samedi 16 septembre 2017

jacques Halbronn Prophéties et Révolutions Iere P


PROPHETIES ET REVOLUTIONS
des conflits dynastiques aux antagonismes sociaux



Jacques Halbronn

























Quatrième de couverture

Si les papes meurent dans leur lit et n'abdiquent point, le destin des rois est plus agité mais il est vrai que l'on nait prince et non pape.
La prophétie d'Orval est la dernière grande prophétie française. Si les Centuries de Nostradamus furent le fruit de l'âge d'or de la monarchie absolue, la Prophétie d'Orval nous apparait comme le chef d'oeuvre d'un prophétisme contre-révolutionnaire, sur la défensive.
Jacques Halbronn poursuit son enquête sur les rapports entre prophétisme et institutions séculaires : après la Papauté, la Royauté. Il s’intéresse en particulier au passage d’une exaltation monarchique vers le déclin d’un certain imaginaire.
L’ouvrage accorde une grande importance à la condition de dauphin, terme réservé à la monarchie française. Il montre comment cette condition a changé avec la Révolution, dans la mesure où après la Révolution, on devenait dauphin de père en fils, sans avoir régné.
Comme à son habitude, en montrant comment se fabriquent ou s’ajustent certains textes, Jacques Halbronn examine à quel point le prophétisme exerça un certain pouvoir sur l’opinion et a pu être une force politique notamment sous la Monarchie de Juillet et comment il échoua, cependant, à restaurer cette institution après la défaite de 1870 et la chute du Second Empire. La crise du delphinat au XIXe siècle, par la multiplication des prétendants, incapables de s’accorder, aura été aussi la faillite du prophétisme.






Introduction
Chapitre Ier Un siècle si annoncé
I Un prophétisme de cour
II Les prophéties napolitaines
A Les Prophéties perpétuelles de Moult
B La prophétie de Naples
III Un monde pré-révolutionnaire
A Les prophéties et les Jésuites
B La comète de Lalande, 1773
C 1785 et le retour de Regiomontanus
IV Cagliostro et l'Affaire du Collier
V Les lendemains de 1789
A La nouvelle exégèse nostradamique
B Le prophétisme féminin à la Convention
1 La prophétesse du Périgord
2 La mère de Dieu
C Le retour du Mirabilis Liber

Chapitre II le nouveau delphinat
I La prophétie sous Napoléon Bonaparte
II Le prophétisme sous la Restauration
A La prophétie de saint Césaire
B Le retour du Lilium Regnans
C La prophétie de Martin de Gallardon
D L'enfant du miracle
E De Jeanne Le Royer à Mlle Lenormand
III La prophétie d'Olivarius : l'Empire en perspective
IV Une révolution annoncée: 1830

Chapitre III L'activisme prophétique sous la monarchie de juillet
I La cabale contre les Orléans
II La Prophétie d'Orval et 1840
III Le milieu prophétique sous Louis-Philippe
IV Un nouvel âge d'or du recueil prophétique
V Le canon orvalien

Chapitre IV La faillite des dynasties
I Le prophétisme autour de Louis-Napoléon Bonaparte
A L'ajustement des prophéties à partir de 1848
B L'agitation prophétique avant 1870
II Le grand émoi de 1870
III Le prophétisme du sud: Toulouse et Nîmes.
IV Le «règne » d'Henri V (1870-1883)
V Le delphinisme à la fin du XIXe siècle

Epilogue





Avant -propos


Peut-on prévoir les révolutions? Les astrologues ne cessèrent d'annoncer la proximité de changements majeurs. Des rendez-vous successifs furent pris et dès 1414, Pierre d'Ailly avait pointé l'an 1789 mais d'autres dates furent avancées pour avant ou pour après, fondés sur les repéres et critères astrologiques les plus divers - ce serait un leurre de croire que l'astrologie "mondiale" serait d'un seul tenant - tant et si bien que l'Histoire est balisée, jusqu'à nos jours, de toutes sortes d'échéances - on l' a encore vue pour les années Quatre-vingt du XXe siècle - et si telle technique ne donne rien, une autre prend aussitôt le relais. Cela fait songer à ce pseudo-voyant qui avait placé en divers endroits d'une pièce une dizaine de réponses tant et si bien qu'il n'avait plus qu'à tirer la "bonne" et à oublier les mauvaises.
Le XVIIe siècle avait déjà été le théatre de révolutions, Outre Manche : exécution en 1649 du roi d'Angleterre (1) et il avait fallu absolument démontrer que Nostradamus avait "vu" un tel événement; il y avait eu également, toujours dans le monde anglo-saxon, l'indépendance américaine; en 1774. L'ancien ordre des choses était ébranlé et ce fut la France qui transforma l'essai tant et si bien que le XIXe siècle sera marqué par un climat révolutionnaire - 1789, 1830, 1848 et j'en passe - mettant à mal la monarchie et le principe dynastique avec en contrepoint les restaurations ou l'attente de celles-ci.
Reconnaissons que les Anglo-saxons ont lancé le mot Révolution dans la vie politique - même si le mot en lui-même est d'origine française - et l'on trouve ainsi de nombreux textes parus avant la Révolution Française et qui traitent essentiellement de ce qui se trame en Angleterre comme si ce pays en avait eu en quelque sorte le monopole avant de passer le relais au continent et singulièrement à la France.
Le 57° quatrain de la IIIe Centurie est ainsi considéré au XVIIIe siècle comme annonçant les révolutions successives que l'Angleterre aura à subir.

Sept fois changer verrez gent Britannique
Taintz en sang en deux cens nonante ans
Franche non point par appuy Germanique
Aries doubte son pole Bastarnan
C'est ainsi qu'en 1775, au lendemain des événements d'Amérique du Nord, l'on fera encore appel à ce quatrain dans une Explication d'une prophétie de Nostradamus faite en 1545 (sic) dans laquelle il prédit la grande révolution qui devait arriver en Angleterre & dans les Colonies Anglaises de l'Amérique qui seront victorieuses, Londres,. BNF 8° Nt 492.
Mais cette idée de révolution est éndémique.: outre les révolutions du xVIIe siècle, les Anglais attendent une révolution qui mettra fin à la présence hanovrienne et rétablira les Stuarts : en 1746, sera publiée une Indication des prophéties de Nostradamus sur la Révolution présente d'Angleterre. (BNF Fb 18914). C'est l'année de la défaite décisive de Culloden, survenue en Ecosse, près d'Inverness, le 16 avril 1746. Le prétendant Stuart, Charles Edouard, est battu par le duc de Cumberland, et doit s'enfuir assez piteusement sur l'île de Skye, mettant fin aux espérances de l'ancienne dynastie. On notera que le XVIIIe siècle anglais voit ainsi entrer en scéne un dauphin privé de son trône comme ce sera le cas en France, au XIXe siècle. On peut établir un paralléle entre 'Bonny Prince Charlie'", comme on l'appelait et Henri V.
En réalité, l'on sait bien qu'il y a souvent un effet d'annonce: prophétiser la révolution, c'est enclencher la révolution, c'est instiller l'idée de révolution dans les esprits. Mais parfois, cela ne suffit pour que la révolution réussisse et il faudrait également citer d'autres dates révolutionnaires comme le fut 1840, au milieu de la Monarchie de Juillet, échéance certes oubliée des livres d'Histoire mais qui prépara probablement 1848. Les échecs sont particulièrement instructifs en ce qu'ils nous révélent une mécanique prophétique qui ne se fond et ne se confond pas avec la réalité historique, mais qui est décalée par rapport à elle.
Il reste que le terme même de2) comporte une connotation astronomique - on parle de la révolution d'une planéte - à tel point que l'on pourrait définir l'astrologie comme ayant vocation première à annoncer les révolutions. Une révolution est une fin des temps, en tout cas la fin d'un cycle et donc le début d'un nouveau cycle.
C'est ainsi que dans les Centuries, il est question de deux (en fait dix) révolutions de Saturne.
I, 54
Deux revolts faits du malin facigere
De regne & siecles fait permutation

Quel rapport entre l'idée de révolte et celle d'un retour au point initial? L'on pourrait parler, avec Franklin D. Roosevelt d'un New Deal, c'est à dire d'une nouvelle donne, dans un jeu de cartes. Après la Révolution de 1789, l'on parlera de l'Ancien Régime peut être sur le modéle de l'Ancien Testament. Se révolter, c'est vouloir que les choses changent.
Paradoxalement, les historiens de l'astrologie parlent d'un déclin de l'astrologie aux XVIIIe et XIXe siècles alors même, précisément, que le monde semble, enfin, lui donner raison et montrer que les astrologues n'ont pas crié "au loup" en vain. Tout se passe comme si l'astrologie avait déclaré forfait trop tôt tant et si bien que lorsque 1789 survient, on ne trouve plus d'astrologues du niveau de ceux du XVIe siècle et surtout une certaine culture astrologique n'est plus aussi répandue qu'elle l'avait été3L'on exhume d'anciennes prophéties au sein de recueils, de compilations.
Mais le XIXe siècle ne se contentera pas de rappeler ce que Nostradamus ou Saint Malachie ont prédit.à la France à nouveau - après avoir donné Nostradamus et ses Centuries - offrira au monde un nouveau grand texte prophétique inspiré de sa propre Histoire politique, depuis la Révolution française de 1789; et en ce sens, se présentant comme une suite des dites Centuries, elles aussi articulées sur la vie politique des XVIe- XVIIe siècles, je veux parler de la Prophétie d'Orval, texte qui comporte une grille chronologique que l'on ne saurait qualifier stricto sensu d'astrologique mais qui fera l'objet de nombreux commentaires.
Du point de vue de l'Histoire des textes prophétiques, la Prophétie dite d'Orval (4est le chant du cygne du prophétisme français mais force est de constater qu'en ce début de XXIe siècle, elle est un peu oubliée. Ce qui montre qu'il n'est pas si évident qu'une prophétie traverse les siècles. Encore fringante aux alentours de 1900 5- elle a les faveurs d'un Stanislas de Guaita - on entend encore parler d'elle en 1939 dans les travaux de Piobb6Pourquoi, cependant, n'est-elle point parvenue à se perpétuer jusqu'à nous? Est-ce parce que nous avons cessé de croire ou de craindre à une restauration monarchique dont certains pouvaient encore qu'elle pourrait se produire sous de Gaulle, lequel, à l'instar de ce que fera, en 1975, Franco, en Espagne, aurait pu songer à une telle restauration, à son départ ou à sa mort?
La comparaison avec la fortune des Centuries voire de la Prophétie des Papes est concluante. L'on pourrait intituler notre ouvrage : Orval : Naissance, vie et Mort d'une prophétie. Il est vrai que la monarchie française également aura trébuché alors même qu'elle avait su si longtemps se maintenir et l'on pourrait en dire autant pour les dynasties russe, allemande, autrichienne ou turque.
Il est vrai que le sort de la prophétie d'Orval semble avoir partie liée avec les espérances monarchistes. Nous nous efforcerons de comprendre les mécanismes qui ont valu à la dite prophétie son succés puis sa défaveur. Que lui a-t-il manqué pour ne pas échouer dans le cimétière des oubliettes prophétiques?
Au fond, il conviendrait de se demander si le prophétisme du XIXe siècle ne visait pas plutôt à permettre une restauration qu'à inciter à une révolution; il semble bien, en réalité, qu'il ait alimenté et sous-tendu des conflits dynastiques à l'instar de ce qui se produisit sous la Ligue et sous la Fronde.
Il semble plus opportun, en définitive, de parler d'un prophétisme contre-révolutionnaire plutôt que révolutioonnaire tant il apparait que le prophétisme est surtout utilisé par des milieux réactionnaires - il se rapproche, en tout état de cause davantage de leur culture - qui souhaitent le retour du pouvoir légitime face au pouvoir usurpé. L'on pourrait parler d'un prophétisme légitimiste. Mais d'un autre côté, la Révolution vient valider la prophétie qui l'aurait prévue. Au fond la Révolution c'est l'Antéchrist et tous ceux qui seront associés à la Révolution en seront considérés comme les agents. .


J. H.














INTRODUCTION
La guerre des dauphins
Dans quelle mesure la monarchie fut-elle victime du prophétisme à moins qu’elle ne fut portée par lui? Un des traits les plus remarquables de la royauté est l’institution du dauphin dont plus d’un siècle de républiques nous a fait oublier quelque peu toute l’importance. Quelle différence aussi avec l’élection des papes car on ne ait pas pape comme on ait prince!. Chez les rois, la naissance est déterminante - parfois d’ailleurs ils abdiquent comme un Charles X comme le firent les empereurs Napoléon Ier et III - chez les papes, en revanche, c’est la mort qui décide de la fin de leur règne.
Sait-on que Louis XIII fut désigné ainsi avant même la mort de son père Henri IV, il est vrai à l’image quelque peu brouillée par son passé protestant - et son combat contre la Ligue - lequel dut abjurer (“’Paris vaut bien une messe”). On trouve là une forme de jeunisme qui condamne l’ancien dauphin devenu roi à passer prématurément le relais au nouveau, du moins dans l'imaginaire populaire alimenté ou reflété par un certain prophétisme. Henri IV détrôné en quelque sorte par Louis XIII et Louis XIII par Louis XIV.à Dans les Centuries (quatrain supplémentaire ajouté à la fin de la Xe centurie), le futur et déjà Louis XIV, né en 1638, se voit, d’emblée, assigner l’année 1660 pour parvenir à son apogée.. Comme le delphinat n’aurait-il pas suscité de prophéties quand il concernait un être à peine né et donc plein de promesses, riche d’un destin merveilleux à venir? Certes, de nombreux rois de France jusqu’à Louis XIII furent -ils des dauphins sur le tard: ce fut le cas d’un Louis XII; d’un François Ier, d’un Henri II, d’un Charles iX, d’un Henri IV, qui ne montèrent sur le trône qu’à la suite d’un concours de circonstance plus ou moins imprévisible encore que Nostradamus soit réputé avoir annoncé au futur Henri IV sa fortune. Avec Louis XIV, à l'extrême longévité; les dauphins vont se succéder et décéder avant de devenir rois jusqu’à l'avènement d’un Louis XV enfant, chapeauté par un Régent. Ces dauphins, en effet, perdront souvent leur père en bas âge, ce fut le cas de François II, de Louis XIII, d’Henri IV, de Louis XV, d’où l’importance des régences, sous Catherine et Marie de Médicis, sans parler de la captivité de François Ier, après Pavie, laissant le royaume à Louise de Savoie. A tel point qu’il semblerait qu’il existât des prophéties que l’on ressortait pour une telle occasion, comme en 1561 et 1611, à la suite des morts respectives de François II et d’Henri IV.
Avec Louis XIV, le delphinat est déjà en crise, ce qui annonce la situation qui sera la sienne après la Révolution. On est dauphin de père en fils. On ne sait plus bien qui va régner, on ne peut donc plus s’investir autant sur la naissance d’un prince comme on l’avait fait jusqu’en 1638 avec Louis XIV, à la naissance jugée miraculeuse. Mais si la longévité du roi fait probléme, les naissances tardives sont aussi causes de désordre. Sur le modele des Valois, qui, à la fin de la dynastie, se succédait entre frères, faute d’enfants, le frère du Roi, Monsieur, acquiert le statut de dauphin dans la perspective que le Roi n’aura pas de fils. D’où sa frustration : évidente chez un Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, à la naissance de son neveu.
Les cas de Louis XVII et d’Henri V retiendront donc tout particulièrement notre attention de par leur carrière de dauphin. Le XIXe siècle est le théâtre d'une "guerre" des dauphins, de Louis XVII à Henri V, qui règnent sans régner sur certaines factions et font songer aux schismes de l'Eglise et leurs papes multiples. Il y aura, chez les Naundorff, des lignées de dauphins, de père en fils sans parler des rejetons de la famille d’Orléans, tout au long du Xxe siècle. On préfère dire alors “prétendant”. Le drame d’Henri V, - et de la monarchie française du coup - c’est de ne pas avoir su trouver son dauphin.à
Dans la littérature prophétique, celle du Mirabilis Liber notamment sous François Ier, et notamment autour du Carolus, l'accent est mis sur le fils - ce qui a une résonance particulière pour le christianisme - le Père et le Fils - et ce personnage porte dans la tradition monarchique française un nom spécifique qui lui confère une sorte d'autonomie: il est donc, depuis Charles V, le Dauphin (en raison du Viennois, de l'autre côté du Rhône, récemment annexé au Royaume), le porteur d'espérances. Victor Hugo a ainsi décrit dans Notre Dame de Paris les Mystères célébrés en l'honneur du fils de Louis XI, le futur Charles VIII.
Le néo-prophétisme a besoin du roi pour se placer dans la continuité biblique: pas de prophète sans monarque comme protagoniste. Quand il est question du prophète royal, il n'est nullement Nostradamus, mais de l'auteur des Psaumes, David.
Le Dauphin serait un élément de polarisation de l'avenir face au Roi qui incarne un présent, il permet de dire: le roi est mort, vive le roi!. Cela dit, on l’a signalé, le statut de dauphin n'est pas nécessairement acquis à la naissance: un Charles VII sera le "quatrième dauphin" de Charles VI, contesté, le "gentil dauphin" comme l'appelle Jeanne La Pucelle qui vient à point nommé défendre la cause du "roi de Bourges" contre le jeune Henri VI d'Angleterre, l'"anti-roi" - comme on dit l'antipape - de France: l'un sera couronné à Reims en juillet 1429, l'autre à Notre-Dame de Paris en décembre 1531. Henri II n'était pas davantage préparé à son métier, du fait de son frère aîné, pas plus d'ailleurs que "Louis XVII", second dauphin, et que dire des cas où une nouvelle branche parvient au trône comme avec François Ier et plus encore avec Henri de Navarre, devenu - si l'on peut dire - "dauphin" à trente ans, à la mort du dernier fils de Catherine de Médicis.à
Importance inouïe du temps de l'accouchement qui peut changer le destin d'une dynastie et notamment en France où s'impose la loi salique, selon qu'il naît un garçon ou une fille.
Mais si la naissance du dauphin est un événement si fort, il en est bien autrement de celle d’une princesse qui n’est qu’un objet d’exportation, que l’on mariera avec un prince étranger en échange de princesses venues d’ailleurs. Le système du delphinat met l’accent sur le fait que la monarchie française passe par les hommes et implique que les femmes ne sont que des pièces rapportées. L’ironie de l’Histoire veut que ces étrangères aient été à de nombreuses reprises régentes du royaume avec toutes les responsabilités que cela sous-tend. C’est ainsi que Catherine de Médicis ne sera pas sans responsabilité par rapport à la Saint Barthélémy qui vit le massacre des Protestants (1572), qu’Anne d’Autriche était régente sous la Fronde, que l’Italienne Marie de Médicis fit la guerre à son fils Louis XIII. .
Que l'astrologie ait pu se greffer sur un tel événement n'a rien de bien surprenant. On conçoit, en effet, que tout ce qui a trait à ce moment soit en quelque sorte consacré et que cela vaille pour la position des astres, pour l'horoscope. La IVe églogue des Bucoliques apparaît comme le modèle du genre, ce sera encore la référence en 1811 lors de la naissance du Roi de Rome, François, qui porte le nom de son grand-père autrichien. Mais l'on conçoit aussi pourquoi les plus hautes dignités que sont l'Empire et la Papauté ne se soient pas, en principe, accessibles par ce seul droit de la naissance, par trop focalisé sur les enjeux de la filiation masculine, et en cela le fait que les Républiques modernes privilégient l'élection sur l'hérédité placeraient leurs présidents dans une mouvance prestigieuse. Or la France, après la période avignonnaise, ne sortira plus jamais victorieuse du conclave pour ne pas parler du vote des Electeurs impériaux dont la majorité lui fut toujours refusée.à Elle devra se contenter avec le futur Henri III, d'un lot de consolation: l'élection de Pologne - à la suite de l'extinction de la dynastie des Jagellons - ce qui apparut comme un tremplin éventuel pour accéder à l'Empire. Mais à plusieurs reprises, les souverains de France devront passer par un scrutin ou en tout cas un statut intermédiaire: ce fut d'une certaine manière le cas d'Henri IV, devant les Etats de Paris de 1593, ce sera celui d'un Napoléon III, d’abord élu Président de la (deuxième) République, cela aurait pu être celui d'un Henri V.à
En ce qui concerne Henri IV et son fils, le futur Louis XIII - un Salomon par rapport à un David - il est flagrant que ce dernier, parce qu'il est fils d'un roi de France, ce qui n'est pas le cas de son père, attise toutes les espérances et c'est en cela qu'il relève du prophétisme, que d'une certaine manière il personnifie. Le jeune Louis XIII, né avec le siècle, sera idéalement l'expression du "triomphe de ce dix-septiesme siècle", tout plein de promesses. Un faux - comme les Stances prophétiques - le fait annoncer sous son prénom de Louis dès 1591. Le XIXe siècle, post-révolutionnaire, n'échappera nullement à la question des dauphins, bien au contraire, celle-ci s'exacerbera, se démultipliera jusqu'à l'absurde, avec la présence simultanée de plusieurs prétendants, notamment parmi ceux qui se disent être Louis XVII et qui ont chacun leurs partisans. Henri V, pour sa part, sera un éternel dauphin, héritier du delphinat de son père, le Duc de Berry, assassiné (1820) qui attendra vainement durant un demi siècle de devenir roi. La France républicaine ne serait-elle pas le passage de l'ère des rois à celle des dauphins?
Le sort du dauphin est plein d'aléas: désigné comme tel souvent dès sa naissance, il peut mourir prématurément et laisser la place à un cadet voire à un cousin plus ou moins éloigné, qui soudain, sans préparation, devient dauphin à son tour ou en tout cas prétendant, la femme étant exclue du jeu. L'épouse du dauphin n'est donc pas nécessairement choisie pour être reine de France, ce fut le cas de Catherine de Médicis, mariée dès 1533, qui ne devint pas Dauphine immédiatement mais à la mort de son beau-frère. Mais dès 1540, le dauphin Henri n'avait-il pas été pressenti pour faire acte de candidature à l'Empire?
Importance extrême des prénoms, ce qui rapproche les rois des papes : si parfois un dauphin peut changer de prénom lors de son avènement, comme tel fils de Catherine de Médicis, certains prénoms sont plus prophétiques que d’autres, comme ce Carolus qui confère à celui qui le porte (Charles, Carlos, Karl) une position singulière. Les Bourbons pour leur part, fidèles à Saint Louis dont ils descendaient en ligne directe- déjà avec les Condé au XVIe siècle - ont su imposer le prénom de Louis jusqu’à Charles X, le frère de Louis XVIII.
Le futur Henri IV devient en quelque sorte "dauphin", en 1584, le jour où le dernier frère d'Henri III disparaît...La naissance tardive du futur Louis XIV, en 1638, est saluée par les astrologues dont l'art permet précisément à partir du thème de naissance de tracer un destin virtuel, encore faut-il préciser que l'astrologue n'était invité à oeuvrer, semble-t-il, que pour le cas où la naissance serait masculine. La tâche n'était pas sans risque car l'enfant en question pouvait fort bien ne pas vivre plus de quelques jours... Cardan, Jérôme se hasarda quelque peu en interprétant le thème d'Edouard VI d'Angleterre, qui mourut à 16 ans en ayant régné 4 ans. Quant à Louis XVII, il n'était d'abord, en quelque sorte, que dauphin en second. La France connaîtra comme fatalité de voir ses dauphins succéder, à un âge trop tendre, à leurs prédécesseurs.
On ne saurait oublier le cas de Monsieur, le frère le plus âgé du roi, qui peut parfois être son successeur attitré du moins pour quelque temps, cela se produisit pour François d'Alençon, aux côtés d'Henri III, de Gaston d'Orléans jusqu'à la naissance du futur Louis XIV, et, cas de figure inverse, du Comte de Provence, le futur Louis XVIII, à la mort supposée de son neveu. Accédant au trône, en l'absence d'un dauphin, c'est le frère plus jeune, quand il en reste, qui, à son tour, devient Monsieur, c'est ainsi que le comte d'Artois sera Monsieur au moment où son frère devient roi, succédant lui aussi à son frère aîné. Le texte prophétique doit s'ajuster en permanence sur cette ronde des princes dont les dates de décès revêtent, on l'imagine, un fort intérêt pour la datation des textes. A quelle date, par exemple, a-t-on pu commencer à mettre en avant l’année 1660 dans les éditions centuriques? Pas avant la naissance du furtur Roi Soleil, en 1638.à
Notons aussi que le prénom donné à la naissance peut parfaitement changer par la suite, au hasard des décès. Pour parler du Carolus, il n'était pas toujours si simple de s'assurer que le successeur d'un roi porterait bien tel prénom, surtout s'il s'agissait du frère du dauphin ou lorsque le successeur était le frère du roi...
Quant à la reine, elle est le plus souvent une pièce rapportée, on pourrait dire importée d'un autre royaume, une étrangère admise au coeur du système, vouée à mettre au monde le dauphin mais, par le fait des morts, elle peut rêver d'accéder à la régence, avec tout ce que cela implique. La France n'est d'ailleurs pas réfractaire à un pouvoir confié à des étrangers, souvent italiens, faute de juifs de cour, comme en témoignent, durant les régences, le rôle d'un Mazarin(i), pour ne pas parler de celui d'un Concini. Mais ceux-ci ne sont pas sans focaliser de terribles rejets, du fait même de leur origine.
Notre période sera notamment marquée par l'attente récurrente d'un Roi Soleil - image s'imposant notamment au dauphin, sorte d'astre levant - qui marquera les esprits jusqu'à ce que Louis XIV vienne, jusqu'à un certain point, accomplir la prophétie après que son père - pour ne pas parler de ses aïeux des XVe et XVIe siècles - s'en soit rapproché, à la façon d'Icare. Mais justement cette consécration du petit-fils d'Henri IV n'arrive-t-elle pas déjà trop tard dans le siècle pour sauver un prophétisme à bout de souffle? Une symbolique solaire qui ne compense pas tout à fait l'échec répété de l'accession à l'Empire dont cependant les rois de France - le roi est certes "empereur en son royaume" - s'arrogent certains attributs comme de se faire appeler "Majesté". On ne comprend pas le personnage de Louis XIV sans cet arrière-plan prophétique qui pèse sur la dynastie et en ce sens, le dialogue entre le prophète et le monarque n'est pas sans référence biblique. Le dauphin tend à devenir le prince idéal, rêvé, à la fois puissant par son destin et fragile par son âge.
En fait, Henri IV avait déjà focalisé nombre d'espérances et la floraison de textes prophétiques sous son règne, notamment avec Jean Aimes de Chavigny dès 1589, en est à la fois la cause et la conséquence.
Paradoxalement, le prophète redoutera deux situations apparemment contradictoires: d'une part le non-événement qui vient neutraliser son pronostic - on pense à 1840 - et l'événement imprévu comme un assassinat, une mort, qui l'amènent également à revoir sa copie.
Le second fil conducteur est la perspective d'une date fatidique qui correspondrait à la fin du XVIIIe siècle. Le texte prophétique se perpétue, s'actualise, interfère peu ou prou avec le discours politique jusqu'à ce qu'il télescope en quelque sorte ce dernier avec la Révolution de 1789. L'affaire ne s'arrête pas là car l'exploitation de ce succès d'annonce marquera le prophétisme du XIXe siècle et le conduira à vouloir en quelque sorte rééditer l'exploit prévisionnel avec plus ou moins de bonheur, notamment sous la Monarchie de Juillet.
Le Mirabilis Liber par le truchement de certaines de ses pièces continuera à être exploité, d'abord au XVIIe siècle avec la prophétie du lys de Ste Brigitte, issue de la Pronosticatio de Lichtenberger puis au lendemain de la Révolution avec la prophétie dite de Vatiguero, qui se place hors Pronosticatio, dans la partie latine du recueil français. Nous nous intéresserons notamment à des avatars du XIXe siècle: prophétie d'Olivarius, prophétie de l'Abbaye d'Orval, qui fait écho à l'Abbaye de Théléme, en laquelle Rabelais avait imaginé - à la fin de son Gargantua - dans les années 1530, l'invention d'un Enigme
Nous replacerons dans une nouvelle perspective la plupart des textes déjà abordés au risque de certaines répétitions. En effet, jusqu'à présent nous nous étions surtout intéressés à la formation des textes. Il est certes souvent malaisé de séparer cette formation du contexte historique successivement traversé. Mais nous avons préféré en l'occurrence parler de "fortune" pour indiquer qu'alors c'est la survivance du recours au texte qui prédomine sur les changements intervenus dans le corps même du texte. En fait, la formation d'un texte prophétique est-elle jamais achevée?
Notre propos consistera à mettre en évidence les conditions d'apparition et d'évolution des textes étudiés mais surtout la façon dont des textes souvent anciens sont recyclés. En effet, ces textes n'émergent pas innocemment, ils servent le plus souvent des intérêts politiques immédiats. C'est en fait, a priori, un excellent moyen pour fixer la date d'élaboration d'un texte que d'en cerner les raison mais l'écueil réside en ce que l'histoire souvent se répète, tant et si bien qu'il est bien rare que la référence à un événement daté soit univoque. S'il importe, en effet, de cerner une certaine chronologie du texte, du point de vue de la critique interne, il est également essentiel de comprendre à quelle nécessité correspond la publication ou la republication d'un texte.
En fait, plus que 1789, la date la plus importante pour l'histoire du prophétisme français pourrait bien être 1840. En effet, force est de constater que 1789 fut un rendez-vous manqué entre prophétisme et politique ou si l'on préfère il ne prit tout son sens qu'après coup. A la fin du XVIIIe siècle, il n'existait pas de véritable milieu prophétique. Celui ci ne se (re)constitua, selon nous, que dans les Années Vingt, sous la Restauration. avec en ligne de mire la possibilité de revenir en quelque sorte sur un acte manqué, ce que permettait précisément cette "restauration" qui pourra ainsi être suivie d'une révolution. Entre 1828 et 1848, le prophétisme français est en pleine possession de ses moyens, c'est à dire que la symbiose entre politique et prophétique se réalise. Ainsi, l'année 1840 pourrait apparaître comme celle où le dit prophétisme joue son va-tout et....échoue, même si la Révolution de 1848 peut apparaître comme un prix de consolation. Mais là encore, le charme est rompu...
De la sorte, en moins de deux siècles, le prophétisme aura triomphé en France: une première fois dans l'attente d'un Roi Soleil, une seconde dans celle de la Révolution qui allait emporter la monarchie. Entre 1700 et 1800, quel basculement!
A partir de la fin du XVIe siècle, l'institution du Dauphin est en crise. Celle-ci est liée au clivage religieux lors du passage d'Henri III à Henri IV. La Ligue et la Fronde illustrent un certain malaise. Quant à la Révolution française, elle introduira une confusion inouïe dans le statut du Dauphin: alternance des dynasties, faux dauphins, dauphin à perpétuité (Henri V), ne parvenant pas, sa vie durant, à régner.à Le prophétisme profita-t-il vraiment d'un tel contexte?.
Tout se passe en France comme si le Roi non seulement ne mourrait pas mais transmettait à son successeur le bénéfice des prophéties le concernant. Il semble bien qu'il faille admettre ce principe, faute de quoi les nombreuses morts prématurées auraient mis à mal tout l'édifice vaticinatoire. Mais la naissance et la mort sont intimement liées puisque le destin du dauphin a souvent été d'attendre le décès de son prédécesseur ou d'en être fortement affecté lorsqu'elle survenait trop tôt.
Nous étudierons le statut des prophéties; à la veille de la Révolution Française, puis analyserons de quelle façon les dites prophéties rendent compte voire légitiment pour le XIXe siècle ce traumatisme majeur. Mais, en fait, la période post-révolutionnaire reste fortement marquée par le principe monarchique et impérial, cadre dans lequel se situe notre histoire du prophétisme français qui s'arrête à la première Guerre Mondiale qui accompagne ou annonce le déclin de l'idée monarchique en Europe: tant en Russie qu'en Autriche-Hongrie ou qu'en Allemagne. Quant à la France, la seconde période de la Troisième République, celle que l'on nomme l'Entre- Deux Guerres, est nettement moins obnubilée par cette question que la première.
Le paradoxe auquel sera confronté le prophétisme français tient au fait qu'au moment où les faits semblent lui donner raison - 1789 annoncé par Pierre d'Ailly - la logistique prophétique est peu ou prou en crise, ce qui empêche celui-ci d'en tirer tout le bénéfice: la fin du XVIIe siècle n'offrira plus les mêmes ressources que la fin du XVe ou celle du XVIe siècles et la fin du XVIIIe siècle arrive un peu tard pour sauver un prophétisme marginalisé. Cependant, au milieu du XIXe siècle, le prophétisme trouvera un nouveau souffle, profitant de la survie du statut de dauphin.

