lundi 21 juin 2021

Jacques Halbronn Astrologie. Le système des 9 planétes et les 9 chiffres

Astrologie. Le système des 9 planétes et les 9 chiffres Par jacques Halbronn Nos travaux consacrés aux maitrises planétaires auront commencé à la fin des années soixante, soit depuis plus de cinquante ans (cf Clefs pour l’astrologie, Ed Seghers, Ed 1976 et 1993 (plus traduction espagnole, Madrid 1978) et nous continuons à tirer de ce dispositif de nouveaux enseignements C’est ainsi que la succession des planétes dans le système solaire serait marquée par une série de dualités avec chaque fois un pole masculin et un pole féminin/. Lune (fémin) Soleil (masculin) domiciles Cancer & Lion [Mercure] Vénus(féminin) Mars (masculin) Domiciles Balance & Scorpion Jupiter (masculin) Saturne (féminin) Domiciles Sagittaire & Capricorne Et Uranus (masculin) Neptune (féminin) Domiciles Verseau & Poissons Sans oublier Mercure, le neuviéme facteur « neutre », qui s’intercale en vierge entre Lune –Soleil et Vénus Mars. Cela va donc du cancer aux poissons, dernier signe du zodiaque. Nous pensons que Pluton ne fait pas partie du dispositif et d’ailleurs il n’a plus depuis 2006 le statut de planéte à part entière et est assimilé à un astre du type « Cérés ». L’attribution de Pluton au signe du scorpion serait aberrante si l’on s’en tient à notre schéma du Cancer jusqu’aux Poissons, qui constituent une limite structurelle Ce qui est remarquable, c’est que ces 9 facteurs célestes seraient à rapprocher des 9 chiffres »arabes ». Or, au-delà des six premières planétes, l’on note une étrange correspondance phonétique avec le sept pour Saturne, le (h)uit (en latin octo) pour Uranus et le neuf pour Neptune. Est-ce une simple coincidence ? On nous objectera peut être que notre rapprochement concerne le nom des dieux « romains » ; Et pourtant, il y a bien là quelque chose/ En ce qui concerne, par ailleurs, l’origine des glyphes de ces 9 chiffres, nous avions déjà produit une étude (in Mathématiques Divinatoires, préface de Jean-Charles Pichon, Paris, Trédaniel-La Grande Conjonction, 1983) où nous montrions les liens entre la cursive hébraique et dessin des dits chiffres) L’étude des maitrises planétaires aura d’ailleurs induit en erreur avec la notion d’exil accordée au signe opposé. En réalité, les signes opposés sont en harmonie, ils appartiennent à la même quadruplicité (au même « mode ») et au même genre et c’est pourquoi, notamment nous plaçons Lune et Saturne dans le même groupe alors que la Lune est domiciliée en cancer et Saturne en capricorne. A contrario, les signes qui se suivent –demi-sextile- sont de nature radicalement différente, pas du même genre et pas de la même quadruplicité (cardinaux, fixes, mutables). JHB 21 06 21

Jacques Halbronn L"Astrologie et le nombre 9. L'exclusion de Pluton

jacques Halbronn Le XVIIe siècle astrologique 1580 1705, de Jean Bodin ° à Pierre Bayle

Le XVIIe siècle astrologique, 1580-1705, de Jean Bodin à Pierre Bayle Par Jacques Halbronn Nous poserons comme limites au XVIIe siècle, à l’aune de la production astrologique et anti-astrologique les dernières décennies du XVIe siècle et la première décennies du XVIIIe siècle. Notre critère sera fonction d’une dynamique autour de l’astrologie, ce qui signifie que l’astrologie fait débat au cours de cette période, ce qui ne sera plus guère le cas par la suite, c’est pourquoi nous avons souhaité mettre en avant deux auteurs n’appartenant pas au « milieu » astrologique, pour déterminer les bornes de la dite période, l’un pris à partie par le médecin astrologue Auger Ferrier (1513-1588) et l’autre s’en prenant à un homme de lettres, Eustache Lenoble (1643-1711), entiché d’astrologie. Au milieu de cette période, une autre controverse opposera, dans les années 1650 à l’astrologue Jean Baptiste Morin de Villefranche (1583-1656) le philosophe Pierre Gassendi I Les années 1580 Si Auger Ferrier s’en prend à l’auteur des Six Livres de la République (Paris, 1576) dans des Advertissemens à M. Jean Bodin sur le quatriesme livre de sa République, par M. Augier Ferrier, Paris, P. Cavellat, 1580, cette fin du XVIe siècle retient notre attention en raison de la vogue d’un astrologue, Nostradamus (1503-1566) censé avoir produit des Prophéties, sous la forme de « centuries » de quatrains dont les premières éditions datent de 1588, coincidant avec la mort d’Henri III, ce qui ouvre la voie à Henri de Navarre, lequel en 1594 sera sacré roi de France, ouvrant ainsi le régne des Bourbons.Quant à Ferrier, il est l’auteur en 1550 de Jugements astronomiques sur les Nativitez, qui