PROPHETIES
ET REVOLUTIONS
des
conflits dynastiques aux antagonismes sociaux
Jacques
Halbronn
Quatrième
de couverture
Si
les papes meurent dans leur lit et n'abdiquent point, le destin des
rois est plus agité mais il est vrai que l'on nait prince et non
pape.
La
prophétie d'Orval est la dernière grande prophétie française. Si
les Centuries de Nostradamus furent le fruit de l'âge d'or de la
monarchie absolue, la Prophétie d'Orval nous apparait comme le chef
d'oeuvre d'un prophétisme contre-révolutionnaire, sur la
défensive.
Jacques
Halbronn poursuit son enquête sur les rapports entre prophétisme et
institutions séculaires : après la Papauté, la Royauté. Il
s’intéresse en particulier au passage d’une exaltation
monarchique vers le déclin d’un certain imaginaire.
L’ouvrage
accorde une grande importance à la condition de dauphin, terme
réservé à la monarchie française. Il montre comment cette
condition a changé avec la Révolution, dans la mesure où après la
Révolution, on devenait dauphin de père en fils, sans avoir régné.
Comme
à son habitude, en montrant comment se fabriquent ou s’ajustent
certains textes, Jacques Halbronn examine à quel point le
prophétisme exerça un certain pouvoir sur l’opinion et a pu être
une force politique notamment sous la Monarchie de Juillet et comment
il échoua, cependant, à restaurer cette institution après la
défaite de 1870 et la chute du Second Empire. La crise du delphinat
au XIXe siècle, par la multiplication des prétendants, incapables
de s’accorder, aura été aussi la faillite du prophétisme.
Introduction
Chapitre
Ier Un siècle si annoncé
I
Un prophétisme de cour
II
Les prophéties napolitaines
A
Les Prophéties
perpétuelles
de Moult
B
La prophétie de Naples
III
Un monde pré-révolutionnaire
A
Les prophéties et les Jésuites
B
La comète de Lalande, 1773
C
1785 et le retour de Regiomontanus
IV
Cagliostro et l'Affaire du Collier
V
Les lendemains de 1789
A
La nouvelle exégèse nostradamique
B
Le prophétisme féminin à la Convention
1
La prophétesse du Périgord
2
La mère de Dieu
C
Le retour du Mirabilis
Liber
Chapitre
II le nouveau delphinat
I
La prophétie sous Napoléon Bonaparte
II
Le prophétisme sous la Restauration
A
La prophétie de saint Césaire
B
Le retour du Lilium
Regnans
C
La prophétie de Martin de Gallardon
D
L'enfant du miracle
E
De Jeanne Le Royer à Mlle Lenormand
III
La prophétie d'Olivarius : l'Empire en perspective
IV
Une révolution annoncée: 1830
Chapitre
III L'activisme prophétique sous la monarchie de juillet
I
La cabale contre les Orléans
II
La Prophétie d'Orval et 1840
III
Le milieu prophétique sous Louis-Philippe
IV
Un nouvel âge d'or du recueil prophétique
V
Le canon orvalien
Chapitre
IV La faillite des dynasties
I
Le prophétisme autour de Louis-Napoléon Bonaparte
A
L'ajustement des prophéties à partir de 1848
B
L'agitation prophétique avant 1870
II
Le grand émoi de 1870
III
Le prophétisme du sud: Toulouse et Nîmes.
IV
Le «règne » d'Henri V (1870-1883)
V
Le delphinisme à la fin du XIXe siècle
Epilogue
Avant
-propos
Peut-on
prévoir les révolutions? Les astrologues ne cessèrent d'annoncer
la proximité de changements majeurs. Des rendez-vous successifs
furent pris et dès 1414, Pierre d'Ailly avait pointé l'an 1789 mais
d'autres dates furent avancées pour avant ou pour après, fondés
sur les repéres et critères astrologiques les plus divers - ce
serait un leurre de croire que l'astrologie "mondiale"
serait d'un seul tenant - tant et si bien que l'Histoire est balisée,
jusqu'à nos jours, de toutes sortes d'échéances - on l' a encore
vue pour les années Quatre-vingt du XXe siècle - et si telle
technique ne donne rien, une autre prend aussitôt le relais. Cela
fait songer à ce pseudo-voyant qui avait placé en divers endroits
d'une pièce une dizaine de réponses tant et si bien qu'il n'avait
plus qu'à tirer la "bonne" et à oublier les mauvaises.
Le
XVIIe siècle avait déjà été le théatre de révolutions, Outre
Manche : exécution en 1649 du roi d'Angleterre (1)
et il avait fallu absolument démontrer que Nostradamus avait "vu"
un tel événement; il y avait eu également, toujours dans le monde
anglo-saxon, l'indépendance américaine; en 1774. L'ancien ordre
des choses était ébranlé et ce fut la France qui transforma
l'essai tant et si bien que le XIXe siècle sera marqué par un
climat révolutionnaire - 1789, 1830, 1848 et j'en passe - mettant à
mal la monarchie et le principe dynastique avec en contrepoint les
restaurations ou l'attente de celles-ci.
Reconnaissons
que les Anglo-saxons ont lancé le mot Révolution dans la vie
politique - même si le mot en lui-même est d'origine française -
et l'on trouve ainsi de nombreux textes parus avant la Révolution
Française et qui traitent essentiellement de ce qui se trame en
Angleterre comme si ce pays en avait eu en quelque sorte le monopole
avant de passer le relais au continent et singulièrement à la
France.
Le
57° quatrain de la IIIe Centurie est ainsi considéré au XVIIIe
siècle comme annonçant les révolutions successives que
l'Angleterre aura à subir.
Sept
fois changer verrez gent Britannique
Taintz
en sang en deux cens nonante ans
Franche
non point par appuy Germanique
Aries
doubte son pole Bastarnan
C'est
ainsi qu'en 1775, au lendemain des événements d'Amérique du Nord,
l'on fera encore appel à ce quatrain dans une Explication
d'une prophétie de Nostradamus faite en 1545 (sic) dans laquelle il
prédit la grande révolution qui devait arriver en Angleterre &
dans les Colonies Anglaises de l'Amérique qui seront victorieuses,
Londres,.
BNF
8° Nt 492.
Mais
cette idée de révolution est éndémique.: outre les révolutions
du xVIIe siècle, les Anglais attendent une révolution qui mettra
fin à la présence hanovrienne et rétablira les Stuarts : en 1746,
sera publiée une Indication
des prophéties de Nostradamus sur la Révolution présente
d'Angleterre.
(BNF Fb 18914). C'est l'année de la défaite décisive de Culloden,
survenue en Ecosse, près d'Inverness, le 16 avril 1746. Le
prétendant Stuart, Charles Edouard, est battu par le duc de
Cumberland, et doit s'enfuir assez piteusement sur l'île de Skye,
mettant fin aux espérances de l'ancienne dynastie. On notera que le
XVIIIe siècle anglais voit ainsi entrer en scéne un dauphin privé
de son trône comme ce sera le cas en France, au XIXe siècle. On
peut établir un paralléle entre 'Bonny Prince Charlie'",
comme on l'appelait et Henri V.
En
réalité, l'on sait bien qu'il y a souvent un effet d'annonce:
prophétiser la révolution, c'est enclencher la révolution, c'est
instiller l'idée de révolution dans les esprits. Mais parfois, cela
ne suffit pour que la révolution réussisse et il faudrait également
citer d'autres dates révolutionnaires comme le fut 1840, au milieu
de la Monarchie de Juillet, échéance certes oubliée des livres
d'Histoire mais qui prépara probablement 1848. Les échecs sont
particulièrement instructifs en ce qu'ils nous révélent une
mécanique prophétique qui ne se fond et ne se confond pas avec la
réalité historique, mais qui est décalée par rapport à elle.
Il
reste que le terme même de2)
comporte une connotation astronomique - on parle de la révolution
d'une planéte - à tel point que l'on pourrait définir l'astrologie
comme ayant vocation première à annoncer les révolutions. Une
révolution est une fin des temps, en tout cas la fin d'un cycle et
donc le début d'un nouveau cycle.
C'est
ainsi que dans les Centuries, il est question de deux (en fait dix)
révolutions de Saturne.
I,
54
Deux
revolts faits du malin facigere
De
regne & siecles fait permutation
Quel
rapport entre l'idée de révolte et celle d'un retour au point
initial? L'on pourrait parler, avec Franklin D. Roosevelt d'un New
Deal,
c'est à dire d'une nouvelle donne, dans un jeu de cartes. Après la
Révolution de 1789, l'on parlera de l'Ancien Régime peut être sur
le modéle de l'Ancien Testament. Se révolter, c'est vouloir que
les choses changent.
Paradoxalement,
les historiens de l'astrologie parlent d'un déclin de l'astrologie
aux XVIIIe et XIXe siècles alors même, précisément, que le monde
semble, enfin, lui donner raison et montrer que les astrologues
n'ont pas crié "au loup" en vain. Tout se passe comme si
l'astrologie avait déclaré forfait trop tôt tant et si bien que
lorsque 1789 survient, on ne trouve plus d'astrologues du niveau de
ceux du XVIe siècle et surtout une certaine culture astrologique
n'est plus aussi répandue qu'elle l'avait été3L'on
exhume d'anciennes prophéties au sein de recueils, de compilations.
Mais
le XIXe siècle ne se contentera pas de rappeler ce que Nostradamus
ou Saint Malachie ont prédit.à la France à nouveau - après avoir
donné Nostradamus et ses Centuries - offrira au monde un nouveau
grand texte prophétique inspiré de sa propre Histoire politique,
depuis la Révolution française de 1789; et en ce sens, se
présentant comme une suite des dites Centuries, elles aussi
articulées sur la vie politique des XVIe- XVIIe siècles, je veux
parler de la Prophétie d'Orval, texte qui comporte une grille
chronologique que l'on ne saurait qualifier stricto
sensu d'astrologique
mais qui fera l'objet de nombreux commentaires.
Du
point de vue de l'Histoire des textes prophétiques, la Prophétie
dite d'Orval (4est
le chant du cygne du prophétisme français mais force est de
constater qu'en ce début de XXIe siècle, elle est un peu oubliée.
Ce qui montre qu'il n'est pas si évident qu'une prophétie traverse
les siècles. Encore fringante aux alentours de 1900 5-
elle a les faveurs d'un Stanislas de Guaita - on entend encore
parler d'elle en 1939 dans les travaux de Piobb6Pourquoi,
cependant, n'est-elle point parvenue à se perpétuer jusqu'à
nous? Est-ce parce que nous avons cessé de croire ou de craindre à
une restauration monarchique dont certains pouvaient encore qu'elle
pourrait se produire sous de Gaulle, lequel, à l'instar de ce que
fera, en 1975, Franco, en Espagne, aurait pu songer à une telle
restauration, à son départ ou à sa mort?
La
comparaison avec la fortune des Centuries voire de la Prophétie des
Papes est concluante. L'on pourrait intituler notre ouvrage : Orval
: Naissance, vie et Mort d'une prophétie.
Il est vrai que la monarchie française également aura trébuché
alors même qu'elle avait su si longtemps se maintenir et l'on
pourrait en dire autant pour les dynasties russe, allemande,
autrichienne ou turque.
Il
est vrai que le sort de la prophétie d'Orval semble avoir partie
liée avec les espérances monarchistes. Nous nous efforcerons de
comprendre les mécanismes qui ont valu à la dite prophétie son
succés puis sa défaveur. Que lui a-t-il manqué pour ne pas échouer
dans le cimétière des oubliettes prophétiques?
Au
fond, il conviendrait de se demander si le prophétisme du XIXe
siècle ne visait pas plutôt à permettre une restauration qu'à
inciter à une révolution; il semble bien, en réalité, qu'il ait
alimenté et sous-tendu des conflits dynastiques à l'instar de ce
qui se produisit sous la Ligue et sous la Fronde.
Il
semble plus opportun, en définitive, de parler d'un prophétisme
contre-révolutionnaire plutôt que révolutioonnaire tant il
apparait que le prophétisme est surtout utilisé par des milieux
réactionnaires - il se rapproche, en tout état de cause davantage
de leur culture - qui souhaitent le retour du pouvoir légitime face
au pouvoir usurpé. L'on pourrait parler d'un prophétisme
légitimiste. Mais d'un autre côté, la Révolution vient valider la
prophétie qui l'aurait prévue. Au fond la Révolution c'est
l'Antéchrist et tous ceux qui seront associés à la Révolution en
seront considérés comme les agents. .
J.
H.
INTRODUCTION
La
guerre des dauphins
Dans
quelle mesure la monarchie fut-elle victime du prophétisme à moins
qu’elle ne fut portée par lui? Un des traits les plus
remarquables de la royauté est l’institution du dauphin dont
plus d’un siècle de républiques nous a fait oublier quelque peu
toute l’importance. Quelle différence aussi avec l’élection des
papes car on ne ait pas pape comme on ait prince!. Chez les rois, la
naissance est déterminante - parfois d’ailleurs ils abdiquent
comme un Charles X comme le firent les empereurs Napoléon Ier et
III - chez les papes, en revanche, c’est la mort qui décide de la
fin de leur règne.
Sait-on que Louis XIII fut désigné ainsi avant même la mort de
son père Henri IV, il est vrai à l’image quelque peu brouillée
par son passé protestant - et son combat contre la Ligue - lequel
dut abjurer (“’Paris vaut bien une messe”). On trouve là une
forme de jeunisme qui condamne l’ancien dauphin devenu roi à
passer prématurément le relais au nouveau, du moins dans
l'imaginaire populaire alimenté ou reflété par un certain
prophétisme. Henri IV détrôné en quelque sorte par Louis XIII et
Louis XIII par Louis XIV.à Dans les Centuries (quatrain
supplémentaire ajouté à la fin de la Xe centurie), le futur et
déjà Louis XIV, né en 1638, se voit, d’emblée, assigner
l’année 1660 pour parvenir à son apogée.. Comme le delphinat
n’aurait-il pas suscité de prophéties quand il concernait un
être à peine né et donc plein de promesses, riche d’un destin
merveilleux à venir? Certes, de nombreux rois de France jusqu’à
Louis XIII furent -ils des dauphins sur le tard: ce fut le cas d’un
Louis XII; d’un François Ier, d’un Henri II, d’un Charles iX,
d’un Henri IV, qui ne montèrent sur le trône qu’à la suite
d’un concours de circonstance plus ou moins imprévisible encore
que Nostradamus soit réputé avoir annoncé au futur Henri IV sa
fortune. Avec Louis XIV, à l'extrême longévité; les dauphins
vont se succéder et décéder avant de devenir rois jusqu’à
l'avènement d’un Louis XV enfant, chapeauté par un Régent. Ces
dauphins, en effet, perdront souvent leur père en bas âge, ce fut
le cas de François II, de Louis XIII, d’Henri IV, de Louis XV,
d’où l’importance des régences, sous Catherine et Marie de
Médicis, sans parler de la captivité de François Ier, après
Pavie, laissant le royaume à Louise de Savoie. A tel point qu’il
semblerait qu’il existât des prophéties que l’on ressortait
pour une telle occasion, comme en 1561 et 1611, à la suite des morts
respectives de François II et d’Henri IV.
Avec
Louis XIV, le delphinat est déjà en crise, ce qui annonce la
situation qui sera la sienne après la Révolution. On est dauphin
de père en fils. On ne sait plus bien qui va régner, on ne peut
donc plus s’investir autant sur la naissance d’un prince comme on
l’avait fait jusqu’en 1638 avec Louis XIV, à la naissance jugée
miraculeuse. Mais si la longévité du roi fait probléme, les
naissances tardives sont aussi causes de désordre. Sur le modele des
Valois, qui, à la fin de la dynastie, se succédait entre frères,
faute d’enfants, le frère du Roi, Monsieur, acquiert le statut de
dauphin dans la perspective que le Roi n’aura pas de fils. D’où
sa frustration : évidente chez un Gaston d’Orléans, frère de
Louis XIII, à la naissance de son neveu.
Les
cas de Louis XVII et d’Henri V retiendront donc tout
particulièrement notre attention de par leur carrière de dauphin.
Le XIXe siècle est le théâtre d'une "guerre" des
dauphins, de Louis XVII à Henri V, qui règnent sans régner sur
certaines factions et font songer aux schismes de l'Eglise et leurs
papes multiples. Il y aura, chez les Naundorff, des lignées de
dauphins, de père en fils sans parler des rejetons de la famille
d’Orléans, tout au long du Xxe siècle. On préfère dire alors
“prétendant”. Le drame d’Henri V, - et de la monarchie
française du coup - c’est de ne pas avoir su trouver son
dauphin.à
Dans
la littérature prophétique, celle du Mirabilis
Liber notamment
sous François Ier, et notamment autour du Carolus,
l'accent est mis sur le fils
- ce qui a une résonance particulière pour le christianisme - le
Père et le Fils - et ce personnage porte dans la tradition
monarchique française un nom spécifique qui lui confère une sorte
d'autonomie: il est donc, depuis Charles V, le Dauphin (en raison du
Viennois, de l'autre côté du Rhône, récemment annexé au
Royaume), le porteur d'espérances. Victor Hugo a ainsi décrit dans
Notre
Dame de Paris
les Mystères célébrés en l'honneur du fils de Louis XI, le futur
Charles VIII.
Le
néo-prophétisme a besoin du roi pour se placer dans la continuité
biblique: pas de prophète sans monarque comme protagoniste. Quand il
est question du prophète
royal,
il n'est nullement Nostradamus, mais de l'auteur des Psaumes,
David.
Le Dauphin serait un
élément de polarisation de l'avenir face au Roi qui incarne un
présent, il permet de dire: le roi est mort, vive le roi!. Cela dit,
on l’a signalé, le statut de dauphin n'est pas nécessairement
acquis à la naissance: un Charles VII sera le "quatrième
dauphin" de Charles VI, contesté, le "gentil dauphin"
comme l'appelle Jeanne La Pucelle qui vient à point nommé défendre
la cause du "roi de Bourges" contre le jeune Henri VI
d'Angleterre, l'"anti-roi" - comme on dit l'antipape - de
France: l'un sera couronné à Reims en juillet 1429, l'autre à
Notre-Dame de Paris en décembre 1531. Henri II n'était pas
davantage préparé à son métier, du fait de son frère aîné, pas
plus d'ailleurs que "Louis XVII", second dauphin, et que
dire des cas où une nouvelle branche parvient au trône comme avec
François Ier et plus encore avec Henri de Navarre, devenu - si l'on
peut dire - "dauphin" à trente ans, à la mort du dernier
fils de Catherine de Médicis.à
Importance inouïe du
temps de l'accouchement qui peut changer le destin d'une dynastie et
notamment en France où s'impose la loi salique, selon qu'il naît un
garçon ou une fille.
Mais si la naissance du
dauphin est un événement si fort, il en est bien autrement de celle
d’une princesse qui n’est qu’un objet d’exportation, que l’on
mariera avec un prince étranger en échange de princesses venues
d’ailleurs. Le système du delphinat met l’accent sur le fait
que la monarchie française passe par les hommes et implique que les
femmes ne sont que des pièces rapportées. L’ironie de l’Histoire
veut que ces étrangères aient été à de nombreuses reprises
régentes du royaume avec toutes les responsabilités que cela
sous-tend. C’est ainsi que Catherine de Médicis ne sera pas
sans responsabilité par rapport à la Saint Barthélémy qui vit le
massacre des Protestants (1572), qu’Anne d’Autriche était
régente sous la Fronde, que l’Italienne Marie de Médicis fit la
guerre à son fils Louis XIII. .
Que
l'astrologie ait pu se greffer sur un tel événement n'a rien de
bien surprenant. On conçoit, en effet, que tout ce qui a trait à ce
moment soit en quelque sorte consacré et que cela vaille pour la
position des astres, pour l'horoscope. La IVe églogue des Bucoliques
apparaît comme le modèle du genre, ce sera encore la référence
en 1811 lors de la naissance du Roi de Rome, François, qui porte le
nom de son grand-père autrichien. Mais l'on conçoit aussi pourquoi
les plus hautes dignités que sont l'Empire et la Papauté ne se
soient pas, en principe, accessibles par ce seul droit de la
naissance, par trop focalisé sur les enjeux de la filiation
masculine, et en cela le fait que les Républiques modernes
privilégient l'élection sur l'hérédité placeraient leurs
présidents dans une mouvance prestigieuse. Or la France, après la
période avignonnaise, ne sortira plus jamais victorieuse du conclave
pour ne pas parler du vote des Electeurs impériaux dont la majorité
lui fut toujours refusée.à Elle devra se contenter avec le futur
Henri III, d'un lot de consolation: l'élection de Pologne - à la
suite de l'extinction de la dynastie des Jagellons - ce qui apparut
comme un tremplin éventuel pour accéder à l'Empire. Mais à
plusieurs reprises, les souverains de France devront passer par un
scrutin ou en tout cas un statut intermédiaire: ce fut d'une
certaine manière le cas d'Henri IV, devant les Etats de Paris de
1593, ce sera celui d'un Napoléon III, d’abord élu Président de
la (deuxième) République, cela aurait pu être celui d'un Henri V.à
En
ce qui concerne Henri IV et son fils, le futur Louis XIII - un
Salomon par rapport à un David - il est flagrant que ce dernier,
parce qu'il est fils d'un roi de France, ce qui n'est pas le cas de
son père, attise toutes les espérances et c'est en cela qu'il
relève du prophétisme, que d'une certaine manière il personnifie.
Le jeune Louis XIII, né avec le siècle, sera idéalement
l'expression du "triomphe de ce dix-septiesme siècle",
tout plein de promesses. Un faux - comme les Stances
prophétiques
- le fait annoncer sous son prénom de Louis dès 1591. Le XIXe
siècle, post-révolutionnaire, n'échappera nullement à la question
des dauphins, bien au contraire, celle-ci s'exacerbera, se
démultipliera jusqu'à l'absurde, avec la présence simultanée de
plusieurs prétendants, notamment parmi ceux qui se disent être
Louis XVII et qui ont chacun leurs partisans. Henri V, pour sa part,
sera un éternel dauphin, héritier du delphinat de son père, le Duc
de Berry, assassiné (1820) qui attendra vainement durant un demi
siècle de devenir roi. La France républicaine ne serait-elle pas le
passage de l'ère des rois à celle des dauphins?
Le
sort du dauphin est plein d'aléas: désigné comme tel souvent dès
sa naissance, il peut mourir prématurément et laisser la place à
un cadet voire à un cousin plus ou moins éloigné, qui soudain,
sans préparation, devient dauphin
à son tour ou en tout cas prétendant,
la femme étant exclue du jeu. L'épouse du dauphin n'est donc pas
nécessairement choisie pour être reine de France, ce fut le cas de
Catherine de Médicis, mariée dès 1533, qui ne devint pas Dauphine
immédiatement mais à la mort de son beau-frère. Mais dès 1540, le
dauphin Henri n'avait-il pas été pressenti pour faire acte de
candidature à l'Empire?
Importance
extrême des prénoms, ce qui rapproche les rois des papes : si
parfois un dauphin peut changer de prénom lors de son avènement,
comme tel fils de Catherine de Médicis, certains prénoms sont plus
prophétiques que d’autres, comme ce Carolus
qui
confère à celui qui le porte (Charles, Carlos, Karl) une position
singulière. Les Bourbons pour leur part, fidèles à Saint Louis
dont ils descendaient en ligne directe- déjà avec les Condé au
XVIe siècle - ont su imposer le prénom de Louis jusqu’à
Charles X, le frère de Louis XVIII.
Le futur Henri IV
devient en quelque sorte "dauphin", en 1584, le jour où le
dernier frère d'Henri III disparaît...La naissance tardive du futur
Louis XIV, en 1638, est saluée par les astrologues dont l'art permet
précisément à partir du thème de naissance de tracer un destin
virtuel, encore faut-il préciser que l'astrologue n'était invité à
oeuvrer, semble-t-il, que pour le cas où la naissance serait
masculine. La tâche n'était pas sans risque car l'enfant en
question pouvait fort bien ne pas vivre plus de quelques jours...
Cardan, Jérôme se hasarda quelque peu en interprétant le thème
d'Edouard VI d'Angleterre, qui mourut à 16 ans en ayant régné 4
ans. Quant à Louis XVII, il n'était d'abord, en quelque sorte, que
dauphin en second. La France connaîtra comme fatalité de voir ses
dauphins succéder, à un âge trop tendre, à leurs prédécesseurs.
On
ne saurait oublier le cas de Monsieur,
le frère le plus âgé du roi, qui peut parfois être son successeur
attitré du moins pour quelque temps, cela se produisit pour François
d'Alençon, aux côtés d'Henri III, de Gaston d'Orléans jusqu'à la
naissance du futur Louis XIV, et, cas de figure inverse, du Comte de
Provence, le futur Louis XVIII, à la mort supposée de son neveu.
Accédant au trône, en l'absence d'un dauphin, c'est le frère plus
jeune, quand il en reste, qui, à son tour, devient Monsieur, c'est
ainsi que le comte d'Artois sera Monsieur au moment où son frère
devient roi, succédant lui aussi à son frère aîné. Le texte
prophétique doit s'ajuster en permanence sur cette ronde des princes
dont les dates de décès revêtent, on l'imagine, un fort intérêt
pour la datation des textes. A quelle date, par exemple, a-t-on pu
commencer à mettre en avant l’année 1660 dans les éditions
centuriques? Pas avant la naissance du furtur Roi Soleil, en 1638.à
Notons
aussi que le prénom donné à la naissance peut parfaitement changer
par la suite, au hasard des décès. Pour parler du Carolus,
il n'était pas toujours si simple de s'assurer que le successeur
d'un roi porterait bien tel prénom, surtout s'il s'agissait du frère
du dauphin ou lorsque le successeur était le frère du roi...
Quant
à la reine, elle est le plus souvent une pièce rapportée, on
pourrait dire importée
d'un autre royaume, une étrangère admise au coeur du système,
vouée à mettre au monde le dauphin mais, par le fait des morts,
elle peut rêver d'accéder à la régence, avec tout ce que cela
implique. La France n'est d'ailleurs pas réfractaire à un pouvoir
confié à des étrangers, souvent italiens, faute de juifs de cour,
comme en témoignent, durant les régences, le rôle d'un Mazarin(i),
pour ne pas parler de celui d'un Concini. Mais ceux-ci ne sont pas
sans focaliser de terribles rejets, du fait même de leur origine.