Henri IV fut très vite éclipsé par son fils, le dauphin, dont un sixain nostradamique célébrera la naissance. Pourtant, la guerre des prophéties battit son plein au début du règne d'Henri IV lorsqu'il n'était encore, pour beaucoup, que roi de Navarre. Louis XIII à l'instar de Charles IX allait mourir avant le terme avancé. Mais le fils de Louis XIII enterrerait le Grand Dauphin né dès 1661, et la génération suivante à l'exception de Philippe V monté sur le trône d'Espagne, ce qui aboutirait à donner à Louis XIV un successeur âgé de 5 ans et produirait une Régence sans mère.
Il y a des siècles qui élaborent des prophéties et d'autres qui les amènent à leur terme, à une certaine praxis. Tel est, selon nous, le rapport entre le XVIe et le XVIIe siècles. La fin du XVIIe siècle apparaît comme préparée par une certaine littérature prophétique. A lire un texte comme le recueil de Claude Vilette qui circula entre 1611 et 1672, avec quelque insistance, l'on perçoit que Louis XIV ait pu être amené à révoquer l'Edit de Nantes de 1598, pris par son grand père, Henri IV, concernant la liberté du culte protestant, au nom d'un souci d'unité qui est un leitmotiv de la Prophétie Moderne. En procédant ainsi, Louis XIV pensait peut-être émettre un signe à valeur messianique. Il est vrai qu'un autre aspect de la même Prophétie prévoyait que le Roi de France soumettrait les Turcs. Or sur ce point, la France aura failli et si les Turcs avaient subi une défaite devant Vienne, en 1683, cela ne tenait pas vraiment à elle qui, paradoxalement, entretenait, de longue date, les meilleures relations avec la Porte Ottomane et comptait sur son intervention pour avoir les mains libres à l'Ouest.
Aux XVIe- XVIIe siècles, le prophète, comme dans l’Ancien Testament, a légitimité à s’entretenir avec le roi, à l’interpeller, notamment par le moyen d’une Epître, comme l’auteur du Mirabilis liber pour François Ier, comme Nostradamus pour Henri II - à la suite de sa venue à la Cour - Antoine Crespin pour Charles IX, Jean Aimé de Chavigny pour Henri IV, le chevalier Jacques de Jant pour Louis XIV. Epîtres souvent adressées à des jouvenceaux comme celles qui le furent de la part de la mouvance nostradamique, à François d’Alençon, le dernier fils d’Henri II, qui, dès la fin des années 1560 polarisait bien des espérances.
Mais il est aussi des siècles qui focalisent l’attention prophétique, c’est le cas du XVIIIe siècle et dès lors on peut se demander jusqu’à quel point le prophétisme n’est pas responsable d’avoir annoncé la fin de la monarchie ou du moins la fin des temps avec elle, comme cela se produisit pour la prophétie dite de Saint Malachie 7 Mais dès 1649, l'exécution, à Londres, de Charles Ier d’Angleterre, allait faire le bonheur, la fortune, des Centuries et nombre d’éditions paraîtront dès les années 1660 avec une vignette représentant la dite exécution faisant des dites Centuries le véhicule d’un acte manifestant la mort d’un roi, préfiguration de celle de Louis XVI, un peu plus de 120 ans plus tard. Mais si l’Angleterre allait garder son souverain, jusqu’à nos jours, pour sa part, la “Nouvelle Angleterre” - les Etats Unis actuels - en aura fait le deuil dès la fin du XVIIIe siècle. Certes, la monarchie française survécut-elle quelque temps à la Révolution Française tout comme la Papauté pourrait tout à fait se prolonger au delà de la dernière devise. En effet, pour la prophétie de Saint Malachie, il est surtout dit que lorsque toutes les devises pontificales seront accomplies, commencera une nouvelle ère, il n’est pas déclaré explicitement qu’il n’y aura plus de papes et d’ailleurs, il est possible que dès Pie IX, qui régna dans les années 1840-1870, on ait passé le dernier pape correspondant à la liste. De la même façon, l’on pourrait se demander si la monarchie française à partir de la Révolution de 1789 et de l’Empire, ne s’est pas prolongée, dans un processus de survivance, au coeur d’un monde nouveau.
















Chapitre I
UN SIECLE SI ANNONCE


Le XVIIIe siècle avait été de longue date -XV-XVIe siècles - perçu comme devant amener à un achèvement et l'on ne peut sous-estimer l'influence prophétique sur l'image que ce siècle des "Lumières" eut de lui-même. Dès 1414, un Pierre d’Ailly ne voyait-il pas en l’an 1789 l’arrivée de l’Antéchrist?


Il fallait, en tout cas, pour les contemporains, que ce fût un siècle en rupture avec les précédents et le rejet de l'astrologie correspondit à une affirmation d'une spécificité: le XVIIIe siècle ne serait pas "astrologique" comme les autres. Mais-comme nous l'avions montré dans Le Monde Juif et l'Astrologie (Milan, Arché, 1985)-8il y a souvent un fossé entre les représentations officielles et les pratiques réellement suivies. A l'historien de ne pas se laisser berner par quelques professions de foi, d'éviter de prendre pour argent comptant les slogans et les consignes, une certaine langue de bois. D'ailleurs nul n'ignore la face cachée de ce XVIIIe siècle. Mais une chose est ce qui fut annoncé pour ce siècle, une autre ce qui s'y accomplit vraiment; quelle était la pression prophétique qui s’exerça sur certaines générations à l’instar de celle que connurent les contemporains de l’An 2000 que nous sommes.
Pour dire vrai, si révolution, il devait y avoir on l'attendait plus tôt, même si quelques auteurs, marqués par l'argument d’un Nicolas de Cuse, avaient en effet préféré sa fin à son commencement. On ne parlera d'eux qu'après coup; les prophéties convergeant vers le début du siècle furent prudemment rangées de côté ou on leur fit dire autre chose.
En effet, Nicolas de Cuse; désignait les temps ultimes comme devant recouvrir les premières décennies du siècle. Les protestants, exaspérés par la Révocation de l'Edit de Nantes et par l'absolutisme d'un Louis XIV, qui ne mourra qu'en 1715, annonçaient la fin de l'Eglise autour de la période charnière de 1700.
En fait, cette effervescence même allait provoquer une réaction comme la recherche d'une convalescence. Il en sera de même à la fin du XIXe siècle alors que la France est malade de ses prophéties. Comme chez les juifs, la diète, les interdits, ne prennent leur sens que par rapport à des excès que l'on veut exorciser. C'est ainsi que la Révolution Française se produisit à une période de relatif calme prophétique même si la comète de 1773 avait quelque peu, on l'a vu, "allumé" les esprits. On n'était plus dans un discours prophétique mais plutôt dans une forme de science-fiction où les astres venaient percuter la Terre. La science créait ainsi ses propres démons.
Tout se passe comme si les prophéties qui avaient surtout servi à soutenir tel ou tel parti, étaient inopinément passées à l'acte, avec le traumatisme que cela impliquait. Pour supporter une telle secousse, les prophéties allaient jouer un rôle thérapeutique en encourageant un certain fatalisme.
A lire certains, le XVIIIe siècle, celui des Lumières, marquerait jusqu'en 1789 un certain déclin de l'activité prophétique. Rien n'est moins sûr si l'on prend en compte le mouvement figuriste, notamment sous Louis XV, étudié notamment par Catherine Maire et que nous abordons dans la partie consacré au programme.. En ce qui concerne la production nostradamique, celle-ci se développe notamment au niveau biographique et à celui des contrefaçons d'éditions du XVIe siècle. Les Prophéties perpétuelles de Moult feront partie du paysage à partir des années 1740. Cela dit, si l'on considère le rôle du roi de France dans les spéculations prophétiques, quel contraste, après la mort de Louis XIV, avec les deux siècles précédents ainsi qu'avec le XIXe siècle!
La fin du XVIIe siècle avait été secouée par un mouvement d'origine réformée (cf infra) notamment autour de Pierre Jurieu, fixant pour échéance 1689 et dirigé contre le roi qui avait révoqué l'Edit de Nantes en 1685. Les espérances passeraient le cap du début du siècle suivant d'autant plus qu'elles rejoindraient, d'une certaine façon, les spéculations développées au milieu du XVe siècle par le Cardinal de Cuse avait révoqué (9
Le début du XVIIIe siècle était en effet dans la ligne de mire d'un Nicolas de Cuse; et de fait son oeuvre est traduite pour la première fois en français à partir de 1700. C’est ainsi que , partant de la Préface à César, datée de 1555, placée en tête de certaines éditions des Centurues, l’on ajoute 177 ans à 1555, l’on arrive ainsi à 1732.

Le deuil dynastique et les nostradamistes
La vieillesse de Louis XIV produira une succession de dauphins qui mourront avant d'avoir régné, ce qui anticipe, en quelque sorte, sur la situation après l'abdication de Charles X en 1830. Le texte prophétique et notamment nostradamique sera marqué par ces morts en cascades
Nous faisons référence à des annexes à des Vies de Nostradamus qui sont réalisées en ce début du XVIIIe siècle. Ce sont précisément ces décès successifs qui permettront ainsi de dater tel manuscrit. Il y est fait référence aux enfants et petits enfants de Louis XIV lesquels vont décéder, à l'exception de Philippe V, avant leur père et grand père. Seul un des arrière-petit-fils de Louis XIV survivra, nouveau duc d'Anjou, né en 1710, ce sera Louis XV.
Tout commence dans l'euphorie; en 170O, le petit-fils de Louis XIV, le duc d'Anjou, devient Roi d'Espagne sous le nom de Philippe V. Palamèdes Tronc du Condoulet, est le premier à saluer l'événement en commentant un quatrain de Nostradamus sur l'Aquatique Triplicité dans sa nouvelle découverte de (ses ) quatrains (p.3)
Quatrain L de la première Centurie de Nostradamus:
De l'Aquatique triplicité naîtra
D'un qui faira le Jeudi pour sa Fête
Son bruit, loz, régné, sa puissance croistra
Par terre & mer, aux Orients tempête"

Les trois fils du Grand Dauphin Louis (mort en 1711) et de Marie Christine de Bavière - petits-fils du Roi Soleil - sont tous encore en vie en 1701. Palamèdes Tronc du Condoulet, dans son fascicule paru à Aix cette année là - Abrégé de la vie de Michel Nostradamus suivi d'une nouvelle découverte de ses quatrains ( Bib. Méjanes) - ne fait aucune restriction de ce genre.
La mise en cause de ce bel équilibre est forcément située après 1711 date de la publication de la Vie de Nostradamus par Pierre Joseph de Haitze, à Aix en Provence . En 1712, le Duc de Bourgogne, né en 1682, le nouveau Dauphin, petit-fils de Louis XIV, disparaît à son tour, peut-être empoisonné ainsi que l'un de ses fils, le duc de Bretagne, âgé de cinq ans, tandis que son frère le futur Louis XV, alors âgé de deux ans, échappait de peu à la mort. Le frère du dauphin, à son tour dauphin, le Duc de Berry, né en 1686, époux de la fille du Duc d'Orléans, meurt en 1714. Le précédent Duc d'Anjou, le cadet, né en 1683, petit-fils de Louis XIV, était, on l'a dit, devenu le roi d'Espagne Philippe V en 1700 et ne pouvait, selon les accords, devenir briguer la couronne de France; cela est probablement l'événement déclenchant pour Tronc du Condoulet qui publie son premier texte l'année même de la guerre de Succession d'Espagne qui devait durer jusqu'en 1714, au lendemain de la mort de Charles II, en novembre 1700, laissant un testament en faveur du duc d'Anjou.
Dès 1711, en effet, dans la Vie de Nostradamus de Pierre de Haitze, l'interprétation dudit quatrain n'est déjà plus valable en raison de la mort d'un des trois fils du Grand Dauphin lequel ne devait jamais régner, lequel va d'ailleurs mourir lui aussi cette année là. Les commentateurs qui viendront après cette date ne refusent pas de commenter ce quatrain dans le sens présenté par Palamèdes Tronc de Coudoulet mais en faisant la restriction quant à la mort de l'un des protagonistes. Mais en 1712, c'est un deuxième Prince qui meurt et le commentaire manuscrit attribué également à Tronc de Coudoulet n'y fait pas référence, ce qui tendrait à penser qu'il se situe entre les deux morts.
Et le commentateur, revenant sur le cinquantième quatrain de la première centurie d'avouer son impuissance:
"Je voudrais bien expliquer cette triplicité par une triplicité de couronnes et dire de l'aquatique où du Dauphin trois Rois naîtront (..) si le ciel eut répondu à nos voeux et ne nous eut privé de Monseigneur le Duc de Berry" On songe à la prophétie consacrée aux fils de Catherine de Médicis tous appelés à régner. Cette triplicité aquatique évoque les dauphins, animal marin.
Pierre de Haitze; fait seulement référence à Philippe V, le roi d'Espagne, petit fils du Roi Soleil. Le futur Louis XV, né en 1710, est en effet pour l'heure un dauphin bien fragile et Philippe V se trouvera en 1714, à la mort du duc de Berry, en cas de décès de son neveu, en position d'héritier de la couronne de France, en dépit du traité d'Utrecht.
En 1789, la Vie et Testament de Nostradamus, ouvrage paru à Paris, chez Gattey (BNF, Ln22 15273) reprend largement l'Abrégé de 1701 de Palamèdes Tronc du Condoulet; . Il ne fait pas allusion davantage à la mort du deuxième prince mais parle de Don Carlos comme réalisation d'une seconde couronne. Or, les événements liés à Dom Carlos se situent dans les années Trente lorsque Don Carlos (le futur Charles III d'Espagne), fils de Philippe V, devient Roi de Naples (1731) et n'a pas encore succédé à son frère Ferdinand VI, ce qu'il ne fera qu'en 1759, et dont traiterait le commentaire du deuxième prince. Le texte de 1789 serait donc la réédition d'un texte rédigé une cinquantaine d'années plus tôt dont on n'a point la trace. Il se présente d'ailleurs comme la reprise d'un texte de Jean Aimé de Chavigny; alors qu'il s'agit de l'Abrégé de Palamèdes Tronc du Condoulet, dans une édition différente de celle qui est conservée en manuscrit à la Méjanes d'Aix - Abrégé de l'Histoire de Michel Nostradamus- lui-même recourant à une source qu'a pu exploiter le Janus Gallicus pour rédiger son Brief Discours de la vie de Michel de Nostredame.
Toutefois, nous sommes amenés à penser que le manuscrit conservé à la Méjanes n'est pas la matrice de ces diverses publications. La comparaison avec la Vie et Testament de 1789 fait apparaître certes une très grande similitude qui disqualifie tout à fait l'attribution à Pierre Joseph de Haitze mais aussi quelques lacunes du manuscrit qui ne sauraient guère pouvoir être mises sur le compte d'une interpolation tardive. Certains quatrains ne figurent plus: quatrain III de la centurie V et XXXIX de la centurie V, qui étaient supposés se rapporter à Don Carlos, donc au début du XVIIIe siècle.
En revanche, ce manuscrit de la Méjanes semble avoir servi pour établir le texte de la Vie et Testament. On y retrouve notamment certains passages rayés qui recoupent les suppressions du texte de 1789. Dans la même page du manuscrit, un développement a été barré et remplacé par la formule "on assure que (à). On assure aussi à moins - ce qui serait une hypothèse plus probable - que l'un des possesseurs du manuscrit l'ait modifié pour correspondre à l'édition de 1789 dont le manuscrit en tout état de cause comporte la référence. Il y a toutefois des passages barrés du manuscrit qui sont restitués par le texte de 1789. (Quatrain 74 de la IVe centurie)
Nous avons localisé en outre un passage de notre manuscrit qui a été omis par l'ensemble des textes abordés: il s'agit du commentaire du quatrain 28 de la centurie III. Il y est question selon le commentateur du règne de Sixte Quint et d'Elisabeth d'Angleterre qui mit à mort ses adversaires.
Signalons en 1712 la réédition à Amsterdam, de l'Apologie de Naudé Gabriel; qui comporte une addition révélatrice de la vogue des Centuries, elle n'est évidemment pas due à la plume du bibliothécaire français: "Les prédictions de Nostradamus occupent encore tous les jours les esprits forts & superstitieux. Il ne se passe pas un événement considérable qui ne soit cherché dans les Centuries de cet homme & qui n'y soit enfin trouvé par les cerveaux creux de nos jours. On y a trouvé la Révolution de l'an 1689 en Angleterre, le bannissement des protestants de France, les Révolutions de Bavière en 1703 et 1704 et sans doute que quelqu'un est à y chercher aujourd'hui la mort de plusieurs princes de la Maison Royale de France" (p. 341).