reparaitront en 1583 et qui connaitront une dernière édition en 1625., chez Pierre Rigaud –(Bibliothèque BIU Santé cote 39729 (2), cette longévité est selon nous, le signe d’une certaine sclèrose, ce qui correspond aussi aux éditions des Centuries, attribuées à un médecin astrologue alors que l’ouvrage reléve surtout de la poésie. Bodin répondra à Ferrier en recourant au pseudonyme de René Herpin. Sa République paraitra en 1583, chez J. Du Puys. avec en appendice une Apologie du dit Herpin concernant Ferrier, Herpin étant le surnom que s’est choisi Bodin C’est dire que la fin du xVIe siècle est le théatre d’un déclin en France alors qu’un siècle plus tard, l’astrologie, avec Lenoble, semble arriver à une certaine reconnaissance, dans la foulée de l’œuvre de Jean-Baptiste Morin (qui sera admis au Collége Royal de France) dont la monumentale Astrologia Gallica parait après sa mort, en 1661, à La Haye. On notera que dans les premières années de la fondation de l’Académie Royale des Sciences, en 1666, par Colbert, l’astrologie fait l’objet de communication (cf notre article Astrologie (in Encyclopaedia Universalis) et notre postface à l’édition du Commentaire du Centiloque par Nicolas Bourdin, Marquis de Villennes, traducteur de Ptolémée, dont Morin fera la critique en 1654, ce qui est un signe de vitalité quand les astrologues se mesurent entre eux.) Quant à Eustache Lenoble (cf Philippe Hourcade « Eustache Le Noble (1643-1711). Au(x) hasard(s) de la polygraphie » Littératures classiques, 2003 ), il ne publie pas un simple traité d’astrologie mais intègre celle-ci au sein d’un ensemble plus vaste.(« Uranie ou les Tableaux des Philosophes ») Et en ce sens, contrairement à une opinion assez répandue chez les historiens de l’astrologie de cette période, nous pensons que l’astrologie n’était pas alors « à son déclin ». Cette Uranie reparaitra jusqu’en 1726 au sein des œuvres complétes de l’auteur. C’est Pierre Bayle qui nous aura d’ailleurs mis sur la piste de Lenoble dont il mentionne la production astrologique, dans ses pensées sur la Cométe et notamment dans sa Continuation des Pensées diverses, écrites à un docteur de Sorbonne, à l'occasion de la comete qui parut au mois de decembre 1680 Ou Reponse à plusieurs dificultez difficultés que Monsieur *** a proposées à l'auteur. Tome premier [-second] : A Rotterdam, chez Reinier Leers, MDCCV. Dès lors, comment apprécier le refus de la part des Académiciens, de la présence de l’astrologie, vers la toute fin du siècle alors que celle-ci semblait avoir acquis une certaine honorabilité/ Le choc d’un tel refus est le corollaire d’une telle honorabilité car si l’astrologie avait été alors mise hors jeu, le probléme ne se serait même pas posé. Notons que certaines attaques virulentes viendront de chez les Jésuites. On pense à Jacques de Billy et son « Tombeau de l’Astrologie Judiciaire » (1657) ainsi qu’à Jean François. (1660) dont l’ouvrage reparaitra sous le nom de Decartes (cf l’étude de Gaston Bachelard) Notons aussi tout le bruit qui se fera en 1654 autour d’une certaine éclipse (cf l’étude d’Elisabeth Labrousse) Signalons que ce rejet de l’astrologie du cénacle académique pourrait être dans l’air du temps, à savoir, en 1685, la Révocation de l’édit de Nantes pris par Henri IV.

jacques halbronn L'hypertexte centurique des années 1590

ESPACE NOSTRADAMUS NOSTRADAMICA ANALYSE 57 L’hypertexte centurique des années 1590 par Jacques Halbronn Selon nous, c’est en se situant à la fin du règne d’Henri III et au début de celui d’Henri IV, qui débuta officiellement en 1589, à la mort du dernier roi Valois, que certains quatrains font sens. Considérons le quatrain 25 de la IIIe centurie : Qui au royaume Navarrois parviendra Quand de Secile & Naples seront ioints Bigorre & Landes par Foyx, Loron tiendra D’un qui d’Hespaigne (Espagne) sera par trop conjoint P. Brind’amour l’explique ainsi : “Celui qui parviendra au trône de Navarre, quand ceux de Sicile et de Naples seront unis, il tiendra le comté de Bigorre et des Landes depuis Foix et Oloron, lui qui sera par trop allié à l’Espagne.”1 Lisons aussi son commentaire : “Le comté de Foix appartenait, au moment où Nostradamus écrit ces vers à Henri II de Navarre ; il pouvait donc servir de base à une invasion du comté de Bigorre et des Landes.” En fait, Brind’amour s’interdit, par principe, de placer le contexte des quatrains au delà des années 1550 (“au moment où Nostradamus écrit ces vers”) et tout lui est bon pour proposer une référence. Or, il nous semble que le dit quatrain oppose avant tout la Navarre et l’Espagne - Espagne