Notre
période sera notamment marquée par l'attente récurrente d'un
Roi Soleil - image s'imposant notamment au dauphin, sorte d'astre
levant - qui marquera les esprits jusqu'à ce que Louis XIV vienne,
jusqu'à un certain point, accomplir la prophétie après que son
père - pour ne pas parler de ses aïeux des XVe et XVIe siècles -
s'en soit rapproché, à la façon d'Icare. Mais justement cette
consécration du petit-fils d'Henri IV n'arrive-t-elle pas déjà
trop tard dans le siècle pour sauver un prophétisme à bout de
souffle? Une symbolique solaire qui ne compense pas tout à fait
l'échec répété de l'accession à l'Empire dont cependant les rois
de France - le roi est certes "empereur en son royaume" -
s'arrogent certains attributs comme de se faire appeler "Majesté".
On ne comprend pas le personnage de Louis XIV sans cet arrière-plan
prophétique qui pèse sur la dynastie et en ce sens, le dialogue
entre le prophète et le monarque n'est pas sans référence
biblique. Le dauphin tend à devenir le prince idéal, rêvé, à la
fois puissant par son destin et fragile par son âge.
En fait, Henri IV avait
déjà focalisé nombre d'espérances et la floraison de textes
prophétiques sous son règne, notamment avec Jean Aimes de
Chavigny dès 1589, en est à la fois la cause et la conséquence.
Paradoxalement, le
prophète redoutera deux situations apparemment contradictoires:
d'une part le non-événement qui vient neutraliser son pronostic -
on pense à 1840 - et l'événement imprévu comme un assassinat, une
mort, qui l'amènent également à revoir sa copie.
Le second fil conducteur
est la perspective d'une date fatidique qui correspondrait à la fin
du XVIIIe siècle. Le texte prophétique se perpétue, s'actualise,
interfère peu ou prou avec le discours politique jusqu'à ce qu'il
télescope en quelque sorte ce dernier avec la Révolution de 1789.
L'affaire ne s'arrête pas là car l'exploitation de ce succès
d'annonce marquera le prophétisme du XIXe siècle et le conduira à
vouloir en quelque sorte rééditer l'exploit prévisionnel avec plus
ou moins de bonheur, notamment sous la Monarchie de Juillet.
Le
Mirabilis
Liber
par le truchement de certaines de ses pièces continuera à être
exploité, d'abord au XVIIe siècle avec la prophétie du lys de Ste
Brigitte, issue de la Pronosticatio
de Lichtenberger puis au lendemain de la Révolution avec la
prophétie dite de Vatiguero, qui se place hors Pronosticatio,
dans la partie latine du recueil français. Nous nous intéresserons
notamment à des avatars du XIXe siècle: prophétie d'Olivarius,
prophétie de l'Abbaye d'Orval, qui fait écho à l'Abbaye de
Théléme, en laquelle Rabelais avait imaginé - à la fin de son
Gargantua
- dans les années 1530, l'invention d'un
Enigme
Nous
replacerons dans une nouvelle perspective la plupart des textes déjà
abordés au risque de certaines répétitions. En effet, jusqu'à
présent nous nous étions surtout intéressés à la formation des
textes. Il est certes souvent malaisé de séparer cette formation du
contexte historique successivement traversé. Mais nous avons préféré
en l'occurrence parler de "fortune" pour indiquer qu'alors
c'est la survivance du recours au texte qui prédomine sur les
changements intervenus dans le corps même du texte. En fait, la
formation
d'un texte prophétique est-elle jamais achevée?
Notre
propos consistera à mettre en évidence les conditions d'apparition
et d'évolution des textes étudiés mais surtout la façon dont des
textes souvent anciens sont recyclés. En effet, ces textes
n'émergent pas innocemment, ils servent le plus souvent des intérêts
politiques immédiats. C'est en fait, a
priori,
un excellent moyen pour fixer la date d'élaboration d'un texte que
d'en cerner les raison mais l'écueil réside en ce que l'histoire
souvent se répète, tant et si bien qu'il est bien rare que la
référence à un événement daté soit univoque. S'il importe, en
effet, de cerner une certaine chronologie du texte, du point de vue
de la critique interne, il est également essentiel de comprendre à
quelle nécessité correspond la publication ou la republication d'un
texte.
En fait, plus que 1789,
la date la plus importante pour l'histoire du prophétisme français
pourrait bien être 1840. En effet, force est de constater que 1789
fut un rendez-vous manqué entre prophétisme et politique ou si l'on
préfère il ne prit tout son sens qu'après coup. A la fin du XVIIIe
siècle, il n'existait pas de véritable milieu prophétique. Celui
ci ne se (re)constitua, selon nous, que dans les Années Vingt, sous
la Restauration. avec en ligne de mire la possibilité de revenir en
quelque sorte sur un acte manqué, ce que permettait précisément
cette "restauration" qui pourra ainsi être suivie d'une
révolution. Entre 1828 et 1848, le prophétisme français est en
pleine possession de ses moyens, c'est à dire que la symbiose entre
politique et prophétique se réalise. Ainsi, l'année 1840 pourrait
apparaître comme celle où le dit prophétisme joue son va-tout
et....échoue, même si la Révolution de 1848 peut apparaître comme
un prix de consolation. Mais là encore, le charme est rompu...
De la sorte, en moins de
deux siècles, le prophétisme aura triomphé en France: une première
fois dans l'attente d'un Roi Soleil, une seconde dans celle de la
Révolution qui allait emporter la monarchie. Entre 1700 et 1800,
quel basculement!
A partir de la fin du
XVIe siècle, l'institution du Dauphin est en crise. Celle-ci est
liée au clivage religieux lors du passage d'Henri III à Henri IV.
La Ligue et la Fronde illustrent un certain malaise. Quant à la
Révolution française, elle introduira une confusion inouïe dans le
statut du Dauphin: alternance des dynasties, faux dauphins, dauphin à
perpétuité (Henri V), ne parvenant pas, sa vie durant, à régner.à
Le prophétisme profita-t-il vraiment d'un tel contexte?.
Tout se passe en France
comme si le Roi non seulement ne mourrait pas mais transmettait à
son successeur le bénéfice des prophéties le concernant. Il semble
bien qu'il faille admettre ce principe, faute de quoi les nombreuses
morts prématurées auraient mis à mal tout l'édifice
vaticinatoire. Mais la naissance et la mort sont intimement liées
puisque le destin du dauphin a souvent été d'attendre le décès de
son prédécesseur ou d'en être fortement affecté lorsqu'elle
survenait trop tôt.
Nous étudierons le
statut des prophéties; à la veille de la Révolution Française,
puis analyserons de quelle façon les dites prophéties rendent
compte voire légitiment pour le XIXe siècle ce traumatisme majeur.
Mais, en fait, la période post-révolutionnaire reste fortement
marquée par le principe monarchique et impérial, cadre dans lequel
se situe notre histoire du prophétisme français qui s'arrête à la
première Guerre Mondiale qui accompagne ou annonce le déclin de
l'idée monarchique en Europe: tant en Russie qu'en Autriche-Hongrie
ou qu'en Allemagne. Quant à la France, la seconde période de la
Troisième République, celle que l'on nomme l'Entre- Deux Guerres,
est nettement moins obnubilée par cette question que la première.
Le paradoxe auquel sera
confronté le prophétisme français tient au fait qu'au moment où
les faits semblent lui donner raison - 1789 annoncé par Pierre
d'Ailly - la logistique prophétique est peu ou prou en crise, ce qui
empêche celui-ci d'en tirer tout le bénéfice: la fin du XVIIe
siècle n'offrira plus les mêmes ressources que la fin du XVe ou
celle du XVIe siècles et la fin du XVIIIe siècle arrive un peu tard
pour sauver un prophétisme marginalisé. Cependant, au milieu du
XIXe siècle, le prophétisme trouvera un nouveau souffle, profitant
de la survie du statut de dauphin.
Henri IV fut très vite éclipsé par son fils, le dauphin, dont un
sixain nostradamique célébrera la naissance. Pourtant, la guerre
des prophéties battit son plein au début du règne d'Henri IV
lorsqu'il n'était encore, pour beaucoup, que roi de Navarre. Louis
XIII à l'instar de Charles IX allait mourir avant le terme avancé.
Mais le fils de Louis XIII enterrerait le Grand Dauphin né dès
1661, et la génération suivante à l'exception de Philippe V monté
sur le trône d'Espagne, ce qui aboutirait à donner à Louis XIV un
successeur âgé de 5 ans et produirait une Régence
sans mère.
Il
y a des siècles qui élaborent des prophéties et d'autres qui les
amènent à leur terme, à une certaine praxis.
Tel est, selon nous, le rapport entre le XVIe et le XVIIe siècles.
La fin du XVIIe siècle apparaît comme préparée par une certaine
littérature prophétique. A lire un texte comme le recueil de Claude
Vilette qui circula entre 1611 et 1672, avec quelque insistance,
l'on perçoit que Louis XIV ait pu être amené à révoquer l'Edit
de Nantes de 1598, pris par son grand père, Henri IV, concernant la
liberté du culte protestant, au nom d'un souci d'unité qui est un
leitmotiv
de la Prophétie Moderne. En procédant ainsi, Louis XIV pensait
peut-être émettre un signe à valeur messianique. Il est vrai qu'un
autre aspect de la même Prophétie prévoyait que le Roi de France
soumettrait les Turcs. Or sur ce point, la France aura failli et si
les Turcs avaient subi une défaite devant Vienne, en 1683, cela ne
tenait pas vraiment à elle qui, paradoxalement, entretenait, de
longue date, les meilleures relations avec la Porte Ottomane et
comptait sur son intervention pour avoir les mains libres à l'Ouest.
Aux
XVIe- XVIIe siècles, le prophète, comme dans l’Ancien Testament,
a légitimité à s’entretenir avec le roi, à l’interpeller,
notamment par le moyen d’une Epître, comme l’auteur du Mirabilis
liber pour
François Ier, comme Nostradamus pour Henri II - à la suite de sa
venue à la Cour - Antoine Crespin pour Charles IX, Jean Aimé de
Chavigny pour Henri IV, le chevalier Jacques de Jant pour Louis XIV.
Epîtres souvent adressées à des jouvenceaux comme celles qui le
furent de la part de la mouvance nostradamique, à François
d’Alençon, le dernier fils d’Henri II, qui, dès la fin des
années 1560 polarisait bien des espérances.
Mais
il est aussi des siècles qui focalisent l’attention prophétique,
c’est le cas du XVIIIe siècle et dès lors on peut se demander
jusqu’à quel point le prophétisme n’est pas responsable d’avoir
annoncé la fin de la monarchie ou du moins la fin des temps avec
elle, comme cela se produisit pour la prophétie dite de Saint
Malachie 7
Mais dès 1649, l'exécution, à Londres, de Charles Ier
d’Angleterre, allait faire le bonheur, la fortune, des Centuries et
nombre d’éditions paraîtront dès les années 1660 avec une
vignette représentant la dite exécution faisant des dites Centuries
le véhicule d’un acte manifestant la mort d’un roi,
préfiguration de celle de Louis XVI, un peu plus de 120 ans plus
tard. Mais si l’Angleterre allait garder son souverain, jusqu’à
nos jours, pour sa part, la “Nouvelle Angleterre” - les Etats
Unis actuels - en aura fait le deuil dès la fin du XVIIIe siècle.
Certes, la monarchie française survécut-elle quelque temps à la
Révolution Française tout comme la Papauté pourrait tout à fait
se prolonger au delà de la dernière devise. En effet, pour la
prophétie de Saint Malachie, il est surtout dit que lorsque toutes
les devises pontificales seront accomplies, commencera une nouvelle
ère, il n’est pas déclaré explicitement qu’il n’y aura plus
de papes et d’ailleurs, il est possible que dès Pie IX, qui
régna dans les années 1840-1870, on ait passé le dernier pape
correspondant à la liste. De la même façon, l’on pourrait se
demander si la monarchie française à partir de la Révolution de
1789 et de l’Empire, ne s’est pas prolongée, dans un processus
de survivance, au coeur d’un monde nouveau.
Chapitre
I
UN
SIECLE SI ANNONCE
Le
XVIIIe siècle avait été de longue date -XV-XVIe siècles - perçu
comme devant amener à un achèvement et l'on ne peut sous-estimer
l'influence prophétique sur l'image que ce siècle des "Lumières"
eut de lui-même. Dès 1414, un Pierre d’Ailly ne voyait-il pas en
l’an 1789 l’arrivée de l’Antéchrist?
Il
fallait, en tout cas, pour les contemporains, que ce fût un siècle
en rupture avec les précédents et le rejet de l'astrologie
correspondit à une affirmation d'une spécificité: le XVIIIe siècle
ne serait pas "astrologique" comme les autres. Mais-comme
nous l'avions montré dans
Le Monde Juif et l'Astrologie (Milan,
Arché, 1985)-8il
y a souvent un fossé entre les représentations officielles et les
pratiques réellement suivies. A l'historien de ne pas se laisser
berner par quelques professions de foi, d'éviter de prendre pour
argent comptant les slogans et les consignes, une certaine langue de
bois. D'ailleurs nul n'ignore la face cachée de ce XVIIIe siècle.
Mais une chose est ce qui fut annoncé pour ce siècle, une autre ce
qui s'y accomplit vraiment; quelle était la pression prophétique
qui s’exerça sur certaines générations à l’instar de celle
que connurent les contemporains de l’An 2000 que nous sommes.
Pour
dire vrai, si révolution, il devait y avoir on l'attendait plus tôt,
même si quelques auteurs, marqués par l'argument d’un Nicolas de
Cuse, avaient en effet préféré sa fin à son commencement. On ne
parlera d'eux qu'après coup; les prophéties convergeant vers le
début du siècle furent prudemment rangées de côté ou on leur fit
dire autre chose.
En
effet, Nicolas de Cuse; désignait les temps ultimes comme devant
recouvrir les premières décennies du siècle. Les protestants,
exaspérés par la Révocation de l'Edit de Nantes et par
l'absolutisme d'un Louis XIV, qui ne mourra qu'en 1715, annonçaient
la fin de l'Eglise autour de la période charnière de 1700.
En
fait, cette effervescence même allait provoquer une réaction comme
la recherche d'une convalescence. Il en sera de même à la fin du
XIXe siècle alors que la France est malade de ses prophéties. Comme
chez les juifs, la diète, les interdits, ne prennent leur sens que
par rapport à des excès que l'on veut exorciser. C'est ainsi que la
Révolution Française se produisit à une période de relatif calme
prophétique même si la comète de 1773 avait quelque peu, on l'a
vu, "allumé" les esprits. On n'était plus dans un
discours prophétique mais plutôt dans une forme de science-fiction
où les astres venaient percuter la Terre. La science créait ainsi
ses propres démons.
Tout
se passe comme si les prophéties qui avaient surtout servi à
soutenir tel ou tel parti, étaient inopinément passées à l'acte,
avec le traumatisme que cela impliquait. Pour supporter une telle
secousse, les prophéties allaient jouer un rôle thérapeutique en
encourageant un certain fatalisme.
A
lire certains, le XVIIIe siècle, celui des Lumières, marquerait
jusqu'en 1789 un certain déclin de l'activité prophétique. Rien
n'est moins sûr si l'on prend en compte le mouvement figuriste,
notamment sous Louis XV, étudié notamment par Catherine Maire et
que nous abordons dans la partie consacré au programme.. En ce qui
concerne la production nostradamique, celle-ci se développe
notamment au niveau biographique et à celui des contrefaçons
d'éditions du XVIe siècle. Les Prophéties perpétuelles de Moult
feront partie du paysage à partir des années 1740. Cela dit, si
l'on considère le rôle du roi de France dans les spéculations
prophétiques, quel contraste, après la mort de Louis XIV, avec les
deux siècles précédents ainsi qu'avec le XIXe siècle!
La
fin du XVIIe siècle avait été secouée par un mouvement d'origine
réformée (cf infra) notamment autour de Pierre Jurieu, fixant pour
échéance 1689 et dirigé contre le roi qui avait révoqué l'Edit
de Nantes en 1685. Les espérances passeraient le cap du début du
siècle suivant d'autant plus qu'elles rejoindraient, d'une certaine
façon, les spéculations développées au milieu du XVe siècle par
le Cardinal de Cuse avait révoqué (9
Le
début du XVIIIe siècle était en effet dans la ligne de mire d'un
Nicolas de Cuse; et de fait son oeuvre est traduite pour la première
fois en français à partir de 1700.
C’est
ainsi que , partant de la Préface à César, datée de 1555, placée
en tête de certaines éditions des Centurues, l’on ajoute 177
ans à 1555, l’on arrive ainsi à 1732.
Le
deuil dynastique et les nostradamistes
La
vieillesse de Louis XIV produira une succession de dauphins qui
mourront avant d'avoir régné, ce qui anticipe, en quelque sorte,
sur la situation après l'abdication de Charles X en 1830. Le texte
prophétique et notamment nostradamique sera marqué par ces morts en
cascades
Nous
faisons référence à des annexes à des Vies de Nostradamus qui
sont réalisées en ce début du XVIIIe siècle. Ce sont précisément
ces décès successifs qui permettront ainsi de dater tel manuscrit.
Il y est fait référence aux enfants et petits enfants de Louis XIV
lesquels vont décéder, à l'exception de Philippe V, avant leur
père et grand père. Seul un des arrière-petit-fils de Louis XIV
survivra, nouveau duc d'Anjou, né en 1710, ce sera Louis XV.
Tout
commence dans l'euphorie; en 170O, le petit-fils de Louis XIV, le duc
d'Anjou, devient Roi d'Espagne sous le nom de Philippe V. Palamèdes
Tronc du Condoulet, est le premier à saluer l'événement en
commentant un quatrain de Nostradamus sur l'Aquatique Triplicité
dans sa nouvelle découverte de (ses ) quatrains (p.3)
Quatrain
L de la première Centurie de Nostradamus:
De
l'Aquatique triplicité naîtra
D'un
qui faira le Jeudi pour sa Fête
Son
bruit, loz, régné, sa puissance croistra
Par
terre & mer, aux Orients tempête"
Les
trois fils du Grand Dauphin Louis (mort en 1711) et de Marie
Christine de Bavière - petits-fils du Roi Soleil - sont tous encore
en vie en 1701. Palamèdes Tronc du Condoulet, dans son fascicule
paru à Aix cette année là - Abrégé
de la vie de Michel Nostradamus suivi d'une nouvelle découverte de
ses quatrains
( Bib. Méjanes) - ne fait aucune restriction de ce genre.
La
mise en cause de ce bel équilibre est forcément située après 1711
date de la publication de la Vie
de Nostradamus
par Pierre Joseph de Haitze, à Aix en Provence . En 1712, le Duc de
Bourgogne, né en 1682, le nouveau Dauphin, petit-fils de Louis XIV,
disparaît à son tour, peut-être empoisonné ainsi que l'un de ses
fils, le duc de Bretagne, âgé de cinq ans, tandis que son frère le
futur Louis XV, alors âgé de deux ans, échappait de peu à la
mort. Le frère du dauphin, à son tour dauphin, le Duc de Berry, né
en 1686, époux de la fille du Duc d'Orléans, meurt en 1714. Le
précédent Duc d'Anjou, le cadet, né en 1683, petit-fils de Louis
XIV, était, on l'a dit, devenu le roi d'Espagne Philippe V en 1700
et ne pouvait, selon les accords, devenir briguer la couronne de
France; cela est probablement l'événement déclenchant pour Tronc
du Condoulet qui publie son premier texte l'année même de la guerre
de Succession d'Espagne qui devait durer jusqu'en 1714, au lendemain
de la mort de Charles II, en novembre 1700, laissant un testament en
faveur du duc d'Anjou.
Dès
1711, en effet, dans la Vie
de Nostradamus
de Pierre de Haitze, l'interprétation dudit quatrain n'est déjà
plus valable en raison de la mort d'un des trois fils du Grand
Dauphin lequel ne devait jamais régner, lequel va d'ailleurs mourir
lui aussi cette année là. Les commentateurs qui viendront après
cette date ne refusent pas de commenter ce quatrain dans le sens
présenté par Palamèdes Tronc de Coudoulet mais en faisant la
restriction quant à la mort de l'un des protagonistes. Mais en 1712,
c'est un deuxième Prince qui meurt et le commentaire manuscrit
attribué également à Tronc de Coudoulet n'y fait pas référence,
ce qui tendrait à penser qu'il se situe entre les deux morts.
Et
le commentateur, revenant sur le cinquantième quatrain de la
première centurie d'avouer son impuissance:
"Je
voudrais bien expliquer cette triplicité par une triplicité de
couronnes et dire de l'aquatique où du Dauphin trois Rois naîtront
(..) si le ciel eut répondu à nos voeux et ne nous eut privé de
Monseigneur le Duc de Berry" On songe à la prophétie consacrée
aux fils de Catherine de Médicis tous appelés à régner. Cette
triplicité aquatique évoque les dauphins, animal marin.
Pierre
de Haitze; fait seulement référence à Philippe V, le roi
d'Espagne, petit fils du Roi Soleil. Le futur Louis XV, né en 1710,
est en effet pour l'heure un dauphin bien fragile et Philippe V se
trouvera en 1714, à la mort du duc de Berry, en cas de décès de
son neveu, en position d'héritier de la couronne de France, en dépit
du traité d'Utrecht.
En
1789, la Vie
et Testament de Nostradamus,
ouvrage paru à Paris, chez Gattey (BNF, Ln22 15273) reprend
largement l'Abrégé
de 1701 de Palamèdes Tronc du Condoulet; . Il ne fait pas allusion
davantage à la mort du deuxième prince mais parle de Don Carlos
comme réalisation d'une seconde couronne. Or, les événements liés
à Dom Carlos se situent dans les années Trente lorsque Don Carlos
(le futur Charles III d'Espagne), fils de Philippe V, devient Roi de
Naples (1731) et n'a pas encore succédé à son frère Ferdinand VI,
ce qu'il ne fera qu'en 1759, et dont traiterait le commentaire du
deuxième prince. Le texte de 1789 serait donc la réédition d'un
texte rédigé une cinquantaine d'années plus tôt dont on n'a point
la trace. Il se présente d'ailleurs comme la reprise d'un texte de
Jean Aimé de Chavigny; alors qu'il s'agit de l'Abrégé
de Palamèdes Tronc du Condoulet, dans une édition différente de
celle qui est conservée en manuscrit à la Méjanes d'Aix - Abrégé
de l'Histoire de Michel Nostradamus-
lui-même recourant à une source qu'a pu exploiter le Janus
Gallicus
pour rédiger son Brief
Discours de la vie de Michel de Nostredame.
Toutefois,
nous sommes amenés à penser que le manuscrit conservé à la
Méjanes n'est pas la matrice de ces diverses publications. La
comparaison avec la Vie
et Testament
de 1789 fait apparaître certes une très grande similitude qui
disqualifie tout à fait l'attribution à Pierre Joseph de Haitze
mais aussi quelques lacunes du manuscrit qui ne sauraient guère
pouvoir être mises sur le compte d'une interpolation tardive.
Certains quatrains ne figurent plus: quatrain III de la centurie V et
XXXIX de la centurie V, qui étaient supposés se rapporter à Don
Carlos, donc au début du XVIIIe siècle.
En
revanche, ce manuscrit de la Méjanes semble avoir servi pour établir
le texte de la Vie
et Testament.
On y retrouve notamment certains passages rayés qui recoupent les
suppressions du texte de 1789. Dans la même page du manuscrit, un
développement a été barré et remplacé par la formule "on
assure que (à). On assure aussi à moins - ce qui serait une
hypothèse plus probable - que l'un des possesseurs du manuscrit
l'ait modifié pour correspondre à l'édition de 1789 dont le
manuscrit en tout état de cause comporte la référence. Il y a
toutefois des passages barrés du manuscrit qui sont restitués par
le texte de 1789. (Quatrain 74 de la IVe centurie)
Nous
avons localisé en outre un passage de notre manuscrit qui a été
omis par l'ensemble des textes abordés: il s'agit du commentaire du
quatrain 28 de la centurie III. Il y est question selon le
commentateur du règne de Sixte Quint et d'Elisabeth d'Angleterre qui
mit à mort ses adversaires.
Signalons
en 1712 la réédition à Amsterdam, de l'Apologie
de Naudé Gabriel; qui comporte une addition révélatrice de la
vogue des Centuries,
elle n'est évidemment pas due à la plume du bibliothécaire
français: "Les prédictions de Nostradamus occupent encore tous
les jours les esprits forts & superstitieux. Il ne se passe pas
un événement considérable qui ne soit cherché dans les Centuries
de cet homme & qui n'y soit enfin trouvé par les cerveaux creux
de nos jours. On y a trouvé la Révolution de l'an 1689 en
Angleterre, le bannissement des protestants de France, les
Révolutions de Bavière en 1703 et 1704 et sans
doute que quelqu'un est à y chercher aujourd'hui la mort de
plusieurs princes de la Maison Royale de France"
(p. 341).
I
Un prophétisme de cour
Louis
XIV aura vu mourir - nous en avons noté l'écho dans la littérature
prophétique - un nombre considérable de dauphins à telle enseigne
que Louis XV sera petit-fils, fils et neveu de dauphins qui n'auront
jamais régné, anticipation de ce qui se passera au XIXe siècle
pour un "Henri V". Louis XV, lui-même, transmettra la
couronne à son petit-fils, Louis XVI. Sous les Valois, les rois
mourraient prématurément; sous les Bourbons, il leur arrivera, au
XVIIIe siècle, de survivre à une ou plusieurs générations de
dauphins souvent éphémères, ce qui fragilisait cette institution.
Souvent, le "vrai" dauphin n'avait pas été préparé au
métier de roi.
Dans
les Années Vingt du XVIIIe siècle, paraissent deux volumes
intitulés "Prophéties de Michel Nostradamuus expliquées"
parues à Avignon et à Marseille et qui confirment l'existence d'une
école provençale au début de ce siècle si l'on tient compte des
publications aixoises et des faux avignonnais datés de 1566, chez
Pierre Rigaud.