I Un prophétisme de cour






Louis XIV aura vu mourir - nous en avons noté l'écho dans la littérature prophétique - un nombre considérable de dauphins à telle enseigne que Louis XV sera petit-fils, fils et neveu de dauphins qui n'auront jamais régné, anticipation de ce qui se passera au XIXe siècle pour un "Henri V". Louis XV, lui-même, transmettra la couronne à son petit-fils, Louis XVI. Sous les Valois, les rois mourraient prématurément; sous les Bourbons, il leur arrivera, au XVIIIe siècle, de survivre à une ou plusieurs générations de dauphins souvent éphémères, ce qui fragilisait cette institution. Souvent, le "vrai" dauphin n'avait pas été préparé au métier de roi.
Dans les Années Vingt du XVIIIe siècle, paraissent deux volumes intitulés "Prophéties de Michel Nostradamuus expliquées" parues à Avignon et à Marseille et qui confirment l'existence d'une école provençale au début de ce siècle si l'on tient compte des publications aixoises et des faux avignonnais datés de 1566, chez Pierre Rigaud.
La Bibliothèque Municipale de Marseille ( cote 14210) possède un des deux volumes, l'autre n'étant que signalé par E. Leoni. . Le seul volume daté n'a pas été localisé, il concerne "les révolutions présentes d'Angleterre et le rétablissement du roy de la Grande Bretagne Jacques II sur son trône (Avignon), l'autre traité des affaires françaises " depuis le règne d'Henry le Grand jusques au Règne de Louis le Grand " (Marseille Vve d'Henry Brebion.s.d.). Il s'agit, essentiellement, comme chez Massard, d'un commentaire des sixains dédié au jeune Louis XV..
Le Roi Soleil sera-t-il le parfait aboutissement du projet prophétique? Dès 1682, la naissance d'un petit-fils, Louis de France, duc de Bourgogne, qui mourra prématurément en 1712, relance de nouvelles espérances: un Jean Espitalier, Jean;, qui publiera plus tard des Oracles nostradamiques, adresse une Muse Dauphine ou Virgile Prophète à Monseigneur et Madame la Dauphine sur les heureuses attentes de Son Auguste accouchement. Il y est question d'un «troisième» Louis, poursuivant l'oeuvre de Louis XIII et de Louis XIV. Le protestant nostradamiste Jacques Massard; avait également beaucoup espéré du successeur présumé du Roi Soleil.
En 1716, au lendemain de la mort du Roi Soleil, l'on applique le Sixain 48 (attribué à Nostradamus) au jeune Louis XV:
«Du vieux Charon, on verra le Phénix
Etre premier & dernier de ses fils
Réduire en France & d'un chacun aimable
Régner longtemps avec tous les honneurs
Qu'auront jamais eu ses Prédécesseurs
Dont il rendra sa gloire mémorable»
Il s'agit d'une Epître au Roy qui contient une application d'une Prophétie de Nostradamus à Louis XV, construite autour du sixain et d'un texte en prose attribué également à Nostradamus et qui figurerait "sur la fin de ses prophéties":
"Par le moindre âge sera la Monarchie chréstienne, soutenue & augmentée. Sectes élevées & subitement abaissées. Arabes reculez; Royaumes Unis & nouvelles loix promulguées"
Elle est l'oeuvre de Bélier de Saint-Brisson;. En 1744, le texte reparaîtra chez Prault père; avec une introduction de ..Pessaire;: Accomplissement d'une Prophétie de Nostradamus en la personne de Louis XV à qui elle fut appliquée & présentée dès l'année 1716 .
L'affaire du financier Law - la banqueroute date de 1720 - fait également l'objet d'un commentaire nostradamique autour du quatrain 43 de la première centurie

Las qu'on verra grand peuple tourmenter
Et la loi sainte-en totale ruine
Par autres loix toute la Chrétienté
Quand d'or, d'argent trouve nouvelle mine


En 1730, paraît la Prédiction accomplie de la naissance du Duc d'Anjou présentée au Roy à Paris, au sortir du Te Deum chanté à Notre Dame en action de grâce le 2 Septembre, BNF, Ye 4014. Il s'agit de Philippe qui ne vivrait que 3 ans.
Encore en 1738, sera évoquée la naissance, survenue le 4 septembre 1729 du Dauphin (Louis) premier fils de Marie Lesczynska, futur père de trois rois Louis XVI; né Auguste, duc de Berry, Louis XVIII; et Charles X; par un Joseph .Goiffon, dissertant sur la lutte du Lys et de l'Aigle, dans un Felix syderum situs nascente serenissimo Delphino Regio in castro Versaliarum, pridie nonas septembris anni 1729, Paris, chez S. Ganeau
XXVIII: «On vit l'astre de ce nom sortir du Méridien et paraître vers le Milieu du Ciel, à la Naissance célèbre, les peuples soumis à l'Empire du Lys purent commodément l'observer, en signe d'heureux présage. L'Aigle venait de disparaître & de se plonger dans les ténèbres de l'horizon (à) A peine vit-elle (une aigle) le lys s'élever et néanmoins sans éclat fastueux qu'elle s'abaissa et descendit, tout oiseau qu'elle est de Jupiter, elle se perd sous l'horizon & ses feux éteints elle disparaît pour ne plus se montrer tout le temps de l'apparition du lys. Cette différence a pu échapper à bien des astronomes versés dans la pratique du firmament et peut être que c'est à votre heureuse naissance, Prince Sérénissime, qu'on en doit la découverte»

La veine virgilienne
En 1708, P. Catrou; place la IVe Eglogue en cinquième position dans sa traduction des Bucoliques et remplace le nom de Pollion par une formule significative: Horoscope de Marcellus( BNF, Yc 5484)tion des Bucoliques et remplace le nom de Pollion par une formule significative: Horoscope de Marcellus( BNF, Yc 5484)"
J R. de Ribauld de Rochefort (de la Chapelle) fait paraître en 1736 une Dissertation sur le sujet de la quatrième Eglogue de Virgule 10Dans ce texte, l'auteur a opté pour la naissance de Drusus, qui sera gendre de Marc-Antoine, qui s'illustrera comme général; ce qui l'amène à retarder la date de rédaction de la IVe Eglogue.
La Dissertation paraîtra séparément sous le titre d'Explication de la quatrième Eglogue en 1739 (BNF, Yc 5491) et 1745 Yc 5492
En 1775, l'Abbé Regley publie un Dialogue entre Henri IV, le maréchal de Biron, le brave Guillon, sous le règne fortuné de Louis XVI, Paris, Vve Duchesne, BNF Lb39 195:
"C'est celle où le poète célèbre la naissance de ce fils d'Auguste qui devait bannir le siècle de fer & ramener l'âge d'or parmi les Romains.
"Cet enfant (..) ne pouvait pas être le fils de Pollion comme on l'a cru, ce n'était pas non plus Marcellus, fils d'Octavie, qu'Auguste n'adopta que lorsqu'il lui fit épouser Julie; c'était plutôt Drusus, fils d'Auguste et de Livie qui vint au monde l'an de Rome 716, après la pacification de l'univers, c'est à dire depuis la paix conclue à Brindes entre César et Antoine, c'est aussi le temps où Virgile a composé son Eglogue". Mais c'est oublier que Virgile en dédiant son Eglogue à Pollion ne peut que s'intéresser au camp du rival d'Octave.


Le prophétisme de salon
Il n'y a pas vraiment de solution de continuité pour le prophétisme d'expression française au XVIIIe siècle dès lors qu'au niveau en tout cas d'une certaine agitation, les Figuristes auront pris le relais des Réformés (
Plusieurs facteurs nous conduisent en effet à penser qu'au cours des années trente, le prophétisme français connaît une certaine renaissance qui prend le relais des prophéties réformées postérieures à la Révocation de l'Edit de Nantes: spéculations sur le Rappel des Juifs avec avancée de dates sans parler de l'attente des événements annoncés pour 1740, qui a laissé son empreinte dans le langage commun. "S'en moquer comme de l'an 40".
Dès lors, des publications satiriques vont attester l'importance d'un tel phénomène. Il s'agit là d'un pseudo-prophétisme bien éloigné des machines de propagande des siècles précédents. Personne n'est dupe mais le genre prophétique reste un support attrayant.
En 1736, un certain L. B. Castel, publiait une Lettre philosophique pour rassurer l'univers contre les bruits populaires d'un dérangement dans le cours du soleil, au sujet d'un vent furieux et de la chaleur extraordinaire qu'il fit le samedi 20 octobre dernier( BL 534 a 46) suivie en 1737 d'une Seconde lettre philosophique pour rassurer l'univers contre les critiques de la première en réponse à MM les Auteurs des Réflexions sur les ouvrages de littérature Paris, Prault ( BNF Zp 2145; BL 534 a 46)'
En 1745, à Anvers, paraissait un Almanach des Proverbes composé, supputé & calculé exactement par le scientifique Docteur Cartouchivandeck, astronome privilégié suivant les astres (BNF, Zp 1312) avec l'accord de Nostradamus".
Intéressons-nous un instant à une sorte de prophétisme bouffon qui marque les années 1752-1753, qui voient s'opposer le coin du roi favorable à la musique française (Lulli, Rameau) et le coin de la reine, en faveur de la musique italienne, dont les Encyclopédistes. Cette querelle qui éclate au mois d'août 1752 avec la représentation d'une oeuvre de Pergolèse, la Servante maîtresse, se nourrira de prophéties. Qu'on en juge!
La première référence "prophétique" semble venir de Prague avec un texte intitulé Le petit prophète de Boesmischbrad. Ici sont écrits les 21 chapitres de la Prophétie de Gabriel Joannes Nepomucenus Franciscus de Paula Waldtorch dit Waldstorchel (..) à Prague", BL, 1103 b 21 (4), attribué par Barbier au baron Melchior de Grimm, M. de; (1723-1807)-à ne pas confondre avec les frères Grimm plus tardifs. plus tardifs."
En 1753, paraîtra une adresse de ce personnage de Bohème au grand Prophète Monet; (BL, 1103 b 21 (12). Il lui est répliqué avec les Prophéties du Grand Prophète .i.Monet; qui valent bien celles d'un autre, imitées de l'Alcoran, de l'Histoire d'Angleterre et de Prusse car ce ne sont pas les Allemans qui ont trouvé cela tout seuls. Sous le nom de Monet se serait exprimé, selon Barbier, Mathieu-François .Pidansat de Mairobert; . Diderot, Denis; fera paraître toujours en 1753 un court pamphlet anonyme qui réplique aux deux pamphlets tout à la fois: Au petit prophète de Boesmischbraud, au grand prophète Monet (BNF, Yf 8097). Mais 1753 est aussi l'année où Jean Jacques ..Rousseau, présente son Devin du Village. Le philosophe prend position, dans la Querelle des Bouffons, parmi les tenants de la musique italienne contre la musique française. Dans la Seconde lettre de correction des Bouffons contenant quelques observations que l'opéra de Titon, le Jaloux corrigé et le Devin du village (Z Fontanieu 334 (16) on se demande si ce n'est pas "le petit prophète qui a inspiré en personne le Devin du Village". En fait, le Devin du Village pourrait être à l'origine de cette vogue prophétique car les premières représentations eurent lieu devant le Roi, à Fontainebleau, les 18-24 octobre 1752 (voir titre de la première édition, BNF, Res Yf 767; avec la partition, BNF, Vm2 455) puis seulement le Ier mars 1753 à Paris.
Toute une littérature polémico-prophétique se déploie, conservée dans des recueils factices, à la BNF, notamment la Lettre écrite de l'Autre Monde par l'A.D.F. à M.F. de Suard (Z Fontanieu 334 (13), la Lettre à Madame Folio où l'on peut lire:
"Les partisans de la musique française ont suscité un prophète en sa faveur (..) Il prédit ensuite que les Bouffons n'auront pas de succès". (BNF, Z Fontanieu 334 (7)
Dans l'Epître aux Buffonistes (Z Fontanieu 334 (19), on trouve ces vers: "A l'oracle de Prague on ne peut que souscrire/Hâtant le carnaval le Ciel a voulu rire/ La Bohème est féconde en esprits excellents/ Qui pour la prophétie ont de rares talents"
Citons enfin les Réflexions Liriques (sic) de février 1753 (BNF -Z Fontanieu 334 (25):
"Déjà le grand prophète arrêtant sa victoire
Des Français alarmés vient défendre la gloire (..)
Au talent prophétique, il joint l'esprit du sage (..)
Quoique en son pays aucun ne soit Prophète"
En 1764, paraîtra l'Eclipse moderne ou la folie de M. AR***, 1764 ( BNF, Z 12900) prenant, en matière d'opéra, le parti de l'italien contre celui du français.

La Guerre de Sept ans
En 1756 - début de la Guerre de Sept Ans - paraît l"Année extraordinaire où sont les prédictions véritables et remarquables des prodiges étonnans qui doivent arriver en France dans le cours de (cette) année par un certain Kaxeziloscou;: il y est question, dans un style qui évoque la Pantagruéline Pronostication de Rabelais, François;, d'un Parasaramus (de par hasard) référence évidente à Nostradamus. (BNF, Zp 26): Parasaramus prétend que cette année le mal des yeux sera très contraire à la vue.
Plus sérieusement circule en manuscrit un pronostic datant de 1654-1658 concernant l'Angleterre pour 1756. Le Fatum Universi paru en latin, connut alors, dans sa version de 1658, une traduction française manuscrite, sous le titre de Destin de l'Univers. Une traduction française annotée et souvent critique. Une traduction française annotée et souvent critique qui ne comporte pas de texte imprimé, a été conservée à la Mazarine et il nous semble qu'elle a été réalisée à partir de la première édition (Maz, Manuscrit 3676). On connaît en effet trois versions d'un texte latin de quelques dizaines de pages dont la parution aurait provoqué des réactions de la part des puissances visées, à la suite desquelles, des versions expurgées auraient été produites.
Le XVIIIe siècle fera de l'auteur du Fatum Universi un prophète heureux: "Ce qui le mit à crédit", note l'auteur d'une note manuscrite, ce fut d'avoir annoncé "plus de quarante ans" à l'avance la Révolution d'Espagne de 1702.
Dans l'Année Littéraire de 1757 11Frèron; fit paraître une Lettre consacrée à l'oeuvre astrologique de Franciscus .i.Allaeus _alias Yves de Paris; datant de 1654 (cf supra) que nous avons étudiée plus haut:
«_Plusieurs personnes», dit l'auteur de cette Lettre, «_m'ayant assuré qu'il existait un livre latin imprimé depuis plus de cent ans dans lequel l'Angleterre était menacée en 1756 d'une aussi grande perte que celle de Minorque, j'ai été curieux de voir par moi même si la prophétie était réelle.» .
C'est dans le Fatum Universi dans la deuxième édition, parue à Rennes en 1655, que l'on trouve effectivement la formule «_Annus 756 minatur maximum excidium», l'année 1756 menace l'Angleterre d'une grande désolation. «Ce n'est point là, précise le lecteur, une Centurie faite après coup». Il dit à juste titre que dans l'édition de 1658 «l'on ne trouve point la prédiction sur l'Angleterre ni quelques autres qui regardaient d'autres puissances de l'Europe ces Puissances se plaignirent sans doute & l'ouvrage (dans sa première version) fut supprimé_». A vrai dire 1756 n'était que le début de cette Guerre de Sept Ans qui allait s'achever sur le traité de Paris, en 1763, à l'issue duquel la France perdit le Canada et l'Inde mais conserva les Antilles. 1756 n'en fut pas moins perçue comme une année plutôt défavorable à l'Angleterre de Georges II qui perdit Minorque, sans parler des déboires en Amérique du Nord, ainsi que l'année suivante, mais celle-ci allait par la suite, en raison de l'ascension de William Pitt, avec l'appui de la Prusse de Fréderic II, être victorieuse . Sur le moment, on put y voir une réussite prévisionnelle pour le pseudo-Haly, tant l'équilibre des forces et notamment l'alliance franco-autrichenne semblait redoutable. Encore en 1759, il fut question d'un débarquement français en Angleterre.
Eymard, . (1937, p. 56) insiste sur la fortune des prophéties yvoniennes, notamment dans les Analecta juris pontifici (Rome, 1884, col 202 n.23) ainsi que dans divers dictionnaires français. (Michaud, Dictionnaire Universel du XIXe siècle);




L'hostilité de l'Encyclopédie (1751)
Les rédacteurs de l'Encyclopédie s'inspirèrent largement de la Cyclopaedia de l'Anglais Ephraim Chambers, dont il avait été question initialement de donner la traduction. Un des principaux articles consacré à l'astrologie apparaît à l'entrée Influence, signée .Menuret; et il accorde une large part à l'Argenis de l'Ecossais John . Barclay, paru en 1621 et qui comporte des passages anti-astrologiques comme celui-ci: Un astrologue qui s'était chargé de prédire au roi Henri (IV) l'événement d'une guerre dont il était menacé par la faction des Guises, donna occasion à la satyre de Barclay: Puisqu'enfin votre science nous découvre si le roi doit triompher de ses ennemis, dites nous auparavant s'il ajoutera foi à vos oracles En revanche l'Encyclopédie ne daigne pas accorder la moindre allusion à Nostradamus et aux Centuries.

Le déclin de l'astrologie
Le XVIIIe siècle est marqué par une baisse certaine du niveau des calculs astrologiques comme si le public susceptible d'être intéressé par les spéculations planétaires - largement féminin - n'était plus capable de dresser une carte du ciel, en bonne et due forme. La géomancie allait ainsi détrôner une astrologie qui allait sombrer dans les promiscuités de l'occultisme.
Il convient de s'arrêter un instant sur cette astrologie en phase de déclin et qui entraîne éventuellement un certain prophétisme dans sa chute. Nous avons dit qu'elle s'était constitué une nouvelle clientèle mais cela signifie aussi qu'elle propose un nouveau produit et cette tendance s'accentuera jusqu'à nos jours. Il s'agit de moins en moins pour l'astrologie d'aborder le décryptage d'un avenir collectif qui échappe peu ou prou à tous mais de prendre en charge des problèmes individuels chez des personnes en mal d'identité, plus ou moins marginalisées. Au lieu de servir d'outil pour l'élite dirigeante, elle devient une béquille pour les laissés pour compte. Alors que l'astrologie trouvait sa légitimité dans l'étude des horoscopes des princes voués à succéder à leurs pères, aux plus hautes charges de l'Etat, elle allait appliquer ses outils à des personnages insignifiants, dont, a priori, le cosmos n'avait que faire. On assiste donc à une désacralisation du discours astrologique : au lieu de s'associer à de grandes causes, les astres sont présentés comme la cause des maux du vulgum pecus.






II Les prophéties napolitaines


A partir de 1734, le royaume de Naples est gouverné par des Bourbons. En 1740, vont commencer à circuler des Prophéties Perpétuelles qui seraient dues, à en croire le titre, à un certain napolitain du nom de Moult. Derrière une façade anodine, nous trouvons des textes qui ne sont pas sans incidence politique.
Si le Kalendrier et Compost des Bergers tend à évacuer le savant ( en revanche, les Prophéties Perpétuelles- et notamment le personnage de Thomas Joseph Moult - en dépit de leur dimension agricole - insistent sur le personnage du "philosophe". Si le Kalendrier des Bergers propose globalement un temps saisonnier, le prophétisme introduit des modalités.
On s'intéressera ici aux prophéties qui ne sont pas axées sur une seule année mais sur une suite d'années voire sur des types d'années récurrentes; ce procédé a pour avantage de permettre à un texte de se perpétuer, en passant d'une échéance à l'autre.
Les prédictions agricoles s'articulent autour de périodes assez longues, de 28 ans notamment. Nous verrons comment les prédictions politiques se grefferont sur ce système. Il importe que celles-ci concernent des événements relativement fréquents, toute eschatologie en la matière risquant de perturber la cyclicité.
En 1866, le libraire parisien Delarue publie un triptyque comprenant les Centuries, dans une impression troyenne, le Recueil des Prophéties et Révélations, daté de 1611, ainsi que les Prophéties Perpétuelles de Moult, Paris, Prault Père avec une "Approbation" in fine en date du 30 novembre 1740. Les deux premières pièces correspondent à des éditions du XVIIe siècle, la troisième que nous allons étudier nous pose quelques problèmes de datation. Ces "Vaticinations perpétuelles", pour reprendre une expression de la Préface à César, sont le prolongement d'une tradition de prédictions agricoles, selon des cycles de 27 ans, issus des 27 jours lunaires. En réalité, cette expression employée par Nostradamus n'est guère explicitée par ses soins et un regard rapide sur les centuries suffit à se convaincre que les quatrains qui s'y trouvent ne sauraient être assimilés à cet univers pastoral. En revanche, lorsque l'on examine les quatrains des almanachs, le rapprochement est plus aisé. En tout cas, de ce point de vue, la Préface correspond assez mal aux vers qui lui font suite.
Tout au plus observe-t-on à la lecture du Recueil des Présages prosaïques 12qui rassemble la plus grande partie de sa production annuelle entre 1550 et 1566 qu'il tend à relier une année avec une autre, comme s'il disposait d'une sorte de typologie propre précisément aux "Prophéties Perpétuelles", ce qui expliquerait en fait les références à une histoire souvent ancienne, mises en évidence par P. Brindamour, susceptibles d'éclairer l'avenir.
Il nous semble vraisemblable que l'Epître à César ait pu servir initialement non point à introduire des Centuries mais un système de prophéties perpétuelles tel qu'il se répandra dans les années soixante-dix du siècle. Ce n'est pas peut être pas sans raison, au demeurant, que le nom de Nostradamus ait été associé fréquemment avec celui de Thomas Joseph Moult au XIXe siècle. Le texte de la Préface semble en tout cas relier quatrains et perpétuelles vaticinations:
«_J'ai composé livres de prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties, lesquelles j'ai un peu voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d'ici à l'an 3797...». On peut éventuellement supposer que cette préface introduisait à la fois des quatrains et un système vaticinatoire, année par année.













A Les Prophéties perpétuelles de Moult
A partir des années 1570, le genre des prophéties cycliques, essentiellement agricoles, se développe, soit peu de temps après la mort de Michel de Nostredame. Ce genre est caractérisé par l'absence de recours à une astronomie planétaire et doit donc être nettement distingué des publications de Leovitius.
Un nom revient, celui de George Guirini ou.Quirini; allemand. A partir de cette époque il est courant de se procurer des ouvrages pouvant servir sur de longues années plutôt que d'acheter chaque année un almanach astrologique. Toutefois, il est clair que ces textes s'appuient sur une tradition plus ancienne dont il n'est pas exclus que Nostradamus ait pris connaissance vingt ans plus tôt et à laquelle il fait référence dans son Epître à César de 1555.
Très vite, le nom de Quirini ne va plus figurer: c'est le nom de Jean Ongoys de Thérouanne, qui apparait dès 1572 comme auteur de l'ouvrage, ce qui pourrait d'ailleurs être légitime ! Ce Quirini est l'auteur de l'Epître à Isabelle d'Autriche, Reine de France et un partisan, dix ans avant l'heure, d'une réforme du calendrier qui satisferait les agriculteurs: «_Toutefois plusieurs ont aperçu qu'à nombre environ la centième partie d'un jour défaut». C'est pourquoi dans l'édition de 1573, le calendrier n'est pas employé. En revanche, dans les éditions ultérieures, l'on en revient à des définitions très figées du début des saisons.'
1572 _ Jean d'Ongoys: Pronostication générale dite Circle Solaire extraite des anciens Philosophes, fort utile et nécessaire pour tous les marchands pour les régler et à l'achat & vente de leurs marchandises 13
Très vite également, Antoine Crespin,, «_Archidamus» va proposer une version révisée et d'ailleurs sans lendemain mais dans laquelle il rend à Guirini, «_Allemand», ce qui lui revient (cf Avertissement in fine daté de juin 1572). Or, si l'on considère que Crespin est un imitateur de Nostradamus, son intérêt pour ce genre constitue un indice sur l'oeuvre de son modèle.
1572 _ Crespin: Pronostication générale du circle solaire qui se fait en 28 ans et dure perpétuellement, extraite de plusieurs Anciens philosophes et de toutes les langues (Lyon, Jean Patrasson, BNF, V 21366)
1573 _ Pronostication générale du circle solaire pour 28 ans, extraite des anciens philosophes (..) Inconnue jusques à aujourd'hui & mise en lumière par I (ean) D (ongoys) & depuis revue, corrigée & augmentée par George Quirini, Paris, Antoine Houic, B. Univ. Gand.
Durant la plus grande partie du XVIIe siècle, l'on ne trouvera pas ces Prophéties Perpétuelles fondées sur une cyclicité rudimentaire. Ce processus réapparaîtra à la fin du dit siècle, vers 1693.
L'on peut d'ailleurs penser que leur caractère astrologique était initialement plus marqué. Entendons par là que - comme l'attestent certaines éditions - chaque année se trouvait sous la domination d'une certaine planète (cf. Michel de Nostradamus Le Jeune, BNF, Res), en respectant un certain ordre de succession. L'évacuation de la dimension planétaire en faveur d'une simple cyclicité correspond à une tendance générale de la «_prophétie» à rejeter ou à neutraliser le substrat astrologique.
En fait, les Prédictions couvrant plusieurs années se fondent sur un système rudimentaire, sans lien avec une astronomie de position. et dont la systématique sera exposée à la fin du XVIIe siècle dans les Prophéties Perpétuelles.
On trouve des applications qui ne fournissent pas de référence aux noms des années mais se contentent d'indiquer la planète dominant l'année: Présages pour 13 ans... selon le seigneur et dominateur de l'année... (1571 Lune, 1572 Mars, 1573 Jupiter, etc.).
D'ailleurs le libraire Nicolas Du Mont Nicolas contestera ces attributions: «_les dominations des années sur lesquelles il assied ses jugements sont faux».

Le titre des Prophéties moultiennes
En 1740, si l'on en croit les éditions dont nous disposons, le texte parut sous le titre de "Prophéties de Thomas- Joseph Moult, traduit de l'italien en françois, qui avaient cours pour l'an 1269 & qui dureront jusqu'à la fin des siècles". Par la suite, au XIXe siècle, la référence à 1269 ne figurera plus au titre. Il est précisé dans cette édition que l'ouvrage fut achevé en 1268 à Saint Denis, en la 42e année du règne de Saint Louis, soit peu avant sa mort, son avènement datant en effet de 1226.