dont Brind’amour ne dit rien dans son “commentaire”. Certes, on trouve chez Crespin (“A la maison de Monsieur de Tavannes”) la forme : “Qui au Navarrois parviendra, quand de Sicile & Naples seront ioincts”2, mais on ignore si la suite du quatrain était déjà parue sous la forme susmentionnée. Dans ce cas, on aurait interpolé “royaume”. Il pourrait s’agir, au prix d’un remaniement du quatrain d’origine d’une menace lancée au nom de Philippe II, l’homme de l’Invincible Armada (1588), roi de Naples et de Sicile, depuis 1580, contre les territoires contrôlés par Henri de Navarre (pas Henri II de Navarre mais le futur Henri IV, né en décembre 1553, presque jumeau de César de Nostredame) - qui était comte de Foix et de Béarn, auquel Bigorre est rattaché - et qui pourraient passer sous le pouvoir espagnol, de par leur situation géographique limitrophe. Elle se présente comme quelque chose qui n’a pas encore eu lieu, au futur, ce qui est le propre même d’une prophétie post eventum sauf bien entendu à attribuer à MDN des dons prophétiques extraordinaires, à ce détail près que cette prophétie ne s’est pas réalisée et qu’elle ne fut de circonstance que pendant une période relativement brève. On notera qu’en 1555, Charles Quint, était encore empereur d’Allemagne - il n’abdique qu’en 1556 - et que la description qui est ici donnée correspond mieux aux possessions de son fils. Ce texte semble difficilement, on l’avouera, pouvoir dater de 1555. Or, on l’y trouve bel et bien. Il y aurait là un avertissement à Henri de Navarre qui est du même type que celui que l’on trouve en IV, 46 : “Garde toi Tours de ta proche ruine”. Si l’on admet que des quatrains appartenant aux 53 premiers de la IV étaient déjà attestés en 1572, on conçoit que ces mêmes quatrains et même ceux de la IIIe centurie aient été depuis encore remaniés. En tout état de cause, un tel quatrain faisant sens dans le cas d’Henri IV. A propos de remaniement, il ne s’agit parfois que de changer un verset voire un mot, en gardant le reste. Il ne faut donc pas chercher systématiquement d’unité dans un quatrain, quand celui-ci a pu subir une interpolation. C'est une affaire d’économie. C’est ainsi3 que le 18e quatrain de cette même Centurie IV connaît une variante dans l’almanach de Marc Coloni pour 1582, où la formule “princes ignorants” est remplacée par “Grand pontife”, le reste étant inchangé. Or le terme édict ne convient pas pour le pape mais il eût été trop compliqué de remanier le verset, on l’aura donc laissé tel quel. D’un côté, la version présentée de Marc Coloni : Des plus lettrez dessus les faicts celestes Seront par le grand Pontife reprouvez Promis d’edict chassez comme celestes Et empoignez là où seront trouvez De l’autre celle figurant dans le canon nostradamique : Des plus letrés dessus les faicts celestes Seront par princes ignorants réprouvés Punis d’Edit, chassés comme scelestes Et mis à mort la où seront trouvés Les versets 1 et 3 n’ont pas été retouchés. Signalons aussi le cas de II, 14 : A Tours, Gien, garde feront yeux pénétrants Faut-il préférer la leçon “Jean” (Macé Bonhomme) ou la leçon “Gien” (dans l’exemplaire 1605, B. Rigaud, Utrecht, Budapest) ? Ou bien a-t-on par la suite changé “Jean” en “Gien”, sur la Loire, non loin de Tours, pour les besoins de la cause ? Il semble que l’édition dite Macé Bonhomme 1555 ait préservé une version plus ancienne, ce qui nous permet de prendre conscience de l’ampleur des retouches qui peuvent en fait n’affecter qu’un mot. P. Brind’amour, qui répertorie les éditions comportant une variante ou l’autre4, nous restitue vraisemblablement la signification initiale de ce “Jean” : “La tour Saint jean à l’entrée du port était l’un des points élevés de Marseille. Le quatrain s’inspire peut-être de la réception que reçut le pape Clément VII et sa nièce Catherine de Médicis dans cette ville en 1533.” De fait, dans les premières centuries, Marseille est souvent mentionné directement ou sous la forme de Phocée. On serait donc passé de “La tour (saint) Jean” à “A Tours, Gien.... ”. On voit qu’il ne suffit pas de resituer l’origine du quatrain mais de saisir les retouches qu’on a pu lui faire subir par la suite. En ce qui concerne les mots mis en majuscules, là encore, il faut bien comprendre que la marge de manoeuvre de ceux qui voulurent recourir à un tel procédé était sensiblement limitée. Ne pouvant ou ne voulant plus remanier le texte, une solution consistait à constituer un hypertexte. Cela signifie que l’on ne peut que souligner de la sorte des mots déjà présents, et sur la masse des quatrains la tâche peut