La Bibliothèque Municipale de Marseille ( cote 14210) possède un
des deux volumes, l'autre n'étant que signalé par E. Leoni. . Le
seul volume daté n'a pas été localisé, il concerne "les
révolutions présentes d'Angleterre et le rétablissement du roy de
la Grande Bretagne Jacques II sur son trône (Avignon), l'autre
traité des affaires françaises " depuis le règne d'Henry le
Grand jusques au Règne de Louis le Grand " (Marseille Vve
d'Henry Brebion.s.d.). Il s'agit, essentiellement, comme chez
Massard, d'un commentaire des sixains dédié au jeune Louis XV..
Le
Roi Soleil sera-t-il le parfait aboutissement du projet prophétique?
Dès 1682, la naissance d'un petit-fils, Louis de France, duc de
Bourgogne, qui mourra prématurément en 1712, relance de nouvelles
espérances: un Jean Espitalier, Jean;, qui publiera plus tard des
Oracles
nostradamiques,
adresse une Muse
Dauphine ou Virgile Prophète à Monseigneur et Madame la Dauphine
sur les heureuses attentes de Son Auguste accouchement.
Il y est question d'un «troisième» Louis, poursuivant l'oeuvre de
Louis XIII et de Louis XIV. Le protestant nostradamiste Jacques
Massard; avait également beaucoup espéré du successeur présumé
du Roi Soleil.
En
1716, au lendemain de la mort du Roi Soleil, l'on applique le Sixain
48 (attribué à Nostradamus) au jeune Louis XV:
«Du
vieux Charon, on verra le Phénix
Etre
premier & dernier de ses fils
Réduire
en France & d'un chacun aimable
Régner
longtemps avec tous les honneurs
Qu'auront
jamais eu ses Prédécesseurs
Dont
il rendra sa gloire mémorable»
Il
s'agit d'une Epître
au Roy qui contient une application d'une Prophétie de Nostradamus à
Louis XV,
construite autour du sixain et d'un texte en prose attribué
également à Nostradamus et qui figurerait "sur la fin de ses
prophéties":
"Par
le moindre âge sera la Monarchie chréstienne, soutenue &
augmentée. Sectes élevées & subitement abaissées. Arabes
reculez; Royaumes Unis & nouvelles loix promulguées"
Elle
est l'oeuvre de Bélier de Saint-Brisson;. En 1744, le texte
reparaîtra chez Prault père; avec une introduction de ..Pessaire;:
Accomplissement
d'une Prophétie de Nostradamus en la personne de Louis XV à qui
elle fut appliquée & présentée dès l'année 1716
.
L'affaire
du financier Law - la banqueroute date de 1720 - fait également
l'objet d'un commentaire nostradamique autour du quatrain 43 de la
première centurie
Las
qu'on verra grand peuple tourmenter
Et
la loi sainte-en totale ruine
Par
autres loix toute la Chrétienté
Quand
d'or, d'argent trouve nouvelle mine
En
1730, paraît la Prédiction
accomplie de la naissance du Duc d'Anjou présentée au Roy à Paris,
au sortir du Te Deum chanté à Notre Dame en action de grâce le 2
Septembre,
BNF, Ye 4014. Il s'agit de Philippe qui ne vivrait que 3 ans.
Encore
en 1738, sera évoquée la naissance, survenue le 4 septembre 1729 du
Dauphin
(Louis) premier fils de Marie Lesczynska, futur père de trois rois
Louis XVI; né Auguste, duc de Berry, Louis XVIII; et Charles X; par
un Joseph .Goiffon, dissertant sur la lutte du Lys et de l'Aigle,
dans un Felix
syderum situs nascente serenissimo Delphino Regio in castro
Versaliarum, pridie nonas septembris anni 1729,
Paris, chez S. Ganeau
XXVIII:
«On vit l'astre de ce nom sortir du Méridien et paraître vers le
Milieu du Ciel, à la Naissance célèbre, les peuples soumis à
l'Empire du Lys purent commodément l'observer, en signe d'heureux
présage. L'Aigle venait de disparaître & de se plonger dans les
ténèbres de l'horizon (à) A peine vit-elle (une aigle) le lys
s'élever et néanmoins sans éclat fastueux qu'elle s'abaissa et
descendit, tout oiseau qu'elle est de Jupiter, elle se perd sous
l'horizon & ses feux éteints elle disparaît pour ne plus se
montrer tout le temps de l'apparition du lys. Cette différence a pu
échapper à bien des astronomes versés dans la pratique du
firmament et peut être que c'est à votre heureuse naissance, Prince
Sérénissime, qu'on en doit la découverte»
La
veine virgilienne
En
1708, P. Catrou; place la IVe Eglogue en cinquième position dans sa
traduction des Bucoliques
et remplace le nom de Pollion par une formule significative:
Horoscope
de Marcellus(
BNF, Yc 5484)tion des Bucoliques et remplace le nom de Pollion par
une formule significative: Horoscope de Marcellus( BNF, Yc 5484)"
J
R. de Ribauld de Rochefort (de la Chapelle) fait paraître en 1736
une Dissertation sur le sujet de la quatrième Eglogue de Virgule
10Dans
ce texte, l'auteur a opté pour la naissance de Drusus, qui sera
gendre de Marc-Antoine, qui s'illustrera comme général; ce qui
l'amène à retarder la date de rédaction de la IVe Eglogue.
La
Dissertation paraîtra séparément sous le titre d'Explication
de la quatrième Eglogue
en 1739 (BNF, Yc 5491) et 1745 Yc 5492
En
1775, l'Abbé Regley publie un
Dialogue entre Henri IV, le maréchal de Biron, le brave Guillon,
sous le règne fortuné de Louis XVI, Paris,
Vve Duchesne, BNF Lb39 195:
"C'est
celle où le poète célèbre la naissance de ce fils d'Auguste qui
devait bannir le siècle de fer & ramener l'âge d'or parmi les
Romains.
"Cet
enfant (..) ne pouvait pas être le fils de Pollion comme on l'a cru,
ce n'était pas non plus Marcellus, fils d'Octavie, qu'Auguste
n'adopta que lorsqu'il lui fit épouser Julie; c'était plutôt
Drusus, fils d'Auguste et de Livie qui vint au monde l'an de Rome
716, après la pacification de l'univers, c'est à dire depuis la
paix conclue à Brindes entre César et Antoine, c'est aussi le temps
où Virgile a composé son Eglogue". Mais c'est oublier que
Virgile en dédiant son Eglogue à Pollion ne peut que s'intéresser
au camp du rival d'Octave.
Le
prophétisme de salon
Il
n'y a pas vraiment de solution de continuité pour le prophétisme
d'expression française au XVIIIe siècle dès lors qu'au niveau en
tout cas d'une certaine agitation, les Figuristes auront pris le
relais des Réformés (
Plusieurs
facteurs nous conduisent en effet à penser qu'au cours des années
trente, le prophétisme français connaît une certaine renaissance
qui prend le relais des prophéties réformées postérieures à la
Révocation de l'Edit de Nantes: spéculations sur le Rappel
des Juifs
avec avancée de dates sans parler de l'attente des événements
annoncés pour 1740, qui a laissé son empreinte dans le langage
commun. "S'en moquer comme de l'an 40".
Dès
lors, des publications satiriques vont attester l'importance d'un tel
phénomène. Il s'agit là d'un pseudo-prophétisme bien éloigné
des machines de propagande des siècles précédents. Personne n'est
dupe mais le genre prophétique reste un support attrayant.
En
1736, un certain L. B. Castel, publiait une Lettre
philosophique pour rassurer l'univers contre les bruits populaires
d'un dérangement dans le cours du soleil, au sujet d'un vent furieux
et de la chaleur extraordinaire qu'il fit le samedi 20 octobre
dernier(
BL 534 a 46) suivie en 1737 d'une Seconde
lettre philosophique pour rassurer l'univers contre les critiques de
la première en réponse à MM les Auteurs des Réflexions sur les
ouvrages de littérature
Paris, Prault ( BNF Zp 2145; BL 534 a 46)'
En
1745, à Anvers, paraissait un Almanach
des Proverbes
composé, supputé & calculé exactement par le scientifique
Docteur Cartouchivandeck, astronome privilégié suivant les astres
(BNF, Zp 1312) avec l'accord de Nostradamus".
Intéressons-nous
un instant à une sorte de prophétisme bouffon qui marque les années
1752-1753, qui voient s'opposer le coin du roi favorable à la
musique française (Lulli, Rameau) et le coin de la reine, en faveur
de la musique italienne, dont les Encyclopédistes. Cette querelle
qui éclate au mois d'août 1752 avec la représentation d'une oeuvre
de Pergolèse, la Servante
maîtresse,
se nourrira de prophéties.
Qu'on
en juge!
La
première référence "prophétique" semble venir de Prague
avec un texte intitulé
Le petit prophète de Boesmischbrad.
Ici sont écrits les 21 chapitres de la Prophétie de Gabriel Joannes
Nepomucenus Franciscus de Paula Waldtorch dit Waldstorchel (..) à
Prague", BL,
1103 b 21 (4),
attribué
par Barbier au baron Melchior de Grimm, M. de; (1723-1807)-à ne pas
confondre avec les frères Grimm plus tardifs. plus tardifs."
En
1753, paraîtra une adresse de ce personnage de Bohème au grand
Prophète Monet; (BL, 1103 b 21 (12). Il lui est répliqué avec les
Prophéties
du Grand Prophète .i.Monet;
qui valent bien celles d'un autre, imitées de l'Alcoran, de
l'Histoire d'Angleterre et de Prusse car ce ne sont pas les Allemans
qui ont trouvé cela tout seuls.
Sous le nom de Monet se serait exprimé, selon Barbier,
Mathieu-François .Pidansat de Mairobert; . Diderot, Denis; fera
paraître toujours en 1753 un court pamphlet anonyme qui réplique
aux deux pamphlets tout à la fois: Au
petit prophète de Boesmischbraud, au grand prophète Monet
(BNF, Yf 8097). Mais 1753 est aussi l'année où Jean Jacques
..Rousseau, présente son Devin
du Village.
Le philosophe prend position, dans la Querelle des Bouffons, parmi
les tenants de la musique italienne contre la musique française.
Dans la Seconde
lettre de correction des Bouffons contenant quelques observations que
l'opéra de Titon, le Jaloux corrigé et le Devin du village (Z
Fontanieu 334 (16) on
se demande si ce n'est pas "le petit prophète qui a inspiré en
personne le Devin du Village". En fait, le Devin
du Village
pourrait être à l'origine de cette vogue prophétique car les
premières représentations eurent lieu devant le Roi, à
Fontainebleau, les 18-24 octobre 1752 (voir titre de la première
édition, BNF, Res Yf 767; avec la partition, BNF, Vm2 455) puis
seulement le Ier mars 1753 à Paris.
Toute
une littérature polémico-prophétique se déploie, conservée dans
des recueils factices, à la BNF, notamment la Lettre
écrite de l'Autre Monde
par l'A.D.F. à M.F. de Suard (Z Fontanieu 334 (13), la Lettre
à Madame Folio
où l'on peut lire:
"Les
partisans de la musique française ont suscité un prophète en sa
faveur (..) Il prédit ensuite que les Bouffons n'auront pas de
succès". (BNF, Z Fontanieu 334 (7)
Dans
l'Epître
aux Buffonistes
(Z Fontanieu 334 (19), on trouve ces vers: "A l'oracle de Prague
on ne peut que souscrire/Hâtant le carnaval le Ciel a voulu rire/ La
Bohème est féconde en esprits excellents/ Qui pour la prophétie
ont de rares talents"
Citons
enfin les Réflexions
Liriques
(sic) de février 1753 (BNF -Z Fontanieu 334 (25):
"Déjà
le grand prophète arrêtant sa victoire
Des
Français alarmés vient défendre la gloire (..)
Au
talent prophétique, il joint l'esprit du sage (..)
Quoique
en son pays aucun ne soit Prophète"
En
1764, paraîtra l'Eclipse
moderne ou la folie de
M. AR***, 1764 ( BNF, Z 12900) prenant, en matière d'opéra, le
parti de l'italien contre celui du français.
La
Guerre de Sept ans
En
1756 - début de la Guerre de Sept Ans - paraît l"Année
extraordinaire où sont les prédictions véritables et remarquables
des prodiges étonnans qui doivent arriver en France dans le cours de
(cette) année
par un certain Kaxeziloscou;: il y est question, dans un style qui
évoque la Pantagruéline
Pronostication
de Rabelais, François;, d'un Parasaramus
(de par hasard) référence évidente à Nostradamus. (BNF, Zp 26):
Parasaramus prétend que cette année le mal des yeux sera très
contraire à la vue.
Plus
sérieusement circule en manuscrit un pronostic datant de 1654-1658
concernant l'Angleterre pour 1756. Le Fatum
Universi
paru en latin, connut alors, dans sa version de 1658, une traduction
française manuscrite, sous le titre de Destin
de l'Univers.
Une traduction française annotée et souvent critique. Une
traduction française annotée et souvent critique qui ne comporte
pas de texte imprimé, a été conservée à la Mazarine et il nous
semble qu'elle a été réalisée à partir de la première édition
(Maz, Manuscrit 3676). On connaît en effet trois versions d'un texte
latin de quelques dizaines de pages dont la parution aurait provoqué
des réactions de la part des puissances visées, à la suite
desquelles, des versions expurgées auraient été produites.
Le
XVIIIe siècle fera de l'auteur du Fatum
Universi
un prophète heureux: "Ce qui le mit à crédit", note
l'auteur d'une note manuscrite, ce fut d'avoir annoncé "plus de
quarante ans" à l'avance la Révolution d'Espagne de 1702.
Dans
l'Année
Littéraire
de 1757 11Frèron;
fit paraître une Lettre
consacrée à l'oeuvre astrologique de Franciscus .i.Allaeus _alias
Yves de Paris; datant de 1654 (cf supra) que nous avons étudiée
plus haut:
«_Plusieurs
personnes», dit l'auteur de cette Lettre, «_m'ayant assuré qu'il
existait un livre latin imprimé depuis plus de cent ans dans lequel
l'Angleterre était menacée en 1756 d'une aussi grande perte que
celle de Minorque, j'ai été curieux de voir par moi même si la
prophétie était réelle.» .
C'est
dans le
Fatum Universi dans
la deuxième édition, parue à Rennes en 1655, que l'on trouve
effectivement la formule
«_Annus 756 minatur maximum excidium», l'année
1756 menace l'Angleterre d'une grande désolation. «Ce n'est point
là, précise le lecteur, une Centurie faite après coup». Il dit à
juste titre que dans l'édition de 1658 «l'on ne trouve point la
prédiction sur l'Angleterre ni quelques autres qui regardaient
d'autres puissances de l'Europe ces Puissances se plaignirent sans
doute & l'ouvrage (dans sa première version) fut supprimé_». A
vrai dire 1756 n'était que le début de cette Guerre de Sept Ans qui
allait s'achever sur le traité de Paris, en 1763, à l'issue duquel
la France perdit le Canada et l'Inde mais conserva les Antilles. 1756
n'en fut pas moins perçue comme une année plutôt défavorable à
l'Angleterre de Georges II qui perdit Minorque, sans parler des
déboires en Amérique du Nord, ainsi que l'année suivante, mais
celle-ci allait par la suite, en raison de l'ascension de William
Pitt, avec l'appui de la Prusse de Fréderic II, être victorieuse .
Sur le moment, on put y voir une réussite prévisionnelle pour le
pseudo-Haly, tant l'équilibre des forces et notamment l'alliance
franco-autrichenne semblait redoutable. Encore en 1759, il fut
question d'un débarquement français en Angleterre.
Eymard,
. (1937,
p. 56) insiste sur la fortune des prophéties yvoniennes, notamment
dans les Analecta juris pontifici
(Rome, 1884, col 202 n.23) ainsi que dans divers dictionnaires
français. (Michaud, Dictionnaire
Universel du XIXe siècle);
L'hostilité
de l'Encyclopédie (1751)
Les
rédacteurs de l'Encyclopédie
s'inspirèrent largement de la Cyclopaedia
de l'Anglais Ephraim Chambers, dont il avait été question
initialement de donner la traduction. Un des principaux articles
consacré à l'astrologie apparaît à l'entrée Influence, signée
.Menuret; et il accorde une large part à l'Argenis
de l'Ecossais John . Barclay, paru en 1621 et qui comporte des
passages anti-astrologiques comme celui-ci: Un astrologue qui s'était
chargé de prédire au roi Henri (IV) l'événement d'une guerre dont
il était menacé par la faction des Guises, donna occasion à la
satyre de Barclay: Puisqu'enfin votre science nous découvre si le
roi doit triompher de ses ennemis, dites nous auparavant s'il
ajoutera foi à vos oracles En revanche l'Encyclopédie
ne daigne pas accorder la moindre allusion à Nostradamus et aux
Centuries.
Le
déclin de l'astrologie
Le
XVIIIe siècle est marqué par une baisse certaine du niveau des
calculs astrologiques comme si le public susceptible d'être
intéressé par les spéculations planétaires - largement féminin -
n'était plus capable de dresser une carte du ciel, en bonne et due
forme. La géomancie allait ainsi détrôner une astrologie qui
allait sombrer dans les promiscuités de l'occultisme.
Il
convient de s'arrêter un instant sur cette astrologie en phase de
déclin et qui entraîne éventuellement un certain prophétisme dans
sa chute. Nous avons dit qu'elle s'était constitué une nouvelle
clientèle mais cela signifie aussi qu'elle propose un nouveau
produit et cette tendance s'accentuera jusqu'à nos jours. Il s'agit
de moins en moins pour l'astrologie d'aborder le décryptage d'un
avenir collectif qui échappe peu ou prou à tous mais de prendre en
charge des problèmes individuels chez des personnes en mal
d'identité, plus ou moins marginalisées. Au lieu de servir d'outil
pour l'élite dirigeante, elle devient une béquille pour les laissés
pour compte. Alors que l'astrologie trouvait sa légitimité dans
l'étude des horoscopes des princes voués à succéder à leurs
pères, aux plus hautes charges de l'Etat, elle allait appliquer ses
outils à des personnages insignifiants, dont, a priori, le cosmos
n'avait que faire. On assiste donc à une désacralisation du
discours astrologique : au lieu de s'associer à de grandes causes,
les astres sont présentés comme la cause des maux du vulgum
pecus.
II Les prophéties
napolitaines
A
partir de 1734, le royaume de Naples est gouverné par des Bourbons.
En 1740, vont commencer à circuler des Prophéties
Perpétuelles
qui seraient dues, à en croire le titre, à un certain napolitain du
nom de Moult. Derrière une façade anodine, nous trouvons des textes
qui ne sont pas sans incidence politique.
Si le Kalendrier
et Compost des Bergers
tend à évacuer le savant ( en revanche, les Prophéties
Perpétuelles-
et notamment le personnage de Thomas Joseph Moult - en dépit de leur
dimension agricole - insistent sur le personnage du "philosophe".
Si le Kalendrier
des Bergers
propose globalement un temps saisonnier, le prophétisme introduit
des modalités.
On
s'intéressera ici aux prophéties qui ne sont pas axées sur une
seule année mais sur une suite d'années voire sur des types
d'années récurrentes; ce procédé a pour avantage de permettre à
un texte de se perpétuer, en passant d'une échéance à l'autre.
Les
prédictions agricoles s'articulent autour de périodes assez
longues, de 28 ans notamment. Nous verrons comment les prédictions
politiques se grefferont sur ce système. Il importe que celles-ci
concernent des événements relativement fréquents, toute
eschatologie en la matière risquant de perturber la cyclicité.
En
1866, le libraire parisien Delarue publie un triptyque comprenant les
Centuries,
dans une impression troyenne, le Recueil
des Prophéties et Révélations,
daté de 1611, ainsi que les Prophéties Perpétuelles de Moult,
Paris, Prault Père avec une "Approbation" in
fine
en date du 30 novembre 1740. Les deux premières pièces
correspondent à des éditions du XVIIe siècle, la troisième que
nous allons étudier nous pose quelques problèmes de datation. Ces
"Vaticinations perpétuelles", pour reprendre une
expression de la Préface à César, sont le prolongement d'une
tradition de prédictions agricoles, selon des cycles de 27 ans,
issus des 27 jours lunaires. En réalité, cette expression employée
par Nostradamus n'est guère explicitée par ses soins et un regard
rapide sur les centuries suffit à se convaincre que les quatrains
qui s'y trouvent ne sauraient être assimilés à cet univers
pastoral. En revanche, lorsque l'on examine les quatrains des
almanachs, le rapprochement est plus aisé. En tout cas, de ce point
de vue, la Préface correspond assez mal aux vers qui lui font suite.
Tout
au plus observe-t-on à la lecture du Recueil
des Présages prosaïques
12qui
rassemble la plus grande partie de sa production annuelle entre 1550
et 1566 qu'il tend à relier une année avec une autre, comme s'il
disposait d'une sorte de typologie propre précisément aux
"Prophéties Perpétuelles", ce qui expliquerait en fait
les références à une histoire souvent ancienne, mises en évidence
par P. Brindamour, susceptibles d'éclairer l'avenir.
Il
nous semble vraisemblable que l'Epître
à César
ait pu servir initialement non point à introduire des Centuries mais
un système de prophéties perpétuelles tel qu'il se répandra dans
les années soixante-dix du siècle. Ce n'est pas peut être pas sans
raison, au demeurant, que le nom de Nostradamus ait été associé
fréquemment avec celui de Thomas Joseph Moult au XIXe siècle. Le
texte de la Préface semble en tout cas relier quatrains et
perpétuelles vaticinations:
«_J'ai
composé livres de prophéties contenant chacun cent quatrains
astronomiques de prophéties, lesquelles j'ai un peu voulu raboter
obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d'ici à
l'an 3797...». On peut éventuellement supposer que cette préface
introduisait à la fois des quatrains et un système vaticinatoire,
année par année.
A
Les Prophéties
perpétuelles
de Moult
A
partir des années 1570, le genre des prophéties cycliques,
essentiellement agricoles, se développe, soit peu de temps après la
mort de Michel de Nostredame. Ce genre est caractérisé par
l'absence de recours à une astronomie planétaire et doit donc être
nettement distingué des publications de Leovitius.
Un
nom revient, celui de George Guirini ou.Quirini; allemand. A partir
de cette époque il est courant de se procurer des ouvrages pouvant
servir sur de longues années plutôt que d'acheter chaque année un
almanach astrologique. Toutefois, il est clair que ces textes
s'appuient sur une tradition plus ancienne dont il n'est pas exclus
que Nostradamus ait pris connaissance vingt ans plus tôt et à
laquelle il fait référence dans son Epître à César de 1555.
Très
vite, le nom de Quirini ne va plus figurer: c'est le nom de Jean
Ongoys de Thérouanne, qui apparait dès 1572 comme auteur de
l'ouvrage, ce qui pourrait d'ailleurs être légitime ! Ce Quirini
est l'auteur de l'Epître à Isabelle d'Autriche, Reine de France et
un partisan, dix ans avant l'heure, d'une réforme du calendrier qui
satisferait les agriculteurs: «_Toutefois plusieurs ont aperçu qu'à
nombre environ la centième partie d'un jour défaut». C'est
pourquoi dans l'édition de 1573, le calendrier n'est pas employé.
En revanche, dans les éditions ultérieures, l'on en revient à des
définitions très figées du début des saisons.'
1572
_ Jean d'Ongoys: Pronostication
générale dite Circle Solaire extraite des anciens Philosophes, fort
utile et nécessaire pour tous les marchands pour les régler et à
l'achat & vente de leurs marchandises
13
Très
vite également, Antoine Crespin,, «_Archidamus» va proposer une
version révisée et d'ailleurs sans lendemain mais dans laquelle il
rend à Guirini, «_Allemand», ce qui lui revient (cf Avertissement
in
fine
daté de juin 1572). Or, si l'on considère que Crespin est un
imitateur de Nostradamus, son intérêt pour ce genre constitue un
indice sur l'oeuvre de son modèle.
1572
_ Crespin: Pronostication
générale du circle solaire qui se fait en 28 ans et dure
perpétuellement, extraite de plusieurs Anciens philosophes et de
toutes les langues
(Lyon, Jean Patrasson, BNF, V 21366)
1573
_ Pronostication
générale du circle solaire pour 28 ans, extraite des anciens
philosophes (..) Inconnue jusques à aujourd'hui & mise en
lumière par I (ean) D (ongoys) & depuis revue, corrigée &
augmentée par George Quirini,
Paris, Antoine Houic, B. Univ. Gand.
Durant
la plus grande partie du XVIIe siècle, l'on ne trouvera pas ces
Prophéties
Perpétuelles
fondées sur une cyclicité rudimentaire. Ce processus réapparaîtra
à la fin du dit siècle, vers 1693.
L'on
peut d'ailleurs penser que leur caractère astrologique était
initialement plus marqué. Entendons par là que - comme l'attestent
certaines éditions - chaque année se trouvait sous la domination
d'une certaine planète (cf. Michel de Nostradamus Le Jeune, BNF,
Res), en respectant un certain ordre de succession. L'évacuation de
la dimension planétaire en faveur d'une simple cyclicité correspond
à une tendance générale de la «_prophétie» à rejeter ou à
neutraliser le substrat astrologique.
En
fait, les Prédictions couvrant plusieurs années se fondent sur un
système rudimentaire, sans lien avec une astronomie de position. et
dont la systématique sera exposée à la fin du XVIIe siècle dans
les Prophéties
Perpétuelles.
On
trouve des applications qui ne fournissent pas de référence aux
noms des années mais se contentent d'indiquer la planète dominant
l'année: Présages
pour 13 ans... selon le seigneur et dominateur de l'année...
(1571 Lune, 1572 Mars, 1573 Jupiter, etc.).
D'ailleurs
le libraire Nicolas Du Mont Nicolas contestera ces attributions:
«_les dominations des années sur lesquelles il assied ses jugements
sont faux».
Le
titre des Prophéties moultiennes
En
1740, si l'on en croit les éditions dont nous disposons, le texte
parut sous le titre de "Prophéties
de Thomas- Joseph Moult, traduit de l'italien en françois, qui
avaient cours pour l'an 1269 & qui dureront jusqu'à la fin des
siècles". Par
la suite, au XIXe siècle, la référence à 1269 ne figurera plus au
titre.