Classement des éditions (XVIe-XIXe siècles)
L'on rencontre cinq cas de figures:
1/ les éditions qui font référence à la réforme grégorienne de 1582 et celles qui n'y font pas.
2/ les éditions qui se contentent de fournir une liste de 28 années et celles qui fournissent le système complet à partir du XIIIe siècle (1269).
3/ Les éditions comportant les trois volets et débutant du temps de Frédéric II, sous lequel Moult est réputé avoir vécu.
3/ les éditions qui ne remontent qu'au XVIe siècle, en 1521 ne conservant que les deuxième et troisième volets)
4/ les éditions ne conservant que le troisième volet
5/ les éditions qui commencent avec l'année 1560.
6/ les éditions se référant à des planètes et celles ne le faisant pas.
A la base de ce système sur 28 ans, on trouve un système sur 28 jours. Oronce Finé nous en fournit un tableau au vingt-troisième canon de son "usage des éphémérides".
Cette liste intitulée "Les 28 mansions de la Lune" fournit une devise par jour selon le passage de la lune à travers les douze signes et tous les douze degrés environ. Les quelques échantillons que nous en donnerons sont à rapprocher de ceux fournis pour telle ou telle année ci dessus:
Mansion 8: Il fait bon prendre médecine, coupper (sic) & vestir robes neufves & cheminer par eau seulement.
Souvent le lecteur reçoit un conseil quant à ce qu'il faut faire et un autre à ce qu'il est préférable d'éviter:
Mansion 19: Il fait bon plaidoyer, assieger villes, soy mettre en chemin & maulvais entrer navires"

Le nom des années
Si l'on étudie le nom attribué aux 28 années, l'on observe que les initiales se situent nécessairement selon les sept premières lettres. Cela ressort par exemple lorsque l'on considère la série figurant dans l'édition de 1740:
Fer, Quar, Jur, Corte, Amat, Genus, Fenor, Gemini, Constitutio, Bise, Aries, Genor, Est-est, D'Est, Corde, Bour, Gener, Fenus, Grossus, Dicat, Vav, Aqua, Goner, Fenel, Caritier, Actor.
En ce qui concerne le "contenu" des mots, on remarque également des récurrences suffixales: Amat-dicat; Actor- genor-fenor; Genus-grossus-fenus.
Les noms des années sont censés commencer par une des sept premières lettres de l'alphabet, soit de A à G. Les lettres se suivent selon l'ordre habituel mais à l'envers: G - F - E - D - C - B - A. Comme pour l'alphabet hébraïque, chaque lettre est liée à un mot dont elle est l'initiale. Force est de constater que les textes qui nous sont parvenus ne respectent pas exactement ce principe mais que celui-ci semble bien en constituer la trame originelle. On devrait ainsi avoir quatre séries de G à A et la première année du cycle devrait commencer par un G et non par un F. En revanche, la 28e année se termine bien par un A. Mais en cours de route, des erreurs se sont compensées. Etant donné qu'il y a 28 années et 7 lettres, chaque lettre est censée correspondre à quatre mots latins.
Initialement, le système comporte une correspondance avec les planètes qui sera totalement évacuée au XVIIIe siècle (Almanach de Langres, Prophéties de Moult).
L'on notera les points communs entre les listes 1 et 2, non pas pour ce qui est des noms, mais pour les planètes dominantes, il y a une grande similitude. Entre les listes 1 et 3, il existe un certain nombre de rapprochements plus ou moins nets.
Fert et Fer, Cor et Cort, Amat et Amat, Gens et Genus, Fervor et Fenor, Enim et Gemini, Bis et Bise, Ars et Aries, Genus et Genor, De et d'Est, Corde et Corde, Ferus et Fenus, Dicas et Dicat, Aqua et Aqua, Actor et Actor. Ces variantes font songer, toutes proportions gardées, à celles que l'on peut observer entre les éditions des Prophéties de Nostradamus.
Quelle est la raison d'être de ces formes, qui sont un mélange de latin et de français et dont aucune édition en une autre langue que le français, ne nous est connue. Un manuscrit des Archives Nationales nous apporte quelque lumière: «_Si est ordonné que la première lettre de ces noms». Or, si l'on étudie les initiales de ces noms, l'on découvre effectivement que certaines lettres sont récurrentes: en fait toutes les initiales de ces 28 «_mots» se situent entre les sept premières lettres A et G.
En ce qui concerne l'ordre des planètes, il est assez aisé de déceler le modèle sous jacent, c'est celui de l'ordre des jours de la semaine: Lune (Lundi), Mars (Mardi), Mercure (Mercredi), Jupiter (Jeudi), Vénus (Vendredi), Saturne (Samedi) Soleil (Dimanche/ Sunday) soit 4 séries successives: Années 1 à 7, Années 8 à 14, Années 15 à 21, Années 22 à 28.
Quelle est la cause de certains écarts par rapport à cet ordre ? On notera d'emblée que la première année correspond à Fer et à Mars et non au Soleil, et qu'il existe cinq séries au lieu de quatre, dont une incomplète, ce qui amène à placer deux planètes pour une même catégorie ou ailleurs à sauter une planète. Même un système aussi simple peut se déstructurer en cherchant à subdiviser les 28 années en 5 au lieu de 4.
Il est probable que Fer ne fut pas toujours la première année mais qu'elle fut placée en avant par un auteur qui avait commencé son étude par une année de type Fer. Crespin d'ailleurs affirme l'incohérence du système de Quirini et lui substitue une suite débutant à juste titre par la Lune et se terminant par le Soleil.
L'on retrouve le même ordre - mais inversé - des planètes dans la Préface de Nostradamus à ses Prophéties:
«_Car encore que la planète de Mars parachève son siècle à Et maintenant que sommes conduits par la Lune à le Soleil viendra et puis Saturne à
«_soit Mars (Mardi) - Lune (Lundi) - Soleil (Dimanche) - Saturne (Samedi)»
Il semble qu'à diverses occasions, le système cyclique que nous avons analysé ait marqué certaines oeuvres.

La Pronosticatio de Lichtenberger et le circle solaire.
Mais ne conviendrait-il pas de regarder plutôt vers l'Allemagne que vers l'Italie en matière de prophéties perpétuelles? Est ce que l'Italie ne sert pas d'intermédiaire entre l'Allemagne et la France tout comme la France entre l'Allemagne et l'Angleterre ?
La Pronosticatione italienne, dans ses dernières pages, est au demeurant le seul texte que nous connaissions comportant des prophéties agricoles sur un mode perpétuel mais elle est bien entendu d'origine allemande.
Toujours est-il que l'édition lyonnaise de 1515 de la Pronosticatio sera une des premières attestations de ce procédé. Le Mirabilis Liber en intégrant celle ci la diffusera un temps avant que dès la fin des années Vingt une édition en langue française ne paraisse à partir de l'édition lyonnaise. Tout le chapitre XIV de la dernière partie en est plein sous le titre "Qu'aucuns climatz seront vexez de diverses infortunes". Mais le procédé est quelque peu différent de celui qui nous est familier dans la littérature moultienne habituelle, l'on y aborde les années, deux par deux.
On y lit "L'an mil quatre cens nonante deux & nonante trois sera bon pris de vin & de bled en haulte Allemagne, en France, en Angleterre & en Gaule belgique. (à). L'an mil quatre cens nonante quatre et nonante cinq viendra cherté de bledz & de poissons. (à). L'an mil quatre cens nonante six & nonante sept (à) la laine sera chère, les Ouailles, les boeufz & les porcs mourront, les métaux seront chers.à"
Puis l'on passe à une étude pour trois années à la fois:
"L'an mil quatre cens nonante huict, nonante neuf & cinq cens" (à) pour revenir aussitôt après à la formule antérieure: L'an mil cinq cens & un, cinq cens & deux (à). L'an mil cinq cens & trois et cinq cens & quatre ". Puis l'on repasse à un groupe de trois années: "L'an mil cinq cens & cinq, cinq cens & six & cinq cens & sept". Puis l'on repasse à deux ans "L'an mil cinq cens huict, neuf & dix. (..). L'an mil cinq cens unze & douze etc"
Systèmes donc différents au niveau numérique mais similitude au niveau du contenu des prévisions qui, notons le, sont à la fois agricoles et politiques comme le seront les Prophéties de Moult
Citons le passage concernant les années 1496-1497 du même chapitre:
"L'an mil quatre cens nonante six & nonante sept Saturne l'infortuné vexera les royaumes de Pologne, de Bohème & de Hongrie. La laine sera chère, les ouailles, les boeufz & les Porcs mourront, les métaux seront chers. Toute malice de guerre s'esmouvera & trouveront les hommes divers instruments de guerre & harnois & se feront ioustes & tournois. Les loups feront plusieurs dommages, tant aux gens qu'aux bestes. En Orient, seront plusieurs brigans & homicides qui feront effusion de sang & sera diminuée la foy. Les chevaux seront chers à cause de la guerre. Les Ecclesiastiques réformés iront de costé & d'autre; & les layz s'esiouiront". (p.89, Paris, Le Mangnier, 1561). On voit que le politique fait bon ménage avec le champêtre et que l'on ne peut guère dissocier l'un de l'autre à commencer par les prophéties sur le Déluge.
Nous pensons, comme nous l'indiquions plus haut, qu'avant l'arrivée des écrits de Quirini, Georges en 1571, l'on avait déjà un avant-goût du système d'origine allemande grâce à l'ultime chapitre de la Practica (GPW) abordée plus haut. En fait, ne serait-ce pas cette prédiction perpétuelle qui expliquerait la fixation de la date relativement lointaine figurant précisément à la fin de l'ouvrage et reprise dans le titre de celui-ci ? Date qui varie au demeurant et qui ne correspond pas nécessairement. C'est ainsi que dans l'édition de 1611, au début l'on nous annonce que l'ouvrage couvre une période s'étendant de 1584 à 1682, alors qu'à la fin de l'ouvrage l'on annonce comme date terminale 1572... De même, dans l'édition de 1515, si 1567 figure sur la première page, c'est 1576 qui apparaît à la fin.
En revanche, la Grosse Practica Wahraftige GPW comporte les mêmes dates au commencement et à la fin, 1581, date qui apparaît dans les Auszüge
On comprend mal comment dans les éditions tardives, le lecteur pouvait trouver intérêt à des pronostics concernant la fin du XVe et une partie du XVIe siècle, s'il n'était pas en mesure d'introduire une cyclicité s'ajustant sur les années suivantes...
L'on comprendrait ainsi pourquoi en 1866, les Prophéties Perpétuelles de Moult furent placées à la suite du Recueil des Prophéties et Révélations. En effet, il est clair que nous sommes en présence d'un système cyclique. Au demeurant, la Pronostication des Laboureurs 14dériverait de la Bauern Practica allemande.
Par ailleurs, dans les additions au Livre Merveilleux, pour l'an 1566, il est indiqué que l'on se trouve alors dans la quatrième année d'un nouveau cycle de 28 ans.

L'origine napolitaine de Moult
L'ouvrage se présente d'emblée comme étant l'oeuvre d'un auteur italien. Le nom de l'auteur,. Moult; - curieux nom pour un Napolitain mais à l'époque la francisation des noms jouait à plein (Molto- moult) - intriguera et suscitera diverses explications.
L'on notera bien entendu que «_moult» est un adverbe et qu'il peut être extrait du titre d'un ouvrage tel un opuscule «_moult utile». Voici ce que suggère Charles Nisard, à partir d'un article de 1848 paru dans le Journal de l'Amateur de Livres:
«_Or il paraîtra que ce nom n'est que le vieil adverbe français (moult) passé à l'état de nom propre. Pour comprendre ceci, il faut se rappeler qu'il parut au XVIe siècle une Prophétie de Thomas Illyric traduite de l'italien. Le titre aura pu s'altérer dans les réimpressions successives et entre les mains d'un éditeur peu versé dans la langue du XVIe siècle les Prophéties de Thomas J. (Illyric) Moult utiles... ont bien pu devenir les Prophéties de Thomas Joseph Moult» (p.33)
Nous avons trouvé un texte intitulé Copie de la Prophétie faite par le pauvre Frère Thomas, c'est à dire Tommaso Illirico, (BNF, Res, B.M. Lyon) parue au début du XVIe siècle, mais sans la formule «_moult utiles»_ qui figure peut-être dans une autre version. La référence à «_Illiric» n'apparaît que dans le titre intérieur. Ce texte est de toute façon sans aucun lien avec le processus des Prophéties Perpétuelles.
En dehors de l'intérêt de l'ouvrage et de son utilisation, c'est en effet l'origine du nom de Moult qui nous occupera car le récit de cette affaire est assez édifiant en matière de corruption de texte.
C'est en fait du côté de Langres que nos recherches ont abouti. Il semble qu'ait existé un Almanach de l'Hôtel de Ville de Langres dont les Prophéties de Moult se seraient inspirées.
C'est en effet dans cet Almanach que le nom de cet auteur serait apparu, si l'on peut dire. Faute de disposer de l'original imprimé, nous bénéficions de la reproduction imprimée de certains passages d'une copie manuscrite datant de 1693 sous le nom d'Almanach. L'auteur de l'article omet de signaler que ce manuscrit était vraisemblablement une copie d'imprimé.
L'on peut donc présumer qu'en 1693 parut une édition de cet Almanach. Ce qui retient notre attention est son auteur: Joseph de Naples dont on dit: «_Si trouvons anciennement qu'il fut un philosophe, natif de la cité de Naples, nommé Joseph, moult renommé...»_.
Selon divers manuscrits du XVIIIe siècle, conservés à Chaumont et à Langres, ce «_Joseph Napolitain» devint Joseph Moult de Naples.
Mais il importe de mener plus avant notre recherche: pourquoi a-t-on utilisé cette formule ? En effet, la Grande Pronostication des Laboureurs qui connaît un grand nombre d'éditions au XVIe siècle se présente ainsi: «_Est à savoir qu'il a été un homme moult ancien appelé Heyne de Uré,, ou Heyne de Uri en fait de Uri (avec des corruptions comme «_de Bré_» _ BNF, Res, pV 151). N'aurait-on pas présenté ce Joseph de Naples, prétendu auteur d'une Pronostication agricole de la même façon que cela avait été pour cet astrologue allemand ?
L'édition de 1740 fait remonter ce Moult au XIIIe siècle sous le règne de Saint Louis. Nous disposerions ainsi d'un balisage annuel couvrant des siècles puisqu'il se poursuit au delà de l'An 2000, méritant ainsi assez justement son nom de «perpétuel» - et rien n'empêche évidemment de poursuivre à l'infini une telle cyclicité - et expliquant la durée de sa fortune qui ne s'est guère démentie.
Le texte est au demeurant est d'intérêt purement agricole et météorologique. Ce n'est que dans un deuxième temps que l'on ajoutera un texte plus politique qui retiendra davantage l'attention des exégètes modernes. Les Prédictions générales concerneront la météorologie et les prédictions particulières les pronostications politiques. On notera que si les prédictions générales sont identiques à travers les trois "livres" qui constituent les Prophéties perpétuelles, en revanche, les particulières sont différentes d'un Livre à l'autre, quand on compare les années portant le même vocable. Dans l'introduction, il est précisé qu'il revient au lecteur "le soin d'observer les années que (les prédictions générales) doivent arriver & de faire ses remarques".
L'on perçoit donc comment une prophétie au départ assez innocente a pu se muer en un propos plus exaltant. Il est à noter que sous cette forme, les Prophéties de Moult connurent, en plein XVIIIe siècle, un succès durable d'autant qu'elles compensaient certaines carences des almanachs de l'époque en matière prévisionnelle.
Alexandre Volguine a préféré se servir pour son étude sur Moult d'une édition certainement apocryphe, parue à Tours, au début du XIXe siècle. Cette édition comporte entre autres invraisemblances une interpolation de l'année 1608 au lieu d'une référence au XIIIe siècle (1268): "Fait à Saint-Denis, en France, l'an de notre Seigneur 1608 et du Règne de Louis IX (sic) notre très pacifique Roi (..) par moi Thomas Joseph Moult"; on serait alors à la fin du règne de Henri IV...
Volguine, connaît les deux versions mais il est impressionné par le fait que celle datée de 1608 serait forcément antérieure à celle datée de 1740:" L'édition de 1740 date directement ces Prophéties de l'an 1268 et (à) sa première partie englobe l'époque de 1269 à 1520, c'est à dire 9 périodes de 28 ans mais quelle foi accorder à cette date qui n'existe pas dans l'édition précédente?" (p. VIII)
Avec les Prophéties Perpétuelles de Moult, le cycle de 28 ans assume une dimension spécifiquement agricole en plein coeur de ce XVIIIe siècle que l'on dit allergique à l'astrologie. En 1866, paraissaient conjointement avec les Centuries et le Recueil mirabilien une réédition des Prophéties Perpétuelles de Moult, qui seraient parues pour la première fois en 1740.
Nous n'avons pas retrouvé en dehors de France de telles publications, malgré des origines déclarées italiennes, voire allemandes. Peu de travaux ont été consacrés à l'histoire de ce genre, en dehors de la notice d'Alexandre Volguine accompagnant une réédition tardive des dites Prophéties .
Mais, en tout état de cause, ce type d'ouvrage n'était pas nouveau - sinon dans sa présentation globale - et est attesté dès la fin du XVIe siècle, sans que l'on puisse pour autant remonter jusqu'à Nostradamus auquel les dites Prophéties sont parfois attribuées. Il est vrai que Michel de Nostredame parle dans sa Préface de «_vaticinations perpétuelles».
Il s'agit, on l'a noté, d'une astrologie d'un genre particulier qui ne fonctionne pas sur la base des mouvements réels des astres, même si elle s'appuie en principe sur le nombre lunaire de 28 mois transposé en 28 ans. Chaque année lunaire porte un nom particulier et correspond à un certain nombre de particularités météorologiques et agricoles, appelées prédictions générales. A partir de 1740, elles seront complétées par des prédictions particulières d'ordre politique. Bien entendu, le processus est cyclique et chaque fois que l'on revient à la même position, à 28 ans d'intervalles, la situation est censée être la même. Tel est le principe des Prédictions perpétuelles.
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La formule de la Prophétie dite Perpétuelle présente l'avantage de ne pas être limitée au cadre annuel et de pouvoir être utilisée sur une longue période et nous pensons que c'est un dispositif de ce genre qui aurait pu accompagner la première publication de la Préface à César dans la mesure où celle-ci se réfère à des vaticinations perpétuelles. Ce genre l'emportera précisément au XVIIe siècle sans qu'il soit attesté à l'étranger, ce qui pourrait expliquer la différence de situation en France et en Angleterre. La formule perpétuelle pouvait en effet aboutir à la disparition pure et simple des publications annuelles alors qu'un tel dispositif n'existait pas Outre-Manche.
Si le nom de "Moult" n'apparait pas sur des imprimés avant 1740, le concept de prophéties organisées autour d'un cycle de 28 années, se précise dans la seconde partie du XVIe siècle en rapport, on l'a noté, avec un certain Quirini. Il nous appartiendra, à présent, de préciser la genèse du nom même de Thomas Moult.
Les Prophéties perpétuelles de Moult, dans leur présentation intégrale, comportent trois volets, un certain nombre de variantes seront signalées par la suite. Chaque volet comporte 28 sections, portant un nom particulier. Si l'on considère l'une de ces sections, l'on trouve 9 années espacées de 28 ans. Le premier commence en 1269, à l'époque présumée de leur rédaction. Et ainsi de suite pour les deuxième (commençant en 1523) et troisième volets (commençant en 1773).
Quelles furent en effet les raisons qui amenèrent les auteurs de cette version à changer le point de départ de la computation ? Il convient d'abord d'expliquer le succès d'un ouvrage offrant des prévisions sur des périodes de temps aussi longues. Cela donne certainement un crédit particulier au discours, qui se présente comme systématique et comme s'appuyant sur une longue série de recoupements. Il reste que lorsque l'on ouvre l'ouvrage, l'oeil est plus spécialement attiré par les premières et par les dernières lignes. En disposant comme ils l'ont fait les tableaux, ce sont les années de la période révolutionnaire qui ressortent, ce qui ne peut manquer de frapper le lecteur qui dispose ainsi d'un «_guide» prédictif sur une trentaine d'années. Voilà qui valait bien un léger remaniement !
Il convient en effet de nous arrêter sur un tel procédé usant de la topographie du texte. Comment attirer l'attention du lecteur sur tel passage et lui éviter de se perdre dans les méandres d'un ensemble touffu? En disposant à des endroits stratégiques le propos à faire passer: c'est ainsi que la charnière entre deux chapitres (fin de chapitre, début de chapitre) est susceptible de retenir davantage l'attention. C'est un tel procédé que nous pensons avoir pu observer dans certaines éditions des Centuries nostradamiques (cf infra). Une autre formule qui fut employée dans les Centuries consiste à créer des anomalies comme de présenter des centuries incomplètes dont le nombre de quatrains constitue une incitation à s'intéresser à certains d'entre eux portant tel numéro d'ordre.
Nous étudierons d'une part les variantes et les corruptions du texte d'origine puis la manière dont, en 1740, fut constitué tout à fait délibérément un Abrégé, typique d'une époque où la divination ne doit pas exiger de gros efforts de lecture et de calcul.
Un moyen simple de dater les textes astrologiques et notamment les calendriers consiste à noter s'ils ont été ou non marqués par la Réforme du Pape Grégoire XIII, consistant à passer du 10 au 20 énième du mois, du jour au lendemain, pour rattraper le retard pris sur le cycle saisonnier avec la correspondance des fêtes. On ne s'étonnera pas que les ouvrages immédiatement postérieurs, tel l'Almanach et Pronostication des Laboureurs de Jean.Vostet Breton, (cf. infra) précisent que l'on a tenu compte du «_retranchement». Il en sera également de même des éditions du Kalendrier des Bergers.
Si le signe zodiacal est situé à la moitié du mois, c'est que l'on a affaire à un texte antérieur à 1582 ou qui a été élaboré alors, même si on le reproduit par inadvertance sans correction. Si le signe zodiacal est situé dans le dernier tiers du mois, c'est que la Réforme voulue par le pape a été suivie.
En ce qui concerne le texte des Prophéties Perpétuelles, il apparaît que certaines versions offrent des traits archaïques, marquent les signes zodiacaux à la «_mi» du mois.
Un des traits de la modernisation des textes sera donc de faire disparaître la forme «_mi Juin» ou «_mi Septembre». Dans les Prophéties «perpétuelles» c'est dans l'introduction que le texte devra être retouché.
«_Le Printemps qui se commence quand le Soleil entre au signe d'Ariès qui est le vingt mars (la mie mars) et finit le vint un Juin (la mie juin)»
Mais parfois l'ajustement ne se fait que partiellement et, au sein d'un même texte, certains passages sont corrigés, d'autres non.
Toujours dans l'Introduction, on peut lire un peu plus bas ( Joseph Le Juste1807):
«_le printemps lequel entre quand le soleil entre en Aries qui est environ la mie Mars et trépassant Taurus et Gemini»
La Réforme voulue par Pape Grégoire XIII n'a pas été sans perturber l'activité astrologique. Ainsi, chaque mois se trouvait auparavant dépendre à part égale de deux signes, si bien qu'une iconographie les présentait de cette façon (cf. Kalendrier des Bergers). Avec la Réforme grégorienne, le mois se trouvait d'abord sous l'emprise d'un seul signe dominant.
Etudions les transformations subies par le texte initial restitué par Charles Bougouin, sur un passage crucial, puisqu'il introduit l'auteur de ces Prophéties:
«_Si trouvons anciennement qu'il fut un philosophe, natif de la cité de Naples, nommé Joseph, moult renommé, grand clerc et subtil d'art d'astronomie»
Voilà ce que devint le texte dans l'édition de 1807 sous le nom de Joseph le Juste: la formule "moult renommé" y est notamment rendue "bien renommé" (p.10), "grand clerc" devenant "grand, clair"!.
«Premièrement, que tout firmament marche su hâtivement, qu'il parfait son tour selon l'ordre divin en l'espace d'un jour et d'une nuit, et la lune en un mois, et le soleil met à faire son tour un jour et une nuit sans nulle heure de faillir. Sy trouvons anciennement qu'il fut un philosophe natif de la cité de Naples, nommé Joseph Le Juste, bien renommé, grand, clair et subtile d'astronomie, et soumis à faire son propre à ce qu'il voulait sçavoir et éprouver les muances des biens corporels de l'homme et de la femme, et dont sont substantées toutes choses faites des quatre élémens; et pour se perfectionner dans son dessein, il alla vers tous les clairs qu'il entendit parler, en quelque part qu'ils fusent, et s'informoit et demandoit conseil de ce qu'il avoit entrepris; et tout ce qu'il savoit et apprenoit, le mettoit en pratique et par écrit; qui soutient et détermine en son propre qu'ils en sçavoient la vérité, et fut bien long tems à souffrir de la peine, dont à la fin il sçut les mouvemens des quatre saisons qui sont établies en l'an, sçavoir:
LE PRINTEMPS qui se commence quand le soleil entre au signe d'Ariés, qui est le vingt-un mars, et finy le vingt-un juin.
"L'ETE commence quand le soleil entre au signe du Cancer, le vingt-un juin, et finy le vingt septembre.
"L'AUTOMNE qui se commence quand le soleil entre au signe du Libra, qui est le vingt septembre, et finy le vingt décembre.
"L'HIVER qui se commence quand le soleil entre au signe du capricorne, qui est le vingt décembre, et finy le vingt mars.
"Et doit-on sçavoir que les quatre saisons sont mutables l'une envers l'autre (à) car il arrive quelquefois que le printemps est sec et beau en aucune année; avient qu'il est humide et grenable à tous biens, et dit le Philosophe que le printemps et l'été sont les deux saisons qui peuvent nuire ou aider à tous les biens croissent, pour lesquels ont le pouvoir de faire et de grener; que nuls biens ne peuvent subsister largement; mêmement aussi il avient autre chose chacune en sa manière, selon ce qui est ordonné pour le comportement de chacune année avenante l'une après l'autre; sy comme nous deviserons cy-après, que le Philosophe approuva par son sens et sçavoir; et dit que la plante et deffaut de tous biens prennent accroissement en mûrissant selon l'ordonnance des quatre saisons, dont nous deviserons et derons mention de leurs comportemens, selon ce qu'elles peuvent avenir l'une après l'autre sans faillier, jusqu'à la fin du monde; car on doit sçavoir que quand le monde du nombre faudront, toutes choses faites des quatre élémens iront à néant.
Le Philosophe qui fit ce livre par son sens et sçavoir, étudia par plusieurs fois sur cette manière selon le cercle solaire, et son père de même, lesquel nombre solaire est bien certain, car il met à faire son tour un an entier parmi les douze signes suivans:
Sçavoir:
ARIES LEO SAGITTARIUS
TAURUS VIRGO CAPRICORNUS
GEMINI LIBRA AQUARIUS
CANCER SCORPIUS PISCES
Et sont les douze signes parmi lesquels le soleil fait son tour en l'espace de douze mois de l'année qui sont divisés et établis, qui se terminent en la datte du printemps, lequel entre quand le soleil entre en Ariés, qui est environ la mie mars et tres passant Taurus et Gemini.
"L'ETE entre quand le soleil entre en Cancer, qui est la mie juin et tres passant Leo et Virgo.
"L'AUTOMNE entre quand le soleil entre en Libra, qui est environ la mie septembre et tres passant Scorpius et Sagittarius.
"L'HIVER entre quand le soleil entre en Capricornus, qui est environ la mie décembre et tres passant Aquarius et Pisces, et finy la mie mars; et quand le soleil a tres passé ces douze signes que nous avons divisés, alors il parfait son tour à l'entour de la terre. Sçachant que tous ceux qui voudront la subtilité et le droit entendement de notre livre et matière, sçavoir certainement comme le soleil a son tour sur les vingt-huit nombres solaires qui contiennent ces vingt-huit années, a mis en cette manière:
FER.. GAR .. DUX .. CORT.. AMAL .. GENEUS .. FENOR .. GEMINI .. CONTINE .. BIZE .. ARCE .. GENUS .. EST .. DE .. CORDE .. BOUR .. GENCE .. FENUS .. GROSUS .. DICAL .. VEAULT .. AQUA .. GEUNER .. FENEL .. PAR à CURITER .. BUNE .. ACTOR.
"Et sy est ordonné que les premières lettres de ces noms qui sy sont divisés par les dimanches selon les siècles solaires, dont je vous les diviseray, et sur quoy notre matière est divisée, est arrivé en propre lieu dont elle est sortie en telle manière qu'elle sera divisée en ce livre, et en quel état bien des biens se comporteront de chereté, ou de vilité, ou de mortalité.
"L'année commancera son tour quand le soleil entrera en Ariés, qui est environ la mie mars, et dont commencera le printemps, en laquelle saison pouvoir et vertu de touttes choses terriennes renouvellent de sa propre nature.»
Si l'on comprend à la rigueur la leçon «_Moult», comment rendre compte de celle de «_Joseph Le Juste» ? En réalité, le personnage de Joseph Le Juste était déjà présent dans une certaine littérature prophétique. Il s'agit du Joseph biblique - celui qui interprétait les songes - censé avoir reçu une révélation d'un Ange sur les bons et les mauvais jours. Dans nombre d'almanachs, une page lui était traditionnellement consacrée.
Or, la Prophétie Perpétuelle dut paraître, si l'on en croit les manuscrits, à la suite d'un Almanach comportant un tel document. Il est possible que l'on ait assimilé le Joseph de Naples au Joseph Le Juste.
Mais, d'une façon générale, le texte de Moult de 1740 semble être un abrégé du document d'origine qui dut sembler trop pesant.