certes être envisagée encore que l’on puisse ne pas trouver le mot adéquat et dans ce cas on se reporte sur un terme approchant, soit phoniquement, soit sémantiquement. Pourquoi, par exemple, avoir - mais cela ne concerne il est vrai que les Présages (septembre 1565), mis en majuscules5 - le mot TOLANDAD, anagramme de François d’Andelot (1521 - 1569), un réformé, frère de l’amiral de Cologny, tué lors de la Saint Barthélémy (1572). C’est certainement un pis aller qui ne concerne évidemment plus Dandelot. Et pourquoi le mot BRANCHES (ANRECH) figure-t-il dans certaines éditions, sous la forme majuscule, et pas dans d’autres ? A ce propos, il semble bien que Branches ait été considéré comme un quasi-anagramme de Henri, à rapprocher d’un autre anagramme CHIREN, également souvent mis en majuscules mais existant déjà précédemment en minuscules. Mais de quel Henri s’agissait-il à l’origine à part Henri III, à partir de 1574 à moins qu’il ne s’agit du père de celui-ci, Henri II, mort en 1559 ? On trouve aussi, pour Henri, ANICR, dans le Janus Gallicus, en majuscules, déformation de aisné. Cette fois l’hypertexte va jusqu’à modifier le texte original mais c’est une exception. Un tel hypertexte constitué de quelques dizaines de mots ainsi sortis du rang est censé plaquer un discours qui fait sens pour les lecteurs d’une certaine époque.6 Bien entendu, les éditions ne comportant pas de mots en majuscules peuvent être considérées comme antérieures à l’époque où cette pratique se développait. C’est ainsi que l’édition d’Anvers (1590) ne comporte encore aucune présentation de ce type. Un cas assez remarquable est celui de l’exemplaire de Budapest d’une édition Antoine du Rosne 1557 qui ne comporte en sept centuries qu’une seule occurrence de ce type en I, 16. Faulx à l’estan ioinct vers le Sagittaire Et son hault AUGE de l’exaltation. Une autre bizarrerie tient au fait que certaines éditions ne comportent pas les premiers mots en majuscules, à la première centurie, comme ce BRANCHES et cet AUGE dont il a été question. C’est le cas notamment de l’édition datée de 1605 (type Modèle Du Ruau, MDR) et qui pour nous est la plus complète et la moins corrompue. On ne trouve d’ailleurs dans cette édition 1605 aucun mot mis en majuscules pour la première Centurie et c’est aussi le cas pour le Janus Gallicus. En revanche, on en trouve dans les Présages de cette même édition. Quant à l’édition Benoist Rigaud 1568, les majuscules de la Centurie I figurent bel et bien. En tout état de cause, il nous semble bien que toute édition comportant ne serait-ce qu’un mot en majuscule, en dehors du premier mot de chaque Centurie, appartient à une période qui ne saurait être antérieure à 1590. Cela ne signifie pas que ces éditions ne sont pas conformes à des éditions antérieures mais elles ont été retouchées pour inclure un hypertexte ou du moins sont marquées, peu ou prou, par des éditions le comportant. A noter que l’édition de Cahors, datée de 1590, et la première à comporter deux volets, à cette époque, comporte des mots en majuscules (comme BRANCHES en I, 2). Ce procédé pourrait en fait caractériser la dernière décennie du XVIe siècle et le début du siècle suivant. On voit que la période qui marque les éditions antidatées (1555, 1557, 1568) se situe après 1590 et est contemporaine du Janus Gallicus (1594 et réédition parisienne, sous un autre titre, en 1596). Quel est le message composé par ces mots ainsi soulignés par le procédé des majuscules ? Le fait que cet hypertexte figure également dans des éditions à 4, à 7, à 10 centuries voire dans les Présages, peut poser problème en ce qu’il risque d’être tronqué. En fait il semble bien que ces mots en majuscules renvoient à des versets, à des quatrains : non pas à ceux où ils se trouvent mais à d’autres comportant les mêmes mots. Prenons un cas qui semble avoir défié jusqu’à présent la sagacité tant des interprètes que des historiens du texte centurique, à savoir la forme CAR PAR NERSAF. VIII, 67 PAR CAR NERSAF, à ruine grande discorde Ne l’un ne l’autre n’aura élection. Il faut lire “Cardinal de France (anagramme Nersaf) apparaîtra”, formule qui apparait en clair en VIII, 4.7 On pourrait d’ailleurs associer cette formule avec une autre qui revient aussi à plusieurs reprises : “Roy de Bloys en Avignon régner”, dans cette même centurie VIII (quatrains 38 et 52) d’autant qu’on a aussi “Le grand Chyren se saisir d’Avignon” (IX, 41). Or GRAND et CHIREN / CHYREN (anagramme d’Henri) figurent dans lot des mots mis en majuscules, encore qu’Avignon ne soit pas mis en majuscules mais est obtenu en