Il
est précisé dans cette édition que l'ouvrage fut achevé en 1268 à
Saint Denis, en la 42e année du règne de Saint Louis, soit peu
avant sa mort, son avènement datant en effet de 1226.
Classement
des éditions (XVIe-XIXe siècles)
L'on
rencontre cinq cas de figures:
1/
les éditions qui font référence à la réforme grégorienne de
1582 et celles qui n'y font pas.
2/
les éditions qui se contentent de fournir une liste de 28 années et
celles qui fournissent le système complet à partir du XIIIe siècle
(1269).
3/
Les éditions comportant les trois volets et débutant du temps de
Frédéric II, sous lequel Moult est réputé avoir vécu.
3/
les éditions qui ne remontent qu'au XVIe siècle, en 1521 ne
conservant que les deuxième et troisième volets)
4/
les éditions ne conservant que le troisième volet
5/
les éditions qui commencent avec l'année 1560.
6/
les éditions se référant à des planètes et celles ne le faisant
pas.
A
la base de ce système sur 28 ans, on trouve un système sur 28
jours. Oronce Finé nous en fournit un tableau au vingt-troisième
canon de son "usage des éphémérides".
Cette
liste intitulée "Les 28 mansions de la Lune" fournit une
devise par jour selon le passage de la lune à travers les douze
signes et tous les douze degrés environ. Les quelques échantillons
que nous en donnerons sont à rapprocher de ceux fournis pour telle
ou telle année ci dessus:
Mansion
8: Il fait bon prendre médecine, coupper (sic) & vestir robes
neufves & cheminer par eau seulement.
Souvent
le lecteur reçoit un conseil quant à ce qu'il faut faire et un
autre à ce qu'il est préférable d'éviter:
Mansion
19: Il fait bon
plaidoyer, assieger villes, soy mettre en chemin & maulvais
entrer navires"
Le
nom des années
Si
l'on étudie le nom attribué aux 28 années, l'on observe que les
initiales se situent nécessairement selon les sept premières
lettres. Cela ressort par exemple lorsque l'on considère la série
figurant dans l'édition de 1740:
Fer,
Quar, Jur, Corte, Amat, Genus, Fenor, Gemini, Constitutio, Bise,
Aries, Genor, Est-est, D'Est, Corde, Bour, Gener, Fenus, Grossus,
Dicat, Vav, Aqua, Goner, Fenel, Caritier, Actor.
En
ce qui concerne le "contenu" des mots, on remarque
également des récurrences suffixales: Amat-dicat;
Actor- genor-fenor; Genus-grossus-fenus.
Les
noms des années sont censés commencer par une des sept premières
lettres de l'alphabet, soit de A à G. Les lettres se suivent selon
l'ordre habituel mais à l'envers: G - F - E - D - C - B - A. Comme
pour l'alphabet hébraïque, chaque lettre est liée à un mot dont
elle est l'initiale. Force est de constater que les textes qui nous
sont parvenus ne respectent pas exactement ce principe mais que
celui-ci semble bien en constituer la trame originelle. On devrait
ainsi avoir quatre séries de G à A et la première année du cycle
devrait commencer par un G et non par un F. En revanche, la 28e année
se termine bien par un A. Mais en cours de route, des erreurs se sont
compensées. Etant donné qu'il y a 28 années et 7 lettres, chaque
lettre est censée correspondre à quatre mots latins.
Initialement,
le système comporte une correspondance avec les planètes qui sera
totalement évacuée au XVIIIe siècle (Almanach
de Langres,
Prophéties
de Moult).
L'on
notera les points communs entre les listes 1 et 2, non pas pour ce
qui est des noms, mais pour les planètes dominantes, il y a une
grande similitude. Entre les listes 1 et 3, il existe un certain
nombre de rapprochements plus ou moins nets.
Fert
et Fer, Cor et Cort, Amat et Amat, Gens et Genus, Fervor et Fenor,
Enim et Gemini, Bis et Bise, Ars et Aries, Genus et Genor, De et
d'Est, Corde et Corde, Ferus et Fenus, Dicas et Dicat, Aqua et Aqua,
Actor et Actor.
Ces variantes font songer, toutes proportions gardées, à celles que
l'on peut observer entre les éditions des Prophéties
de Nostradamus.
Quelle
est la raison d'être de ces formes, qui sont un mélange de latin et
de français et dont aucune édition en une autre langue que le
français, ne nous est connue. Un manuscrit des Archives Nationales
nous apporte quelque lumière: «_Si est ordonné que la première
lettre de ces noms». Or, si l'on étudie les initiales de ces noms,
l'on découvre effectivement que certaines lettres sont récurrentes:
en fait toutes les initiales de ces 28 «_mots» se situent entre les
sept premières lettres A et G.
En
ce qui concerne l'ordre des planètes, il est assez aisé de déceler
le modèle sous jacent, c'est celui de l'ordre des jours de la
semaine: Lune (Lundi), Mars (Mardi), Mercure (Mercredi), Jupiter
(Jeudi), Vénus (Vendredi), Saturne (Samedi) Soleil (Dimanche/
Sunday) soit 4 séries successives: Années 1 à 7, Années 8 à 14,
Années 15 à 21, Années 22 à 28.
Quelle
est la cause de certains écarts par rapport à cet ordre ? On notera
d'emblée que la première année correspond à Fer et à Mars et non
au Soleil, et qu'il existe cinq séries au lieu de quatre, dont une
incomplète, ce qui amène à placer deux planètes pour une même
catégorie ou ailleurs à sauter une planète. Même un système
aussi simple peut se déstructurer en cherchant à subdiviser les 28
années en 5 au lieu de 4.
Il
est probable que Fer
ne fut pas toujours la première année mais qu'elle fut placée en
avant par un auteur qui avait commencé son étude par une année de
type Fer.
Crespin d'ailleurs affirme l'incohérence du système de Quirini et
lui substitue une suite débutant à juste titre par la Lune et se
terminant par le Soleil.
L'on
retrouve le même ordre - mais inversé - des planètes dans la
Préface
de Nostradamus à ses Prophéties:
«_Car
encore que la planète de Mars parachève son siècle à Et
maintenant que sommes conduits par la Lune à le Soleil viendra et
puis Saturne à
«_soit
Mars (Mardi) - Lune (Lundi) - Soleil (Dimanche) - Saturne (Samedi)»
Il
semble qu'à diverses occasions, le système cyclique que nous avons
analysé ait marqué certaines oeuvres.
La
Pronosticatio de Lichtenberger et le circle solaire.
Mais
ne conviendrait-il pas de regarder plutôt vers l'Allemagne que vers
l'Italie en matière de prophéties perpétuelles? Est ce que
l'Italie ne sert pas d'intermédiaire entre l'Allemagne et la France
tout comme la France entre l'Allemagne et l'Angleterre ?
La
Pronosticatione
italienne, dans ses dernières pages, est au demeurant le seul texte
que nous connaissions comportant des prophéties agricoles sur un
mode perpétuel mais elle est bien entendu d'origine allemande.
Toujours
est-il que l'édition lyonnaise de 1515 de la Pronosticatio
sera une des premières attestations de ce procédé. Le Mirabilis
Liber
en intégrant celle ci la diffusera un temps avant que dès la fin
des années Vingt une édition en langue française ne paraisse à
partir de l'édition lyonnaise. Tout le chapitre XIV de la dernière
partie en est plein sous le titre "Qu'aucuns climatz seront
vexez de diverses infortunes". Mais le procédé est quelque peu
différent de celui qui nous est familier dans la littérature
moultienne habituelle, l'on y aborde les années, deux par deux.
On
y lit "L'an mil quatre cens nonante deux & nonante trois
sera bon pris de vin & de bled en haulte Allemagne, en France, en
Angleterre & en Gaule belgique. (à). L'an mil quatre cens
nonante quatre et nonante cinq viendra cherté de bledz & de
poissons. (à). L'an mil quatre cens nonante six & nonante sept
(à) la laine sera chère, les Ouailles, les boeufz & les porcs
mourront, les métaux seront chers.à"
Puis
l'on passe à une étude pour trois années à la fois:
"L'an
mil quatre cens nonante huict, nonante neuf & cinq cens" (à)
pour revenir aussitôt après à la formule antérieure: L'an mil
cinq cens & un, cinq cens & deux (à). L'an mil cinq cens &
trois et cinq cens & quatre ". Puis l'on repasse à un
groupe de trois années: "L'an mil cinq cens & cinq, cinq
cens & six & cinq cens & sept". Puis l'on repasse à
deux ans "L'an mil cinq cens huict, neuf & dix. (..). L'an
mil cinq cens unze & douze etc"
Systèmes
donc différents au niveau numérique mais similitude au niveau du
contenu des prévisions qui, notons le, sont à la fois agricoles et
politiques comme le seront les Prophéties de Moult
Citons
le passage concernant les années 1496-1497 du même chapitre:
"L'an
mil quatre cens nonante six & nonante sept Saturne l'infortuné
vexera les royaumes de Pologne, de Bohème & de Hongrie. La laine
sera chère, les ouailles, les boeufz & les Porcs mourront, les
métaux seront chers. Toute malice de guerre s'esmouvera &
trouveront les hommes divers instruments de guerre & harnois &
se feront ioustes & tournois. Les loups feront plusieurs
dommages, tant aux gens qu'aux bestes. En Orient, seront plusieurs
brigans & homicides qui feront effusion de sang & sera
diminuée la foy. Les chevaux seront chers à cause de la guerre. Les
Ecclesiastiques réformés iront de costé & d'autre; & les
layz s'esiouiront". (p.89, Paris, Le Mangnier, 1561). On voit
que le politique fait bon ménage avec le champêtre et que l'on ne
peut guère dissocier l'un de l'autre à commencer par les prophéties
sur le Déluge.
Nous
pensons, comme nous l'indiquions plus haut, qu'avant l'arrivée des
écrits de Quirini, Georges en 1571, l'on avait déjà un avant-goût
du système d'origine allemande grâce à l'ultime chapitre de la
Practica
(GPW) abordée plus haut. En fait, ne serait-ce pas cette prédiction
perpétuelle qui expliquerait la fixation de la date relativement
lointaine figurant précisément à la fin de l'ouvrage et reprise
dans le titre de celui-ci ? Date qui varie au demeurant et qui ne
correspond pas nécessairement. C'est ainsi que dans l'édition de
1611, au début l'on nous annonce que l'ouvrage couvre une période
s'étendant de 1584 à 1682, alors qu'à la fin de l'ouvrage l'on
annonce comme date terminale 1572... De même, dans l'édition de
1515, si 1567 figure sur la première page, c'est 1576 qui apparaît
à
la fin.
En
revanche, la
Grosse Practica Wahraftige GPW
comporte les mêmes dates au commencement et à la fin, 1581, date
qui apparaît dans les
Auszüge
On
comprend mal comment dans les éditions tardives, le lecteur pouvait
trouver intérêt à des pronostics concernant la fin du XVe et une
partie du XVIe siècle, s'il n'était pas en mesure d'introduire une
cyclicité s'ajustant sur les années suivantes...
L'on
comprendrait ainsi pourquoi en 1866, les Prophéties
Perpétuelles
de Moult furent placées à la suite du Recueil
des Prophéties et Révélations.
En effet, il est clair que nous sommes en présence d'un système
cyclique. Au demeurant, la Pronostication
des Laboureurs
14dériverait
de la Bauern
Practica
allemande.
Par
ailleurs, dans les additions au Livre
Merveilleux,
pour l'an 1566, il est indiqué que l'on se trouve alors dans la
quatrième année d'un nouveau cycle de 28 ans.
L'origine
napolitaine de Moult
L'ouvrage
se présente d'emblée comme étant l'oeuvre d'un auteur italien. Le
nom de l'auteur,. Moult; - curieux nom pour un Napolitain mais à
l'époque la francisation des noms jouait à plein (Molto- moult) -
intriguera et suscitera diverses explications.
L'on
notera bien entendu que «_moult» est un adverbe et qu'il peut être
extrait du titre d'un ouvrage tel un opuscule «_moult utile». Voici
ce que suggère Charles Nisard, à partir d'un article de 1848 paru
dans le Journal
de l'Amateur de Livres:
«_Or
il paraîtra que ce nom n'est que le vieil adverbe français (moult)
passé à l'état de nom propre. Pour comprendre ceci, il faut se
rappeler qu'il parut au XVIe siècle une Prophétie de Thomas Illyric
traduite de l'italien. Le titre aura pu s'altérer dans les
réimpressions successives et entre les mains d'un éditeur peu versé
dans la langue du XVIe siècle les Prophéties de Thomas J. (Illyric)
Moult utiles... ont bien pu devenir les Prophéties de Thomas Joseph
Moult» (p.33)
Nous
avons trouvé un texte intitulé Copie
de la Prophétie faite par le pauvre Frère Thomas,
c'est à dire Tommaso Illirico, (BNF, Res, B.M. Lyon) parue au début
du XVIe siècle, mais sans la formule «_moult utiles»_ qui figure
peut-être dans une autre version. La référence à «_Illiric»
n'apparaît que dans le titre intérieur. Ce texte est de toute façon
sans aucun lien avec le processus des Prophéties
Perpétuelles.
En
dehors de l'intérêt de l'ouvrage et de son utilisation, c'est en
effet l'origine du nom de Moult qui nous occupera car le récit de
cette affaire est assez édifiant en matière de corruption de texte.
C'est
en fait du côté de Langres que nos recherches ont abouti. Il semble
qu'ait existé un Almanach
de l'Hôtel de Ville de Langres
dont les Prophéties
de Moult se seraient inspirées.
C'est
en effet dans cet Almanach
que le nom de cet auteur serait apparu, si l'on peut dire. Faute de
disposer de l'original imprimé, nous bénéficions de la
reproduction imprimée de certains passages d'une copie manuscrite
datant de 1693 sous le nom d'Almanach.
L'auteur de l'article omet de signaler que ce manuscrit était
vraisemblablement une copie d'imprimé.
L'on
peut donc présumer qu'en 1693 parut une édition de cet Almanach.
Ce qui retient notre attention est son auteur: Joseph de Naples dont
on dit: «_Si trouvons anciennement qu'il fut un philosophe, natif de
la cité de Naples, nommé Joseph,
moult
renommé...»_.
Selon
divers manuscrits du XVIIIe siècle, conservés à Chaumont et à
Langres, ce «_Joseph Napolitain» devint Joseph Moult de Naples.
Mais
il importe de mener plus avant notre recherche: pourquoi a-t-on
utilisé cette formule ? En effet, la Grande
Pronostication des Laboureurs
qui connaît un grand nombre d'éditions au XVIe siècle se présente
ainsi: «_Est à savoir qu'il a été un homme
moult
ancien appelé Heyne de Uré,, ou Heyne de Uri en fait de Uri (avec
des corruptions comme «_de Bré_» _ BNF, Res, pV 151). N'aurait-on
pas présenté ce Joseph de Naples, prétendu auteur d'une
Pronostication agricole de la même façon que cela avait été pour
cet astrologue allemand ?
L'édition
de 1740 fait remonter ce Moult au XIIIe siècle sous le règne de
Saint Louis. Nous disposerions ainsi d'un balisage annuel couvrant
des siècles puisqu'il se poursuit au delà de l'An 2000, méritant
ainsi assez justement son nom de «perpétuel» - et rien n'empêche
évidemment de poursuivre à l'infini une telle cyclicité - et
expliquant la durée de sa fortune qui ne s'est guère démentie.
Le
texte est au demeurant est d'intérêt purement agricole et
météorologique. Ce n'est que dans un deuxième temps que l'on
ajoutera un texte plus politique qui retiendra davantage l'attention
des exégètes modernes. Les Prédictions
générales
concerneront la météorologie et les prédictions particulières
les pronostications politiques. On notera que si les prédictions
générales sont identiques à travers les trois "livres"
qui constituent les Prophéties
perpétuelles, en
revanche, les particulières sont différentes d'un Livre à l'autre,
quand on compare les années portant le même vocable. Dans
l'introduction, il est précisé qu'il revient au lecteur "le
soin d'observer les années que (les prédictions générales)
doivent arriver & de faire ses remarques".
L'on perçoit donc comment une prophétie au départ assez innocente
a pu se muer en un propos plus exaltant. Il est à noter que sous
cette forme, les Prophéties
de Moult connurent, en plein XVIIIe siècle, un succès durable
d'autant qu'elles compensaient certaines carences des almanachs de
l'époque en matière prévisionnelle.
Alexandre
Volguine a préféré se servir pour son étude sur Moult d'une
édition certainement apocryphe, parue à Tours, au début du XIXe
siècle. Cette édition comporte entre autres invraisemblances une
interpolation de l'année 1608 au lieu d'une référence au XIIIe
siècle (1268): "Fait à Saint-Denis, en France, l'an de notre
Seigneur 1608 et du Règne de Louis IX (sic) notre très pacifique
Roi (..) par moi Thomas Joseph Moult"; on serait alors à la fin
du règne de Henri IV...
Volguine,
connaît les deux versions mais il est impressionné par le fait que
celle datée de 1608 serait forcément antérieure à celle datée de
1740:" L'édition de 1740 date directement ces Prophéties de
l'an 1268 et (à) sa première partie englobe l'époque de 1269 à
1520, c'est à dire 9 périodes de 28 ans mais quelle foi accorder à
cette date qui n'existe pas dans l'édition précédente?" (p.
VIII)
Avec
les Prophéties
Perpétuelles
de Moult, le cycle de 28 ans assume une dimension spécifiquement
agricole en plein coeur de ce XVIIIe siècle que l'on dit allergique
à l'astrologie. En 1866, paraissaient conjointement avec les
Centuries
et le Recueil mirabilien une réédition des Prophéties
Perpétuelles
de Moult, qui seraient parues pour la première fois en 1740.
Nous
n'avons pas retrouvé en dehors de France de telles publications,
malgré des origines déclarées italiennes, voire allemandes. Peu de
travaux ont été consacrés à l'histoire de ce genre, en dehors de
la notice d'Alexandre Volguine accompagnant une réédition tardive
des dites Prophéties .
Mais,
en tout état de cause, ce type d'ouvrage n'était pas nouveau -
sinon dans sa présentation globale - et est attesté dès la fin du
XVIe siècle, sans que l'on puisse pour autant remonter jusqu'à
Nostradamus auquel les dites Prophéties sont parfois attribuées. Il
est vrai que Michel de Nostredame parle dans sa Préface de
«_vaticinations perpétuelles».
Il
s'agit, on l'a noté, d'une astrologie d'un genre particulier qui ne
fonctionne pas sur la base des mouvements réels des astres, même si
elle s'appuie en principe sur le nombre lunaire de 28 mois transposé
en 28 ans. Chaque année lunaire porte un nom particulier et
correspond à un certain nombre de particularités météorologiques
et agricoles, appelées prédictions générales. A partir de 1740,
elles seront complétées par des prédictions particulières d'ordre
politique. Bien entendu, le processus est cyclique et chaque fois que
l'on revient à la même position, à 28 ans d'intervalles, la
situation est censée être la même. Tel est le principe des
Prédictions perpétuelles.
.
La
formule de la Prophétie dite Perpétuelle présente l'avantage de ne
pas être limitée au cadre annuel et de pouvoir être utilisée sur
une longue période et nous pensons que c'est un dispositif de ce
genre qui aurait pu accompagner la première publication de la
Préface à César dans la mesure où celle-ci se réfère à des
vaticinations perpétuelles. Ce genre l'emportera précisément au
XVIIe siècle sans qu'il soit attesté à l'étranger, ce qui
pourrait expliquer la différence de situation en France et en
Angleterre. La formule perpétuelle pouvait en effet aboutir à la
disparition pure et simple des publications annuelles alors qu'un tel
dispositif n'existait pas Outre-Manche.
Si
le nom de "Moult" n'apparait pas sur des imprimés avant
1740, le concept de prophéties organisées autour d'un cycle de 28
années, se précise dans la seconde partie du XVIe siècle en
rapport, on l'a noté, avec un certain Quirini. Il nous appartiendra,
à présent, de préciser la genèse du nom même de Thomas Moult.
Les
Prophéties
perpétuelles
de Moult, dans leur présentation intégrale, comportent trois
volets, un certain nombre de variantes seront signalées par la
suite. Chaque volet comporte 28 sections, portant un nom particulier.
Si l'on considère l'une de ces sections, l'on trouve 9 années
espacées de 28 ans. Le premier commence en 1269, à l'époque
présumée de leur rédaction. Et ainsi de suite pour les deuxième
(commençant en 1523) et troisième volets (commençant en 1773).
Quelles
furent en effet les raisons qui amenèrent les auteurs de cette
version à changer le point de départ de la computation ? Il
convient d'abord d'expliquer le succès d'un ouvrage offrant des
prévisions sur des périodes de temps aussi longues. Cela donne
certainement un crédit particulier au discours, qui se présente
comme systématique et comme s'appuyant sur une longue série de
recoupements. Il reste que lorsque l'on ouvre l'ouvrage, l'oeil est
plus spécialement attiré par les premières et par les dernières
lignes. En disposant comme ils l'ont fait les tableaux, ce sont les
années de la période révolutionnaire qui ressortent, ce qui ne
peut manquer de frapper le lecteur qui dispose ainsi d'un «_guide»
prédictif sur une trentaine d'années. Voilà qui valait bien un
léger remaniement !
Il
convient en effet de nous arrêter sur un tel procédé usant de la
topographie
du texte. Comment attirer l'attention du lecteur sur tel passage et
lui éviter de se perdre dans les méandres d'un ensemble touffu? En
disposant à des endroits stratégiques le propos à faire passer:
c'est ainsi que la charnière entre deux chapitres (fin de chapitre,
début de chapitre) est susceptible de retenir davantage l'attention.
C'est un tel procédé que nous pensons avoir pu observer dans
certaines éditions des Centuries
nostradamiques (cf infra). Une autre formule qui fut employée dans
les Centuries consiste à créer des anomalies comme de présenter
des centuries incomplètes dont le nombre de quatrains constitue une
incitation à s'intéresser à certains d'entre eux portant tel
numéro d'ordre.
Nous
étudierons d'une part les variantes et les corruptions du texte
d'origine puis la manière dont, en 1740, fut constitué tout à fait
délibérément un Abrégé,
typique d'une époque où la divination ne doit pas exiger de gros
efforts de lecture et de calcul.
Un
moyen simple de dater les textes astrologiques et notamment les
calendriers consiste à noter s'ils ont été ou non marqués par la
Réforme du Pape Grégoire XIII, consistant à passer du 10 au 20
énième du mois, du jour au lendemain, pour rattraper le retard pris
sur le cycle saisonnier avec la correspondance des fêtes. On ne
s'étonnera pas que les ouvrages immédiatement postérieurs, tel
l'Almanach
et Pronostication des Laboureurs
de Jean.Vostet Breton, (cf. infra) précisent que l'on a tenu compte
du «_retranchement». Il en sera également de même des éditions
du Kalendrier
des Bergers.
Si
le signe zodiacal est situé à la moitié du mois, c'est que l'on a
affaire à un texte antérieur à 1582 ou qui a été élaboré
alors, même si on le reproduit par inadvertance sans correction. Si
le signe zodiacal est situé dans le dernier tiers du mois, c'est que
la Réforme voulue par le pape a été suivie.
En
ce qui concerne le texte des Prophéties
Perpétuelles,
il apparaît que certaines versions offrent des traits archaïques,
marquent les signes zodiacaux à la «_mi» du mois.
Un
des traits de la modernisation des textes sera donc de faire
disparaître la forme «_mi Juin» ou «_mi Septembre». Dans les
Prophéties «perpétuelles» c'est dans l'introduction que le texte
devra être retouché.
«_Le
Printemps qui se commence quand le Soleil entre au signe d'Ariès qui
est le vingt mars (la mie mars) et finit le vint un Juin (la mie
juin)»
Mais
parfois l'ajustement ne se fait que partiellement et, au sein d'un
même texte, certains passages sont corrigés, d'autres non.
Toujours
dans l'Introduction,
on peut lire un peu plus bas ( Joseph Le Juste1807):
«_le
printemps lequel entre quand le soleil entre en Aries qui est environ
la mie Mars et trépassant Taurus et Gemini»
La
Réforme voulue par Pape Grégoire XIII n'a pas été sans perturber
l'activité astrologique. Ainsi, chaque mois se trouvait auparavant
dépendre à part égale de deux signes, si bien qu'une iconographie
les présentait de cette façon (cf. Kalendrier
des Bergers).
Avec la Réforme grégorienne, le mois se trouvait d'abord sous
l'emprise d'un seul signe dominant.
Etudions
les transformations subies par le texte initial restitué par Charles
Bougouin, sur un passage crucial, puisqu'il introduit l'auteur de ces
Prophéties:
«_Si
trouvons anciennement qu'il fut un philosophe, natif de la cité de
Naples, nommé Joseph,
moult renommé, grand clerc et subtil d'art d'astronomie»
Voilà
ce que devint le texte dans l'édition de 1807 sous le nom de Joseph
le Juste: la formule "moult renommé" y est notamment
rendue "bien renommé" (p.10), "grand clerc"
devenant "grand, clair"!.
«Premièrement,
que tout firmament marche su hâtivement, qu'il parfait son tour
selon l'ordre divin en l'espace d'un jour et d'une nuit, et la lune
en un mois, et le soleil met à faire son tour un jour et une nuit
sans nulle heure de faillir. Sy trouvons anciennement qu'il fut un
philosophe natif de la cité de Naples, nommé Joseph Le Juste, bien
renommé, grand, clair
et subtile d'astronomie, et soumis à faire son propre à ce qu'il
voulait sçavoir et éprouver les muances des biens corporels de
l'homme et de la femme, et dont sont substantées toutes choses
faites des quatre élémens; et pour se perfectionner dans son
dessein, il alla vers tous les clairs qu'il entendit parler, en
quelque part qu'ils fusent, et s'informoit et demandoit conseil de ce
qu'il avoit entrepris; et tout ce qu'il savoit et apprenoit, le
mettoit en pratique et par écrit; qui soutient et détermine en son
propre qu'ils en sçavoient la vérité, et fut bien long tems à
souffrir de la peine, dont à la fin il sçut les mouvemens des
quatre saisons qui sont établies en l'an, sçavoir:
LE
PRINTEMPS qui se commence quand le soleil entre au signe d'Ariés,
qui est le vingt-un mars, et finy le vingt-un juin.