La date d'impression
Il semble bien que la première édition doive être datée de 1741. On connaît nombre d'éditions portant cette date sur la page de titre mais avec quelques variantes. La plus significative concerne la mention du libraire: tantôt Pierre Prault (BM Lyon, B508 865), tantôt Prault, père (BM Lyon, 808 552).
Le Privilège cite un certain Bellamy,. qui pourrait être l'auteur ou l'adaptateur de cet Abrégé. Il est intéressant de comparer le privilège accordé à Bellamy en 1740 avec celui qui le fut à Macé Bonhomme en 1555. Dans les deux cas, il est accordé de publier un ouvrage dont le titre comporte celui de l'auteur présumé: Abrégé. Il est intéressant de comparer le privilège accordé à Bellamy en 1740 avec celui qui le fut à Macé Bonhomme en 1555. Dans les deux cas, il est accordé de publier un ouvrage dont le titre comporte celui de l'auteur présumé: "
- à J. F. Bellamy, "un manuscrit de sa composition Prophéties perpétuelles par Thomas Joseph Moult"
- à Macé Bonhomme, "certain livre intitulé LES PROPHETIES DE MICHEL NOSTRADAMUS"
En Angleterre, également, le temps est aux prophéties «_à jamais» d'un Erra Pater( texte d'origine française d'ailleurs sous le nom d'Ezra), mais d'un genre moins sophistiqué. Tout se passe comme si, au coeur du XVIIIe siècle, l'Astrologie avait surtout connu une simplification extrême de ses techniques d'application, ce qui impliquait un plus médiocre investissement de la part de ses utilisateurs. Il est significatif que l'Astrologie météorologique s'adresse prioritairement, par définition, aux campagnes.

Le procédé des Prophéties Perpétuelles.
Sans parler de supercherie, que penser de ces textes tout prêts que l'on peut resservir périodiquement. C'est bien ce dont il s'agit avec les Prophéties du «_cercle solaire du type Moult. L'on rédige 28 cas de figure distincts et en réalité moins car tel cas renvoie explicitement à tel autre et l'on relie ceux-ci à la suite infinie des années, la question étant de déterminer un point de départ. Ainsi, pour Moult, celui-ci est 1268 sans que l'on nous en donne la raison.
En fait, la seule originalité des éditions langroises est d'avoir fourni les tableaux dont se servaient les astrologues pour leurs prévisions au lieu de distiller des informations pour de courtes périodes dans le cadre de «_prédictions» terme consacré pour désigner l'emploi de ces cycles par opposition à Pronostication qui implique une étude des mouvements planétaires réels. D'une certaine façon, ces tableaux constituaient un secret de fabrication des faiseurs d'almanachs comme, en son temps, celui du processus du calendrier soli-lunaire chez les rabbins.
Bien des pronostications ont été rédigées grâce à ces «_banques de données».
C'est ainsi que certains passages de Lichtenberger ne sont pas sans évoquer le style des Prophéties moultiennes par ce mélange de considérations météorologiques et politiques.
On notera que l'an 1521 qui débute le volet central serait à rapprocher de la date de publication probable du Mirabilis Liber.
«_FER,
Est le premier nombre solaire qui aura cours pour les années
1521 1717 1913
Pour ..1549 1745 1941
Pour ..1577 1773 1969
Pour ..1605 1801 1997
Pour ..1633 1829 2025
Pour ..1661 1857 2053
Pour ..1689 1895 2081
Premièrement, le Philosophe qui a mis notre mathiere en authorité, nous témoigne qu'elle est une année qui arrive quand Fer fait son tour selon le siecle solaire, dont le printemps est assez profitable à beaucoup de biens terriens, sy feront les bleds bon commencement en fleurissant. Le printemps n'est ny sec ny beau, puisqu'il est humide jusqu'en été. L'été sera chaud et profitable à tout bled de la terre. L'automne sera laide et bien hivernage, et fera mauvais hanter la mer en cette année. L'hiver sera humide et bien hivernage, de grandes neiges qu'il fera cette année. Au commencement de cette année fera bon temps pour beaucoup de choses; les grains seront au plus bas, tant que le printemps durera; celui qui aura des bleds fera bon profit de les garder, jusqu'à ce que l'hermy soit dehors; les bleds seront abondans, et beaux et bien sains; les avoines se tiendront bien marchandes, et se tiendront à un prix, depuis le printemps jusqu'en nouvelles. Au commencement de l'été, il fera bon acheter du vin de Saint-Jean et de Champagne qui se puisse garder en leur bonté et en leur force jusqu'à la fin, car tous vins qui se pourront garder et se défendre de la chaleur de l'été monteront en grande cherté, sitôt que l'on verra la venue des vignes, puisqu'il greneront, viendront à basse preuve et seront mal profitables.
"En cette année les seigles seront profitables à acheter en bien de pays, car on les vendra mieux dans l'année à venir. Toutes draperies seront chères et de requise. Les marchandises de laine ne porteront point de profit aux marchands qui les viendront vendre. En l'été ceux qui auront des cuirs, il leur sera profitable de les garder jusqu'en hiver, car à la fin de cette année ils seront de requise. En cette année seront profitables tous grains et seront bons pour la chaleur de l'été; et les vignes seront belles et bonnes, car elles auront un bon labourage; les voides se vendront bien, et il y aura bonne récolte; les voides qu'on labourera en première branche, se porteront tres bien, et il y en aura bonne récolte; il fera bon acheter les premieres aussitôt qu'elles viendront au marché, et l'on fera bonne emplettes; les moyennes voides seront mauvaises et auront fausse récolte, et sera grande plante de petites voides, et le tiers de ces voides ne seront pas bonnes et ne pourront attendre d'être cueillyes de la première cotte, car il sera grande plante; et cette année le mois d'aoust sera chaud et bien profitable, et le bled sera assez en abondance; mais ils ne seront pas bien profitables, car ils s'avalleront et ne feront qu'abaisser à l'argent; et tous grains abaisseront à la fin de cette année. Les vendanges de cette année seront assez abondantes, et sera bien des petits vins de Beauvoisis et en France, et auront mauvaise requeste, car ils seront verds et sans beaucoup de vin, et feront dommage à tous ceux qui en auront; les vins vieux d'Auxerre auront meilleure requeste que les vins françois, car ils seront plus grands; les vins de meilleure boisson seront chers et bien requis, et tous ceux qui en achetteront feront mauvaise emplette. Les vins de Poitou et de Champagne seront plus profitables que les vins de Saint-Jean qu'on achettera en vendange, car ils porteront bonne acquets à tous marchands qui les vendront en hiver et les pourront mener en la comté de Flandres et en la Normandie; ceux qui vendront hâtivement en hiver porteront peu d'acquets, qu'au change de printemps. Il y aura cette année des fourrages dont les siècles en vaudront mieux. En cette année les bestes seront constantes à hiverner, et il y aura de bons fourrages, et ils seront chers. En hiver aura beaucoup de neige et bien hivernages, et tous bestiaux auront peu d'acquets, il s'en faudra deffaire en automne".

L'abrégé de Moult (Bellamy)
Prenons le cas des années de type FENOR. Nous avons placé le texte de l'édition de 1740 et entre parenthèses le texte dont il est issu:
«_La présente année sera semblable à la première du nombre solaire encore plus mauvaise. (cette année est plus vilaine que n'est la première)
Au Printemps, il fera bon acheter avoine car la plus grande cherté y sera. (Au Printemps, il fera bon acheter de l'avoine à quelque prix qu'elle puisse être car la plus grande cherté des grains, ce sera des avoines)»
Autre exemple: CONTINUO
«_En cette année, le Printemps sera froid et nuisible, aux biens de la terre. (En l'an du monde... le Printemps sera muable à bien des biens terriens
L'Eté sera venteux et pluvieux/ (L'Eté sera pluvieux et venteux)
L'Automne sera humide et peu stable pour les vents (L'automne sera humide et peu stable en beauté)
La saison de l'Hiver sera humide et froide et nuisible à la santé (la saison de l'hiver sera bien hivernache».
L'abréviateur n'a conservé que les propos liminaires concernant les quatre saisons et évacué l'essentiel du corps des 28 textes. En réalité, le nombre de textes est moindre car il existe des relations entre les 28 années.
Dans notre étude de l'Extrait des Prophéties et Révélations des Saints Pères,- (cf infra) il a d'ailleurs été question d'un vieil Ephéméride du Grand Circle Solaire. Il s'agit, à notre avis, d'une utilisation de tableaux comme ceux qui figurent chez Moult. Il est dit dans ce passage que le dit Ephéméride compte pour année de douleur l'an 1617.
En fait, ces Prophéties Perpétuelles de Moult constituent un changement appréciable par rapport à une littérature constituée autour d'un cycle de 28 ans, en raison de l'adjonction de "prédictions particulières". qui modifient le caractère agricole et commercial ("prédictions générales") de cette littérature, au moyen d'une simple addition en bas de page de quelques formules oraculaires, un peu à la façon du calendrier des almanachs de Michel de Nostredame

Les éditions postdatées des années 1740
Encore faut-il précisément s'interroger sur les notations qui figurent en bas de chaque tableau sous le nom de "prédictions politiques". Comment a-t-on rédigé ces textes? On pourrait croire qu'il s'agit à l'instar de la partie agricole, d'une série de formules récurrentes et qui traitent de toutes sortes d'événements susceptibles de se produire dans tel ou tel coin de l'Europe, en telle ou telle Cour. En réalité, le texte est loin d'être aussi innocent qu'il y paraît au premier regard. Sa crédibilité se fonde en fait sur un certain nombre de corrélations délibérément introduites, en rapport avec l'Histoire des siècles passés et dont il importe de déterminer le terminus ad quem.
L'ouvrage se divise en trois parties et débute par le XIIIe siècle. Que sait le lecteur moyen sur ces années 1200? Que Saint Louis est mort en 1270. Or 1270 est une des premières années prises en compte, en haut de tableau, puisque la chronologie remonte à 1269. Que lit -on en bas de page? "Mort d'un Saint homme Roy". Est-ce une coïncidence? Certes, 1270 est situé en haut d'une colonne de dates mais l'attention est évidemment captée par la première ligne.
"Plusieurs cantons s'uniront et formeront une République considérable". La première année mentionnée est 1287. En 1291, ce sera le Pacte Perpétuel qui constituait plusieurs cantons en confédération helvétique.
Signalons encore pour le premier volet:
1491 "Découverte d'un beau pays". Il pourrait s'agir de l'Amérique en 1492.
1498, "Un grand Prince montera sur le trône". C'est le cas de Louis XII, à la mort de Charles VIII.
1515, même formule: avènement de François Ier, à la mort de Louis XII.
Passons à la deuxième partie, qui débute au XVIe siècle:
1525: "Un Roi fait prisonnier". C'est François Ier à Pavie.
1572 "Grands troubles dans un grand Royaume". La Saint Barthélemy.
Mais les correspondances valent aussi pour les siècles suivants:
1601 "La naissance d'un Prince dans une Grande Cour de l'Europe, y causant bien de la joie". Naissance du futur Louis XIII.
1610 "Mort subite d'un grand Prince". Peut être l'assassinat d'Henri IV.
1614. "Une statue équestre sera érigée à l'honneur d'un grand Roi dont la mémoire sera toujours précieuse à ses peuples". Statue d'Henri IV sur le Pont Neuf.
1638: "Naissance d'un grand Prince". Qui ne songe à celle du futur Louis XIV?
1672: "Fameux passage sur un grand fleuve" C'est le Passage du Rhin.
1715: "Mort d'un grand Roi". Mort du Roi Soleil.
Il convient certes de faire la part des rencontres heureuses et de la répétition de certaines formules. Il n'empêche que lorsqu'il est question pour une série d'années comportant 1614 d'une "statue équestre", formule qui n'est pas reprise à une autre occasion, le propos devient univoque.
La troisième partie débute avec 1773. Echéance bien lointaine pour un ouvrage censé être paru en 1740. Cette partie devrait évidemment, en bonne logique, cesser de nous offrir de telles perles. Les corrélations suivantes pourront donc nous laisser quelque peu perplexes:
1754: "Naissance d'un grand Prince". On pense au futur Louis XVI.
1770 "Mariage d'un Grand Prince de l'Europe qui fera la joie et le bonheur de son peuple". On évoque le mariage du même Louis XVI avec Marie Antoinette.à
1773 "Un Prince dont la valeur & le courage imitera les Alexandre et les César montera sur le thrône & son règne sera glorieux". Annonce de l'avènement prochain de Louis XVI.
Voilà qui indique les espérances autour du dauphin.
1774 "Un grand prince montera sur le trône". Avènement de Louis XVI.
Lors de l'avènement de Louis XVI, parut l'Horoscope de Louis Seize, tiré de l'instant précis de sa nativité (le 8 juin 1774) qui dénote les grandes espérances qui s'étaient greffées autour du nouveau roi:
"Depuis près de vingt ans je garde l'horoscope
Du plus grand Prince de l'Europe
Un moderne Nostradamus
L'an mil sept cens cinquante quatre
Sur le Duc de Berry
Dressa (..)
Son thème au jour natal ce futur Titus
Le thème est si bien fait qu'on n'en peut rien rabattre".
Il eut été probablement vain, pour l'auteur des "prédictions particulières" de relater par le menu les événements, année par année. Mais celui-ci semble avoir souhaité renforcer la corrélation pour l'an 1781. Qu'on en juge:
1781 "Naissance d'un grand Prince". C'est la naissance du premier Dauphin, Louis-Joseph, qui décédera en 1789.
1781 "Changement de Ministre dans une Grande Cour" Démission de Necker au mois de Mai.
1781 " Emotion populaire dans une grande ville". A Paris, le départ de Necker est ressenti comme la fin des réformes.
1781 "Grande Guerre entre les Princes de la Chrétienté". La guerre d'Indépendance Américaine.
1781 "Bataille gagnée", nous pensons à Yorktown en Octobre. Les Anglais sont battus par les Franco- Américains.
On dirait des manchettes de journal.
On pourrait à la rigueur poursuivre jusqu'en 1783 avec "La paix générale dans toute la Chrétienté": allusion possible au traité de Versailles.
Certes, les formules reviennent assez souvent mais il nous semble, à ce stade, qu'il s'agit plus que de coïncidences d'autant que celles-ci ne rendent plus compte des graves événements qui suivront, à commencer par la Révolution. Ce texte ne semble-t-il point se situer dans les années qui la précédèrent?.
1780-81 nous paraît une date assez vraisemblable: dans une édition de 1804, on peut lire en avant-propos (p. 17): "En 1780, le hasard me procura les prophéties de Joseph Moult". En 1781, parait un ouvrage ainsi intitulé:
Les véritables Prophéties de Maitre Michel Nostradamus pour quatorze années, à commencer par cette année 1781 & finir en 1794. On y connaîtra les années fertiles ou stériles, la température de l'air, le prix des bleds, vins & cidres, & généralement tout ce qui est nécessaire à tous Marchands & Laboureurs", Rouen, Pierre Seyer ( BM Lyon, B 509 831.
Ce type d'ouvrage correspond exactement aux prédictions générales de cette littérature de prophéties perpétuelles mais cette fois c'est le nom de Nostradamus qui lui est apposé.
Par ailleurs, lorsque l'on examine les privilèges des diverses éditions de 1741 conservées, on remarque des retouches assez grossières qui font apparaître sinon des contrefaçons du moins des éditions pirates.
Chacune des éditions de 1741 comporte une série de trois dates: la première (signée Simon) est celle de l'Approbation, la deuxième (signée Sainson) du privilège, la troisième (signée Saugrain) celle du registre de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & imprimeurs de Paris.
Pour la première et la troisième date, nous disposons de deux mentions différentes: dans un cas 30 novembre 1739 et...30 novembre 1740, dans l'autre 17 janvier 1740 et 17 janvier 1741. En revanche, la date du milieu reste inchangée, en toutes lettres: "treizième jour de janvier, l'an de grâce mil sept cent quarante".
Nous disposons donc de deux séries:
30 novembre 1739 - 13 janvier 1740 - 17 janvier 1740
et
30 novembre 1740 - 13 janvier 1740 - 17 janvier 1741.
Il semble logique de préférer la première formulation qui regroupe sur deux mois les trois dates tandis que la seconde les regroupe sur ...dix mois. Les éditions comportant l'année 1741 in fine et une approbation de janvier 1740 seraient des contrefaçons.
On ne comprend d'ailleurs pas a priori pourquoi l'éditeur aurait sollicité une seconde permission d'imprimer étant donnée que celle-ci lui avait été accordée pour six ans. Un troisième document est daté de la 26e année du règne de Louis XV, soit en effet 1740/41. Il est du 13 janvier 1740 et ne sera pas modifié. Or, cette formulation est très proche de celle de 1268, relative aux années du règne de Saint- Louis, cinq siècles plus tôt. On peut raisonnablement penser que nous avons là un faux réalisé sous le règne de Louis XVI.
Qu'en est-il en effet des adresses du libraire? La mention Pierre Prault n'est absolument pas recevable en 1741. A part les Prophéties Perpétuelles qui se partagent entre ces deux présentations, toutes les éditions Prault des années 1740 comportent la forme "Prault père" tandis que la forme "Pierre Prault" n'est attestée que dans les décennies antérieures. C'est ainsi qu'une prophétie adressée par Bélier de St Brisson à Louis XV parut en 1716 chez Pierre Prault (BNF, Lb38 72) et en 1744 chez Prault père (BN LB38 489). En conséquence les éditions des Prophéties Perpétuelles de 1741 avec la mention Pierre Prault sont des contrefaçons, ce que vient corroborer l'affaire des dates des approbations et des registres de privilèges. Mais dès lors on ne peut évidemment exclure que les éditions "Pierre Prault" de 1741 soient également des contrefaçons mieux conçues.


L'édition de 1771
Pour mettre un terme à notre perplexité, il importait d'accéder à d'autres éditions que celles de 1741 et de la fin du XVIIIe siècle. La Bibliothèque Mazarine conserve une édition de 1771( Cote 55450). Elle serait parisienne sans que l'on nous précise le libraire et vendue à Liège - ville qui n'appartient pas aux Pays Bas autrichiens - par Clément Plomteux.
Or cette édition de 1771 est absolument conforme aux éditions de 1741 et la thèse de la contrefaçon doit dès lors être strictement circonscrite: certes, il y a eu de fausses éditions de 1741 avec l'adresse de Pierre Prault, Pierre il y a eu des éditions comportant des erreurs dans la date de l'approbation et de l'inscription au registre. Mais les Prophéties Perpétuelles, malgré des corrélations frappantes, n'ont pas été réalisées dans les années 1780, sauf à imaginer une quantité ahurissante de contrefaçons.
En ce qui concerne le recueil de 1866, publiée par le libraire Delarue, comportant les Prophéties de Moult, l'exemplaire utilisé n'est probablement pas de 1740. Le fait que l'Approbation soit de janvier 1740 se retrouve dans l'édition de 1771, alors que les deux autres dates y ont disparu. Il semble qu'au delà d'une certaine date , on n'ait conservé que les quelques lignes signées Simon.
On assisterait donc avec ces Prédictions particulières à une entreprise prédictive particulièrement efficace, apte à recouper régulièrement des événements à venir encore que l'année 1789 ne soit pas précisément signalée comme correspondant à de graves événements. Il eût été malheureux d'en conclure que ces corrélations avaient été mise en place après coup, d'où l'importance en textologie de pouvoir consulter un ensemble aussi riche que possible d'éditions. L'absence totale de noms propres, à la différence des Centuries, facilite singulièrement les rapprochements. Mais au lendemain de la Révolution, des remaniements du texte moultien eurent bel et bien lieu qui n'occasionnèrent pour autant que des tentatives très grossières de contrefaçons. En ce qui concerne les fausses éditions de 1741, il ne semble pas qu'il y ait eu d'autre enjeu que de rappeler que ces éditions étaient déjà parues en 1741, ce qui était exact. Mais en voulant trop bien faire et en se proposant de fabriquer des éditions anciennes, l'on risquait de faire mettre en cause l'authenticité de toutes les éditions de cette période.