recherchant un quatrain comportant certains mots sous cette forme. Certes la formule “Roy de Bloys en Avignon régner” est-elle déjà attestée par Crespin (cf. infra), lequel d’ailleurs au début des années 1570 avait encouragé Charles IX à intervenir à Avignon laquelle rivalisa avec Rome au XIVe siècle, en tant que siége de la papauté et fait partie des territoires pontificaux. A noter que par “Roy de Bloys”, il faut entendre “roi natif de Blois” comme l’indique un autre quatrain X, 44 : Par lors qu’un Roy sera contre les siens Natif de Bloys subjuguera Ligures Si en ce qui concerne les éditions à sept centuries, nous pouvons comparer avec les éditions parisiennes pour vérifier que tel quatrain existait bien avant 1590, en revanche, pour les centuries VIII-X, notre seul recours est Crespin, avec ses Prophéties dédiées à la Puissance Divine (Lyon, 1572), lesquelles ne comportent que quelques extraits des dites Centuries. Rien n’empêche de penser dans ce cas qu’une formule comme CAR PAR NERSAF n’ait pas existé avant les années 1590. On trouve certes chez Crespin “Le Roy de Bloys dans Avignon régner” (au Pontife romain) mais non le verset “Cardinal de France apparoistra”. Rappelons que selon nous Crespin pourrait avoir inspiré les Centuries VIII-X en les mettant sur le compte de MDN8 et les faisant précéder d’une nouvelle mouture de l’Epître à Henri II, postdatée de 1558. Le fait d’avoir mis en lettres majuscules la forme CAR PAR NERSAF souligne qu’il existe alors un enjeu lié à l’élection d’un pape français. On brandit là la menace d’un nouveau schisme, lié, rappelons-le, à la présence simultanée de papes à Rome et à Avignon, avec éventuellement en perspective la présence française tant sur le siège pontifical qu’à l’Empire, d’où le terme de DUUMVIRAT, mis en majuscules. La période des années 1590 - 1591 est favorable à de telles spéculations : en 1590, le 27 août, Sixte Quint mourrait, remplacé par Urbain VII, qui meurt la même année, le 27 septembre, au bout de 12 jours de règne. On est dans une période où les papes règnent très peu de temps : Grégoire XIV du 8 décembre 1590 au 16 octobre 1591, Innocent IX, du 3 novembre 1591 au 30 décembre de la même année. Autant, l’on peut toujours discuter de la date de tel ou tel quatrain, autant la mise en place d’un hypertexte est-elle un phénomène, qui, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas en place avant 1590. Au delà de la signification du dit hypertexte, on peut conclure que toute édition centurique datée d’un élément hypertextuel est postérieur à l’assassinat d’Henri III, en 1589 par un moine, devant Paris. En tout état de cause, nous avons là un document à analyser et à décrypter qui semble avoir échappé aux nostradamologues de tout poil. Et est-ce que cet hypertexte est déchiffrable sans les Présages et les centuries XI-XII ? Dans ce cas, il aurait été à l’origine associé à une édition de type Modèle Du Ruau, à laquelle appartient l’édition datée de 1605 - et dont le Janus Gallicus serait le commentaire - la seule à inclure ceux-ci et les autres éditions ne comporteraient, partiellement, cet hypertexte que parce qu’elles en dériveraient mais sans en assumer nécessairement la signification. En pratique, il est peu d’éléments qui ne se retrouvent déjà dans les Centuries I-X : signalons cependant la mention de la Savoie, sous l’anagramme transparent EIOVAS, celle des Bourbons, à partir d’un quatrain qui probablement à l’origine concernait un certain Du Bourg, la mention de TOLANDAD qui pourrait désigner la Lorraine par son ancien nom de Lotharingie, Lot étant l’inversion de Tol (cf. nos annexes). Toute l’astuce consiste à pouvoir revenir vers le même signifié au travers de divers signifiants, de trouver des équivalences, des synonymies de façon précisément à pouvoir constituer un hypertexte avec une matière déjà existante. Mais c’est aussi une façon de procéder par allusion comme lorsque Venise est désignée par Hadrie. C’est d’ailleurs tout le travail du versificateur - et les dictionnaires de rimes sont là pour ça - que de concilier son propos avec l’exigence de la rime. C’est probablement ces contraintes qui confèrent au texte centurique son caractère quelque peu décalé. On ne peut exclure que chaque édition ait remanié son hypertexte. Le cas de l’édition Macé Bonhomme 1555 (Bib. Albi) est significatif. Le quatrain 96 de la Centurie III y comporte deux voire trois mots mis en majuscules que l’on ne trouve pas dans d’autres éditions des Centuries : Chef de FOUSSAN aura gorge couper Par le ducteur du limier & levrier Le faict patré par ceux du