"L'ETE
commence quand le soleil entre au signe du Cancer, le vingt-un juin,
et finy le vingt septembre.
"L'AUTOMNE
qui se commence quand le soleil entre au signe du Libra, qui est le
vingt septembre, et finy le vingt décembre.
"L'HIVER
qui se commence quand le soleil entre au signe du capricorne, qui est
le vingt décembre, et finy le vingt mars.
"Et
doit-on sçavoir que les quatre saisons sont mutables l'une envers
l'autre (à) car il arrive quelquefois que le printemps est sec et
beau en aucune année; avient qu'il est humide et grenable à tous
biens, et dit le Philosophe
que le printemps et l'été sont les deux saisons qui peuvent nuire
ou aider à tous les biens croissent, pour lesquels ont le pouvoir de
faire et de grener; que nuls biens ne peuvent subsister largement;
mêmement aussi il avient autre chose chacune en sa manière, selon
ce qui est ordonné pour le comportement de chacune année avenante
l'une après l'autre; sy comme nous deviserons cy-après, que le
Philosophe
approuva par son sens et sçavoir; et dit que la plante et deffaut de
tous biens prennent accroissement en mûrissant selon l'ordonnance
des quatre saisons, dont nous deviserons et derons mention de leurs
comportemens, selon ce qu'elles peuvent avenir l'une après l'autre
sans faillier, jusqu'à la fin du monde; car on doit sçavoir que
quand le monde du nombre faudront, toutes choses faites des quatre
élémens iront à néant.
Le
Philosophe
qui fit ce livre par son sens et sçavoir, étudia par plusieurs fois
sur cette manière selon le cercle solaire, et son père de même,
lesquel nombre solaire est bien certain, car il met à faire son tour
un an entier parmi les douze signes suivans:
Sçavoir:
ARIES
LEO SAGITTARIUS
TAURUS
VIRGO CAPRICORNUS
GEMINI
LIBRA AQUARIUS
CANCER
SCORPIUS PISCES
Et
sont les douze signes parmi lesquels le soleil fait son tour en
l'espace de douze mois de l'année qui sont divisés et établis, qui
se terminent en la datte du printemps, lequel entre quand le soleil
entre en Ariés, qui est environ la mie mars et tres passant Taurus
et Gemini.
"L'ETE
entre quand le soleil entre en Cancer, qui est la mie juin et tres
passant Leo et Virgo.
"L'AUTOMNE
entre quand le soleil entre en Libra, qui est environ la mie
septembre et tres passant Scorpius et Sagittarius.
"L'HIVER
entre quand le soleil entre en Capricornus, qui est environ la mie
décembre et tres passant Aquarius et Pisces, et finy la mie mars; et
quand le soleil a tres passé ces douze signes que nous avons
divisés, alors il parfait son tour à l'entour de la terre. Sçachant
que tous ceux qui voudront la subtilité et le droit entendement de
notre livre et matière, sçavoir certainement comme le soleil a son
tour sur les vingt-huit nombres solaires qui contiennent ces
vingt-huit années, a mis en cette manière:
FER..
GAR .. DUX .. CORT.. AMAL .. GENEUS .. FENOR .. GEMINI .. CONTINE ..
BIZE .. ARCE .. GENUS .. EST .. DE .. CORDE .. BOUR .. GENCE .. FENUS
.. GROSUS .. DICAL .. VEAULT .. AQUA .. GEUNER .. FENEL .. PAR à
CURITER .. BUNE .. ACTOR.
"Et
sy est ordonné que les premières lettres de ces noms qui sy sont
divisés par les dimanches selon les siècles solaires, dont je vous
les diviseray, et sur quoy notre matière est divisée, est arrivé
en propre lieu dont elle est sortie en telle manière qu'elle sera
divisée en ce livre, et en quel état bien des biens se comporteront
de chereté, ou de vilité, ou de mortalité.
"L'année
commancera son tour quand le soleil entrera en Ariés, qui est
environ la mie mars, et dont commencera le printemps, en laquelle
saison pouvoir et vertu de touttes choses terriennes renouvellent de
sa propre nature.»
Si
l'on comprend à la rigueur la leçon «_Moult», comment rendre
compte de celle de «_Joseph Le Juste» ? En réalité, le personnage
de Joseph Le Juste était déjà présent dans une certaine
littérature prophétique. Il s'agit du Joseph biblique - celui qui
interprétait les songes - censé avoir reçu une révélation d'un
Ange sur les bons et les mauvais jours. Dans nombre d'almanachs, une
page lui était traditionnellement consacrée.
Or,
la Prophétie
Perpétuelle
dut paraître, si l'on en croit les manuscrits, à la suite d'un
Almanach
comportant un tel document. Il est possible que l'on ait assimilé le
Joseph de Naples au Joseph Le Juste.
Mais,
d'une façon générale, le texte de Moult de 1740 semble être un
abrégé du document d'origine qui dut sembler trop pesant.
La
date d'impression
Il
semble bien que la première édition doive être datée de 1741. On
connaît nombre d'éditions portant cette date sur la page de titre
mais avec quelques variantes. La plus significative concerne la
mention du libraire: tantôt Pierre Prault (BM Lyon, B508 865),
tantôt Prault, père (BM Lyon, 808 552).
Le Privilège cite un certain Bellamy,. qui pourrait être l'auteur
ou l'adaptateur de cet Abrégé.
Il est intéressant de comparer le privilège accordé à Bellamy en
1740 avec celui qui le fut à Macé Bonhomme en 1555. Dans les deux
cas, il est accordé de publier un ouvrage dont le titre comporte
celui de l'auteur présumé: Abrégé. Il est intéressant de
comparer le privilège accordé à Bellamy en 1740 avec celui qui le
fut à Macé Bonhomme en 1555. Dans les deux cas, il est accordé de
publier un ouvrage dont le titre comporte celui de l'auteur présumé:
"
-
à J. F. Bellamy, "un manuscrit de sa composition Prophéties
perpétuelles par Thomas Joseph Moult"
-
à Macé Bonhomme, "certain livre intitulé LES PROPHETIES DE
MICHEL NOSTRADAMUS"
En Angleterre, également, le temps est aux prophéties «_à jamais»
d'un Erra Pater( texte d'origine française d'ailleurs sous le nom
d'Ezra), mais d'un genre moins sophistiqué. Tout se passe comme si,
au coeur du XVIIIe siècle, l'Astrologie avait surtout connu une
simplification extrême de ses techniques d'application, ce qui
impliquait un plus médiocre investissement de la part de ses
utilisateurs. Il est significatif que l'Astrologie météorologique
s'adresse prioritairement, par définition, aux campagnes.
Le
procédé des Prophéties Perpétuelles.
Sans
parler de supercherie, que penser de ces textes tout prêts que l'on
peut resservir périodiquement. C'est bien ce dont il s'agit avec les
Prophéties
du «_cercle solaire
du type Moult. L'on rédige 28 cas de figure distincts et en réalité
moins car tel cas renvoie explicitement à tel autre et l'on relie
ceux-ci à la suite infinie des années, la question étant de
déterminer un point de départ. Ainsi, pour Moult, celui-ci est 1268
sans que l'on nous en donne la raison.
En
fait, la seule originalité des éditions langroises est d'avoir
fourni les tableaux dont se servaient les astrologues pour leurs
prévisions au lieu de distiller des informations pour de courtes
périodes dans le cadre de «_prédictions» terme consacré pour
désigner l'emploi de ces cycles par opposition à Pronostication qui
implique une étude des mouvements planétaires réels. D'une
certaine façon, ces tableaux constituaient un secret de fabrication
des faiseurs d'almanachs comme, en son temps, celui du processus du
calendrier soli-lunaire chez les rabbins.
Bien
des pronostications ont été rédigées grâce à ces «_banques de
données».
C'est
ainsi que certains passages de Lichtenberger ne sont pas sans évoquer
le style des Prophéties
moultiennes par ce mélange de considérations météorologiques et
politiques.
On
notera que l'an 1521 qui débute le volet central serait à
rapprocher de la date de publication probable du Mirabilis
Liber.
«_FER,
Est
le premier nombre solaire qui aura cours pour les années
1521
1717 1913
Pour
..1549 1745 1941
Pour
..1577 1773 1969
Pour
..1605 1801 1997
Pour
..1633 1829 2025
Pour
..1661 1857 2053
Pour
..1689 1895 2081
Premièrement,
le Philosophe qui a mis notre mathiere en authorité, nous témoigne
qu'elle est une année qui arrive quand Fer fait son tour selon le
siecle solaire, dont le printemps est assez profitable à beaucoup de
biens terriens, sy feront les bleds bon commencement en fleurissant.
Le printemps n'est ny sec ny beau, puisqu'il est humide jusqu'en été.
L'été sera chaud et profitable à tout bled de la terre. L'automne
sera laide et bien hivernage, et fera mauvais hanter la mer en cette
année. L'hiver sera humide et bien hivernage, de grandes neiges
qu'il fera cette année. Au commencement de cette année fera bon
temps pour beaucoup de choses; les grains seront au plus bas, tant
que le printemps durera; celui qui aura des bleds fera bon profit de
les garder, jusqu'à ce que l'hermy soit dehors; les bleds seront
abondans, et beaux et bien sains; les avoines se tiendront bien
marchandes, et se tiendront à un prix, depuis le printemps jusqu'en
nouvelles. Au commencement de l'été, il fera bon acheter du vin de
Saint-Jean et de Champagne qui se puisse garder en leur bonté et en
leur force jusqu'à la fin, car tous vins qui se pourront garder et
se défendre de la chaleur de l'été monteront en grande cherté,
sitôt que l'on verra la venue des vignes, puisqu'il greneront,
viendront à basse preuve et seront mal profitables.
"En
cette année les seigles seront profitables à acheter en bien de
pays, car on les vendra mieux dans l'année à venir. Toutes
draperies seront chères et de requise. Les marchandises de laine ne
porteront point de profit aux marchands qui les viendront vendre. En
l'été ceux qui auront des cuirs, il leur sera profitable de les
garder jusqu'en hiver, car à la fin de cette année ils seront de
requise. En cette année seront profitables tous grains et seront
bons pour la chaleur de l'été; et les vignes seront belles et
bonnes, car elles auront un bon labourage; les voides se vendront
bien, et il y aura bonne récolte; les voides qu'on labourera en
première branche, se porteront tres bien, et il y en aura bonne
récolte; il fera bon acheter les premieres aussitôt qu'elles
viendront au marché, et l'on fera bonne emplettes; les moyennes
voides seront mauvaises et auront fausse récolte, et sera grande
plante de petites voides, et le tiers de ces voides ne seront pas
bonnes et ne pourront attendre d'être cueillyes de la première
cotte, car il sera grande plante; et cette année le mois d'aoust
sera chaud et bien profitable, et le bled sera assez en abondance;
mais ils ne seront pas bien profitables, car ils s'avalleront et ne
feront qu'abaisser à l'argent; et tous grains abaisseront à la fin
de cette année. Les vendanges de cette année seront assez
abondantes, et sera bien des petits vins de Beauvoisis et en France,
et auront mauvaise requeste, car ils seront verds et sans beaucoup de
vin, et feront dommage à tous ceux qui en auront; les vins vieux
d'Auxerre auront meilleure requeste que les vins françois, car ils
seront plus grands; les vins de meilleure boisson seront chers et
bien requis, et tous ceux qui en achetteront feront mauvaise
emplette. Les vins de Poitou et de Champagne seront plus profitables
que les vins de Saint-Jean qu'on achettera en vendange, car ils
porteront bonne acquets à tous marchands qui les vendront en hiver
et les pourront mener en la comté de Flandres et en la Normandie;
ceux qui vendront hâtivement en hiver porteront peu d'acquets, qu'au
change de printemps. Il y aura cette année des fourrages dont les
siècles en vaudront mieux. En cette année les bestes seront
constantes à hiverner, et il y aura de bons fourrages, et ils seront
chers. En hiver aura beaucoup de neige et bien hivernages, et tous
bestiaux auront peu d'acquets, il s'en faudra deffaire en automne".
L'abrégé
de Moult (Bellamy)
Prenons
le cas des années de type FENOR. Nous avons placé le texte de
l'édition de 1740 et entre parenthèses le texte dont il est issu:
«_La
présente année sera semblable à la première du nombre solaire
encore plus mauvaise. (cette année est plus vilaine que n'est la
première)
Au
Printemps, il fera bon acheter avoine car la plus grande cherté y
sera. (Au Printemps, il fera bon acheter de l'avoine à quelque prix
qu'elle puisse être car la plus grande cherté des grains, ce sera
des avoines)»
Autre
exemple: CONTINUO
«_En
cette année, le Printemps sera froid et nuisible, aux biens de la
terre. (En l'an du monde... le Printemps sera muable à bien des
biens terriens
L'Eté
sera venteux et pluvieux/ (L'Eté sera pluvieux et venteux)
L'Automne
sera humide et peu stable pour les vents (L'automne sera humide et
peu stable en beauté)
La
saison de l'Hiver sera humide et froide et nuisible à la santé (la
saison de l'hiver sera bien hivernache».
L'abréviateur
n'a conservé que les propos liminaires concernant les quatre saisons
et évacué l'essentiel du corps des 28 textes. En réalité, le
nombre de textes est moindre car il existe des relations entre les 28
années.
Dans
notre étude de l'Extrait
des Prophéties et Révélations des Saints Pères,-
(cf infra) il a d'ailleurs été question d'un vieil Ephéméride
du Grand Circle Solaire.
Il s'agit, à notre avis, d'une utilisation de tableaux comme ceux
qui figurent chez Moult. Il est dit dans ce passage que le dit
Ephéméride
compte pour année de douleur l'an 1617.
En fait, ces Prophéties
Perpétuelles
de Moult constituent un changement appréciable par rapport à une
littérature constituée autour d'un cycle de 28 ans, en raison de
l'adjonction de "prédictions particulières". qui
modifient le caractère agricole et commercial ("prédictions
générales") de cette littérature, au moyen d'une simple
addition en bas de page de quelques formules oraculaires, un peu à
la façon du calendrier des almanachs de Michel de Nostredame
Les
éditions postdatées des années 1740
Encore
faut-il précisément s'interroger sur les notations qui figurent en
bas de chaque tableau sous le nom de "prédictions politiques".
Comment a-t-on rédigé ces textes? On pourrait croire qu'il s'agit à
l'instar de la partie agricole, d'une série de formules récurrentes
et qui traitent de toutes sortes d'événements susceptibles de se
produire dans tel ou tel coin de l'Europe, en telle ou telle Cour. En
réalité, le texte est loin d'être aussi innocent qu'il y paraît
au premier regard. Sa crédibilité se fonde en fait sur un certain
nombre de corrélations délibérément introduites, en rapport avec
l'Histoire des siècles passés et dont il importe de déterminer le
terminus
ad quem.
L'ouvrage
se divise en trois parties et débute par le XIIIe siècle. Que sait
le lecteur moyen sur ces années 1200? Que Saint Louis est mort en
1270. Or 1270 est une des premières années prises en compte, en
haut de tableau, puisque la chronologie remonte à 1269. Que lit -on
en bas de page? "Mort d'un Saint homme Roy". Est-ce une
coïncidence? Certes, 1270 est situé en haut d'une colonne de dates
mais l'attention est évidemment captée par la première ligne.
"Plusieurs
cantons s'uniront et formeront une République considérable".
La première année mentionnée est 1287. En 1291, ce sera le Pacte
Perpétuel qui constituait plusieurs cantons en confédération
helvétique.
Signalons
encore pour le premier volet:
1491
"Découverte d'un beau pays". Il pourrait s'agir de
l'Amérique en 1492.
1498,
"Un grand Prince montera sur le trône". C'est le cas de
Louis XII, à la mort de Charles VIII.
1515,
même formule: avènement de François Ier, à la mort de Louis XII.
Passons
à la deuxième partie, qui débute au XVIe siècle:
1525:
"Un Roi fait prisonnier". C'est François Ier à Pavie.
1572
"Grands troubles dans un grand Royaume". La Saint
Barthélemy.
Mais
les correspondances valent aussi pour les siècles suivants:
1601
"La naissance d'un Prince dans une Grande Cour de l'Europe, y
causant bien de la joie". Naissance du futur Louis XIII.
1610
"Mort subite d'un grand Prince". Peut être l'assassinat
d'Henri IV.
1614.
"Une statue équestre sera érigée à l'honneur d'un grand Roi
dont la mémoire sera toujours précieuse à ses peuples".
Statue d'Henri IV sur le Pont Neuf.
1638:
"Naissance d'un grand Prince". Qui ne songe à celle du
futur Louis XIV?
1672:
"Fameux passage sur un grand fleuve" C'est le Passage du
Rhin.
1715:
"Mort d'un grand Roi". Mort du Roi Soleil.
Il
convient certes de faire la part des rencontres heureuses et de la
répétition de certaines formules. Il n'empêche que lorsqu'il est
question pour une série d'années comportant 1614 d'une "statue
équestre", formule qui n'est pas reprise à une autre occasion,
le propos devient univoque.
La
troisième partie débute avec 1773. Echéance bien lointaine pour un
ouvrage censé être paru en 1740. Cette partie devrait évidemment,
en bonne logique, cesser de nous offrir de telles perles. Les
corrélations suivantes pourront donc nous laisser quelque peu
perplexes:
1754:
"Naissance d'un grand Prince". On pense au futur Louis XVI.
1770
"Mariage d'un Grand Prince de l'Europe qui fera la joie et le
bonheur de son peuple". On évoque le mariage du même Louis XVI
avec Marie Antoinette.à
1773
"Un Prince dont la valeur & le courage imitera les Alexandre
et les César montera sur le thrône & son règne sera glorieux".
Annonce de l'avènement prochain de Louis XVI.
Voilà
qui indique les espérances autour du dauphin.
1774
"Un grand prince montera sur le trône". Avènement de
Louis XVI.
Lors
de l'avènement de Louis XVI, parut l'Horoscope
de Louis Seize, tiré de l'instant précis de sa nativité (le
8 juin 1774) qui dénote les grandes espérances qui s'étaient
greffées autour du nouveau roi:
"Depuis
près de vingt ans je garde l'horoscope
Du
plus grand Prince de l'Europe
Un
moderne Nostradamus
L'an
mil sept cens cinquante quatre
Sur
le Duc de Berry
Dressa
(..)
Son
thème au jour natal ce futur Titus
Le
thème est si bien fait qu'on n'en peut rien rabattre".
Il
eut été probablement vain, pour l'auteur des "prédictions
particulières" de relater par le menu les événements, année
par année. Mais celui-ci semble avoir souhaité renforcer la
corrélation pour l'an 1781. Qu'on en juge:
1781
"Naissance d'un grand Prince". C'est la naissance du
premier Dauphin, Louis-Joseph, qui décédera en 1789.
1781
"Changement de Ministre dans une Grande Cour" Démission de
Necker au mois de Mai.
1781
" Emotion populaire dans une grande ville". A Paris, le
départ de Necker est ressenti comme la fin des réformes.
1781
"Grande Guerre entre les Princes de la Chrétienté". La
guerre d'Indépendance Américaine.
1781
"Bataille gagnée", nous pensons à Yorktown en Octobre.
Les Anglais sont battus par les Franco- Américains.
On
dirait des manchettes de journal.
On
pourrait à la rigueur poursuivre jusqu'en 1783 avec "La paix
générale dans toute la Chrétienté": allusion possible au
traité de Versailles.
Certes,
les formules reviennent assez souvent mais il nous semble, à ce
stade, qu'il s'agit plus que de coïncidences d'autant que celles-ci
ne rendent plus compte des graves événements qui suivront, à
commencer par la Révolution. Ce texte ne semble-t-il point se situer
dans les années qui la précédèrent?.
1780-81
nous paraît une date assez vraisemblable: dans une édition de 1804,
on peut lire en avant-propos (p. 17): "En 1780, le hasard me
procura les prophéties de Joseph Moult". En 1781, parait un
ouvrage ainsi intitulé:
Les
véritables Prophéties de Maitre Michel Nostradamus pour quatorze
années, à commencer par cette année 1781 & finir en 1794. On y
connaîtra les années fertiles ou stériles, la température de
l'air, le prix des bleds, vins & cidres, & généralement
tout ce qui est nécessaire à tous Marchands & Laboureurs",
Rouen, Pierre Seyer ( BM Lyon, B 509 831.
Ce
type d'ouvrage correspond exactement aux prédictions générales de
cette littérature de prophéties perpétuelles mais cette fois c'est
le nom de Nostradamus qui lui est apposé.
Par
ailleurs, lorsque l'on examine les privilèges des diverses éditions
de 1741 conservées, on remarque des retouches assez grossières qui
font apparaître sinon des contrefaçons du moins des éditions
pirates.
Chacune
des éditions de 1741 comporte une série de trois dates: la première
(signée Simon) est celle de l'Approbation, la deuxième (signée
Sainson) du privilège, la troisième (signée Saugrain) celle du
registre de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires &
imprimeurs de Paris.
Pour
la première et la troisième date, nous disposons de deux mentions
différentes: dans un cas 30 novembre 1739 et...30 novembre 1740,
dans l'autre 17 janvier 1740 et 17 janvier 1741. En revanche, la date
du milieu reste inchangée, en toutes lettres: "treizième jour
de janvier, l'an de grâce mil sept cent quarante".
Nous disposons donc de deux séries:
30
novembre 1739
- 13 janvier 1740 - 17 janvier 1740
et
30
novembre 1740
- 13 janvier 1740 - 17 janvier 1741.
Il
semble logique de préférer la première formulation qui regroupe
sur deux mois les trois dates tandis que la seconde les regroupe sur
...dix mois. Les éditions comportant l'année 1741 in fine et une
approbation de janvier 1740 seraient des contrefaçons.
On
ne comprend d'ailleurs pas
a priori
pourquoi l'éditeur aurait sollicité une seconde permission
d'imprimer étant donnée que celle-ci lui avait été accordée pour
six ans. Un troisième document est daté de la 26e année du règne
de Louis XV, soit en effet 1740/41. Il est du 13 janvier 1740 et ne
sera pas modifié. Or, cette formulation est très proche de celle de
1268, relative aux années du règne de Saint- Louis, cinq siècles
plus tôt. On peut raisonnablement penser que nous avons là un faux
réalisé sous le règne de Louis XVI.
Qu'en
est-il en effet des adresses du libraire? La mention Pierre Prault
n'est absolument pas recevable en 1741. A part les Prophéties
Perpétuelles
qui se partagent entre ces deux présentations, toutes les éditions
Prault des années 1740 comportent la forme "Prault père"
tandis que la forme "Pierre Prault" n'est attestée que
dans les décennies antérieures. C'est ainsi qu'une prophétie
adressée par Bélier de St Brisson à Louis XV parut en 1716 chez
Pierre Prault (BNF, Lb38 72) et en 1744 chez Prault père (BN LB38
489). En conséquence les éditions des Prophéties
Perpétuelles
de 1741 avec la mention Pierre Prault sont des contrefaçons, ce que
vient corroborer l'affaire des dates des approbations et des
registres de privilèges. Mais dès lors on ne peut évidemment
exclure que les éditions "Pierre Prault" de 1741 soient
également des contrefaçons mieux conçues.
L'édition
de 1771
Pour
mettre un terme à notre perplexité, il importait d'accéder à
d'autres éditions que celles de 1741 et de la fin du XVIIIe siècle.
La Bibliothèque Mazarine conserve une édition de 1771( Cote 55450).
Elle serait parisienne sans que l'on nous précise le libraire et
vendue à Liège - ville qui n'appartient pas aux Pays Bas
autrichiens - par Clément Plomteux.
Or
cette édition de 1771 est absolument conforme aux éditions de 1741
et la thèse de la contrefaçon doit dès lors être strictement
circonscrite: certes, il y a eu de fausses éditions de 1741 avec
l'adresse de Pierre Prault, Pierre il y a eu des éditions comportant
des erreurs dans la date de l'approbation et de l'inscription au
registre. Mais les Prophéties
Perpétuelles,
malgré des corrélations frappantes, n'ont pas été réalisées
dans les années 1780, sauf à imaginer une quantité ahurissante de
contrefaçons.
En
ce qui concerne le recueil de 1866, publiée par le libraire Delarue,
comportant les Prophéties de Moult, l'exemplaire utilisé n'est
probablement pas de 1740. Le fait que l'Approbation soit de janvier
1740 se retrouve dans l'édition de 1771, alors que les deux autres
dates y ont disparu. Il semble qu'au delà d'une certaine date , on
n'ait conservé que les quelques lignes signées Simon.
On
assisterait donc avec ces Prédictions particulières à une
entreprise prédictive particulièrement efficace, apte à recouper
régulièrement des événements à venir encore que l'année 1789 ne
soit pas précisément signalée comme correspondant à de graves
événements. Il eût été malheureux d'en conclure que ces
corrélations avaient été mise en place après coup, d'où
l'importance en textologie de pouvoir consulter un ensemble aussi
riche que possible d'éditions. L'absence totale de noms propres, à
la différence des Centuries, facilite singulièrement les
rapprochements. Mais au lendemain de la Révolution, des remaniements
du texte moultien eurent bel et bien lieu qui n'occasionnèrent pour
autant que des tentatives très grossières de contrefaçons. En ce
qui concerne les fausses éditions de 1741, il ne semble pas qu'il y
ait eu d'autre enjeu que de rappeler que ces éditions étaient déjà
parues en 1741, ce qui était exact. Mais en voulant trop bien faire
et en se proposant de fabriquer des éditions anciennes, l'on
risquait de faire mettre en cause l'authenticité de toutes les
éditions de cette période.
Moult
et la Révolution
Les
Prophéties Perpétuelles
de Moult sont apparues pour certains comme un système pouvant
fonctionner sans l'aide des astrologues à l'instar des grandes
conjonctions. Une fois les tables mises à la disposition du public,
chacun était en mesure de juger par lui-même. Mais outre la
publication de ces tables, certains commentaires sortent du rang.
C'est ainsi qu'en 1804, paraîtront des Prédictions
générales, particulières et climatériques pour l'an douze
correspondant à l'an 1804 du calendrier grégorien à la suite des
Prophéties curieuses et intéressantes de Thomas Joseph Moult (BNF,
V 47283).
