion après la dispersion de Port-Royal et l'appel contre la Bulle Unigenitus ; camisards et peuple cévenol en insurrection et prophéties, après la révocation de l'Édit de Nantes. Et toutes « sectes » de Réveil, quakers, seekers, « french prophets », qui essaiment en Nouveau Monde, pluralisant les sources de croyances et des interprétations de l'Écriture et des messages divins. Ces prophétismes à hauteur d'homme se veulent à hauteur de Dieu, et marquent sans doute l'irruption des sujets du croire dans le déploiement de la parole divine.
5Les prophètes, ces « déchireurs d'histoire », qui semblent « mettre à nu l'avenir », selon l'expression de G. Bessière (Le Feu qui rafraîchit, 1978), trouveront dans le Romantisme, au xixe siècle, un espace d'enchantement privilégié. Philippe Boutry en donne la raison : symbolisme virtuel des choses cachées, « haute valeur spirituelle de l'Art », « régénération historique du genre humain ». Et tout ce qui se déploie désormais, dans cette profusion de signes et de mystères, ressortissant de la quête prophétique – parfois s'y égarant : spiritisme, magnétisme, scientisme, ésotérisme. Tout un champ d'expériences aux limites du profane, qui trouvent leur accomplissement dans les grandes œuvres des penseurs visionnaires : Comte, Hugo, Nerval, Baudelaire, etc. Dans le contre-coup de la Révolution française, un prophétisme plus politique se met en place, à partir de lectures eschatologiques de ce bouleversement : châtiment et purification de l'ordre ancien, punition infligée au peuple pour avoir rompu avec les valeurs chrétiennes, ou, par volonté divine, aube d'un jour nouveau, après des siècles d'infamie. Le plus souvent, prophétisme radicalement hostile au nouvel ordre révolutionnaire, « péché originel d'une humanité coupable et d'une modernité viciée dans ses principes ». Figure emblématique de cette vision catastrophique de l'histoire : Joseph de Maistre, concentré d'intransigeance catholique. L'autre versant du prophétisme, cet énoncé réversible : la dimension utopique. Rouvrir à tout prix l'histoire, forcer le sens et se maintenir en son excès : Saint-Simon, Fourier, Cabet. À l'assomption d'un temps autre, répondre par l'assurance d'un espace alterne. Telle conjonction affecte à l'utopie une incomparable capacité de subversion. En elle, souligne Ph. Boutry, s'effectue « le télescopage historique de la prophétie sociale et de la prophétie religieuse ». La « République de Dieu », de David Lazzaretti, et son messianisme révolutionnaire, en est l'exemple le plus pur.
6Si le Romantisme fut le creuset où le prophétisme trouva un nouvel essor, ce fut d'avoir promu le dire poétique comme seul capable de manifester la parole divine – parole sans origine ni fin, devenue, précise Sylvie Barnay, la « propre chair » et le « propre sang » des annonciateurs d'un sens au cœur caché du monde. Au xxe siècle, les prophétismes européens vont être le lieu même d'accomplissement d'une poétique de la parole, qui agrège ce qui relève de la prophétie et ce qui ressortit de la poésie, en un seul bloc d'illumination. Par là, la prophétie demeure à l'écoute des catastrophes advenues en l'histoire réelle des hommes, et n'annonce tant les malheurs à venir que comme déjà de notre héritage. Parole au « futur antérieur », propose S. Barnay, dans une analyse qui constitue sans aucun doute le meilleur de l'ouvrage. Si le prophète est bien, selon P. Ricœur, « l'historien de l'imminence, le décrypteur et annonciateur de l'histoire en marche », c'est d'être cette figure vers laquelle convergent les désastres d'histoire, capable d'en déceler les raisons et les enchaînements. Chez Péguy, l'autrefois et le maintenant, « le plus originel et le plus actuel », entrent en « collision ». Non que le temps de prophétie soit de pur recommencement – au contraire, il est cette « force de vie » qui autorise les plus vastes saccages et les insoumissions les plus radicales. Contre toute clôture d'histoire, le prophète, écrit Blanchot, « brise l'impossibilité de l'avenir », et n'en finit avec le temps présent que pour repartir de zéro. Benjamin, Bloch, Buber, figures de renaissants, et « avertisseurs d'incendie », ne sont tels que d'avoir pleinement assumé l'inscription de la prophétie dans la chair même du langage, suivant l'antique leçon d'Abraham Aboulafia (ASSR, 144).
7Si « le messianisme juif interrompt l'histoire pour lui donner un nouveau cours », et si le prophétisme est bien cette « apparition du lointain », et sa révélation, les prophètes africains, présentés par Valerio Petrarca, assurés que la modernité « ne marche pas droit vers le désenchantement », brisent également formes et statuts sociaux et rompent, en un premier temps, le cadre des relations entre l'individu et le groupe d'appartenance. Harris, Koudou-Gbahié, Kimbangu, éminents prophètes et conducteurs d'« Églises fragiles », provoquent de véritables traumatismes culturels, en appelant aux symboles des puissances coloniales pour interpréter les malheurs et les échecs de la modernité. Mais tout, dans ce prophétisme, très vite s'inverse, et se joue en un second temps dans la réinterprétation des signes de la modernité dans le langage sorcellaire de la persécution, et le rapatriement des marqueurs de la crise socioculturelle dans l'univers propre du fidèle : lignage, culte des ancêtres, seule façon d'apaiser les peurs et de reprendre la maîtrise de soi et de son destin collectif. Nul syncrétisme, ici, mais la mise en correspondance des symboles de la religion des conquérants avec les « motifs symboliques des religions locales ».
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