mont TARPEE Saturne en Leo XIII de Février Seuls les mots en majuscules comptent ici et en dehors du contexte originel du quatrain. FOUSSAN, ici, pourrait désigner Phocée, c’est-à-dire Marseille, même si au départ cela désignait une ville d’Italie. On ne peut d’ailleurs exclure que ces hypertextes n’aient été ainsi mis au service de camps opposés. C’est ainsi que la seule édition de notre corpus qui mette MENDOSUS ou MENSODUS en majuscules est, en dehors du Janus Gallicus, celle datée de 1605, ce n’est même pas le cas de l’édition Chevillot. MENDOSUS IX, 45 MENSODUS (sic) IX 50 Faute donc de pouvoir supprimer cette mention présente à quelques quatrains d’intervalle, se référant aux Bourbons, il semble que l’on ait préféré ne pas la souligner, ce qui est tout de même assez significatif, surtout. Ajoutons que les Présages qui ont été rejetés par toutes les éditions, en dehors de la même édition datée de 1605 comportaient un quatrain avec en majuscules d’hypertexte une autre référence bourbonienne : Bon Bourg pour Bourbon. BON BOURG (almanach pour 1559, mois d’octobre) Présage 44. En revanche, les allusions à la Lorraine et donc aux Guises n’ont pas été semblablement gommées. Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que l’évolution de l’hypertexte d’une édition à l’autre n’est pas vraiment favorable aux Bourbons, ce qui pourrait nous rapprocher de l’esprit de la Fronde ou du moins du climat délétère de la fin des années 1620, symbolisé par le siége de La Rochelle, alors que l’on commence à s’inquiéter sur l’absence d’enfants du couple royal, Louis XIV ne devant naître qu’en 1638 et le remuant Gaston duc d’Orléans, frère cadet de Louis XIII - il sera exilé en 1652 - ayant été jusque là le successeur en titre. On notera curieusement que Orléans et Lorraine ont les mêmes consonnes et que Norlaris (VIII, 60), in fine, pouvait renvoyer au duc d’Orléans. Bien plus, le second volet ne commence-t-il pas par trois majuscules, PAU, NAY, LORON, le troisième terme étant fort proche de Lorraine mais aussi éventuellement d’Orléans (Orlon) ? Intéressante ambiguïté de l’hypertexte qui a pu faire la fortune des Centuries sous la Fronde. Il est remarquable, en effet, que les deux fauteurs de trouble du Royaume entre le temps de la Ligue et celui de la Fronde portent des noms qui soient les anagrammes l’un de l’autre. Sans un tel hasard, qui sait si les Centuries eussent poursuivi leur carrière de la même façon ? Mengau, sous la Fronde, dédiera son Sixiesme Advertissement, 1652, à Son Altesse le duc d’Orléans avant de se mettre au service de Mazarin.9 Cela dit, en ce qui concerne les éditions datées 1555 et 1557, nous pensons qu’elles sont marquées tout simplement par le climat anti-Bourbon qui était propre à l’époque de la Ligue. Quant à la circulation des éditions type Benoist Rigaud 1568, nous montrons dans une autre étude10, qu’elles appartiennent au XVIIIe siècle, à l’instar de l’édition Pierre Rigaud 1566. Il est possible, dans ce cas, que certaines éditions des Centuries du XVIIIe siècle aient pu canaliser / fixer une certaine hostilité à l’encontre de la dynastie régnante, ce qui devait conduire à la Révolution, et ce d’autant que l’Epître à Henri II comportait, comme chacun sait, la date de 1792. On retiendra en conclusion que l’existence d’un hypertexte à la fois dans les Centuries et les Présages semble indiquer que l’on ne puisse à ce stade dissocier ces deux ensembles. Peut-on imaginer l’addition d’un hypertexte, dans un deuxième temps, au niveau des Présages ? Cela nous semble, somme toute, fort improbable, ce qui revient à dire que les éditions des Centuries, dépourvues des Présages mais pourvues d’un hypertexte sont issues d’éditions à hypertexte comportant et les Centuries et les Présages. CQFD. Jacques Halbronn Paris, le 12 septembre 2003 Annexes Majuscules Edition 1605 (Modèle Du Ruau) : CHIREN (Henri) II, 79 GRAND II, 94 CHYREN (Henri) IV, 24 SELIN IV, 77 DUUMVIRAT V, 23 RAPIS (Paris) VI, 23 CHIREN (Henri) VI, 70 PLUS OULTRE VI, 70 LORON (Lorraine, Orléans) VIII, 1 HIESON VIII, 16 FLORE (Florence, Médicis) VIII, 18 NORLARIS VIII, 60 PAR CAR NERSAF (Cardinal de France apparaîtra) VIII, 67 LOIN (lorrain) VIII, 92 PUOLA IX, 30 CHYREN (Henri) IX, 41 RAYPOZ (PARY, Paris) IX, 44 MENDOSUS (Vendôme, Bourbon) IX, 45 MENSODUS (sic) (Vendôme) IX 50 DRUX (Duc ?) IX, 57 PHILIP (Philippe II) IX, 89 BARBARES IX, 89 MANSOL (Mandosus ?) X, 29 LONOLE (Londres, London ? Lorraine ? Lyon ?) X, 40 LAYE (Louis ?) X, 52 Hypertexte dans la centurie XII : EIOVAS (Savoie) XII, 59 Hypertexte dans les Présages : FLORA, (Florence) Présage 8 FLORE (Florence ?) Présage 32 HENRIPOLIS (Henri) Présage 34 BON-BOURG (Bourbon) Présage 44 LOIN (Lorrain ? Guise) Présage 52 LOIN, LOIN (Lorrain? Guise) Présage 59 LOIN (Lorrain ?) Présage 70 LORVARIN (Lorrain) Présage 76 TOLANDAD (Dandelot mais aussi Lotharingie (Lorraine) ?) Présage 114 DIEU Présage 141 Majuscules Janus Gallicus : CHIREN (Henri) VI, 70 PLUS OULTRE VI, 70 HENRIPOLIS (Henri) Présage 34 LOIN (Lorrain) Présage 56 LORVARIN (lorrain) Présage 76 LOIN (Lorrain) Présage 70 LOIN, LOIN (Lorrain) Présage 69 BLOYS (Louis ?) III, 55 TOLANDAD (Dandelot, Lotharingie) Présage 114 FLORA (Florence, Médicis) Présage 8 LUIS Présage 88 LOIN (Lorrain) II, 28 LOIN (Lorrain) VI, 61 BON BOUR (Bourbon) Présage 44 LOIN (lorrain) IV, 22 LOIN (Lorrain) Présage 62 LOIN (Lorrain) Dec. 1567 (présage manquant dans l’édition 1605) LOIN (Lorrain) Présage 78 PHILIP (Philippe II) IX, 89 ANICR, en réalité, à l’origine, Aisnier (anagramme Henri) II, 2 LOIN (Lorrain) VI, 61 LOIN (Lorrain) VIII, 92 MENDOSUS (Vendôme) IX, 45 RAPIS (Paris) VI, 23 NORLARIS (Lorraine, Guise) VIII, 60 FLORE (Florence, Médicis) VIII, 18 FLORE (Florence, Médicis) Présage 32 EIOVAS (anagramme de Savoie) XII, 69 LUIS (Louis) Présage 88 Majuscules Exemplaire Benoist Rigaud, Lyon 1568 : BRANCHES I, 2 AUGE I, 16 CHIREN II, 79 GRAND II, 94 LAUDE (L’Aude ?) III, 85 SELIN IV, 77 DUUMVIRAT V, 23 SEXT V, 57 PAU, NAY, LORON (Lorraine, Orléans) VIII, 1 PAR CAR NERSAF (Cardinal de France apparaîtra) VIII, 67 HIERON VIII, 16 IURA VIII, 34 NORLARIS VIII, 60 VAR VIII 97 PUOLA IX, 30 DRUX IX, 57 POL MANSOL X, 29 OR X, 46 LAYE X, 52 Majuscules Exemplaire Chevillot (non daté) : AUGE I, 39 CHIREN II, 79 GRAND II, 94 LAUDE III, 85 SELIN IV, 77 DUUMVIRAT V, 23 SEXT V, 57 HIERON VIII, 16 IURA VIII, 34 NORLARIS (Lorraine, Guise) VIII, 60 TAG VIII, 61 PAR CAR NERSAF (Cardinal de France apparaîtra) VIII, 67 VAR VIII, 97 PUOLA IX, 30 DRUX IX, 57 MANSOL X, 29 LAYE X, 52 Majuscules Antoine du Rosne, 1557, Bibliothèque Utrecht : BRANCHES I, 2 AUGE I, 16 CHYREN (Henri) II, 79 GRAN (grand) II, 94 SEX IV, 27 CHYREN (Henri) IV, 34 SELIN IV, 76 DUUMVIRAT V, 23 SEXT V, 57 Majuscules Macé Bonhomme, Bibliothèque Albi : BRANCHES I, 2 AUGE I,16 CHYREN (Henri) II, 79 GRAN (grand) II, 94 PARIS III, 51 SAUROME (Rome) III, 58 PAU (Pô, le fleuve italien qui se jette dans l’Adriatique) III, 75 FOUSSAN (Phocée, Marseille) III, 96 TARPEE (Roche tarpéienne, proche du Capitole) III, 96 ROUAN IV, 19 CHYREN (Henri) IV, 34 Notes 1 Cf. Premières Centuries, Droz, Genève, 1996, p. 370. Retour 2 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 217. Retour 3 Cf. notre étude “Du traitement raisonné de l’iconographie nostradamique”, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour 4 Cf. Ed. Premières Centuries, Genève, Droz, 1996, pp. 212 - 221. Retour 5 Cf. B. Chevignard, Présages de nostradamus, Paris, Seuil, 1999, p. 173. Retour 6 Cf. notre étude sur le rôle des majuscule chez Chavigny, sur E. H.. Retour 7 Cf. S. Hutin, Intr. Prophéties de Nostradamus, Paris, Ed. J’ai lu, 1982, p. 70. Retour 8 Cf. Documents Inexploités, op.cit, pp. 107 - 108. Retour 9 Cf. R. Benazra, RCN, p. 223. Retour 10 Cf. notre étude “Le vrai pedigree des éditions Benoist Rigaud”. Retour

jacques halbronn Fortune du prophétisme d'Antoine Crespin Archidamus

ESPACE NOSTRADAMUS ANALYSE 137 Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin Archidamus par Jacques Halbronn Force est de constater que le texte centurique est doué d’une certaine force d’évocation et ce n’est pas sans raison qu’il a suscité autant d’intérêt au cours des siècles. La question qui se pose est la suivante : qui est l’auteur de ce texte ou en tout cas d’une partie significative de celui-ci ? La plupart des nostradamologues répondent : Michel de Nostredame. Qu’on nous permette d’en douter ! Nous exposerons ici la thèse Crespin. En effet, la meilleure façon pour déterminer qui est l’auteur d’un texte, c’est encore de rapprocher le dit texte de l’ensemble des oeuvres de tel ou tel auteur et il nous semble que Crespin donne, de ce point de vue, plus satisfaction que Michel de Nostredame, quand bien même viendrait-il après lui chronologiquement. En ce sens, le disciple, plus ou moins patenté, aurait dépassé le maître. La thèse la plus souvent admise est que Crespin aurait intégré dans ses oeuvres des quatrains ou des versets des Centuries, c’est implicitement celle qui est soutenue par Pierre Brind’amour dans son édition des Premières Centuries (Genève, Droz, 1996, p. XXVI). Toutefois, cette thèse fait problème et il nous