Voici
le récit de la «révélation» de l'auteur:
«En
1780, le hasard me procura les prophéties de Joseph Moult (à).
Quelle fut, dis-je, ma surprise, en parcourant l'ouvrage (à) de
trouver dans ces prédictions particulières qu'en 1791, sous
Grossus, le dix-neuvième
nombre solaire, il dit «Dans un grand royaume la roture sera
anoblie. Plusieurs cantons s'uniront et formeront une république
considérable». Qu'en 1792, sous Dicat,
le vingtième nombre solaire, il dit «Grands troubles dans une ville
capitale d'un grand royaume.». Qu'en 1798, sous Caritier,
le vingt-sixième nombre solaire, il dit: République souveraine,
reconnue par toutes les puissances de la terre. Qu'en 1801, sous Fer,
premier nombre solaire, il dit (à): Un grand homme, dont la valeur
et le courage imitera les Alexandre et les Césars, gouvernera une
grande nation, son règne sera long et glorieux (à). Je puis assurer
le lecteur que toute la Révolution y était annoncée entièrement.»
La
version corrigée des Prophéties de Moult
En
1807 parait le texte de Joseph Le Juste Joseph. C'est la seule
édition imprimée que nous connaissions de l'édition «longue»,
les autres versions ne nous sont parvenues que comme copies
manuscrites.
C'est
vers cette époque qu'a du paraître l'édition dont Alexandre
Volguine a donné la reproduction en 1941. Lors de la première
guerre, étaient parus en 1917 les Très
curieuses prophéties de Thomas Joseph Moult sur les événements
contemporains.
Réédition du livre imprimé (sic) en 1556 à Naples.
Il
s'agit d'une adaptation de l'édition de 1740 ayant pour but de mieux
s'ajuster aux événements révolutionnaires.
Contrairement
à ce qu'affirme Volguine, cette version n'est pas antérieure à
1740, mais postérieure, celle de 1740 étant conforme aux modèles
classiques. Les changements opérés ne visaient qu'à mettre en
évidence les années de la période révolutionnaire et
post-révolutionnaire. En effet, l'ouvrage comportant désormais deux
volets et non plus trois puisque commençant au XVIe siècle au lieu
du XIIIe siècle, l'oeil est attiré par la dernière ligne du
premier volet (1784-1811) et par la première du second (1812-1839).
L'on
peut même penser que cette nouvelle version serait postérieure à
1812. Voici le "véritable portrait de Thomas-Joseph Moult,
auteur de ces prédictions (à). La première partie commençait en
1560, la seconde en 1812 et finit en 2063". Cela a en outre
l'avantage de placer la mise en place du texte du temps de
Nostradamus, "vérificateur des prédictions de Thomas Joseph
Moult".
En
débutant en 1560 - au lieu de 1521 - l'on perturbait le système tel
qu'il avait été conçu et la correspondance des années. Geneviève.
Bollème laisse entendre que cette édition de 1560 serait la
première.
A
vrai dire, il n'est peut être pas si simple de trancher: certes, il
est des maladresses dans cette édition "1560" mais elle se
réfère à Frédéric II (de Hohenstaufen), formule absente de
l'édition du XVIIIe siècle. Or cet empereur, roi de Sicile, vécut
de 1194 à 1250, il serait donc mort peu de temps avant 1268 et Moult
ou celui qui correspond à ce nom, aurait pu être actif à sa cour,
ouverte aux occultistes, le royaume de Naples ayant partie liée à
celui de Sicile.
Ci-dessous
les «prédictions particulières» pour le début de ces 56 années:
1784
La
beauté du commerce et des arts fera briller tous les Etats.
Naissance
d'un grand Prince.
Grand
combat naval.
Grande
trahison exécutée.
1785
Institution
d'un grand Ordre de Chevalerie dans un grand Royaume.
Une
tête couronnée cédera le pas à une autre Couronne.
La
paix entre les Princes Chrétiens.
1786
Naissance
illustre dans une grand Cour de la Catholicité.
La
découverte d'une intrigue entraînera des suites fâcheuses après
elle.
Bien
des révolutions arriveront cette année dans un grand Royaume de la
Chrétienté.
1787
Un
grand Prince se séparera de l'Eglise Romaine.
Grande
trahison exécutée dans une grande Cour de l'Europe.
Institution
d'un grand Ordre de Chevalerie dans un beau Royaume.
Le
papier en grand discrédit
Naissance
d'un grand Prince dans une grande Cour.
1788
Changement
de Ministre dans une grand Cour.
Naissance
d'un Prince cher à la Patrie.
Grande
révolution dans le Commerce.
1789
De
grandes Révolutions arriveront cette année dans un des grands Etats
de la Chrétienté_.
Emotion
populaire dans un grand Royaume.
Grande
conspiration découverte.
1790
La
mort d'un grand Prince causera bien des troubles dans ses Etats.
Grande
trahison découverte.
1791
La
noblesse dans un grand Royaume donnera des marques à son Souverain
de son courage et de sa valeur pour le soutien de l'Etat.
1792
Fameux
combats où les généraux de part et d'autre se distingueront par
leur mérite et leur valeur.
Une
grande Princesse montera sur le Trône.
1793
Un
grand Prince montera sur le Trône.
Grande
guerre entre les Princes Chrétiens.
Bataille
gagnée.
Mort
d'une grande Reine.
1794
Grande
invention d'Art dans un grand et puissant Royaume.
Mariage
d'un grand Prince.
L'Eglise,
notre bonne Mère nous accordera de grandes indulgences.
Le
faux est des plus maladroits. On trouve à la fin du
Livre des Prophéties Perpétuelles la formule suivante: «Fait à
Saint-Denis en France l'an de notre Seigneur 1608 et du règne de
Louis IX, notre très pacifique Roi, le quarante deuxième par moi
Thomas Joseph Moult». Comment
1608 pourrait-il se trouver lié à Saint Louis, mort en 1270? En
tout état de cause, le nom de Thomas Joseph Moult n'apparut pas
avant le XVIIIe siècle.
Les
recueils de Prophéties Perpétuelles;
Outre
ces textes qui associent.Nostradamus; et Moult;, l'on trouve des
recueils qui évoquent ceux du seizième siècle: Prophéties
ou Prédictions perpétuelles composées par Pytagoras, Joseph. le
Juste;
,
Daniel le Prophète, Michel Nostradamus et plusieurs autres
philosophes; (1804,
à Remiremont) dans lesquels les noms d'Etienne de Prato, Seraphino
. Calbarsi Seraphino; et ..Guido ont été remplacés par celui de
.Nostradamus; qui n'y figurait pas initialement. En fait, Scheler;
signale au XVIIIe siècle, un
Almanach pour l'an 1769 ou pronostication perpétuelle des
Laboureurs. Avec les pronostications de Pitagoras en ses circules &
angles, de Joseph le Juste, Daniel le Prophète & autres. Avec
l'Almanach des Vignerons par Maître Antoine .. Maginu;
dit
l'Hermite Solitaire; (Rouen,
.Pierre Seyer; ).
Le
lien Moult-Nostradamus;
Dans
l'ouvrage paru à Tours (Impr. Mame et Peschard), l'on trouve un
«Portrait du fameux Michel Nostradamus, vérificateur des
prédictions de Thomas Joseph.Moult; » qui figurait déjà au XVIe
siècle dans un texte signé Lucas Tremblay, (1577) et au siècle
suivant chez ..Ligbéra de Vauréal;, , anagramme du libraire Troyen
Gabriel .Landereau, .
Il semble qu'à la suite de Rabelais, Antoine Couillard du Pavillon
ironise sur cette volonté d'avoir "réponse à tout" en se
servant d'un nombre limité de formules. Débat sur l'économie de
moyens que pose au demeurant le prophétisme:
"Or
ce n'est que folie à moy de cuyder dire tout ce qui adviendra car il
me seroit & à tous noz autres divinateurs du tout impossible. Je
dirais bien en general que morts de Princes, changemens &
mutations de regnes, pluyes, gresles, neiges, glaces, tonnerres,
orages, ventz & tempestes, guerres, famines, maladies &
pestilences, tant sur la mer que sur terre. Et par le contraire,
continuation de règnes, santé, prospérité, joyes, liesses,
richesses, amours & tous autres désirs & plaisirs mondains,
ne cesseront tant que le monde durera, de convenir ensemble; sans ce
qu'il en défaille un seul an, moys, semaine ne jour car toutes ces
choses à scavoir bonnes & mauvaises seront toujours concurrentes
& les uns & les autres régions de ce monde espandues"
Et
Couillard d'évoquer "un millier de resveries escriptes par nos
nouveaux prophètes", qui ne sont pas autant de quatrains mais
plutôt des formules oraculaires.
Pourquoi
Antoine Couillard ici encore, ne paraphraserait-il pas les termes
mêmes de Nostradamus comme il le faisait plus haut pour la Préface?
On en est à se demander si les Prophéties
Perpétuelles
de Moult que d'aucuns ont attribuées à Nostradamus n'ont pas
récupéré le texte des premières Prophéties de Nostradamus, tant
les expressions se recoupent. Pour preuve, on l'a noté, la parution
en 1866, à Paris, chez .Delarue un recueil comportant, à la fois
les Centuries et les Prophéties
Perpétuelles
de .Moult,
III
Un monde
prerevolutionnaire
Une
situation paradoxale caractérise la fin du XVIIIe siècle, aux yeux
de l'historien du prophétisme. C'est en effet vers cette échéance
que tout un courant prophétique s'était focalise‚ depuis le début
du XVe siècle, … la suite de Pierre d'Ailly. Bien plus, il est
avere‚ que les prophéties annonçant un bouleversement
considérable trouvent en cette période comme une confirmation, qui
fait oublier tant d'échecs et de fausses alertes. Et cependant, l'on
a coutume de considérer cette époque comme marquant un reflux de
l'astrologie.
.
En d'autres termes, la victoire du prophétisme français survient
trop tard alors que structurellement la culture européenne a évacué
les spéculations astro-prophetiques de son système de références.
Si cette conjonction entre la prophétie et l'ev‚nement avait eu
lieu à la fin du XVIe sicle, en cette année 1588 par exemple
associée abusivement au nom de Regiomontanus; l'histoire du
prophétisme en aurait ete‚ changée.
En tout état de cause, même si la prophétie antéchristique
alliacienne se voyait confirmée à la lettre puisque la Révolution
Française est datée de 1789, de la Prise de la Bastille, il fallait
battre le fer tant qu'il était chaud et profiter de ce crédit pour
peser sur les événements à venir: c'est ce que pensèrent les
exégètes du XIXe siècle directement en prise, au demeurant, avec
le politique.
Joseph
de Maistre rappelle Thomas Kselman15
, dans ses Soirées
de St Petersbourg (XIe
dialogue) parues en 1821, regrettait la carence des prophéties au
XVIIIe siècle. On peut en effet penser que certaines prophéties
auraient su mettre en garde la monarchie mais aussi que celle-ci
aurait maintenu un empire mieux assuré sur le peuple. Le
refoulement, jusque à la Révolution, des prophéties politiques au
XVIIIe sicle - nous les distinguons des prophéties religieuses de
type figuriste - a pu en effet perturber l' écosystème politique
français.
A
priori, toute prophétie concernant la Révolution la précède..
Certes, cette prophétie sera parfois découverte à l'occasion de
celle-ci, mais elle ne peut que lui être antérieure... Il importe
donc de la présenter comme telle.
C'est
ainsi que la Prophétie de Saint-Cesaire" d'Arles aurait été
trouvée à sa mort, dans les papiers du dernier archevêque
d'Arles, Mgr Du Luau, lors des événements de 89. Encore ne faut-il
pas confondre ce texte avec une autre Prophétie de St Cesaire, qui
n'est en fait que la Prophétie de Vatiguero; de .Jean de
Vatiguero-Bassigny;, issue du Mirabilis Liber". On comparera
plus loin avec le récit de la découverte des Prophéties
olivariennes sous la Restauration.
A
Les prophéties et les Jésuites (1762-1772);
La
dispersion des Jésuites, en France, dans les années soixante,
provoqua de la part de ses membres une certaine fièvre prophétique
comparable, toutes proportions gardées, à… celle des protestants
face … l'Edit de Nantes, au siècle précèdent. et à… celle
des Jansénistes gallicans qu'ils avaient tant combattus quelques
décennies plus tôt, notamment …à travers le Figurisme, ces
derniers prenant ainsi leur revanche
La
persécution alimente un certain prophétisme. En 1773, allait
intervenir la suppression totale de la Compagnie par le pape.
En
1789, l'on se souviendra de certains textes qui pouvaient constituer
un projet de charte des droits de l'homme contre l'absolutisme. L'on
publie donc un texte censé être paru à Nomopolis (Nîmes, ville
de tradition reformée) chez Aristotechne intitulée reprenant une
formule chère à ..Du Moulin et à .Jurieu, “Accomplissement de
la Prophétie politique faite en 1772 ou les vrais principes de
gouvernement dans les corps politiques contre les erreurs et la
bassesse des nomoclastes ou briseurs des lois. Compose en Février de
1772 et imprime pour la première fois en Octobre de 1789. par M.L.R.
(BNF).
En
1772, un an avant que le Pape Clément XIV, à la solde des Bourbons,
ait été poussée avec le Bref "Dominus ac Redemptor",
à… supprimer l'Ordre dans les pays catholiques, était paru déjà
un Accomplissement des Prophéties pour servir de suite à l'ouvrage
intitulé le Point de Vue" (BNF, Ld39 571 et 570), texte hostile
aux Jésuites
.
Or, les "prophéties de Bernardina (Renzi), note Caffiero,
concernant la mort prochaine et imprévue de Clément XIV, en
punition des mesures contre les jésuites (..) furent reprises et
utilisées (en vue de) démontrer le lien de cause à… effet entre
la suppression de la compagnie de Jésus et la Révolution." De
fait le pape mourut dès 1774
Sainte
.Hildegarde; de Bingen (1098-1179) figure dans la polémique autour
des Jésuites et notamment par .Lacunza;: "Prophétie de
Sainte-Hildegarde, abbesse du Mont Saint-Robert dans le Palatinat,
appliquée aux Jésuites par D. Jer. Bapt. de Lacunza de l'Ordre de
Saint-Dominique depuis Evêque d'Albarrazin et de Balbastro"
(BPR, LP 582 (24)
En
1769, parait à… Londres, au sein d'un recueil de pièces
diverses, l'Evangile du Jour. (BNF, D2 5300). On y trouvait un texte
prétendument écrit en 1530, intitulé "La Prophétie de la
Sorbonne" accompagné d'un certain nombre de commentaires. On
l'aurait trouvé au tome premier (p.117) des manuscrits de Baluze; .
.
En voici un extrait:
"Henri
quatre tu maudiras
Quatre
fois solennellement
La
mémoire tu béniras
Du
bienheureux Jacques Clament"
Comment
imaginer un instant une telle précision en 1530! Nous ne savons pas
à… partir de quand cette "prophétie" circula, peut-être
sous la Ligue.
En
réalité, le but de cette publication, … la fin du XVIIIe sicle,
est, tout en s'efforçant de montrer qu'il s'agit d'une prophétie
ayant déjà… fait ses preuves, d'annoncer la déconfiture des
Jésuites
"Les
Jésuites remplaceras"
Commentaire;
"C'est ce qui vient d'arriver et ce qui désormais arrivera
toujours"
Les
attaques contre les Jésuites et leur pouvoir immense et secret ne
sont pas sans annoncer celles contre les Franc Maçons et les Juifs,
comme en témoigne l'Essai sur la secte des Illuminés du Marquis de
.Luchet; (1792, BNF, R 42346) cf Le
sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle,
Feyzin, Ed. Ramkat, 2002
B
La comète de Lalande. 1773.
Tout
au long du XVIIIe sicle, les comètes avaient maintenu une certaine
pression sur les imaginations. Ainsi, la longue attente pour 1758 de
la comte annoncée en 1695 par l'Anglais Edmund .Halley, et qui
était visible de la Terre tous les 75-76 ans. On attendait donc le
retour de celle qui était passée en 1607 et 1682. Et on crut la
percevoir en septembre 1757 mais c'était une fausse alerte; il
sembla que la fameuse comète n'était pas cette fois au rendez-vous
jusqu'à ce que le Français .Clairaut; révisa tous les calculs et
c'est finalement le 15 Mars 1759 que l'on put observer la comte dite
de Halley. L'on pouvait certes tenter de censurer certains textes,
l'on ne pouvait éliminer les comètes et avec elles une attitude
millénaire à… leur endroit
.
Comme l'année 1757 avait été assez malheureuse pour la France, les
victoires du roi de Prusse et l'attentat de Damiens contre la
personne du roi purent âtre rapprochés, sur le moment, de
l'apparition vite démentie d'ailleurs de la comte en cette année
l….
Le
phénomène le plus marquant de la période pre-revolutionnaire qui
mit l'opinion dans un état d'excitation occasionnant des réactions
et des tentatives d'apaisement se produisit une quinzaine d'années
avant la prise de la Bastille, coïncidant d'ailleurs avec
l'avènement de Louis XVI, l'année suivante. Il ne semble pas que
l'on ait tenu compte, parmi les historiens des sources occultistes de
la Révolution de cet épisode qui devait encore être resté dans
bien des esprits en 88-89.
En
cette année 1773, le public est alerté par les propos d'un
astronome qui s'était illustré en fixant la date du retour de la
comte de ..Halley, dans les années cinquante, ..La Lande, membre de
l'Académie des Sciences, par ailleurs fort ouvert aux idées du
futur auteur de l'.Origine de tous les cultes, Charles Fran‡ois
.Dupuis, Une rumeur laissait entendre qu'une prochaine comte, aux
dires de l'académicien, pourrait provoquer une catastrophe. Aussi,
..La Lande; se sentit-il obligé de publier un texte pour calmer les
esprits. Il n'y parvint guère. Voilà… ce que l'on peut lire dans
un périodique du temps qui fait le compte-rendu de ses Réflexions
sur les Commets qui peuvent approcher de la Terre":
Il
faut pourtant convenir que les premières pages de ses Réflexions ne
sont point du tout propres … rassurer les trembleurs. Le savant
Astronome nous apprend qu'il n'y a encore qu'une soixantaine de
Comètes qu'on ait observées de manière … pouvoir les
reconnaître, lorsqu'elles redisparaitront. Il a voulu savoir si dans
ce nombre il y en avait quelques unes dont les noeuds tombassent à
peu près sur la circonférence de l'orbite terrestre et il a trouvé
qu'il y en avait huit qui en différaient assez peu, en sorte qu'il
est possible que, dans la suite des mouvements de la Terre & de
ces différentes Commets, il s'en trouve une qui se rencontrant dans
son noeud, lorsque la Terre y passe, la choque ou la déplacé,
l'entraîne ou en soit entraînée & consomme enfin cette grande
révolution qui serait pour le genre humain l'accomplissement des
sicles ou le commencement d'un nouvel ordre des choses (Année
Littéraire, 1773)
L'on
est frappé par les formules utilisées et notamment par l'emploi du
mot Révolution comme si l'opinion-une fois de plus- était prête à
voir le monde parvenir à son terme, en dépit des efforts du Siècle
des Lumières et de l'Encyclopédie.
Il
est toutefois évident que le mot n'a pas le même sens avant 1789 et
après. Avant 1789, il s'agit d'une expression abstraite, quasi
métaphysique. Après 1789, la Révolution constitue tout un
programme pour ceux qui y font référence. 1789 a modifié, par la
combinaison de situations, le contenu sémantique du mot.
Bien
plus, Voltaire, qui est à la fin de sa vie, va participer à cette
polémique, ce qui provoquera une Réponse
à la Lettre sur la Prétendue Cométe", lettre
datée de Grenoble le 17 mai 1773 et imprimée dans le Mercure de
juin de cette année. Cette mise au point à cette Lettre est datée
du 10 octobre et signée Chevalier de. Cintres; ¯ et parait
également dans l'Année
Littéraire
de Fréron.
"La
Lettre sur la Prétendue Comète a été mise toute entière dans le
Journal Encyclopédique et même ce petit chef d'oeuvre a été
imprimé à part, ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on lit au
frontispice PAR M. DE VOLTAIRE. Je l'ai lue et je la crois en effet
de lui. (...). D'un autre coté, quand vous aurez lu, Monsieur, la
Réponse dont il s'agit, vous douterez que M. de Voltaire ait écrit
la Lettre de Grenoble & (..)‚ soit d'un génie aussi sublime
(...)J'apprends dans le moment qu'on a imprimé dans le Journal
Politique une Lettre où l'on avance que les astronomes ont jugé
que l'auteur du Mémoire (La Lande) s'était trompé dans ses calculs
et dans ses résultats (..). Le même Journal porte que l'Académie a
désavoué le Mémoire de M. de .La Lande;. Il faut être bien peu
instruit des usages de l'Académie pour avancer un pareil fait.
L'Académie a plusieurs fois déclaré qu'elle ne regarde point comme
son propre ouvrage ceux que les Académiciens lisent dans ses
Assemblées, ni même ceux qu'elle fait imprimer dans le recueil des
Mémoires qu'elle publie tous les ans... (..). Je ferais une lettre
plus longue que celle de l'Anonyme (Voltaire?) si je relevais toutes
ses bévues.
Or,
dans cette Lettre de Grenoble qui est ainsi stigmatisée, il est fait
référence à l'attente d'une fin du monde. Cette fin du XVIIIe
siècle ne se déroule donc pas tout à fait sous le signe de la
serenité et les Lumières ne sont pas toujours celles que l'on
imagine .
Lorsque
la Révolution éclate, la comète de 1773 n'a pas été oubliée
pour tout le monde. Un sourd-muet, Esope .Desloges, publie en 1790 la
Prédiction
des astronomes sur la fin du Monde accomplie ou la regeneration de
l'Europe en travail"
qu'il dedie à La Fayette (Paris, Garnery, BNF, Lb39 4466):
"La
voilà donc accomplie cette fameuse prédiction de la destruction de
ce monde annoncée par les astronomes. Elle est arrivée à point
nommé, à l' époque désignée. Tout le monde se rappelle (et les
femmes et les esprits faibles en tremblent encore) qu'il y a environ
quinze ans que des astronomes, des savants, qui savent lire dans les
astres aussi clairement que les m‚decins dans le corps humain ont
aperçu dans cette région nommée le ciel un signe céleste inconnu
qui leur a présagé, pour le neuviéme lustre de ce siécle, une
commotion terrible, un bouleversement général, en un mot la
destruction de notre globe. Mais pour le coup, la science... s'est
trouvée en défaut car ils n'ont pas deviné que ce signe céleste
était le fanal de la Liberté‚ qui présageait non la destruction
du monde mais sa régénération.
Avec
la Cométe de 1773, l'ironie de la situation tenait au fait que
l'Acad‚mie des Sciences-qui ne voulait point de l'astrologie en son
sein-se trouvait compromise dans une affaire de prédiction
alarmiste, comme en témoignent ces Réflexions
d'un homme de bon sens sur les cométes & sur leur retour ou
préservatif contre la peur
(1773), plutôt aigres sur le crédit à lui accorder.
"J'ai
longtemps envisagé comme un paradoxe étrange ce qu'osait avancer le
célébre Jean-Jacques Rousseau qu'il y a plus d'erreurs dans
l'Académie des Sciences que chez tout un peuple de Hurons.
L'événement prouve aujourd'hui que cet éloquent‚écrivain ne
s'est pas tout à fait tromé‚. Une terreur panique se répand
dans toute l'Europe à l'occasion de la cométe annoncée pour un
jour préfix & que le peuple attend le 2 octobre prochain. Les
ignorants ajoutent foi sans examen aux décisions trop incertaines de
nos profonds calculateurs; les savants, trompés eux mêmes par un
appareil imposant d'algébre & de géométrie ne sont pas exempts
d'effroi. (..) Au reste, il faut avouer que M. de Lalande est la
cause innocente de l'alarme qui s'est répandue en Europe"
On
parle de Jean Jacques Rousseau; mais. Voltaire fut, on l'a noté,
beaucoup plus actif dans l'Affaire de la Cométe fantôme de 1773.
Un de ses amis, Bricaire de la Dixmerie; ironisera sur cette cométe
mais n'en publiera pas moins en 1775 une Sybille Gauloise"
(BNF), au lendemain de l'avénement de Louis XVI.
L'écho
de la "Prophétie" de La Lande dépasse les frontières du
français. A Groningue parait un Planeet
of Orakel (..) uit de Astronomische Waarneemingen van den Herre La
Lande in Vrankryk (à) als of de Waereld op Zondag den 8ter Mei 1774
vergaan zou"
(Bibliothéque Royale La Haye).
Encore
en 1788, le chevalier Cosquinet de la Roche s'en prendra lui à la
Lettre
à M. de La Lande au sujet de la cométe qui doit embraser la Terre
suivant la Prédiction trouvée dans une Centurie de Nostradamus".
Au Palais Royal. Au café du Pavillon le 17 Mars (Paris, Ruggiery).
L'auteur
eut l'idée de ce texteà la suite de la parution d'un Billet
d'assurance "que (La Lande) a fait insérer dans le Journal de
Paris du 15 mars dernier". La Roche y fait allusion non
seulement à la Cométe de 1773, mais à l'Eclipse de 1764, ce qui
occasionna alors la réédition d'un texte de Chapelle; sur
l'Eclipse de 1654.
. La
Roche; - ne se contentant pas de la présence de 1792 dans l'Epître
à Henri II - propose une Prédiction qu'il prétend de
.Nostradamus, en cinq vers:
En
l'an ne loin de mil sept cent nonante
Vingt
Neuf de Mai ou tout à moins le trente
Moult
Charrivar'en terre arrivera
Par
grand Cométe à queue étincelante
Qui
la moitié du monde retira.
Et
l'auteur de comparer l'époque à celle qui précéda le Déluge...
Cette
histoire laissera des traces bien au delà, puisque dix ans plus
tard, dans La Comète en vaudevilles", l'on place La Lande au
même niveau que le Grand Albert, le Grand. Les astronomes ne
jouent pas impunément aux prophetes de malheurs. L'on peut penser
que, quelque part, les astronomes étaient tentés de remplacer les
astrologues, d'où notamment les noms mythologiques qu'oils
distribuent auix nouveaux astres au point de constituer ainsi les
bases d'une astrologie moderne.