Moult et la Révolution
Les Prophéties Perpétuelles de Moult sont apparues pour certains comme un système pouvant fonctionner sans l'aide des astrologues à l'instar des grandes conjonctions. Une fois les tables mises à la disposition du public, chacun était en mesure de juger par lui-même. Mais outre la publication de ces tables, certains commentaires sortent du rang. C'est ainsi qu'en 1804, paraîtront des Prédictions générales, particulières et climatériques pour l'an douze correspondant à l'an 1804 du calendrier grégorien à la suite des Prophéties curieuses et intéressantes de Thomas Joseph Moult (BNF, V 47283).
Voici le récit de la «révélation» de l'auteur:
«En 1780, le hasard me procura les prophéties de Joseph Moult (à). Quelle fut, dis-je, ma surprise, en parcourant l'ouvrage (à) de trouver dans ces prédictions particulières qu'en 1791, sous Grossus, le dix-neuvième nombre solaire, il dit «Dans un grand royaume la roture sera anoblie. Plusieurs cantons s'uniront et formeront une république considérable». Qu'en 1792, sous Dicat, le vingtième nombre solaire, il dit «Grands troubles dans une ville capitale d'un grand royaume.». Qu'en 1798, sous Caritier, le vingt-sixième nombre solaire, il dit: République souveraine, reconnue par toutes les puissances de la terre. Qu'en 1801, sous Fer, premier nombre solaire, il dit (à): Un grand homme, dont la valeur et le courage imitera les Alexandre et les Césars, gouvernera une grande nation, son règne sera long et glorieux (à). Je puis assurer le lecteur que toute la Révolution y était annoncée entièrement.»

La version corrigée des Prophéties de Moult
En 1807 parait le texte de Joseph Le Juste Joseph. C'est la seule édition imprimée que nous connaissions de l'édition «longue», les autres versions ne nous sont parvenues que comme copies manuscrites.
C'est vers cette époque qu'a du paraître l'édition dont Alexandre Volguine a donné la reproduction en 1941. Lors de la première guerre, étaient parus en 1917 les Très curieuses prophéties de Thomas Joseph Moult sur les événements contemporains. Réédition du livre imprimé (sic) en 1556 à Naples.
Il s'agit d'une adaptation de l'édition de 1740 ayant pour but de mieux s'ajuster aux événements révolutionnaires.
Contrairement à ce qu'affirme Volguine, cette version n'est pas antérieure à 1740, mais postérieure, celle de 1740 étant conforme aux modèles classiques. Les changements opérés ne visaient qu'à mettre en évidence les années de la période révolutionnaire et post-révolutionnaire. En effet, l'ouvrage comportant désormais deux volets et non plus trois puisque commençant au XVIe siècle au lieu du XIIIe siècle, l'oeil est attiré par la dernière ligne du premier volet (1784-1811) et par la première du second (1812-1839).
L'on peut même penser que cette nouvelle version serait postérieure à 1812. Voici le "véritable portrait de Thomas-Joseph Moult, auteur de ces prédictions (à). La première partie commençait en 1560, la seconde en 1812 et finit en 2063". Cela a en outre l'avantage de placer la mise en place du texte du temps de Nostradamus, "vérificateur des prédictions de Thomas Joseph Moult".
En débutant en 1560 - au lieu de 1521 - l'on perturbait le système tel qu'il avait été conçu et la correspondance des années. Geneviève. Bollème laisse entendre que cette édition de 1560 serait la première.
A vrai dire, il n'est peut être pas si simple de trancher: certes, il est des maladresses dans cette édition "1560" mais elle se réfère à Frédéric II (de Hohenstaufen), formule absente de l'édition du XVIIIe siècle. Or cet empereur, roi de Sicile, vécut de 1194 à 1250, il serait donc mort peu de temps avant 1268 et Moult ou celui qui correspond à ce nom, aurait pu être actif à sa cour, ouverte aux occultistes, le royaume de Naples ayant partie liée à celui de Sicile.
Ci-dessous les «prédictions particulières» pour le début de ces 56 années:

1784
La beauté du commerce et des arts fera briller tous les Etats.
Naissance d'un grand Prince.
Grand combat naval.
Grande trahison exécutée.

1785
Institution d'un grand Ordre de Chevalerie dans un grand Royaume.
Une tête couronnée cédera le pas à une autre Couronne.
La paix entre les Princes Chrétiens.

1786
Naissance illustre dans une grand Cour de la Catholicité.
La découverte d'une intrigue entraînera des suites fâcheuses après elle.
Bien des révolutions arriveront cette année dans un grand Royaume de la Chrétienté.

1787
Un grand Prince se séparera de l'Eglise Romaine.
Grande trahison exécutée dans une grande Cour de l'Europe.
Institution d'un grand Ordre de Chevalerie dans un beau Royaume.
Le papier en grand discrédit
Naissance d'un grand Prince dans une grande Cour.

1788
Changement de Ministre dans une grand Cour.
Naissance d'un Prince cher à la Patrie.
Grande révolution dans le Commerce.

1789
De grandes Révolutions arriveront cette année dans un des grands Etats de la Chrétienté_.
Emotion populaire dans un grand Royaume.
Grande conspiration découverte.

1790
La mort d'un grand Prince causera bien des troubles dans ses Etats.
Grande trahison découverte.

1791
La noblesse dans un grand Royaume donnera des marques à son Souverain de son courage et de sa valeur pour le soutien de l'Etat.

1792
Fameux combats où les généraux de part et d'autre se distingueront par leur mérite et leur valeur.
Une grande Princesse montera sur le Trône.

1793
Un grand Prince montera sur le Trône.
Grande guerre entre les Princes Chrétiens.
Bataille gagnée.
Mort d'une grande Reine.

1794
Grande invention d'Art dans un grand et puissant Royaume.
Mariage d'un grand Prince.
L'Eglise, notre bonne Mère nous accordera de grandes indulgences.
Le faux est des plus maladroits. On trouve à la fin du Livre des Prophéties Perpétuelles la formule suivante: «Fait à Saint-Denis en France l'an de notre Seigneur 1608 et du règne de Louis IX, notre très pacifique Roi, le quarante deuxième par moi Thomas Joseph Moult». Comment 1608 pourrait-il se trouver lié à Saint Louis, mort en 1270? En tout état de cause, le nom de Thomas Joseph Moult n'apparut pas avant le XVIIIe siècle.

Les recueils de Prophéties Perpétuelles;
Outre ces textes qui associent.Nostradamus; et Moult;, l'on trouve des recueils qui évoquent ceux du seizième siècle: Prophéties ou Prédictions perpétuelles composées par Pytagoras, Joseph. le Juste; , Daniel le Prophète, Michel Nostradamus et plusieurs autres philosophes; (1804, à Remiremont) dans lesquels les noms d'Etienne de Prato, Seraphino . Calbarsi Seraphino; et ..Guido ont été remplacés par celui de .Nostradamus; qui n'y figurait pas initialement. En fait, Scheler; signale au XVIIIe siècle, un Almanach pour l'an 1769 ou pronostication perpétuelle des Laboureurs. Avec les pronostications de Pitagoras en ses circules & angles, de Joseph le Juste, Daniel le Prophète & autres. Avec l'Almanach des Vignerons par Maître Antoine .. Maginu; dit l'Hermite Solitaire; (Rouen, .Pierre Seyer; ).

Le lien Moult-Nostradamus;
Dans l'ouvrage paru à Tours (Impr. Mame et Peschard), l'on trouve un «Portrait du fameux Michel Nostradamus, vérificateur des prédictions de Thomas Joseph.Moult; » qui figurait déjà au XVIe siècle dans un texte signé Lucas Tremblay, (1577) et au siècle suivant chez ..Ligbéra de Vauréal;, , anagramme du libraire Troyen Gabriel .Landereau, .
Il semble qu'à la suite de Rabelais, Antoine Couillard du Pavillon ironise sur cette volonté d'avoir "réponse à tout" en se servant d'un nombre limité de formules. Débat sur l'économie de moyens que pose au demeurant le prophétisme:
"Or ce n'est que folie à moy de cuyder dire tout ce qui adviendra car il me seroit & à tous noz autres divinateurs du tout impossible. Je dirais bien en general que morts de Princes, changemens & mutations de regnes, pluyes, gresles, neiges, glaces, tonnerres, orages, ventz & tempestes, guerres, famines, maladies & pestilences, tant sur la mer que sur terre. Et par le contraire, continuation de règnes, santé, prospérité, joyes, liesses, richesses, amours & tous autres désirs & plaisirs mondains, ne cesseront tant que le monde durera, de convenir ensemble; sans ce qu'il en défaille un seul an, moys, semaine ne jour car toutes ces choses à scavoir bonnes & mauvaises seront toujours concurrentes & les uns & les autres régions de ce monde espandues"
Et Couillard d'évoquer "un millier de resveries escriptes par nos nouveaux prophètes", qui ne sont pas autant de quatrains mais plutôt des formules oraculaires.
Pourquoi Antoine Couillard ici encore, ne paraphraserait-il pas les termes mêmes de Nostradamus comme il le faisait plus haut pour la Préface? On en est à se demander si les Prophéties Perpétuelles de Moult que d'aucuns ont attribuées à Nostradamus n'ont pas récupéré le texte des premières Prophéties de Nostradamus, tant les expressions se recoupent. Pour preuve, on l'a noté, la parution en 1866, à Paris, chez .Delarue un recueil comportant, à la fois les Centuries et les Prophéties Perpétuelles de .Moult,



III Un monde prerevolutionnaire


Une situation paradoxale caractérise la fin du XVIIIe siècle, aux yeux de l'historien du prophétisme. C'est en effet vers cette échéance que tout un courant prophétique s'était focalise‚ depuis le début du XVe siècle, … la suite de Pierre d'Ailly. Bien plus, il est avere‚ que les prophéties annonçant un bouleversement considérable trouvent en cette période comme une confirmation, qui fait oublier tant d'échecs et de fausses alertes. Et cependant, l'on a coutume de considérer cette époque comme marquant un reflux de l'astrologie.
. En d'autres termes, la victoire du prophétisme français survient trop tard alors que structurellement la culture européenne a évacué les spéculations astro-prophetiques de son système de références. Si cette conjonction entre la prophétie et l'ev‚nement avait eu lieu à la fin du XVIe sicle, en cette année 1588 par exemple associée abusivement au nom de Regiomontanus; l'histoire du prophétisme en aurait ete‚ changée.
En tout état de cause, même si la prophétie antéchristique alliacienne se voyait confirmée à la lettre puisque la Révolution Française est datée de 1789, de la Prise de la Bastille, il fallait battre le fer tant qu'il était chaud et profiter de ce crédit pour peser sur les événements à venir: c'est ce que pensèrent les exégètes du XIXe siècle directement en prise, au demeurant, avec le politique.
Joseph de Maistre rappelle Thomas Kselman15 , dans ses Soirées de St Petersbourg (XIe dialogue) parues en 1821, regrettait la carence des prophéties au XVIIIe siècle. On peut en effet penser que certaines prophéties auraient su mettre en garde la monarchie mais aussi que celle-ci aurait maintenu un empire mieux assuré sur le peuple. Le refoulement, jusque à la Révolution, des prophéties politiques au XVIIIe sicle - nous les distinguons des prophéties religieuses de type figuriste - a pu en effet perturber l' écosystème politique français.
A priori, toute prophétie concernant la Révolution la précède.. Certes, cette prophétie sera parfois découverte à l'occasion de celle-ci, mais elle ne peut que lui être antérieure... Il importe donc de la présenter comme telle.
C'est ainsi que la Prophétie de Saint-Cesaire" d'Arles aurait été trouvée à sa mort, dans les papiers du dernier archevêque d'Arles, Mgr Du Luau, lors des événements de 89. Encore ne faut-il pas confondre ce texte avec une autre Prophétie de St Cesaire, qui n'est en fait que la Prophétie de Vatiguero; de .Jean de Vatiguero-Bassigny;, issue du Mirabilis Liber". On comparera plus loin avec le récit de la découverte des Prophéties olivariennes sous la Restauration.





A Les prophéties et les Jésuites (1762-1772);

La dispersion des Jésuites, en France, dans les années soixante, provoqua de la part de ses membres une certaine fièvre prophétique comparable, toutes proportions gardées, à… celle des protestants face … l'Edit de Nantes, au siècle précèdent. et à… celle des Jansénistes gallicans qu'ils avaient tant combattus quelques décennies plus tôt, notamment …à travers le Figurisme, ces derniers prenant ainsi leur revanche
La persécution alimente un certain prophétisme. En 1773, allait intervenir la suppression totale de la Compagnie par le pape.
En 1789, l'on se souviendra de certains textes qui pouvaient constituer un projet de charte des droits de l'homme contre l'absolutisme. L'on publie donc un texte censé être paru à Nomopolis (Nîmes, ville de tradition reformée) chez Aristotechne intitulée reprenant une formule chère à ..Du Moulin et à .Jurieu, “Accomplissement de la Prophétie politique faite en 1772 ou les vrais principes de gouvernement dans les corps politiques contre les erreurs et la bassesse des nomoclastes ou briseurs des lois. Compose en Février de 1772 et imprime pour la première fois en Octobre de 1789. par M.L.R. (BNF).
En 1772, un an avant que le Pape Clément XIV, à la solde des Bourbons, ait été poussée avec le Bref "Dominus ac Redemptor", à… supprimer l'Ordre dans les pays catholiques, était paru déjà un Accomplissement des Prophéties pour servir de suite à l'ouvrage intitulé le Point de Vue" (BNF, Ld39 571 et 570), texte hostile aux Jésuites
. Or, les "prophéties de Bernardina (Renzi), note Caffiero, concernant la mort prochaine et imprévue de Clément XIV, en punition des mesures contre les jésuites (..) furent reprises et utilisées (en vue de) démontrer le lien de cause à… effet entre la suppression de la compagnie de Jésus et la Révolution." De fait le pape mourut dès 1774
Sainte .Hildegarde; de Bingen (1098-1179) figure dans la polémique autour des Jésuites et notamment par .Lacunza;: "Prophétie de Sainte-Hildegarde, abbesse du Mont Saint-Robert dans le Palatinat, appliquée aux Jésuites par D. Jer. Bapt. de Lacunza de l'Ordre de Saint-Dominique depuis Evêque d'Albarrazin et de Balbastro" (BPR, LP 582 (24)
En 1769, parait à… Londres, au sein d'un recueil de pièces diverses, l'Evangile du Jour. (BNF, D2 5300). On y trouvait un texte prétendument écrit en 1530, intitulé "La Prophétie de la Sorbonne" accompagné d'un certain nombre de commentaires. On l'aurait trouvé au tome premier (p.117) des manuscrits de Baluze; .
. En voici un extrait:
"Henri quatre tu maudiras
Quatre fois solennellement
La mémoire tu béniras
Du bienheureux Jacques Clament"
Comment imaginer un instant une telle précision en 1530! Nous ne savons pas à… partir de quand cette "prophétie" circula, peut-être sous la Ligue.
En réalité, le but de cette publication, … la fin du XVIIIe sicle, est, tout en s'efforçant de montrer qu'il s'agit d'une prophétie ayant déjà… fait ses preuves, d'annoncer la déconfiture des Jésuites

"Les Jésuites remplaceras"
Commentaire; "C'est ce qui vient d'arriver et ce qui désormais arrivera toujours"
Les attaques contre les Jésuites et leur pouvoir immense et secret ne sont pas sans annoncer celles contre les Franc Maçons et les Juifs, comme en témoigne l'Essai sur la secte des Illuminés du Marquis de .Luchet; (1792, BNF, R 42346) cf Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002





B La comète de Lalande. 1773.
Tout au long du XVIIIe sicle, les comètes avaient maintenu une certaine pression sur les imaginations. Ainsi, la longue attente pour 1758 de la comte annoncée en 1695 par l'Anglais Edmund .Halley, et qui était visible de la Terre tous les 75-76 ans. On attendait donc le retour de celle qui était passée en 1607 et 1682. Et on crut la percevoir en septembre 1757 mais c'était une fausse alerte; il sembla que la fameuse comète n'était pas cette fois au rendez-vous jusqu'à ce que le Français .Clairaut; révisa tous les calculs et c'est finalement le 15 Mars 1759 que l'on put observer la comte dite de Halley. L'on pouvait certes tenter de censurer certains textes, l'on ne pouvait éliminer les comètes et avec elles une attitude millénaire à… leur endroit
. Comme l'année 1757 avait été assez malheureuse pour la France, les victoires du roi de Prusse et l'attentat de Damiens contre la personne du roi purent âtre rapprochés, sur le moment, de l'apparition vite démentie d'ailleurs de la comte en cette année l….
Le phénomène le plus marquant de la période pre-revolutionnaire qui mit l'opinion dans un état d'excitation occasionnant des réactions et des tentatives d'apaisement se produisit une quinzaine d'années avant la prise de la Bastille, coïncidant d'ailleurs avec l'avènement de Louis XVI, l'année suivante. Il ne semble pas que l'on ait tenu compte, parmi les historiens des sources occultistes de la Révolution de cet épisode qui devait encore être resté dans bien des esprits en 88-89.
En cette année 1773, le public est alerté par les propos d'un astronome qui s'était illustré en fixant la date du retour de la comte de ..Halley, dans les années cinquante, ..La Lande, membre de l'Académie des Sciences, par ailleurs fort ouvert aux idées du futur auteur de l'.Origine de tous les cultes, Charles Fran‡ois .Dupuis, Une rumeur laissait entendre qu'une prochaine comte, aux dires de l'académicien, pourrait provoquer une catastrophe. Aussi, ..La Lande; se sentit-il obligé de publier un texte pour calmer les esprits. Il n'y parvint guère. Voilà… ce que l'on peut lire dans un périodique du temps qui fait le compte-rendu de ses Réflexions sur les Commets qui peuvent approcher de la Terre":
Il faut pourtant convenir que les premières pages de ses Réflexions ne sont point du tout propres … rassurer les trembleurs. Le savant Astronome nous apprend qu'il n'y a encore qu'une soixantaine de Comètes qu'on ait observées de manière … pouvoir les reconnaître, lorsqu'elles redisparaitront. Il a voulu savoir si dans ce nombre il y en avait quelques unes dont les noeuds tombassent à peu près sur la circonférence de l'orbite terrestre et il a trouvé qu'il y en avait huit qui en différaient assez peu, en sorte qu'il est possible que, dans la suite des mouvements de la Terre & de ces différentes Commets, il s'en trouve une qui se rencontrant dans son noeud, lorsque la Terre y passe, la choque ou la déplacé, l'entraîne ou en soit entraînée & consomme enfin cette grande révolution qui serait pour le genre humain l'accomplissement des sicles ou le commencement d'un nouvel ordre des choses (Année Littéraire, 1773)
L'on est frappé par les formules utilisées et notamment par l'emploi du mot Révolution comme si l'opinion-une fois de plus- était prête à voir le monde parvenir à son terme, en dépit des efforts du Siècle des Lumières et de l'Encyclopédie.
Il est toutefois évident que le mot n'a pas le même sens avant 1789 et après. Avant 1789, il s'agit d'une expression abstraite, quasi métaphysique. Après 1789, la Révolution constitue tout un programme pour ceux qui y font référence. 1789 a modifié, par la combinaison de situations, le contenu sémantique du mot.
Bien plus, Voltaire, qui est à la fin de sa vie, va participer à cette polémique, ce qui provoquera une Réponse à la Lettre sur la Prétendue Cométe", lettre datée de Grenoble le 17 mai 1773 et imprimée dans le Mercure de juin de cette année. Cette mise au point à cette Lettre est datée du 10 octobre et signée Chevalier de. Cintres; ¯ et parait également dans l'Année Littéraire de Fréron.
"La Lettre sur la Prétendue Comète a été mise toute entière dans le Journal Encyclopédique et même ce petit chef d'oeuvre a été imprimé à part, ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on lit au frontispice PAR M. DE VOLTAIRE. Je l'ai lue et je la crois en effet de lui. (...). D'un autre coté, quand vous aurez lu, Monsieur, la Réponse dont il s'agit, vous douterez que M. de Voltaire ait écrit la Lettre de Grenoble & (..)‚ soit d'un génie aussi sublime (...)J'apprends dans le moment qu'on a imprimé dans le Journal Politique une Lettre où l'on avance que les astronomes ont jugé que l'auteur du Mémoire (La Lande) s'était trompé dans ses calculs et dans ses résultats (..). Le même Journal porte que l'Académie a désavoué le Mémoire de M. de .La Lande;. Il faut être bien peu instruit des usages de l'Académie pour avancer un pareil fait. L'Académie a plusieurs fois déclaré qu'elle ne regarde point comme son propre ouvrage ceux que les Académiciens lisent dans ses Assemblées, ni même ceux qu'elle fait imprimer dans le recueil des Mémoires qu'elle publie tous les ans... (..). Je ferais une lettre plus longue que celle de l'Anonyme (Voltaire?) si je relevais toutes ses bévues.
Or, dans cette Lettre de Grenoble qui est ainsi stigmatisée, il est fait référence à l'attente d'une fin du monde. Cette fin du XVIIIe siècle ne se déroule donc pas tout à fait sous le signe de la serenité et les Lumières ne sont pas toujours celles que l'on imagine .
Lorsque la Révolution éclate, la comète de 1773 n'a pas été oubliée pour tout le monde. Un sourd-muet, Esope .Desloges, publie en 1790 la Prédiction des astronomes sur la fin du Monde accomplie ou la regeneration de l'Europe en travail" qu'il dedie à La Fayette (Paris, Garnery, BNF, Lb39 4466):
"La voilà donc accomplie cette fameuse prédiction de la destruction de ce monde annoncée par les astronomes. Elle est arrivée à point nommé, à l' époque désignée. Tout le monde se rappelle (et les femmes et les esprits faibles en tremblent encore) qu'il y a environ quinze ans que des astronomes, des savants, qui savent lire dans les astres aussi clairement que les m‚decins dans le corps humain ont aperçu dans cette région nommée le ciel un signe céleste inconnu qui leur a présagé, pour le neuviéme lustre de ce siécle, une commotion terrible, un bouleversement général, en un mot la destruction de notre globe. Mais pour le coup, la science... s'est trouvée en défaut car ils n'ont pas deviné que ce signe céleste était le fanal de la Liberté‚ qui présageait non la destruction du monde mais sa régénération.
Avec la Cométe de 1773, l'ironie de la situation tenait au fait que l'Acad‚mie des Sciences-qui ne voulait point de l'astrologie en son sein-se trouvait compromise dans une affaire de prédiction alarmiste, comme en témoignent ces Réflexions d'un homme de bon sens sur les cométes & sur leur retour ou préservatif contre la peur (1773), plutôt aigres sur le crédit à lui accorder.
"J'ai longtemps envisagé comme un paradoxe étrange ce qu'osait avancer le célébre Jean-Jacques Rousseau qu'il y a plus d'erreurs dans l'Académie des Sciences que chez tout un peuple de Hurons. L'événement prouve aujourd'hui que cet éloquent‚écrivain ne s'est pas tout à fait tromé‚. Une terreur panique se répand dans toute l'Europe à l'occasion de la cométe annoncée pour un jour préfix & que le peuple attend le 2 octobre prochain. Les ignorants ajoutent foi sans examen aux décisions trop incertaines de nos profonds calculateurs; les savants, trompés eux mêmes par un appareil imposant d'algébre & de géométrie ne sont pas exempts d'effroi. (..) Au reste, il faut avouer que M. de Lalande est la cause innocente de l'alarme qui s'est répandue en Europe"
On parle de Jean Jacques Rousseau; mais. Voltaire fut, on l'a noté, beaucoup plus actif dans l'Affaire de la Cométe fantôme de 1773. Un de ses amis, Bricaire de la Dixmerie; ironisera sur cette cométe mais n'en publiera pas moins en 1775 une Sybille Gauloise" (BNF), au lendemain de l'avénement de Louis XVI.
L'écho de la "Prophétie" de La Lande dépasse les frontières du français. A Groningue parait un Planeet of Orakel (..) uit de Astronomische Waarneemingen van den Herre La Lande in Vrankryk (à) als of de Waereld op Zondag den 8ter Mei 1774 vergaan zou" (Bibliothéque Royale La Haye).
Encore en 1788, le chevalier Cosquinet de la Roche s'en prendra lui à la Lettre à M. de La Lande au sujet de la cométe qui doit embraser la Terre suivant la Prédiction trouvée dans une Centurie de Nostradamus". Au Palais Royal. Au café du Pavillon le 17 Mars (Paris, Ruggiery).
L'auteur eut l'idée de ce texteà la suite de la parution d'un Billet d'assurance "que (La Lande) a fait insérer dans le Journal de Paris du 15 mars dernier". La Roche y fait allusion non seulement à la Cométe de 1773, mais à l'Eclipse de 1764, ce qui occasionna alors la réédition d'un texte de Chapelle; sur l'Eclipse de 1654.
. La Roche; - ne se contentant pas de la présence de 1792 dans l'Epître à Henri II - propose une Prédiction qu'il prétend de .Nostradamus, en cinq vers:
En l'an ne loin de mil sept cent nonante
Vingt Neuf de Mai ou tout à moins le trente
Moult Charrivar'en terre arrivera
Par grand Cométe à queue étincelante
Qui la moitié du monde retira.
Et l'auteur de comparer l'époque à celle qui précéda le Déluge...
Cette histoire laissera des traces bien au delà, puisque dix ans plus tard, dans La Comète en vaudevilles", l'on place La Lande au même niveau que le Grand Albert, le Grand. Les astronomes ne jouent pas impunément aux prophetes de malheurs. L'on peut penser que, quelque part, les astronomes étaient tentés de remplacer les astrologues, d'où notamment les noms mythologiques qu'oils distribuent auix nouveaux astres au point de constituer ainsi les bases d'une astrologie moderne.



La prophétie Turgotine
Ce texte qui circula dans les "feuilles périodiques des années 1778" semble annoncer avec une certaine précision les événements révolutionnaires. Certains ont essayé d'expliquer de quelle façon certaines prophéties ont pu se réaliser. L'explication maçonnique a séduit un chanoine Mazzarelli;
". En fait, certains textes ne seraient que l'expression de plans subversifs qui furent menés à bien. Pour Wurtz, les sociétés secrétes n'auraient pu parvenir à un tel bouleversement sans une aide supérieure: "Si le Grand Orient visible à l'époque de la Révolution n'eût pas été secondé par le Grand Orient invisible; si le maître des démons n'eut pas été à la tête du complot, les Français (..) se seraient ils tout à coup portés à des excés si monstrueux?" (pp. 102-103)
Dans les années Quatre-Vingt, paraissent des Prophéties Perpétuelles de Moult; datées de 1740 ayant annoncé l'avénement de Louis XVI (1774) et les événements de 1781: naissance du dauphin, victoire de Yorktown etc. L'Abbé .Barruel; est l'auteur d'une Ode sur le glorieux av‚nement de Louis-Auguste au trône, présentéé à la Royne, Paris, Valade, 1774, BNF, Ye 14898, genre dont la dimension prophétique est quelque peu factice.



1785 et le retour de Regiomontanus;
Il convient de se reporter aux prophéties léovitiennes consacrées à la fin du XVIe siècle et notammentà l'..Annus Mirabilis de 1588. Or le texte latin en question connaîtra une seconde carrière à la veille de la Révolution de 89
En 1785 parait dans un journal allemand (Hamburger Correspondenz, article "Prag" du 20 janvier) la nouvelle selon laquelle on aurait troué‚ sur le tombeau de l'astronome.Regiomontanus à Lizka, en Hongrie, sous domination autrichienne, une pseudo Prophétie de Regiomontanus; désignant l'an 1788.
La première dénonciation à… propos d'une manipulation vient d'un pasteur allemand,. Ehrhardt; (de Beschine); "Widerlegung einer vermeyntlich neuen Prophezeyhung" vom Untergange der Welt im künftigen Jahr 1788", Journal von und für Deutschland, c'est-à-dire "Réfutation d'une nouvelle Prophétie de la Fin du Monde pour 1788". Le subterfuge est donc dénoncé dès 1785. En tout ‚tat de cause, il n'est pas question de la France: un astrologue allemand qui a proph‚tis‚ dans sa langue touche d'abord des Allemands. Mais la France a très souvent ‚t‚ marqu‚e par les proph‚ties venues de l'Est et notamment par le biais des protestants un siècle plus t“t (cf supra). Ce pasteur Ehrhardt est l'auteur d'une thèse sur Regiomontanus (Göttingen, 1755) et donc bien placé‚ pour noter que l'on a substitué‚ 1588 par 1788... Il se réfère à un texte intitulé Vaticinium Io. Regiomontani de interitu mundi, dans lequel était écrit Post mille expletos a partu Virginis annos/ QUINGENTENOS rursus ab inde datos/ Octuagesimus octavus mirabilis Annus... Or, le texte prétendument trouvé sur la tombe de Johannes Müller est ainsi tourné‚ Post mille expletos a partu virginis annos/ Septingenos rursus abinde datos /Octuagesimus octavus mirabilis annus (Après mille ans accomplis depuis l'enfantement de la Vierge et que, de plus, sept cents ans se seront écoulés, la quatre vingt huitiesme année sera une année bien étonnante et entraînera avec elle de tristes destinées, traduction in Fin des Temps" de Collin de Plancy, 1840). Il est à noter que le latin était encore fort pratiqué au sein de la noblesse hongroise de la fin du XVIIIe siècle.
Le Mercure de France du 19 février 1785 reprendra en tout cas l'information annon‡ant 1788, mais sans signaler les mises en garde du pasteur .Ehrhardt; . Ce n'est que dans les années 1820 qu'.Hemey d'Hauterive dans une note compl‚mentaire à un article consacré à Gaspard Brusch, se fera l' écho d'une contestation due à un auteur dont il ne donne pas le nom. Ses informations sont d'ailleurs erronées:
Vers le milieu du siècle dernier on imprima dans le Mercure de France et 25 ans après Fréron réimprima dans ses feuilles une Prophétie en 8 vers latins qu'on prétendit être trouve à Lizka... A l'époque de la Révolution, on rappela cette Prophétie et mille bouches la repeterent.
En réalité, l'annonce ne parut qu'en 1785 (et non en 1775) et ce fut en raison de la proximité avec l'année considérée. On se passionne souvent moins pour le long terme. Et le Mercure de France tout comme l'Année Littéraire de Fréron; s'en firent l'écho la même année.
Echo assez lointain d'ailleurs, du point de vue fran‡ais, dans le Mercure:
On conjecture que la constitution de Hongrie subira bientôt de grands changements et qu'on la réduira à la même forme que le reste de la Monarchie Autrichienne.¯ De fait, l'Empereur Joseph II, frère de Marie Antoinette, avait vainement souhaité, dans les années quatre-vingt, modifier l'ancienne constitution du pays dont il était le roi, changer le statut des serfs, ce qui y provoqua le mécontentement de la noblesse hongroise
Nous nous trouvons là encore une fois face à un excellent exemple de ces changements mineurs permettant de réactualiser un texte. Il est fort peu probable qu'un tel "faux" ait eu une influence comparable à celle de l'original, à l'approche de 1588. On ne trouve en effet aucune protestation significative en vue de calmer les esprits. C'est plus tard que cette prophétie figurera en bonne place dans les recueils prophétiques, entre autres curiosités. Force est donc de constater que les trois prophéties recoupant la période révolutionnaire, 1788 (Regiomontanus; ), 1789 ( Pierre d'Ailly ), 1792 (.Nostradamus; ) sont toutes trois le fruit d'erreurs de calcul ou de manipulations...
. Lecanu; signale d'ailleurs un ajustement supplémentaire:
"Post mille expletos a partu Virginis annos
Et septingentos rursus ab orbe datos
Octuagesimus et nonus mirabilis annus"
Ce qui fait apparaître l'an 1789...
Rien d'extraordinaire d'ailleurs, a priori, à ce qu'un auteur du XVe siècle comme Johannes .Müller, dit Regiomontanus; ait pu calculer longtemps à l'avance une telle échéance mais nous savons qu'il s'agit d'une attribution infondée qui se développa dans les années 1560 : les astrologues du Moyen Age n'avaient-ils pas annoncé la fin du monde pour le XVe siècle, tel Abraham Ibn Ezra; astrologue Juif du XIIe siècle?
Comparons les deux versions:
"Post mille elapsos a partu Virginis annos
Et post quingenta (500).. "
devient:
"Post mille expletos a partu Virginis annos
Et septingentos (700) rursus ab orbe datos
Octuagesimus octavus, mirabilis annus"

Tausend sieben hundert achtzig acht
Dis ist das Jahr das ich betracht
Geht denn die Welt nicht unter
So geschieht doch gross Wunder
soit une déformation du texte allemand précédemment cité


Holzhauser et l'année 1787
Il semble qu'il faille rapprocher de la prophetie pseudo-regiomontanienne pour 1788 une prophetie censée dater du milieu du XVIIe siècle et qui aurait été due à un certain Bartholomas Holzhauser.
Millia tum sexcenti anni, nonagintaque septem
Adde novem decies, tunc venit ista dies¯
et que l'on ainsi traduite en français:
"Que l'on ait mille et six cents/ Et Quatre Vingt Dix Sept, ajoutez neuf fois dix, c'est alors que vient ce jour o- les compagnons d'Elie, de Paul et les Frères Mineurs seront privés de leurs cloîtres etc" On obtient en faisant le compte: 1787.
Ce texte aurait circulé en Autriche à l'instar de celui retrouvé sur la tombe de Regiomontanus. Fortement marque par la prophetie pseudo-malachienne, il fera carrière sous la Restauration. Il est pour le moins étrange que les devises auxquelles le texte s'intéresse correspondent précisément aux papes de l'epoque.quand on sait à quel point le deroulement de la liste pseudo-malachienne est aléatoire.On pense donc … un faux que l'on peut dater selon les devises pontificales.(cf J. Halbronn, Papes et prophéties, op. cit.)
A l'autre extrémité de l'empire, aux frontières de la Belgique dite autrichienne, parait, à … Liège, un texte nostradamique, assez remarquable par ses illustrations associée à une série de Vingt prophéties (..) dernièrement trouvées manuscrites dans une célèbre Bibliothèque des Pays Bas" ou quatrains commentes, fabriques pour la circonstance à Liège. A l'origine, nous dit-on, il s'agissait d'un "petit recueil manuscrit qui nous est tombé sous les mains" (p.88). On précisera que la principauté de Liege, proche culturellement de la France, ne dependait pas administrativement de l'Autriche, elle était gouvernée par un prince-eveque qui s'enfuira lors des evenements du 18 aout 1789 lesquels sont probablement liés à cette publication nostradamique.
.


.Sibly et la Revolution Francaise;
Ebenezer.Sibly semble avoir été un des rares astrologues capables à la veille de la Revolution de formuler un jugement qui ne se fonde pas sur des textes antérieurs, c'est ainsi que dès 1787, à propos de la carte du ciel pour l' équinoxe de 1789, il écrit:
Some very important event will happen in the politics of France such as may dethrone or very nearly touch the life of the King and make victims of many great and illustrious men... preparatory to a revolution in the affairs of that empire... having said thus much upon the vernal scheme of figure of the heavens for the year 1789 (p.1050)
Il était au fond normal qu'un astrologue anglais s'attende à voir éclater en France ce qui se produisit au XVIIe siècle dans son propre pays (New and Complete Illustration of the Celestial Science of Astrology, Londres, 1785);
;.
D'ailleurs Ebenezer Sibly, dans les éditions suivantes, en tirera quelque gloire: nous traduisons son propos:
"Que le lecteur compare les remarques avec les ‚v‚nements qui se produisirent, particulièrement en France depuis les premières éditions de cet ouvrage et je suis sûr d'obtenir quelque crédit pour d'autres sujets que j'ai prédits mais qui sont encore en gestation"¯ (note pour l'édition de 1792)
Non content de rappeler ce succès prédictif, Sibly entend que l'on attache en conséquence du credit à ses autres propos. C'est tout l'enjeu, en réalité, du prophétisme que de s'appuyer sur ses succés passés, réels ou pé‚tendus, pour renforcer sa légitimit‚ oraculaire à annoncer ce qui n'est pas encore advenu. Des traites sur le futur d'autant plus qu'on utilise un langage qui est celui de l'argent, des baux: les échéances, les termes.


IV Cagliostro et l'Affaire du Collier.



Le prophète peut se révéler bouc émissaire idéal, ce fut peut-être le cas d'un Cosme .Ruggieri en 1574 lors de la tentative avortée du duc d'Alençon de succéder à son frère Charles IX, aux dépens du roi de Pologne, on peut se demander quel rôle joua le mage Cagliostro; dans l'Affaire du cardinal Louis de .Rohan; - Guémenée , le "cardinal collier".
En 1783, dans une Lettre (sic) sur la Suisse adressée à Mme de *** par un voyageur français en 1781, Genève, 1783 (BNF, M 16498), ..La Borde campe le personnage de Cagliostro dont on dit: "c'est au moins l'antéchrist, il a cinq ou six cents ans " (Lettre II, Strasbourg, le 15 Juin 1781, tome I, p.7)
En 1789, au lendemain des événements de juillet, paraît à Paris, un opuscule (BNF, Lb39 7384) intitulé Traduction d'une lettre écrite par Monsieur le Comte de Cagliostro à M***, trouvée dans les décombres de la Bastille.
Que dit cette lettre censée avoir été écrite dès 1786 et qui, y lisait-on, "hâta la Révolution"? "Oui, mon ami, écrit-il à son interlocuteur, je l'annonce! Il régnera sur vous un prince qui mettra sa gloire à l'abolition des lettres de cachet, à la convocation des Etats Généraux et surtout au rétablissement de la vraie religion"
Mais Cagliostro, alias J. Balsamo;, si tant est qu'il soit bien l'auteur de la lettre, fait encore confiance à Louis XVI il le voit publier un "‚dit mémorable": "les temps sont peut être arrivés, il est certain, du moins, que votre souverain, est propre à ce grand oeuvre. Je sais qu'il y travaillerait s'il n' écoutait que son coeur: sa rigueur à mon égard ne m'aveugle pas sur ses vertus"
Il semblerait que cette lettre ait été envoyée le 20 juin 1786 à un prisonnier de la Bastille, par Cagliostro depuis Londres, si l'on en juge par le premier intitulé "Lettre écrite à M. par M. le comte de Cagliostro, de Londres". Cagliostro aurait été libéré le 31 mai puis condamné à l'exil. La diffusion de cette lettre, probablement en 1789, pouvait favoriser Philippe Egalité, duc d'Orléans, futur régicide, par son vote, dont on sait qu'il fut alors à l'origine de nombreux pamphlets
. En tout état de cause, un tel texte ne fait qu'exprimer le souhait d'un changement d'attitude de la part du roi, notamment en ce qui concerne les lettres de cachet, dont Cagliostro a souffert parmi d'autres. Mais cette attente supposée exprimée par un homme réputé posséder des pouvoirs particuliers pouvait aussi bien être récupérée par les adversaires de la monarchie absolue
Quels sont les documents dont nous disposons? D'une "traduction d'une lettre écrite par M. le Comte de Cagliostro … M ***" sans date d'impression et d'une lettre manuscrite. Certes, rien n'exclue a priori que Cagliostro, depuis Londres, ait envoyé une telle lettre se plaignant de son emprisonnement à la Bastille par lettre de cachet et d'un exil voulu par le roi, faisant suite à son acquittement dans l'Affaire du Collier. A lire les historiens de la question, il semblerait que l'on ne dispose pas de preuves décisives qu'une telle lettre soit postérieure à la Révolution. La lettre, en outre, ne figure pas dans les factums consacrés au procés du Cardinal, n'est pas davantage évoquée dans les colonnes du Courrier de l'Europe. Or, il existe une autre source, celle des Mémoires Secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres en France commencés par Bachaumont et poursuivis par Pidansat de Mairobert et Moufle d'Angerville, dont on connaît deux ‚ditions londoniennes. Cet ouvrage passe en revue l'actualité littéraire année par année, mois par mois, depuis 1762. Il convient donc d'aller vérifier si le rédacteur lors de l'envoi de cette lettre s'en est fait ou non l'écho, d'autant que ce recueil consacre des dizaines de pages aux diverses publications touchant à cette escroquerie qui implique Marie Antoinette et qui sont, dans la plupart des cas, des mémoires "justificatifs" composés par les avocats des diverses parties.
J. Favier16, signale qu' "en 1787, un jeune noble écrivant à son tuteur en province, fait état du propos que l'on prête en ville à Cagliostro, alors réfugié à Venise de ne revenir à Paris que " quand la Bastille sera une promenade publique".
Cagliostro est un personage dégageant un certain mystère, encore qu'il ait été de bon ton, à l'époque, de le traiter avec un certain mépris. Ainsi, bien qu'il ait été innocenté dans l'Affaire du Collier de la Reine, il n'en subira pas moins , on l'a relevé, le bannissement et les sarcasmes, tant son passé par ailleurs le rendait suspect et persona non grata. Le simple fait qu'il ait été mis sur le même pied que le cardinal prince de Rohan, qu'il s'en prenne dans ses requêtes à un Launay, gouverneur de la Bastille, apparaîssait comme scandaleux.
Le Mémoire pour le Comte de Cagliostro qui paraît en date du 18 février 1786 est évidemment apologétique . C'est ce titre abrégé qui figure en tête, avec au verso la table des matières, la formulation complète, qui suit à la page suivante, étant plus juridique: Mémoire pour le comte de Cagliostro accusé contre M. Le Procureur Général accusateur, en présence de M. le Cardinal de Rohan, de la Comtesse de la Motte et autres co-accusés. 17Le Mémoire du prisonnier de la Bastille fut largement diffusé bien au delà du cadre du procès, alors qu'il est signé voir rédigé ou réécrit par des gens de loi. Il fut suivi le 24 Février d'une Requête au Parlement, les Chambres assemblées, par le Comte de Cagliostro, signifiée à M. le Procureur Général, le 24 Février 1786, pour servir d'additions au Mémoire distribué le 18 du même mois, visant notamment et avec succès à faire libérer sa femme Serafina alias Lorenza Feliciani
En fait, ce Mémoire pour Cagliostro fait suite à deux autres qui campent son personage. D'abord, il s'agit, dans le cadre du procès, d'une réponse à un autre, paru en novembre 1785, le Mémoire pour dame Jeanne de Saint-Rémy, comtesse de La Motte (BNF, 4°FM 34507 (1) qui semble avoir connu un certain succès public : dans des Observations sur le Mémoire de Madame Jeanne de saint-Rémy, l'avocat de Mozas, parle d'un "engouement universel pour cet étrange mémoire" (même cote, pièce 2).
Sous quel titre parut le Mémoire pour la Comtesse? Les factums de la BNF et le catalogue des imprimés semblent ne pas avoir conservé la page de titre et ne produisent que le titre intérieur.
On connaît un Mémoire fait par M. l'avocat Doillot pour dame Jeanne de Saint-Rémy épouse du Comte de la Motte, pour l'affaire du fameux collier en date de 1785 (Cornell University, Ithaca, Etat de New York) mais ce titre n'était probablement pas celui qui devait figurer officiellement dans la procédure.
On préfèrera le titre suivant: "Premier Mémoire pour dame Jeanne de . Saint-Rémy de Valois, Jeanne de la Motte; epouse du Comte de La Motte concernant M. le Cardinal de Rohan, le comte de Cagliostro et la négociation des diamants", Paris, 1786. (BL, F 2 (5) ou encore "Recueil de pièces entre M. le Cardinal de Rohan, Mme de La Motte. Premier mémoire pour Dame Jeanne de Saint-Rémy de Valois, épouse du Comte de La Motte" (BNF, 8° Fm 2623/480)
Signalons encore une autre édition sous le titre d'Histoire du collier ou m‚moire de la Dame Comtesse de La Motte contre le cardinal de Rohan et le soi disant Comte de Cagliostro, BNF, 8° Fm 668.
Il convient en effet de revenir sur une certaine confusion entretenue entre les deux mémoires, celui de 46 pages de la Comtesse ou celui du Comte de 51 pages. C'est ainsi qu'Henri d'.Alméras, ; (dans son ouvrage sur Cagliostro, p. 260) présente la sortie du Mémoire pour Cagliostro: "Rédigé ou non par Maître .Thilorier; le Memoire parut le 20 février 1786. Dejà d' enormes ballots étaient partis pour les principales villes d'Europe et même d'Asie. Le jeune avocat que cette affaire allait lancer, avait pris ses précautions pour que sa maison du Cloître Notre Dame ne fut pas envahie par la foule des acheteurs. Huit soldats du gué gardaient la porte. En quelques heures des milliers d'exemplaires s'étaient répandus dans Paris. Tout le monde voulait lire ou avoir lu cet amusant roman, ce fantastique plaidoyer qui semblait extrait des Mille et une nuits."
Or il pourrait sembler que cette scène ait été empruntée à un autre récit concernant le Mémoire de la Comtesse, paru en novembre et du au vieil avocat J.B.J. Doillot. La Comtesse était d'ailleurs mécontente en raison de certaines exagérations: "Mon mémoire justificatif fit beaucoup de bruit à Paris. L'intérêt ou la curiosité qu'il excita était si vive que M. .Doillot fut obligé de faire garder sa maison par des soldats du guet tant qu'il en eut à distribuer. On pourra juger de l'engouement du public quand on saura que M. Doillot n'a pas distribué moins de mille exemplaires de ce mémoire en une semaine, sans compter cinq autres mille que les imprimeurs ont vendu à leur profit et que plus de trois mille personnes écrivirent à mon avocat pour lui en demander. M. Doillot fut néanmoins fréquemment exposé au danger de se voir assassiné (..) en ce qu'il était à craindre que la famille du Cardinal ne le fit repentir d'avoir entrepris ma défense"
En réalité, le parallélisme des deux scènes est avéré: Thilorier, tenant compte des mésaventures de son confrère Doillot pris des précautions semblables, comme l'expliquent les Mémoires Secrets (Vol XXXI).
Cette comtesse prend Cagliostro à parti, profitant de son image singulière pour en faire un suspect idéal-ne prétend-il pas entre autres connaître les clés de la loterie? Cagliostro répond donc en février 1786, à celui-ci en en fournissant des extraits:
"La Comtesse de La Motte ose dire qu'un de mes domestiques se vante d'être depuis 150 ans à mon service; que quelquefois, je me donne 300 ans, que d'autres fois je me vante d'avoir assisé‚ en Galilée aux noces de Cana & que c'est pour parodier les espèces dénaturées que j'ai imaginé de multiplier le collier, dépecé en cent manières & cependant remis entier, dit-on, à une auguste reine (..) que je suis un de ces extravagants rose-croix qui possède l'art de faire converser avec les morts, que je traite les pauvres pour rien mais que je vends pour quelque chose l'immortalité aux riches". C'est ce texte sigé‚ par son avocat, Thivolier, qui constititue le "Mémoire pour Cagliostro" et non "de Cagliostro"
. Suivra une Réponse pour la comtesse de Valois-La Motte au mémoire du comte de Cagliostro. (BNF 4° Fm 7314 (8). Celui-ci ajoutera lui même une suite à ses Mémoires - le terme étant à prendre dans les deux sens - avec sa Lettre au peuple anglais, 1786, BNF, K 10191, qui paraîtra dans le Courrier de l'Europe.
Mais avant la fin de 1785 paraissait un autre texte cagliostrien, les Mémoires authentiques pour servir … l'histoire du Comte de Caglistro. Les Mémoires secrets (Vol 30, Londres, 1788) en date du 28 décembre (p. 149) nous décrivent ainsi cet ouvrage qui ne porte aucun nom d'auteur: "Le Comte de Cagliostro était un des héros du jour, on n'a pas manqué de recueillir tout ce qui en a été raconté dans les gazettes, les jounaux, les pamphlets et de fondre ces prétendues anecdotes dans une brochure sous le titre de Mémoires authentiques (...)c'est à dire d'en composer un roman"
On attribue l'ouvrage au Marquis de Luchet; l'Essai sur la Secte des Illuminés, Berlin, 1788, dans le catalogue de la BNF, mais la recension des différentes éditions disponibles est lacunaire puisque on ne mentionne que des exemplaires de la deuxième édition de 1785, sans référence de lieu d'édition (BNF, K 12450-51). Nous avons trouvé une autre édition dans un factum, cette fois le titre est au singulier et paru à… Strasbourg, ville dont le Cardinal de Rohan est le Prince, en 1786: Mémoire authentique (noter le singulier) pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro, (BNF, Fm 480/2623) Il semblerait qu'il s'agisse de la reproduction de la première édition car on y trouve une introduction qui manque dans la "deuxième édition".
Mais nous nous intéresserons à une autre édition, signalée dans le catalogue informatisé de la BNF comme étant identique aux exemplaires cote BNF, K 12450-51, il s'agit de l'ouvrage coté BNF, 8° Fn3 87: Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du Comte de Cagliostro impliqué dans l'affaire de Son Eminence Mgr le Cardinal de Rohan & de Madame la Comtesse de La Motte Valois, par M. de Beaum***, Hambourg, F. Fauche, 178. Or, il est tout à fait remarquable que le titre du mémoire de "Beaum" figure dans une version longue alors que la seconde édition de 1785 sans mention d'auteur ni de lieu de publication, comporte un titre bref: Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du Comte de Cagliostro. Or selon nous, il est fort improbable que l'on ait en 1786 allongé le texte. Ce titre long nous semble au contraire devoir correspondre au titre initial et dès lors cette édition de 1786 reprendrait l'intitulé de la première édition, y compris pour ce qui est de l'auteur. On notera que la formule longue se conforme à la présentation d'un mémoire judiciaire. Par ailleurs, il est à noter que l'édition d'Hambourg comporte la mention du libraire à la différence de la "seconde" édition de 1785. Or, l'on connait une édition londonienne de 1785 des Mémoires authentiques qui précisait déjà "se trouve chez F. Fauche, à Hambourg" (Cornell University, Ithaca, NY)
On pense ‚videmment aussitôt à… Pierre Caron de Beaumarchais qui publia d'ailleurs des ouvrages à Strasbourg et à Kehl, ville allemande qui lui fait face. Habitué des proces et des mémoires, notamment contre le conseiller Gouzman, l'auteur du Mariage de Figaro (1784) fut incarcéré à Saint-Lazare en mars 1785, à… la suite d'un article paru dans le Journal de Paris et insultant pour le roi; Wilkin ( in Cagliostro, op. cit. p.35) fait remarquer que l'Affaire du Collier n'est pas, dans sa mise en scène, sans évoquer l'intrigue du Mariage
En voici un extrait suggestif: "Prédire à… un gentilhomme qu'il deviendra duc et pair, à… un ministre de deuxième ordre qu'il deviendra ministre des Affaires Etrangères, à … un Abbé qu'il deviendra cardinal, à… un cardinal qu'il sera Pape, au pauvre qu'il sera riche est la grande façon de se faire écouter. Quoique (sic) ce soit qu'on promette, on est toujours sûr d'éveiller l'espérance; tant de gens ont besoin d'être trompés pour supporter la vie!" Il semble que Cagliostro ait annoncé à la Comtesse, qui se disait descendant des Valois un avenir extraordinaire: " Les Valois régnent et la France heureuse adore ses maîtres" . Nouveau cas de figure ou le légitimisme passerait par un retour à la dynastie précédente.
Bien plus, on connaît une Lettre écrite de Aix les Bains en Savoie le 20 Ao-t 1788 … M. de Beaumarchais par M. Cagliostro, contenant des faits intéressants & des anecdotes piquantes", parue à… Kehl, en 1788 (BNF, Ln27 1318). Il s'agit bien entendu d'un faux constitu‚ d'extraits des oeuvres de Beaumarchais mais le lien entre les deux hommes est ainsi établi dans l'esprit du public.
Ainsi, le mémoire pour Cagliostro qui paraît début de l'année suivante vient préciser un portrait de l'"alchimiste" déjà largement répandu dans le public, il est en grande partie l'oeuvre d'Alexandre Cagliostro; alias Joseph Balsamo, lui-même. Nous signalerons deux commentateurs qui suivront page …à page l'ouvrage en le qualifiant l'un et l'autre de "roman".. Un certain P. J. J. N... Motus, fait paraître ses Réflexions sur le Mémoire ou Roman qui a paru à Paris en Février 1786 par le soi disant Comte de Cagliostro, Médine (sic) (BNF, K 15478) et. Théveneau de Morande;, dans les colonnes du Courrier de l'Europe (BNF, Nd 34, 1786 (2) qui, durant l'année 1786, lui accordera de nombreuses colonnes, sur plusieurs mois, citations du Mémoire et numéro de page à… l'appui, comme c'est le cas pour Motus. Les pages de Morande; feront l'objet la mˆme année d'une publication …à part, à Milan: Ma correspondance avec M. le Comte de Cagliostro, Milan (BNF, 7316 (7), avec une Suite. Le tout paraît "aux dépends de la société des Cagliostriens". Un Morande qu'affronta aussi Beaumarchais.
Un observateur parle d'"inondation typographique" dans une capitale qui "regorge de mémoires". Cagliostro y est traité de "prophète arabe". Des factums sont constitués pour que le public puisse prendre connaissance de la polémique. Un ensemble de trois volumes in octavo paraîtra notamment en cette même année 1786 sous le titre de Collection complète de tous les mémoires qui ont paru dans la fameuse affaire du Collier avec toutes les pièces secrètes qui y ont rapport et qui n'ont pas paru, (BNF 8° Fm 668-670). Un autre factum in quarto-ce qui permettait d'utiliser telles quelles les pièces parues séparément -prend un titre plus sobre: Collection complète des mémoires relatifs au procès de M. le cardinal de Rohan, arrangés dans l'ordre ou ils ont paru (BNF, 4° Fm 28068)
Dans un pamphlet intitulé La dernière pièce du collier, paru anonymement (BNF, 4° Fm 7315, Vol 324 (10), nous lisons une attaque violente contre Cagliostro: "Il est parti, ce grand Cagliostro, en fuyant il a dégorgé après lui l'elixir de l'empyrisme, distillé à la fournaise de la calomnie" (p.17). On l'y traite de "prophète magnétiseur" (p.22). L'auteur en profite pour rappeler les "saltimbanques de Saint-Médard" du Janséniste Montgeron ((p.28). Est-ce là une réponse à la "lettre au peuple français" ou bien aux seuls Mémoires contre Launay et Chesnon? Le doute reste permis quant …à la paternité de ce texte, quand on sait avec quel soin furent conservés tous les documents relatifs à Cagliostro, la BNF en ayant constitué plusieurs volumes, en factum, regroupés sous le terme "collier" 18
Cagliostro demandera en justice l'interdiction des libelles qui sont dirigés contre lui à svoir la dernière pièce du Collier et la Correspondance de Morande ainsi que d'un numéro du Courrier de l'Europe "oû le rédacteur de cette gazette (Morande) convient d'avoir été sollicité par un parent du sieur de Launay, écrite contre le suppliant", comme il avait obtenu celle du Mémoire de la comtesse de La Motte.
Il reste que Cagliostro avait probablement abusé le cardinal Edouard de Rohan précedemment sinon dans l'affaire du Collier. Lorsqu'il était à Strasbourg, ville dont le prélat était Prince, il conduisit en 1780 des expériences avec son aide.
Le cardinal défendra Cagliostro jusqu'au bout et non sans un certain succès, dans un Mémoire (...) contre M. le procureur général, rédigé par l'avocat Target et paru d'abord chez Lottin (BNF, 4° Fm 1581/34508), l'imprimeur habituel des divers mémoires, puis chez C. Simon, son propre imprimeur (BNF, 4° Fm 7314 (12). Il l'y disculpera, d'ailleurs, de façon convaincante, ainsi que sa femme contre les allégations de la comtesse de La Motte.
Dans une Lettre d'un garde du Roi pour servir de suite au Mémoire sur Cagliostro, Londres, 1786, (BNF, K 12229), l'auteur (L. P. Manuel) introduit une certaine rétrospective:
"Cagliostro a succédé au fameux Comte de saint-Germain, celui-ci avait succédé à Greatik, à Leveret, enfin à Simon Morin, qui en 1622 s'annonçait pour le fils de Dieu, sa femme étant présentée à tout le monde pour la sainte-Vierge" (p.16).
L'Angleterre se passionnera pour cette affaire, comme en t‚moignent nombre de traductions des M‚moires de la Comtesse et de Cagliostro. Jeanne de Saint-Rémy qui avait été condamnée ) terminer ses jours à la Salpétrière, parvint à s'enfuir pour Londres, d'où elle publiera divers textes sur l'Affaire du Collier. En fait, dans cette affaire, il est bien difficile de déterminer quels sont les véritables auteurs de ces mémoires, entre les avocats et certains littérateurs offrant leurs services.
Qu'en est-il donc de cette Lettre que Cagliostro aurait envoyéé à la Bastille peu après son arrivée à Londres? Contrairement à ce que pouvait faire craindre la faiblesse de l'appareil critique de ceux qui s'occupèrent de faire connaître ce texte "prophétique", le texte ne passa pas inaperçu. Dans le tome XXXII des Mémoires Secrets, dans la collection londonienne de 1788 19à partir de la page 249, et en date du 8 août, on pouvait lire:
"La Lettre du Comte de Cagliostro à un ami, datée de Londres, le 20 Juin, doit être regardée comme absolument fictive. Elle ne peut être de cet étranger qui ne connaît pas assez notre langue (..) Elle n'est pas non plus de M. d'Epremesnil auquel on l'attribue, il aurait fait mieux que cela. (..). On juge que l'auteur est surtout un ennemi du Baron de Breteuil qui ne mérite point les reproches dont on l'accable (..). Le Comte de Cagliostro en preuve de la haine que lui portait dçs le prinpe le Baron (..) dit que ce Ministre voyant (son) buste (..) dans le palais de son Eminence, grommela avec colère entre ses dents: "On voit partout cette figure, il faut que cela finisse, cela finira" (p.250)
Quelques pages plus loin, il est précisé que "la lettre du Comte de Cagliostro étant toujours fort rare et point imprimée, il est bon d'en extraire les paragraphes principaux à conserver" Et de poursuivre (p.255): "On assure aujourd'hui que le Comte de Cagliostro avoue la Lettre". Mais précisément, la fin de la Lettre telle qu'elle paraît au lendemain de la Prise de la Bastille, n'est pas attestée dans les Mémoires Secrets, elle a pu être ajoutée après coup, alors que Louis XVI régne encore.
Cependant, le manuscrit des Archives de la Bastille (Bib. Arsenal) comporte également la "fin" de la Lettre. On ne peut donc exclure que les derniers paragraphes de celle ci n'aient pas été reproduits dans les Mémoires Secrets et dans ce cas, ce serait bel et bien un exemplaire de ces manuscrits qui circulèrent.
C'est ainsi que le "faux prophète" Cagliostro fut utilisé vainement en 1785-86 pour abattre un des princes de l'Eglise tout comme, quelques années plus tard, sous la première République, fondée en 1792, Catherine Théot "la mère de Dieu" - c'est à dire ni plus ni moins que la Vierge Marie - le sera, avec plus de succès, pour faire tomber Robespierre en 1794 (Thermidor An II). Le procès de Jeanne d'Arc avait en 1430, en la condamnant comme sorcière, visé la légitimité de Charles VII
.