La
prophétie Turgotine
Ce
texte qui circula dans les "feuilles périodiques des années
1778" semble annoncer avec une certaine précision les
événements révolutionnaires. Certains ont essayé d'expliquer de
quelle façon certaines prophéties ont pu se réaliser.
L'explication maçonnique a séduit un chanoine Mazzarelli;
".
En fait, certains textes ne seraient que l'expression de plans
subversifs qui furent menés à bien. Pour Wurtz, les sociétés
secrétes n'auraient pu parvenir à un tel bouleversement sans une
aide supérieure: "Si le Grand Orient visible à l'époque de la
Révolution n'eût pas été secondé par le Grand Orient invisible;
si le maître des démons n'eut pas été à la tête du complot,
les Français (..) se seraient ils tout à coup portés à des
excés si monstrueux?" (pp. 102-103)
Dans
les années Quatre-Vingt, paraissent des Prophéties Perpétuelles de
Moult; datées de 1740 ayant annoncé l'avénement de Louis XVI
(1774) et les événements de 1781: naissance du dauphin, victoire de
Yorktown etc. L'Abbé .Barruel; est l'auteur d'une Ode
sur le glorieux av‚nement de Louis-Auguste au trône, présentéé
à la Royne, Paris,
Valade, 1774, BNF, Ye 14898, genre dont la dimension prophétique est
quelque peu factice.
1785
et le retour de Regiomontanus;
Il
convient de se reporter aux prophéties léovitiennes consacrées
à la fin du XVIe siècle et notammentà l'..Annus
Mirabilis
de 1588. Or le texte latin en question connaîtra une seconde
carrière à la veille de la Révolution de 89
En
1785 parait dans un journal allemand (Hamburger Correspondenz,
article "Prag" du 20 janvier) la nouvelle selon laquelle on
aurait troué‚ sur le tombeau de l'astronome.Regiomontanus à
Lizka, en Hongrie, sous domination autrichienne, une pseudo Prophétie
de Regiomontanus; désignant l'an 1788.
La première dénonciation à… propos d'une manipulation vient
d'un pasteur allemand,. Ehrhardt; (de Beschine); "Widerlegung
einer vermeyntlich neuen Prophezeyhung" vom Untergange der Welt
im künftigen Jahr 1788", Journal von und für Deutschland,
c'est-à-dire "Réfutation d'une nouvelle Prophétie de la Fin
du Monde pour 1788". Le subterfuge est donc dénoncé dès 1785.
En tout ‚tat de cause, il n'est pas question de la France: un
astrologue allemand qui a proph‚tis‚ dans sa langue touche
d'abord des Allemands. Mais la France a très souvent ‚t‚ marqu‚e
par les proph‚ties venues de l'Est et notamment par le biais des
protestants un siècle plus t“t (cf supra). Ce pasteur Ehrhardt est
l'auteur d'une thèse sur Regiomontanus (Göttingen, 1755) et donc
bien placé‚ pour noter que l'on a substitué‚ 1588 par 1788...
Il se réfère à un texte intitulé Vaticinium Io.
Regiomontani de interitu mundi,
dans lequel était écrit Post mille expletos a partu Virginis
annos/ QUINGENTENOS rursus ab inde datos/ Octuagesimus octavus
mirabilis Annus... Or, le texte prétendument trouvé sur la tombe de
Johannes Müller est ainsi tourné‚ Post mille expletos a partu
virginis annos/ Septingenos rursus abinde datos /Octuagesimus octavus
mirabilis annus (Après mille ans accomplis depuis l'enfantement de
la Vierge et que, de plus, sept cents ans se seront écoulés, la
quatre vingt huitiesme année sera une année bien étonnante et
entraînera avec elle de tristes destinées, traduction in Fin des
Temps" de Collin de Plancy, 1840). Il est à noter que le latin
était encore fort pratiqué au sein de la noblesse hongroise de la
fin du XVIIIe siècle.
Le
Mercure
de France
du 19 février 1785 reprendra en tout cas l'information annon‡ant
1788, mais sans signaler les mises en garde du pasteur .Ehrhardt; .
Ce n'est que dans les années 1820 qu'.Hemey d'Hauterive dans une
note compl‚mentaire à un article consacré à Gaspard Brusch,
se fera l' écho d'une contestation due à un auteur dont il ne
donne pas le nom. Ses informations sont d'ailleurs erronées:
Vers
le milieu du siècle dernier on imprima dans le Mercure
de France
et 25 ans après Fréron réimprima dans ses feuilles une Prophétie
en 8 vers latins qu'on prétendit être trouve à Lizka... A
l'époque de la Révolution, on rappela cette Prophétie et mille
bouches la repeterent.
En
réalité, l'annonce ne parut qu'en 1785 (et non en 1775) et ce fut
en raison de la proximité avec l'année considérée. On se
passionne souvent moins pour le long terme. Et le Mercure
de France tout
comme l'Année
Littéraire
de Fréron; s'en firent l'écho la même année.
Echo
assez lointain d'ailleurs, du point de vue fran‡ais, dans le
Mercure:
On
conjecture que la constitution de Hongrie subira bientôt de grands
changements et qu'on la réduira à la même forme que le reste de
la Monarchie Autrichienne.¯ De fait, l'Empereur Joseph II, frère de
Marie Antoinette, avait vainement souhaité, dans les années
quatre-vingt, modifier l'ancienne constitution du pays dont il était
le roi, changer le statut des serfs, ce qui y provoqua le
mécontentement de la noblesse hongroise
Nous
nous trouvons là encore une fois face à un excellent exemple de
ces changements mineurs permettant de réactualiser un texte. Il est
fort peu probable qu'un tel "faux" ait eu une influence
comparable à celle de l'original, à l'approche de 1588. On ne
trouve en effet aucune protestation significative en vue de calmer
les esprits. C'est plus tard que cette prophétie figurera en bonne
place dans les recueils prophétiques, entre autres curiosités.
Force est donc de constater que les trois prophéties recoupant la
période révolutionnaire, 1788 (Regiomontanus; ), 1789 ( Pierre
d'Ailly ), 1792 (.Nostradamus; ) sont toutes trois le fruit d'erreurs
de calcul ou de manipulations...
. Lecanu;
signale d'ailleurs un ajustement supplémentaire:
"Post
mille expletos a partu Virginis annos
Et
septingentos rursus ab orbe datos
Octuagesimus
et nonus mirabilis annus"
Ce
qui fait apparaître l'an 1789...
Rien
d'extraordinaire d'ailleurs, a priori, à ce qu'un auteur du XVe
siècle comme Johannes .Müller, dit Regiomontanus; ait pu calculer
longtemps à l'avance une telle échéance mais nous savons qu'il
s'agit d'une attribution infondée qui se développa dans les années
1560 : les astrologues du Moyen Age n'avaient-ils pas annoncé la fin
du monde pour le XVe siècle, tel Abraham Ibn Ezra; astrologue Juif
du XIIe siècle?
Comparons
les deux versions:
"Post
mille elapsos a partu Virginis annos
Et
post quingenta (500).. "
devient:
"Post
mille expletos a partu Virginis annos
Et
septingentos (700) rursus ab orbe datos
Octuagesimus
octavus, mirabilis annus"
Tausend
sieben hundert achtzig acht
Dis
ist das Jahr das ich betracht
Geht
denn die Welt nicht unter
So
geschieht doch gross Wunder
soit
une déformation du texte allemand précédemment cité
Holzhauser
et l'année 1787
Il
semble qu'il faille rapprocher de la prophetie
pseudo-regiomontanienne pour 1788 une prophetie censée dater du
milieu du XVIIe siècle et qui aurait été due à un certain
Bartholomas Holzhauser.
Millia
tum sexcenti anni, nonagintaque septem
Adde
novem decies, tunc venit ista dies¯
et
que l'on ainsi traduite en français:
"Que
l'on ait mille et six cents/ Et Quatre Vingt Dix Sept, ajoutez neuf
fois dix, c'est alors que vient ce jour o- les compagnons d'Elie, de
Paul et les Frères Mineurs seront privés de leurs cloîtres etc"
On obtient en faisant le compte: 1787.
Ce
texte aurait circulé en Autriche à l'instar de celui retrouvé sur
la tombe de Regiomontanus. Fortement marque par la prophetie
pseudo-malachienne, il fera carrière sous la Restauration. Il est
pour le moins étrange que les devises auxquelles le texte
s'intéresse correspondent précisément aux papes de l'epoque.quand
on sait à quel point le deroulement de la liste pseudo-malachienne
est aléatoire.On pense donc … un faux que l'on peut dater selon
les devises pontificales.(cf J. Halbronn, Papes
et prophéties,
op. cit.)
A
l'autre extrémité de l'empire, aux frontières de la Belgique dite
autrichienne, parait, à … Liège, un texte nostradamique, assez
remarquable par ses illustrations associée à une série de Vingt
prophéties (..) dernièrement trouvées manuscrites dans une célèbre
Bibliothèque des Pays Bas" ou quatrains commentes, fabriques
pour la circonstance à Liège. A l'origine, nous dit-on, il
s'agissait d'un "petit recueil manuscrit qui nous est tombé
sous les mains" (p.88). On précisera que la principauté de
Liege, proche culturellement de la France, ne dependait pas
administrativement de l'Autriche, elle était gouvernée par un
prince-eveque qui s'enfuira lors des evenements du 18 aout 1789
lesquels sont probablement liés à cette publication nostradamique.
.
.Sibly
et la Revolution Francaise;
Ebenezer.Sibly
semble avoir été un des rares astrologues capables à la veille de
la Revolution de formuler un jugement qui ne se fonde pas sur des
textes antérieurs, c'est ainsi que dès 1787, à propos de la carte
du ciel pour l' équinoxe de 1789, il écrit:
Some
very important event will happen in the politics of France such as
may dethrone or very nearly touch the life of the King and make
victims of many great and illustrious men... preparatory to a
revolution in the affairs of that empire... having said thus much
upon the vernal scheme of figure of the heavens for the year 1789
(p.1050)
Il
était au fond normal qu'un astrologue anglais s'attende à voir
éclater en France ce qui se produisit au XVIIe siècle dans son
propre pays (New
and Complete Illustration of the Celestial Science of Astrology,
Londres, 1785);
;.
D'ailleurs
Ebenezer Sibly, dans les éditions suivantes, en tirera quelque
gloire: nous traduisons son propos:
"Que
le lecteur compare les remarques avec les ‚v‚nements qui se
produisirent, particulièrement en France depuis les premières
éditions de cet ouvrage et je suis sûr d'obtenir quelque crédit
pour d'autres sujets que j'ai prédits mais qui sont encore en
gestation"¯ (note pour l'édition de 1792)
Non
content de rappeler ce succès prédictif, Sibly entend que l'on
attache en conséquence du credit à ses autres propos. C'est tout
l'enjeu, en réalité, du prophétisme que de s'appuyer sur ses
succés passés, réels ou pé‚tendus, pour renforcer sa légitimit‚
oraculaire à annoncer ce qui n'est pas encore advenu. Des traites
sur le futur d'autant plus qu'on utilise un langage qui est celui de
l'argent, des baux: les échéances, les termes.
IV
Cagliostro et l'Affaire du Collier.
Le
prophète peut se révéler bouc émissaire idéal, ce fut peut-être
le cas d'un Cosme .Ruggieri en 1574 lors de la tentative avortée du
duc d'Alençon de succéder à son frère Charles IX, aux dépens du
roi de Pologne, on peut se demander quel rôle joua le mage
Cagliostro; dans l'Affaire du cardinal Louis de .Rohan; - Guémenée
, le "cardinal collier".
En
1783, dans une Lettre (sic) sur la Suisse adressée à Mme de *** par
un voyageur français en 1781, Genève, 1783 (BNF, M 16498), ..La
Borde campe le personnage de Cagliostro dont on dit: "c'est au
moins l'antéchrist, il a cinq ou six cents ans " (Lettre II,
Strasbourg, le 15 Juin 1781, tome I, p.7)
En
1789, au lendemain des événements de juillet, paraît à Paris, un
opuscule (BNF, Lb39 7384) intitulé Traduction
d'une lettre écrite par Monsieur le Comte de Cagliostro à M***,
trouvée dans les décombres de la Bastille.
Que
dit cette lettre censée avoir été écrite dès 1786 et qui, y
lisait-on, "hâta la Révolution"? "Oui, mon ami,
écrit-il à son interlocuteur, je l'annonce! Il régnera sur vous
un prince qui mettra sa gloire à l'abolition des lettres de cachet,
à la convocation des Etats Généraux et surtout au rétablissement
de la vraie religion"
Mais
Cagliostro, alias J. Balsamo;, si tant est qu'il soit bien l'auteur
de la lettre, fait encore confiance à Louis XVI il le voit publier
un "‚dit mémorable": "les temps sont peut être
arrivés, il est certain, du moins, que votre souverain, est propre
à ce grand oeuvre. Je sais qu'il y travaillerait s'il n' écoutait
que son coeur: sa rigueur à mon égard ne m'aveugle pas sur ses
vertus"
Il
semblerait que cette lettre ait été envoyée le 20 juin 1786 à un
prisonnier de la Bastille, par Cagliostro depuis Londres, si l'on en
juge par le premier intitulé "Lettre écrite à M. par M. le
comte de Cagliostro, de Londres". Cagliostro aurait été libéré
le 31 mai puis condamné à l'exil. La diffusion de cette lettre,
probablement en 1789, pouvait favoriser Philippe Egalité, duc
d'Orléans, futur régicide, par son vote, dont on sait qu'il fut
alors à l'origine de nombreux pamphlets
.
En tout état de cause, un tel texte ne fait qu'exprimer le souhait
d'un changement d'attitude de la part du roi, notamment en ce qui
concerne les lettres de cachet, dont Cagliostro a souffert parmi
d'autres. Mais cette attente supposée exprimée par un homme réputé
posséder des pouvoirs particuliers pouvait aussi bien être
récupérée par les adversaires de la monarchie absolue
Quels
sont les documents dont nous disposons? D'une "traduction d'une
lettre écrite par M. le Comte de Cagliostro … M ***" sans
date d'impression et d'une lettre manuscrite. Certes, rien n'exclue a
priori que
Cagliostro, depuis Londres, ait envoyé une telle lettre se plaignant
de son emprisonnement à la Bastille par lettre de cachet et d'un
exil voulu par le roi, faisant suite à son acquittement dans
l'Affaire du Collier. A lire les historiens de la question, il
semblerait que l'on ne dispose pas de preuves décisives qu'une telle
lettre soit postérieure à la Révolution. La lettre, en outre, ne
figure pas dans les factums consacrés au procés du Cardinal, n'est
pas davantage évoquée dans les colonnes du Courrier
de l'Europe.
Or, il existe une autre source, celle des Mémoires Secrets pour
servir à l'histoire de la République des Lettres en France
commencés par Bachaumont et poursuivis par Pidansat de Mairobert et
Moufle d'Angerville, dont on connaît deux ‚ditions londoniennes.
Cet ouvrage passe en revue l'actualité littéraire année par année,
mois par mois, depuis 1762. Il convient donc d'aller vérifier si le
rédacteur lors de l'envoi de cette lettre s'en est fait ou non
l'écho, d'autant que ce recueil consacre des dizaines de pages aux
diverses publications touchant à cette escroquerie qui implique
Marie Antoinette et qui sont, dans la plupart des cas, des mémoires
"justificatifs" composés par les avocats des diverses
parties.
J. Favier16,
signale qu' "en 1787, un jeune noble écrivant à son tuteur en
province, fait état du propos que l'on prête en ville à
Cagliostro, alors réfugié à Venise de ne revenir à Paris que "
quand la Bastille sera une promenade publique".
Cagliostro
est un personage dégageant un certain mystère, encore qu'il ait été
de bon ton, à l'époque, de le traiter avec un certain mépris.
Ainsi, bien qu'il ait été innocenté dans l'Affaire du Collier de
la Reine, il n'en subira pas moins , on l'a relevé, le bannissement
et les sarcasmes, tant son passé par ailleurs le rendait suspect et
persona
non grata.
Le simple fait qu'il ait été mis sur le même pied que le cardinal
prince de Rohan, qu'il s'en prenne dans ses requêtes à un Launay,
gouverneur de la Bastille, apparaîssait comme scandaleux.
Le
Mémoire pour le Comte de Cagliostro qui paraît en date du 18
février 1786 est évidemment apologétique . C'est ce titre abrégé
qui figure en tête, avec au verso la table des matières, la
formulation complète, qui suit à la page suivante, étant plus
juridique: Mémoire pour le comte de Cagliostro accusé contre M. Le
Procureur Général accusateur, en présence de M. le Cardinal de
Rohan, de la Comtesse de la Motte et autres co-accusés. 17Le
Mémoire du prisonnier de la Bastille fut largement diffusé bien au
delà du cadre du procès, alors qu'il est signé voir rédigé ou
réécrit par des gens de loi. Il fut suivi le 24 Février d'une
Requête au Parlement, les Chambres assemblées, par le Comte de
Cagliostro, signifiée à M. le Procureur Général, le 24 Février
1786, pour servir d'additions au Mémoire distribué le 18 du même
mois, visant notamment et avec succès à faire libérer sa femme
Serafina alias Lorenza Feliciani
En
fait, ce Mémoire pour Cagliostro fait suite à deux autres qui
campent son personage. D'abord, il s'agit, dans le cadre du procès,
d'une réponse à un autre, paru en novembre 1785, le Mémoire pour
dame Jeanne de Saint-Rémy, comtesse de La Motte (BNF, 4°FM 34507
(1) qui semble avoir connu un certain succès public : dans des
Observations sur le Mémoire de Madame Jeanne de saint-Rémy,
l'avocat de Mozas, parle d'un "engouement universel pour cet
étrange mémoire" (même cote, pièce 2).
Sous
quel titre parut le Mémoire pour la Comtesse? Les factums de la BNF
et le catalogue des imprimés semblent ne pas avoir conservé la page
de titre et ne produisent que le titre intérieur.
On
connaît un Mémoire fait par M. l'avocat Doillot pour dame Jeanne de
Saint-Rémy épouse du Comte de la Motte, pour l'affaire du fameux
collier en date de 1785 (Cornell University, Ithaca, Etat de New
York) mais ce titre n'était probablement pas celui qui devait
figurer officiellement dans la procédure.
On
préfèrera le titre suivant: "Premier Mémoire pour dame Jeanne
de . Saint-Rémy de Valois, Jeanne de la Motte; epouse du Comte de La
Motte concernant M. le Cardinal de Rohan, le comte de Cagliostro et
la négociation des diamants", Paris, 1786. (BL, F 2 (5) ou
encore "Recueil de pièces entre M. le Cardinal de Rohan, Mme de
La Motte. Premier mémoire pour Dame Jeanne de Saint-Rémy de Valois,
épouse du Comte de La Motte" (BNF, 8° Fm 2623/480)
Signalons
encore une autre édition sous le titre d'Histoire du collier ou
m‚moire de la Dame Comtesse de La Motte contre le cardinal de Rohan
et le soi disant Comte de Cagliostro, BNF, 8° Fm 668.
Il
convient en effet de revenir sur une certaine confusion entretenue
entre les deux mémoires, celui de 46 pages de la Comtesse ou celui
du Comte de 51 pages. C'est ainsi qu'Henri d'.Alméras, ; (dans son
ouvrage sur Cagliostro, p. 260) présente la sortie du Mémoire pour
Cagliostro: "Rédigé ou non par Maître .Thilorier; le Memoire
parut le 20 février 1786. Dejà d' enormes ballots étaient partis
pour les principales villes d'Europe et même d'Asie. Le jeune avocat
que cette affaire allait lancer, avait pris ses précautions pour que
sa maison du Cloître Notre Dame ne fut pas envahie par la foule des
acheteurs. Huit soldats du gué gardaient la porte. En quelques
heures des milliers d'exemplaires s'étaient répandus dans Paris.
Tout le monde voulait lire ou avoir lu cet amusant roman, ce
fantastique plaidoyer qui semblait extrait des Mille et une nuits."
Or
il pourrait sembler que cette scène ait été empruntée à un
autre récit concernant le Mémoire de la Comtesse, paru en novembre
et du au vieil avocat J.B.J. Doillot. La Comtesse était d'ailleurs
mécontente en raison de certaines exagérations: "Mon mémoire
justificatif fit beaucoup de bruit à Paris. L'intérêt ou la
curiosité qu'il excita était si vive que M. .Doillot fut obligé
de faire garder sa maison par des soldats du guet tant qu'il en eut à
distribuer. On pourra juger de l'engouement du public quand on saura
que M. Doillot n'a pas distribué moins de mille exemplaires de ce
mémoire en une semaine, sans compter cinq autres mille que les
imprimeurs ont vendu à leur profit et que plus de trois mille
personnes écrivirent à mon avocat pour lui en demander. M. Doillot
fut néanmoins fréquemment exposé au danger de se voir assassiné
(..) en ce qu'il était à craindre que la famille du Cardinal ne le
fit repentir d'avoir entrepris ma défense"
En
réalité, le parallélisme des deux scènes est avéré: Thilorier,
tenant compte des mésaventures de son confrère Doillot pris des
précautions semblables, comme l'expliquent les Mémoires Secrets
(Vol XXXI).
Cette
comtesse prend Cagliostro à parti, profitant de son image
singulière pour en faire un suspect idéal-ne prétend-il pas entre
autres connaître les clés de la loterie? Cagliostro répond donc en
février 1786, à celui-ci en en fournissant des extraits:
"La
Comtesse de La Motte ose dire qu'un de mes domestiques se vante
d'être depuis 150 ans à mon service; que quelquefois, je me donne
300 ans, que d'autres fois je me vante d'avoir assisé‚ en Galilée
aux noces de Cana & que c'est pour parodier les espèces
dénaturées que j'ai imaginé de multiplier le collier, dépecé en
cent manières & cependant remis entier, dit-on, à une auguste
reine (..) que je suis un de ces extravagants rose-croix qui possède
l'art de faire converser avec les morts, que je traite les pauvres
pour rien mais que je vends pour quelque chose l'immortalité aux
riches". C'est ce texte sigé‚ par son avocat, Thivolier, qui
constititue le "Mémoire pour Cagliostro" et non "de
Cagliostro"
.
Suivra une Réponse pour la comtesse de Valois-La Motte au mémoire
du comte de Cagliostro. (BNF 4° Fm 7314 (8). Celui-ci ajoutera lui
même une suite à ses Mémoires - le terme étant à prendre dans
les deux sens - avec sa Lettre au peuple anglais, 1786, BNF, K 10191,
qui paraîtra dans le Courrier de l'Europe.
Mais
avant la fin de 1785 paraissait un autre texte cagliostrien, les
Mémoires authentiques pour servir … l'histoire du Comte de
Caglistro. Les Mémoires secrets (Vol 30, Londres, 1788) en date du
28 décembre (p. 149) nous décrivent ainsi cet ouvrage qui ne porte
aucun nom d'auteur: "Le Comte de Cagliostro était un des héros
du jour, on n'a pas manqué de recueillir tout ce qui en a été
raconté dans les gazettes, les jounaux, les pamphlets et de fondre
ces prétendues anecdotes dans une brochure sous le titre de Mémoires
authentiques (...)c'est à dire d'en composer un roman"
On
attribue l'ouvrage au Marquis de Luchet; l'Essai sur la Secte des
Illuminés, Berlin, 1788, dans le catalogue de la BNF, mais la
recension des différentes éditions disponibles est lacunaire
puisque on ne mentionne que des exemplaires de la deuxième édition
de 1785, sans référence de lieu d'édition (BNF, K 12450-51). Nous
avons trouvé une autre édition dans un factum, cette fois le titre
est au singulier et paru à… Strasbourg, ville dont le Cardinal de
Rohan est le Prince, en 1786: Mémoire authentique (noter le
singulier) pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro, (BNF,
Fm 480/2623) Il semblerait qu'il s'agisse de la reproduction de la
première édition car on y trouve une introduction qui manque dans
la "deuxième édition".
Mais
nous nous intéresserons à une autre édition, signalée dans le
catalogue informatisé de la BNF comme étant identique aux
exemplaires cote BNF, K 12450-51, il s'agit de l'ouvrage coté BNF,
8° Fn3 87: Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du Comte
de Cagliostro impliqué dans l'affaire de Son Eminence Mgr le
Cardinal de Rohan & de Madame la Comtesse de La Motte Valois, par
M. de Beaum***, Hambourg, F. Fauche, 178. Or, il est tout à fait
remarquable que le titre du mémoire de "Beaum" figure dans
une version longue alors que la seconde édition de 1785 sans mention
d'auteur ni de lieu de publication, comporte un titre bref: Mémoires
authentiques pour servir à l'histoire du Comte de Cagliostro. Or
selon nous, il est fort improbable que l'on ait en 1786 allongé le
texte. Ce titre long nous semble au contraire devoir correspondre au
titre initial et dès lors cette édition de 1786 reprendrait
l'intitulé de la première édition, y compris pour ce qui est de
l'auteur. On notera que la formule longue se conforme à la
présentation d'un mémoire judiciaire. Par ailleurs, il est à noter
que l'édition d'Hambourg comporte la mention du libraire à la
différence de la "seconde" édition de 1785. Or, l'on
connait une édition londonienne de 1785 des Mémoires authentiques
qui précisait déjà "se trouve chez F. Fauche, à Hambourg"
(Cornell University, Ithaca, NY)
On
pense ‚videmment aussitôt à… Pierre Caron de Beaumarchais
qui publia d'ailleurs des ouvrages à Strasbourg et à Kehl, ville
allemande qui lui fait face. Habitué des proces et des mémoires,
notamment contre le conseiller Gouzman, l'auteur du Mariage de Figaro
(1784) fut incarcéré à Saint-Lazare en mars 1785, à… la suite
d'un article paru dans le Journal de Paris et insultant pour le roi;
Wilkin ( in Cagliostro, op. cit. p.35) fait remarquer que l'Affaire
du Collier n'est pas, dans sa mise en scène, sans évoquer
l'intrigue du Mariage
En
voici un extrait suggestif: "Prédire à… un gentilhomme
qu'il deviendra duc et pair, à… un ministre de deuxième ordre
qu'il deviendra ministre des Affaires Etrangères, à … un Abbé
qu'il deviendra cardinal, à… un cardinal qu'il sera Pape, au
pauvre qu'il sera riche est la grande façon de se faire écouter.