V Les lendemains de 1789





Durant cette période crépusculaire, on aura quelque temps le sentiment que tant le Saint Empire Romain Germanique, avec François II, que la Papauté, avec Pie VI, vivent leurs derniers jours, sans parler de la monarchie française, avec Louis XVI.
Est-ce à dire que le nostradamisme et le malachisme ne feront plus que végéter au XIXe siècle et ensuite? La prophètie d'Orval sera emblématique d'un prophétisme qui ne parviendra pas à refouler la République. On peut d'ailleurs se demander si le prophétisme n'a pas contribué à maintenir en vie certaines institutions, le cas le plus flagrant ‚tant celui d'un Henri V, victime, en quelque sorte, d'un acharnement thérapeutique.
Nous appréhenderons une certaine praxis du prophétisme, dans la mesure où celui-ci finit par s'incarner dans l'Histoire, avec la Révolution Française dont la date de 1789 - sinon la nature précise de l'événement - fut bel et bien annoncée dès 1414 par le Cardinal Pierre d'Ailly;. Mais l'on note qu'aussitôt l' échéance atteinte ou dépassée, il importe d'en fixer de nouvelles pour éviter une histoire sans futur, sans attente plus ou moins diffuse. C'est pourquoi la réussite - plus ou moins avérée - d'une prophétie est aussi redoutable sinon plus que son échec patent! Si l'échec, en effet, exige des justifications mais rend possible une nouvelle donne prophétique, le succès implique pour sa part des prolongements voire des mises en cause de la valeur absolue de l'événement/avénement, le cas le plus frappant étant évidemment le refus de voir en l'Avénement de Jésus Christ l'accomplissement total des prophéties et la mise en oeuvre d'une nouvelle attente pour un Second Avénement voire un second Antéchrist.. Il est clair que les Juifs auront ainsi contribué, par leur refus d'admettre la réalisation de la prophétie messianique qui aurait eu lieu, aux dires des Chrétiens, quelques décennies avant la Destruction du Second Temple de Jérusalem, en l'An 70 de notre Ere, à… éviter un verrouillage du temps christique. Nous irons jusqu'…à dire que la Révolution Française assouvit, exauce, d'une certaine manière les attentes d'un prophétisme philosémite qui exige le "rappel" des juifs de leur exil intérieur.
L'étude que nous abordons à… présent implique que nous cernions le temps "externe", c'est à… dire non pas comment le texte se modifie mais pourquoi il se transforme sous la pression d'événements, qu'il n'est pas toujours aisé d'identifier. Par delà… la solution de continuité liée à… un changement de régime - passage de la monarchie à… la révolution, de l'Empire à la Restauration etc - il est des dates qui soit correspondent … des échéances plus ou moins artificiellement produites par le prophétisme lui même -telle l'effervescence due à… l'année 1840 qui n'a guère à… envier à ce que nous avons observé pour 1689 - soit fondées sur des vélléités fortement vécues sur le coup mais sans lendemain. A cette occasion, nous étudierons comment se mélent et reviennent pour chaque époque des discours prophétiques aux fondements les plus variés, tant astrologiques que liés à… une computation biblique. Célébrations de naissances et de morts, de débuts et de fin de régnes, de révolution et de restauration.
Notre travail aura conduit à recentrer le prophétisme français sur le XVIIe siècle qui est aussi celui où la France est en phase dominante en Europe. C'est en ce premier siècle des Bourbons, que le canon nostradamique se met en place alors que l'on considérait qu'il s'était constitué au milieu du siècle précédent qui est, somme toute, plutot celui du Liber Mirabilis, si redevable aux textes étrangers, ce qui n'est évidemment plus le cas avec les Centuries. Tout se passe, au vrai comme si les Prophéties de Michel de Nostredame ne devaient parvenir à … leur épanouissement, …à leur dépassement, qu'en ce dix septième siècle solaire qui est celui de la monarchie absolue, symbolisée par l'exécution en 1632 du dernier duc Henri II (sic) de Montmorency. Dès lors, les quinziéme et seiziéme siécles nous apparaissent comme une préhistoire … à la fois prophétique, linguistique et politique de l'apogée française - on lira les quatrains dans le texte - tandis que la fin du XVIIIe et le XIXe siècles correspondraient à… une sorte de post-prophétisme, une fois la Révolution survenue, un chant du cygne.



L'on observera à quel point le prophétisme est voué, par essence, non seulement à… annoncer la révolution mais mieux encore à… la gérer a posteriori comme si précisément elle était a priori. Ce n'est pas tant là une imposture, au bout du compte, qu'un rôle aussi ambigu quoique inverse de celui du comédien qui joue le naturel alors que tout est déjà… écrit et que tout le monde le sait. Le prophète - au sens de celui qui interprète le texte prophétique - dit que c'est écrit alors qu'il agit largement à… l'improviste - sans très bien connaitre la portée de ce qu'il profére - et nul n'est vraiment dupe. Parfois, il importe pour le milieu prophétique d'intervenir directement sur le déroulement des événements en influant sur les acteurs à condition qu'existe une certaine complicité du bras séculier. A l'historien du prophétisme de ne pas prendre trop au sérieux les protagonistes de cette comédie et d'en signaler les ficelles. Au cours du XIXe siècle, une certaine transformation des mentalités se fait jour autour du mot "secrets": il ne s'agit plus tant d'accéder aux secrets de la Providence, aux secrets du cosmos que de cerner les arcanes du politique lui même et de dévoiler non plus le plan divin mais les plans de ceux qui dirigent le destin des peuples, autour de l'idée de parti, de factions tout à fait minoritaires qui veulent prendre le pouvoir aux dépends du collectif incarné par la monarchie: c'est précisément ce que dénonçaient les Protocoles des Sages de Sion exprimant les angoisses d'une autocratie menacée.
Les querelles dynastiques à la fin du XVIe siècle sont certes d'un autre ordre que celles qui marqueront la Guerre de Cent Ans. Mais il ne faudrait pas oublier que bien des conflits internes à la France ne manquèrent pas pour autant de faire appel à… l'étranger: rôle de l'Espagne sous la Ligue notamment, rôle des "Alliés" pour rétablir les Bourbons de France, pour ne pas rappeler que le Protestantisme français s'appuya, notamment avec l'affaire de La Rochelle laquelle capitula en novembre 1628, sur l'Angleterre. Il n'est pas si aisé d'isoler les situations franco-françaises.
Au XIXe siècle, les problèmes de légitimité atteindront un niveau remarquable dont le prophétisme sera le révélateur. Par delà le phénoméne bonapartiste qui se situe dans le cadre d'un "Empire" à côté de la Royauté plutôt que son prolongement, il y aura le double traumatisme delphinien. Les malheurs de Louis XVII à … la survivance controversée, puis ceux du Comte de Chambord, le dernier des Bourbons à… avoir peu ou prou régné en quelque sorte, lequel, en… trois occasions, se verra refuser l'accés au trône de France: lors de l'abdication de son grand père Charles X en sa faveur en 1830, ce qui aurait permis une nouvelle régence orléanaise - comme à la mort de Louis XIV, puis lors de la chute de Louis-Philippe en 1848 puis enfin à la fin du Second Empire. "Henri V" bénéficia certes, mais surtout à la fin de sa vie, d'une logistique prophétique remarquable à la hauteur du "lobby" qui se manifesta au XVIIe siècle, sans parler du XVIe siècle. Mais il ne fut pas le seul et dans les années Trente, il était plus question du duc de Normandie que du duc de Bordeaux. Encore fallait-il décider quel était le vrai Louis XVII, à quels signes le reconnaître (la trace d'une morsure de lapin... ), quels témoins pouvaient encore l'identifier et notamment sa soeur, la Duchesse d'Angouléme, quitte à falsifier les documents au profit du concurrent.
La révolution de 1830 avec l'avénement des Orléans - Louis Philippe ne s'en tenant pas à un rôle de régent - exacerbera les légitimismes. L'on n'hésitera plus à… conférer des noms de rois …à ceux qui n'ont pas encore reçu l'onction du pouvoir: Louis XVII, Henri V, Napoléon II, Napoléon IV etc. Encore faudrait-il distinguer entre ceux qu auraient pu succéder à un roi sous un régime monarchique comme Henri V, en 1830; et ceux qui le firent alors que la République avait été déclarée comme Louis XVII. Et c'est ainsi que régneront un Louis XVIII et un Napoléon III qui sauteront un cran. L'histoire des rois de France au XIXe siècle n'a guère à envier à celle des papes au XIVe siècle, avec les antipapes.. La monarchie française a certainement souffert-comme le révélera l'affaire du drapeau blanc contre le tricolore, en 1877, de cette confusion. Alternance des partis princiers qui explique peut être pourquoi les spécialistes de la science politique n'hésitent pas à recourir à des expressions comme orléanisme ou bonapartisme pour décrire la vie politique de la République française. Il reste que notre travail ne s'articulera pas seulement par rapport … un certain corpus de textes "matriciels" mais davantage autour de l'idée prophétique, de l'émergence de la fonction prophétique au sein du discours politique.
Les difficultés ne sont pas moindres, ici, car il convient de repérer un facteur qui certes se refléte dans le texte mais d'une façon qui peut fort bien échapper au lecteur moderne, à moins qu'il ne se mette dans la peau de contemporains. qui ont un autre regard sur l'Histoire. Ce Livre nous entraîne vers une praxis du prophétisme. Il y a indiscutablement une quête prophétique. Tout se passe comme si le prophétisme tendait asymptotiquement vers sa consécration. Tant qu'il n'est pas parvenu à… ses fins, le discours prophétique se renouvelle, se reformule et obtient ainsi de nouveaux délais jusqu' à… ce qu'enfin le réel vienne un tant soit peu converger avec la prédiction.
Tout se passe comme si la France avait séduit des prophêtes étrangers, ce qui expliquerait que l'on n'hésita pas …à s'y référer, qu'ils soient allemands, italiens ou turcs. Les juifs ne sont d'ailleurs pas absents du paysage, eux qui de sujets de la prophétie en sont plutôt devenus les objets. Le juif apparait au début et à… la fin de l'Histoire de l'Occident Chrétien. Il semble qu'il faille lui faire jouer un rôle pour que les événements soient suffisamment "chargés". La Révolution Française se déroule aussi avec l'idée de l'intégration des Juifs par l'Etat Français avant que l'on n'en revienne à l'esprit des années 1760-1770 à celle d'un Etat-nation juif qui est le constat d'un certain échec du premier. Dans une perspective prophétique, les juifs seront amenés à… se rassembler - au nom du sionisme - pour que certain scénario de la fin des Temps puisse se réaliser. au profit précisément de la France.
Le thème de l'Antéchrist, au centre de la démarche alliacienne se profile tout au long de notre période qui a le sentiment de s'acheminer vers une fin-dans tous les sens du terme-de l'Histoire. Encore que le terme "Antéchrist" finira par désigner tout adversaire politique ou religieux notamment de minorités persécutées ou se croyant telles: le Pape, le Roi de France seront perçus comme tels. Bien plus, l'essor du sionisme n'est pas sans lien avec de telles spéculations sur la fin des Temps et le Jugement Dernier
Le prophétisme s'enrichit ici d'un nouveau concept, le programme qui fait pendant, en quelque sorte au "plan" divin. Il sera question du "programme" de conquete du monde par les juifs ou/et les franc maçons. Prévoir, ce serait dés lors avoir connaissance du programme, ce qui recoupe à… la fois l'astrologie, comme structure programmatique et le plan divin dont le prophète reçoit révélation, ce qui lui permet d'annoncer l'avenir. Le prophétisme n'est-il pas en effet, dans son essence, l'accés à un programme qu'il vienne de Dieu ou du Diable et, d'une certaine façon, les juifs seront assimilés à… l'idée d'une force occulte dont il importe - c'est le rôle fantasmatique et prométhéen des Protocoles des Sages de Sion- de connaître pour la neutraliser les trames secrétes, grâce à quelque indiscrétion.

Le temps des révolutions
De quelle façon le prophétisme a-t-il reflété ou a-t-il été emporté par les crises de civilisation que traverse l'Europe au cours de notre période de cinq siècles?
On pourrait dire, rétrospectivement, que tant la monarchie que le monde juif furent les victimes de représentations mal gérées. La monarchie absolue n'a-t-elle pas outrepassé le rôle symbolique qui lui était imparti, en n'acceptant pas d'assez bonne grâce et assez tôt le régime d'une monarchie parlementaire? Les juifs, invités par la Révolution à se fondre dans la nation, ont-ils assumé; pour leur part, avec assez de prudence le rôle qu'on voulait leur faire jouer dans l'imaginaire eschatologique?
Selon nous, ce serait le personnel symbolique qui aurait été atteint par le processus révolutionnaire. D'un point de vue anthropologique, si l'on admet que les sociétés traditionnelles ont besoin de conférer à tel ou tel groupe une fonction en quelque sorte sacerdotale, au sens large -avec ce que le sacré peut impliquer de séparation et de statut sacrificiel - comment le dit personnel vit-il une telle condition? Mais l'homme ne se révolte-t-il pas contre ce qu'il a lui-même mis en place et n'est-il pas temps, pense Jean-Jacques .Rousseau, de rappeler d'où émane le pouvoir ainsi conféé‚ par quelque Contrat social? Remise en cause de l'organisation politique qui fait pendant à la volonté d'inventaire scientifique d'un René Descartes, avec le Discours de la Méthode, au siècle précédent.;
Désormais, le monde va vivre un autre rapport avec le dit personnel mais celui-ci va-t-il subir un tel revirement sans frustration ni nostalgie? Tout se passe comme si ceux qui avaient été placés sur un piédestal étaient invités à en descendre - Dieu, le premier - sans que l'on parvienne, ni chez les acteurs concernés ni chez les anciens fidèles, tout à… fait …à évacuer les séquelles d'une histoire millénaire qui confèrerait des droits acquis une fois pour toutes.
D'autant qu'il ne s'agit pas de cesser radicalement le culte en question mais de le poursuivre dans un autre état d'esprit. C'est cette transaction qui est proposée et qui sera plus ou moins bien acceptee par les différents partenaires. Les tentations subsistent pour ce monde qui se veut déniaisé.
^
1 cf J. Halbronn, "Exégèse prophétique de la Révolution Française", in Actes du Colloque Prophétisme et Politique, Politica Hermetica, 1994, "The importance of Comets for the cause of Astrology : the case of Pierre Bayle in the years 1680-1705", Astrology and the Academy, dir. N. Campion, P. Curry, M. York; Bristol, 2004; "L'astrologie sous Cromwell et Mazarine".Politica Hermetica," Astrologie et Pouvoir", 2003
2 (cf Jacqueline Aimé, La Révolution et l'astrologie, Paris, Ed. Rocher, 1988; J. Halbronn et al., La vie astrologique, il y a cent ans, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1992
3 .(cf nos "Recherches sur l'Histoire de l'Astrologie et du Tarot", postface à Etteilla, L'astrologie du Livre de Toth, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993).
4 cf Gérard . Allouche, Prophètes et prophéties A la recherche des clefs pour le 3e millénaire, 1999, pp. 110- 111)
5 (cf Les Prophéties modernes, Foix, 1896, pp. 20-26 : Hte T. Voici l'heure. Interprétation de la prophétie d'Orval, et d'un siécle de révolution, *Nancy,1910),
6 (cf Le sort de l'Europe d'après la célébre prophétie des papes de Saint Malachie accompagnée de la Prophétie d'Orval et des toutes dernières indications de Nostradamus, Paris, Dangles, pp. 189 et seq).
7 (cf notre ouvrage, Papes et prophéties, Décodages et influence, Ed. Axiome, 2005).
8 (cf notre ouvrage, Papes et prophéties, Décodages et influence, Ed. Axiome, 2005).
9 cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Université Paris X Nanterre, 1999)
10 Art. LXXXII, Mémoires de Trévoux, (p. 1709 et non 1907 comme l'indique l'auteur) Dissertation sur le sujet de la quatrième Eglogue de Virgile Art. LXXXII, Mémoires de Trévoux, (p. 1709 et non 1907 comme l'indique l'auteur)"

11 (tome III p.25, Lettre 2 )
12 (manuscrit, Bibliothèque Municipale Lyon La Part Dieu, cf B. Chevignard. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999
13 (Rouen, Robert Follye, BNF, 8°Pièce V 13081)
14 (dont Tabourot, fournit des extraits dans son Almanach et Pronostication des Laboureurs, Paris, 1588)
15 Thomas Kselman ? ? ? ?
16 J. Favier ? ? ? ?
17 (BNF, 4° Fm 7314, Vol 323 du factum, rubrique "Collier".).
18 (BNF, 4° Fm 7314-7317, Vol 323, 324, 325, 326).

19 (BNF, Z 16811, tome XXXII),

1 commentaire:

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