Quoique (sic) ce soit qu'on promette, on est toujours sûr d'éveiller
l'espérance; tant de gens ont besoin d'être trompés pour supporter
la vie!" Il semble que Cagliostro ait annoncé à la
Comtesse, qui se disait descendant des Valois un avenir
extraordinaire: " Les Valois régnent et la France heureuse
adore ses maîtres" . Nouveau cas de figure ou le légitimisme
passerait par un retour à la dynastie précédente.
Bien
plus, on connaît une Lettre écrite de Aix les Bains en Savoie le 20
Ao-t 1788 … M. de Beaumarchais par M. Cagliostro, contenant des
faits intéressants & des anecdotes piquantes", parue à…
Kehl, en 1788 (BNF, Ln27 1318). Il s'agit bien entendu d'un faux
constitu‚ d'extraits des oeuvres de Beaumarchais mais le lien entre
les deux hommes est ainsi établi dans l'esprit du public.
Ainsi,
le mémoire pour Cagliostro qui paraît début de l'année suivante
vient préciser un portrait de l'"alchimiste" déjà
largement répandu dans le public, il est en grande partie l'oeuvre
d'Alexandre Cagliostro; alias Joseph Balsamo, lui-même. Nous
signalerons deux commentateurs qui suivront page …à page
l'ouvrage en le qualifiant l'un et l'autre de "roman".. Un
certain P. J. J. N... Motus, fait paraître ses Réflexions sur le
Mémoire ou Roman qui a paru à Paris en Février 1786 par le soi
disant Comte de Cagliostro, Médine (sic) (BNF, K 15478) et.
Théveneau de Morande;, dans les colonnes du Courrier de l'Europe
(BNF, Nd 34, 1786 (2) qui, durant l'année 1786, lui accordera de
nombreuses colonnes, sur plusieurs mois, citations du Mémoire et
numéro de page à… l'appui, comme c'est le cas pour Motus. Les
pages de Morande; feront l'objet la mˆme année d'une publication
…à part, à Milan: Ma correspondance avec M. le Comte de
Cagliostro, Milan (BNF, 7316 (7), avec une Suite. Le tout paraît
"aux dépends de la société des Cagliostriens". Un
Morande qu'affronta aussi Beaumarchais.
Un
observateur parle d'"inondation typographique" dans une
capitale qui "regorge de mémoires". Cagliostro y est
traité de "prophète arabe". Des factums sont constitués
pour que le public puisse prendre connaissance de la polémique. Un
ensemble de trois volumes in octavo paraîtra notamment en cette même
année 1786 sous le titre de Collection complète de tous les
mémoires qui ont paru dans la fameuse affaire du Collier avec toutes
les pièces secrètes qui y ont rapport et qui n'ont pas paru, (BNF
8° Fm 668-670). Un autre factum in quarto-ce qui permettait
d'utiliser telles quelles les pièces parues séparément -prend un
titre plus sobre: Collection complète des mémoires relatifs au
procès de M. le cardinal de Rohan, arrangés dans l'ordre ou ils ont
paru (BNF, 4° Fm 28068)
Dans
un pamphlet intitulé La dernière pièce du collier, paru
anonymement (BNF, 4° Fm 7315, Vol 324 (10), nous lisons une attaque
violente contre Cagliostro: "Il est parti, ce grand Cagliostro,
en fuyant il a dégorgé après lui l'elixir de l'empyrisme, distillé
à la fournaise de la calomnie" (p.17). On l'y traite de
"prophète magnétiseur" (p.22). L'auteur en profite pour
rappeler les "saltimbanques de Saint-Médard" du Janséniste
Montgeron ((p.28). Est-ce là une réponse à la "lettre au
peuple français" ou bien aux seuls Mémoires contre Launay et
Chesnon? Le doute reste permis quant …à la paternité de ce
texte, quand on sait avec quel soin furent conservés tous les
documents relatifs à Cagliostro, la BNF en ayant constitué
plusieurs volumes, en factum, regroupés sous le terme "collier"
18
Cagliostro
demandera en justice l'interdiction des libelles qui sont dirigés
contre lui à svoir la dernière pièce du Collier et la
Correspondance de Morande ainsi que d'un numéro du Courrier de
l'Europe "oû le rédacteur de cette gazette (Morande) convient
d'avoir été sollicité par un parent du sieur de Launay, écrite
contre le suppliant", comme il avait obtenu celle du Mémoire de
la comtesse de La Motte.
Il
reste que Cagliostro avait probablement abusé le cardinal Edouard de
Rohan précedemment sinon dans l'affaire du Collier. Lorsqu'il était
à Strasbourg, ville dont le prélat était Prince, il conduisit en
1780 des expériences avec son aide.
Le
cardinal défendra Cagliostro jusqu'au bout et non sans un certain
succès, dans un Mémoire (...) contre M. le procureur général,
rédigé par l'avocat Target et paru d'abord chez Lottin (BNF, 4°
Fm 1581/34508), l'imprimeur habituel des divers mémoires, puis chez
C. Simon, son propre imprimeur (BNF, 4° Fm 7314 (12). Il l'y
disculpera, d'ailleurs, de façon convaincante, ainsi que sa femme
contre les allégations de la comtesse de La Motte.
Dans
une Lettre d'un garde du Roi pour servir de suite au Mémoire sur
Cagliostro, Londres, 1786, (BNF, K 12229), l'auteur (L. P. Manuel)
introduit une certaine rétrospective:
"Cagliostro
a succédé au fameux Comte de saint-Germain, celui-ci avait succédé
à Greatik, à Leveret, enfin à Simon Morin, qui en 1622
s'annonçait pour le fils de Dieu, sa femme étant présentée à
tout le monde pour la sainte-Vierge" (p.16).
L'Angleterre
se passionnera pour cette affaire, comme en t‚moignent nombre de
traductions des M‚moires de la Comtesse et de Cagliostro. Jeanne de
Saint-Rémy qui avait été condamnée ) terminer ses jours à la
Salpétrière, parvint à s'enfuir pour Londres, d'où elle publiera
divers textes sur l'Affaire du Collier. En fait, dans cette affaire,
il est bien difficile de déterminer quels sont les véritables
auteurs de ces mémoires, entre les avocats et certains littérateurs
offrant leurs services.
Qu'en
est-il donc de cette Lettre que Cagliostro aurait envoyéé à la
Bastille peu après son arrivée à Londres? Contrairement à ce
que pouvait faire craindre la faiblesse de l'appareil critique de
ceux qui s'occupèrent de faire connaître ce texte "prophétique",
le texte ne passa pas inaperçu. Dans le tome XXXII des Mémoires
Secrets, dans la collection londonienne de 1788 19à
partir de la page 249, et en date du 8 août, on pouvait lire:
"La
Lettre du Comte de Cagliostro à un ami, datée de Londres, le 20
Juin, doit être regardée comme absolument fictive. Elle ne peut
être de cet étranger qui ne connaît pas assez notre langue (..)
Elle n'est pas non plus de M. d'Epremesnil auquel on l'attribue, il
aurait fait mieux que cela. (..). On juge que l'auteur est surtout un
ennemi du Baron de Breteuil qui ne mérite point les reproches dont
on l'accable (..). Le Comte de Cagliostro en preuve de la haine que
lui portait dçs le prinpe le Baron (..) dit que ce Ministre voyant
(son) buste (..) dans le palais de son Eminence, grommela avec colère
entre ses dents: "On voit partout cette figure, il faut que cela
finisse, cela finira" (p.250)
Quelques
pages plus loin, il est précisé que "la lettre du Comte de
Cagliostro étant toujours fort rare et point imprimée, il est bon
d'en extraire les paragraphes principaux à conserver" Et de
poursuivre (p.255): "On assure aujourd'hui que le Comte de
Cagliostro avoue la Lettre". Mais précisément, la fin de la
Lettre telle qu'elle paraît au lendemain de la Prise de la Bastille,
n'est pas attestée dans les Mémoires Secrets, elle a pu être
ajoutée après coup, alors que Louis XVI régne encore.
Cependant,
le manuscrit des Archives de la Bastille (Bib. Arsenal) comporte
également la "fin" de la Lettre. On ne peut donc exclure
que les derniers paragraphes de celle ci n'aient pas été reproduits
dans les Mémoires Secrets et dans ce cas, ce serait bel et bien un
exemplaire de ces manuscrits qui circulèrent.
C'est
ainsi que le "faux prophète" Cagliostro fut utilisé
vainement en 1785-86 pour abattre un des princes de l'Eglise tout
comme, quelques années plus tard, sous la première République,
fondée en 1792, Catherine Théot "la mère de Dieu" -
c'est à dire ni plus ni moins que la Vierge Marie - le sera, avec
plus de succès, pour faire tomber Robespierre en 1794 (Thermidor An
II). Le procès de Jeanne d'Arc avait en 1430, en la condamnant comme
sorcière, visé la légitimité de Charles VII
.
V
Les lendemains de 1789
Durant
cette période crépusculaire, on aura quelque temps le sentiment que
tant le Saint Empire Romain Germanique, avec François II, que la
Papauté, avec Pie VI, vivent leurs derniers jours, sans parler de la
monarchie française, avec Louis XVI.
Est-ce
à dire que le nostradamisme et le malachisme ne feront plus que
végéter au XIXe siècle et ensuite? La prophètie d'Orval sera
emblématique d'un prophétisme qui ne parviendra pas à refouler la
République. On peut d'ailleurs se demander si le prophétisme n'a
pas contribué à maintenir en vie certaines institutions, le cas le
plus flagrant ‚tant celui d'un Henri V, victime, en quelque sorte,
d'un acharnement thérapeutique.
Nous
appréhenderons une certaine praxis du prophétisme, dans la mesure
où celui-ci finit par s'incarner dans l'Histoire, avec la Révolution
Française dont la date de 1789 - sinon la nature précise de
l'événement - fut bel et bien annoncée dès 1414 par le Cardinal
Pierre d'Ailly;. Mais l'on note qu'aussitôt l' échéance atteinte
ou dépassée, il importe d'en fixer de nouvelles pour éviter une
histoire sans futur, sans attente plus ou moins diffuse. C'est
pourquoi la réussite - plus ou moins avérée - d'une prophétie
est aussi redoutable sinon plus que son échec patent! Si l'échec,
en effet, exige des justifications mais rend possible une nouvelle
donne prophétique, le succès implique pour sa part des
prolongements voire des mises en cause de la valeur absolue de
l'événement/avénement, le cas le plus frappant étant évidemment
le refus de voir en l'Avénement de Jésus Christ l'accomplissement
total des prophéties et la mise en oeuvre d'une nouvelle attente
pour un Second Avénement voire un second Antéchrist.. Il est clair
que les Juifs auront ainsi contribué, par leur refus d'admettre la
réalisation de la prophétie messianique qui aurait eu lieu, aux
dires des Chrétiens, quelques décennies avant la Destruction du
Second Temple de Jérusalem, en l'An 70 de notre Ere, à… éviter
un verrouillage du temps christique. Nous irons jusqu'…à dire que
la Révolution Française assouvit, exauce, d'une certaine manière
les attentes d'un prophétisme philosémite qui exige le "rappel"
des juifs de leur exil intérieur.
L'étude
que nous abordons à… présent implique que nous cernions le temps
"externe", c'est à… dire non pas comment le texte se
modifie mais pourquoi il se transforme sous la pression d'événements,
qu'il n'est pas toujours aisé d'identifier. Par delà… la
solution de continuité liée à… un changement de régime -
passage de la monarchie à… la révolution, de l'Empire à la
Restauration etc - il est des dates qui soit correspondent … des
échéances plus ou moins artificiellement produites par le
prophétisme lui même -telle l'effervescence due à… l'année 1840
qui n'a guère à… envier à ce que nous avons observé pour 1689
- soit fondées sur des vélléités fortement vécues sur le coup
mais sans lendemain. A cette occasion, nous étudierons comment se
mélent et reviennent pour chaque époque des discours prophétiques
aux fondements les plus variés, tant astrologiques que liés à…
une computation biblique. Célébrations de naissances et de morts,
de débuts et de fin de régnes, de révolution et de restauration.
Notre
travail aura conduit à recentrer le prophétisme français sur le
XVIIe siècle qui est aussi celui où la France est en phase
dominante en Europe. C'est en ce premier siècle des Bourbons, que le
canon nostradamique se met en place alors que l'on considérait qu'il
s'était constitué au milieu du siècle précédent qui est, somme
toute, plutot celui du Liber
Mirabilis,
si redevable aux textes étrangers, ce qui n'est évidemment plus le
cas avec les Centuries. Tout se passe, au vrai comme si les
Prophéties de Michel de Nostredame ne devaient parvenir à … leur
épanouissement, …à leur dépassement, qu'en ce dix septième
siècle solaire qui est celui de la monarchie absolue, symbolisée
par l'exécution en 1632 du dernier duc Henri II (sic) de
Montmorency. Dès lors, les quinziéme et seiziéme siécles nous
apparaissent comme une préhistoire … à la fois prophétique,
linguistique et politique de l'apogée française - on lira les
quatrains dans le texte - tandis que la fin du XVIIIe et le XIXe
siècles correspondraient à… une sorte de post-prophétisme, une
fois la Révolution survenue, un chant du cygne.
L'on
observera à quel point le prophétisme est voué, par essence, non
seulement à… annoncer la révolution mais mieux encore à… la
gérer a
posteriori comme
si précisément elle était a
priori.
Ce n'est pas tant là une imposture, au bout du compte, qu'un rôle
aussi ambigu quoique inverse de celui du comédien qui joue le
naturel alors que tout est déjà… écrit et que tout le monde le
sait. Le prophète - au sens de celui qui interprète le texte
prophétique - dit que c'est écrit alors qu'il agit largement à…
l'improviste - sans très bien connaitre la portée de ce qu'il
profére - et nul n'est vraiment dupe. Parfois, il importe pour le
milieu prophétique d'intervenir directement sur le déroulement des
événements en influant sur les acteurs à condition qu'existe une
certaine complicité du bras séculier. A l'historien du prophétisme
de ne pas prendre trop au sérieux les protagonistes de cette comédie
et d'en signaler les ficelles. Au cours du XIXe siècle, une
certaine transformation des mentalités se fait jour autour du mot
"secrets": il ne s'agit plus tant d'accéder aux secrets de
la Providence, aux secrets du cosmos que de cerner les arcanes du
politique lui même et de dévoiler non plus le plan divin mais les
plans de ceux qui dirigent le destin des peuples, autour de l'idée
de parti, de factions tout à fait minoritaires qui veulent prendre
le pouvoir aux dépends du collectif incarné par la monarchie: c'est
précisément ce que dénonçaient les Protocoles des Sages de Sion
exprimant les angoisses d'une autocratie menacée.
Les
querelles dynastiques à la fin du XVIe siècle sont certes d'un
autre ordre que celles qui marqueront la Guerre de Cent Ans. Mais il
ne faudrait pas oublier que bien des conflits internes à la France
ne manquèrent pas pour autant de faire appel à… l'étranger:
rôle de l'Espagne sous la Ligue notamment, rôle des "Alliés"
pour rétablir les Bourbons de France, pour ne pas rappeler que le
Protestantisme français s'appuya, notamment avec l'affaire de La
Rochelle laquelle capitula en novembre 1628, sur l'Angleterre. Il
n'est pas si aisé d'isoler les situations franco-françaises.
Au
XIXe siècle, les problèmes de légitimité atteindront un niveau
remarquable dont le prophétisme sera le révélateur. Par delà le
phénoméne bonapartiste qui se situe dans le cadre d'un "Empire"
à côté de la Royauté plutôt que son prolongement, il y aura le
double traumatisme delphinien. Les malheurs de Louis XVII à … la
survivance controversée, puis ceux du Comte de Chambord, le dernier
des Bourbons à… avoir peu ou prou régné en quelque sorte,
lequel, en… trois occasions, se verra refuser l'accés au trône
de France: lors de l'abdication de son grand père Charles X en sa
faveur en 1830, ce qui aurait permis une nouvelle régence orléanaise
- comme à la mort de Louis XIV, puis lors de la chute de
Louis-Philippe en 1848 puis enfin à la fin du Second Empire.
"Henri V" bénéficia certes, mais surtout à la fin de sa
vie, d'une logistique prophétique remarquable à la hauteur du
"lobby" qui se manifesta au XVIIe siècle, sans parler du
XVIe siècle. Mais il ne fut pas le seul et dans les années Trente,
il était plus question du duc de Normandie que du duc de Bordeaux.
Encore fallait-il décider quel était le vrai Louis XVII, à quels
signes le reconnaître (la trace d'une morsure de lapin... ), quels
témoins pouvaient encore l'identifier et notamment sa soeur, la
Duchesse d'Angouléme, quitte à falsifier les documents au profit
du concurrent.
La
révolution de 1830 avec l'avénement des Orléans - Louis Philippe
ne s'en tenant pas à un rôle de régent - exacerbera les
légitimismes. L'on n'hésitera plus à… conférer des noms de
rois …à ceux qui n'ont pas encore reçu l'onction du pouvoir:
Louis XVII, Henri V, Napoléon II, Napoléon IV etc. Encore
faudrait-il distinguer entre ceux qu auraient pu succéder à un
roi sous un régime monarchique comme Henri V, en 1830; et ceux qui
le firent alors que la République avait été déclarée comme Louis
XVII. Et c'est ainsi que régneront un Louis XVIII et un Napoléon
III qui sauteront un cran. L'histoire des rois de France au XIXe
siècle n'a guère à envier à celle des papes au XIVe siècle,
avec les antipapes.. La monarchie française a certainement
souffert-comme le révélera l'affaire du drapeau blanc contre le
tricolore, en 1877, de cette confusion. Alternance des partis
princiers qui explique peut être pourquoi les spécialistes de la
science politique n'hésitent pas à recourir à des expressions
comme orléanisme ou bonapartisme pour décrire la vie politique de
la République française. Il reste que notre travail ne
s'articulera pas seulement par rapport … un certain corpus de
textes "matriciels" mais davantage autour de l'idée
prophétique, de l'émergence de la fonction prophétique au sein du
discours politique.
Les
difficultés ne sont pas moindres, ici, car il convient de repérer
un facteur qui certes se refléte dans le texte mais d'une façon qui
peut fort bien échapper au lecteur moderne, à moins qu'il ne se
mette dans la peau de contemporains. qui ont un autre regard sur
l'Histoire. Ce Livre nous entraîne vers une praxis du prophétisme.
Il y a indiscutablement une quête prophétique. Tout se passe comme
si le prophétisme tendait asymptotiquement vers sa consécration.
Tant qu'il n'est pas parvenu à… ses fins, le discours prophétique
se renouvelle, se reformule et obtient ainsi de nouveaux délais
jusqu' à… ce qu'enfin le réel vienne un tant soit peu converger
avec la prédiction.
Tout
se passe comme si la France avait séduit des prophêtes étrangers,
ce qui expliquerait que l'on n'hésita pas …à s'y référer,
qu'ils soient allemands, italiens ou turcs. Les juifs ne sont
d'ailleurs pas absents du paysage, eux qui de sujets de la prophétie
en sont plutôt devenus les objets. Le juif apparait au début et à…
la fin de l'Histoire de l'Occident Chrétien. Il semble qu'il faille
lui faire jouer un rôle pour que les événements soient
suffisamment "chargés". La Révolution Française se
déroule aussi avec l'idée de l'intégration des Juifs par l'Etat
Français avant que l'on n'en revienne à l'esprit des années
1760-1770 à celle d'un Etat-nation juif qui est le constat d'un
certain échec du premier. Dans une perspective prophétique, les
juifs seront amenés à… se rassembler - au nom du sionisme - pour
que certain scénario de la fin des Temps puisse se réaliser. au
profit précisément de la France.
Le thème de l'Antéchrist, au centre de la démarche alliacienne se
profile tout au long de notre période qui a le sentiment de
s'acheminer vers une fin-dans tous les sens du terme-de l'Histoire.
Encore que le terme "Antéchrist" finira par désigner tout
adversaire politique ou religieux notamment de minorités persécutées
ou se croyant telles: le Pape, le Roi de France seront perçus comme
tels. Bien plus, l'essor du sionisme n'est pas sans lien avec de
telles spéculations sur la fin des Temps et le Jugement Dernier
Le
prophétisme s'enrichit ici d'un nouveau concept, le programme qui
fait pendant, en quelque sorte au "plan" divin. Il sera
question du "programme" de conquete du monde par les juifs
ou/et les franc maçons. Prévoir, ce serait dés lors avoir
connaissance du programme, ce qui recoupe à… la fois
l'astrologie, comme structure programmatique et le plan divin dont le
prophète reçoit révélation, ce qui lui permet d'annoncer
l'avenir. Le prophétisme n'est-il pas en effet, dans son essence,
l'accés à un programme qu'il vienne de Dieu ou du Diable et, d'une
certaine façon, les juifs seront assimilés à… l'idée d'une
force occulte dont il importe - c'est le rôle fantasmatique et
prométhéen des Protocoles
des Sages de Sion-
de connaître pour la neutraliser les trames secrétes, grâce à
quelque indiscrétion.
Le
temps des révolutions
De
quelle façon le prophétisme a-t-il reflété ou a-t-il été
emporté par les crises de civilisation que traverse l'Europe au
cours de notre période de cinq siècles?
On
pourrait dire, rétrospectivement, que tant la monarchie que le monde
juif furent les victimes de représentations mal gérées. La
monarchie absolue n'a-t-elle pas outrepassé le rôle symbolique qui
lui était imparti, en n'acceptant pas d'assez bonne grâce et assez
tôt le régime d'une monarchie parlementaire? Les juifs, invités
par la Révolution à se fondre dans la nation, ont-ils assumé;
pour leur part, avec assez de prudence le rôle qu'on voulait leur
faire jouer dans l'imaginaire eschatologique?
Selon
nous, ce serait le personnel symbolique qui aurait été atteint par
le processus révolutionnaire. D'un point de vue anthropologique, si
l'on admet que les sociétés traditionnelles ont besoin de conférer
à tel ou tel groupe une fonction en quelque sorte sacerdotale, au
sens large -avec ce que le sacré peut impliquer de séparation et de
statut sacrificiel - comment le dit personnel vit-il une telle
condition? Mais l'homme ne se révolte-t-il pas contre ce qu'il a
lui-même mis en place et n'est-il pas temps, pense Jean-Jacques
.Rousseau, de rappeler d'où émane le pouvoir ainsi conféé‚ par
quelque Contrat social? Remise en cause de l'organisation politique
qui fait pendant à la volonté d'inventaire scientifique d'un René
Descartes, avec le Discours
de la Méthode,
au siècle précédent.;
Désormais,
le monde va vivre un autre rapport avec le dit personnel mais
celui-ci va-t-il subir un tel revirement sans frustration ni
nostalgie? Tout se passe comme si ceux qui avaient été placés sur
un piédestal étaient invités à en descendre - Dieu, le premier -
sans que l'on parvienne, ni chez les acteurs concernés ni chez les
anciens fidèles, tout à… fait …à évacuer les séquelles
d'une histoire millénaire qui confèrerait des droits acquis une
fois pour toutes.
D'autant
qu'il ne s'agit pas de cesser radicalement le culte en question mais
de le poursuivre dans un autre état d'esprit. C'est cette
transaction qui est proposée et qui sera plus ou moins bien acceptee
par les différents partenaires. Les tentations subsistent pour ce
monde qui se veut déniaisé.
^
1
cf
J. Halbronn, "Exégèse
prophétique de la Révolution Française", in Actes du
Colloque Prophétisme et Politique, Politica
Hermetica,
1994, "The importance of Comets for the cause of Astrology :
the case of Pierre Bayle in the years 1680-1705", Astrology
and the Academy,
dir. N. Campion, P. Curry, M. York; Bristol, 2004;
"L'astrologie sous Cromwell et Mazarine".Politica
Hermetica,"
Astrologie et Pouvoir", 2003
2
(cf
Jacqueline Aimé, La
Révolution et l'astrologie,
Paris, Ed. Rocher, 1988; J. Halbronn et al., La
vie astrologique, il y a cent ans,
Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1992
3
.(cf
nos "Recherches sur l'Histoire de l'Astrologie et du Tarot",
postface à Etteilla, L'astrologie
du Livre de Toth, Paris,
La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993).
4
cf
Gérard . Allouche, Prophètes
et prophéties A la recherche des clefs pour le 3e millénaire,
1999,
pp. 110- 111)
5
(cf
Les
Prophéties modernes,
Foix, 1896, pp. 20-26 : Hte T. Voici
l'heure. Interprétation de la prophétie d'Orval, et d'un siécle
de révolution, *Nancy,1910),
6
(cf
Le
sort de l'Europe d'après la célébre prophétie des papes de Saint
Malachie accompagnée de la Prophétie d'Orval et des toutes
dernières indications de Nostradamus, Paris,
Dangles, pp. 189 et seq).
9
cf
notre thèse d’Etat, Le
texte prophétique en France. Formation et fortune,
Université Paris X Nanterre, 1999)
10
Art.
LXXXII, Mémoires
de Trévoux,
(p. 1709 et non 1907 comme l'indique l'auteur) Dissertation sur le
sujet de la quatrième Eglogue de Virgile Art. LXXXII, Mémoires de
Trévoux, (p. 1709 et non 1907 comme l'indique l'auteur)"
11
(tome
III p.25, Lettre 2 )
12
(manuscrit,
Bibliothèque Municipale Lyon La Part Dieu, cf B. Chevignard.
Présages de Nostradamus,
Paris, Seuil, 1999
13
(Rouen,
Robert Follye, BNF, 8°Pièce V 13081)
14
(dont
Tabourot, fournit des extraits dans son
Almanach et Pronostication des Laboureurs,
Paris, 1588)
15
Thomas Kselman ? ? ? ?
16
J. Favier ? ? ? ?
17
(BNF, 4° Fm 7314, Vol
323 du factum, rubrique "Collier".).
18
(BNF, 4° Fm 7314-7317,
Vol 323, 324, 325, 326).
19
(BNF, Z 16811, tome
XXXII),
1 commentaire:
Merci à Toi, pour tous ces merveilleux moments de plaisir que nous passons sur ton site .... Je me doute du travail que Tu dois te donner pour que nous, nous prenions du plaisir.
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