semble, désormais, nécessaire de l’inverser, c’est-à-dire de considérer que ce sont les Centuries qui ont emprunté à Crespin, avec ou sans la complicité du dit Crespin. Si Crespin est un faussaire, il l’est aussi par son rôle dans la fabrication des Centuries comme étant l’oeuvre de Michel de Nostredame. Décidément, Crespin est une pièce maîtresse pour resituer la genèse du phénomène centurique et nous mêmes n’avons pas su en prendre immédiatement toute la mesure, comme il ressort de la lecture de nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus (Feyzin, Ed. Ramkat, 2002) qui n’étaient pas encore tout à fait parvenus à se dégager d’un certain schéma préexistant. Le cas de l’Epître à Henri II En vérité, nos positions telles qu’exprimées, il y a maintenant trois ans, n’étaient pas excessives mais bien au contraire bien timorées. Nous signalions alors (pp. 52-53) le témoignage de Crespin concernant la parution de l’Epître de juin 1558 au Roi. Or, à y regarder de plus près, il n’est pas question dans les passages que nous reproduisions de divers textes de Crespin (notamment dans son Epître à Catherine de Médicis (“la royne mère”) d’une quelconque Préface placée en tête de Centuries : “& si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter, que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophétie qui est faicte le XXVII. Jour de Iuin, 1558.à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophetie est mort & décédé.” D’abord, l’Epître centurique à Henri II - que nous connaissons - n’est pas située à Lyon mais à Salon de Provence. Ensuite, elle ne comporte pas de référence explicite à la grande conjonction Jupiter-Saturne attendue pour 1583. Il n’est pas ici question d’une Préface mais d’une Prophétie à part entière qui semble avoir été publiée pour elle-même et sans addition. Comme quoi, l’on se précipite un peu vite et on ne retient que le passage qui nous convient, ce qui vaut aussi bien entendu pour l’interprétation des quatrains où un mot est sorti de son contexte. En ce début des années 1570, Antoine Crespin, par ailleurs, ne cite pas ici le nom de Nostradamus mais se contente de préciser que l’auteur de la dite Prophétie est mort. Indiscutablement, cette Prophétie va par la suite inspirer l’Epître à Henri II en tant que présentation d’un lot de Centuries - et encore pas forcément dans les conditions qui prévaudront par la suite - la date du 27 juin 1558 sera maintenue mais pas le lieu. Quant au contenu, il sera probablement maintenu partiellement tant il est vrai que cette Epître offre un caractère composite qui trahit le fait qu’elle n’a pas été conçue d’un seul tenant. Rappelons qu’une autre Epître datant, elle aussi, de 1558 (14 Août), et une fois de plus se présentant comme faite à Salon, et attribuée à Nostradamus constitue, avec un autre dédicataire (le vice-légat d’Avignon), les Significations de l’Eclipse de 1559. Selon nous, en ce tout début de la décennie 70 du XVIe siècle, le corpus centurique n’a pas encore été établi même si certaines pièces sont déjà en place, mais sous des formes sensiblement différentes de ce qu’elles deviendront quelque temps plus tard, dans le courant de la dite décennie. C’est bien entendu le cas de la matière même des quatrains dont une partie se trouve déjà chez Crespin et dont nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une compilation d’une quelconque édition des Centuries et certainement pas, comme le soutiennent Patrice Guinard et Robert Benazra, d’une combinaison bien improbable de l’édition à 4 Centuries Macé Bonhomme 1555 et du second volet de l’édition Benoist Rigaud 1568, ce qui permettrait d’expliquer l’absence de versets issus des Centuries V-VII chez Crespin. Cela ne signifie pas pour autant que Crespin n’ait pas compilé quelque texte pour produire cette matière mais il ne l’a pas fait à partir de Nostradamus mais de quelque autre document, vraisemblablement même pas prophétique, peut-être quelque livre d'Emblèmes, que notre ami Patrice Guinard nous déclare avoir retrouvé. Cette analyse ne remet pas pour autant en question la thèse d’une édition posthume comportant une Epître de Nostradamus à Henri II et introduisant les Centuries mais nous apporte des éléments nouveaux sur la genèse de la dite Epître. Le matériau centurique pris à Crespin On commencera par ce passage de l’Epître que Crespin adresse à Charles IX dont on connaît deux éditions, l’une à Paris chez Martin le Jeune et l’autre à Lyon chez le libraire Benoist Rigaud en personne, lequel est censé avoir publié en 1568 une fort improbable édition à dix centuries qui serait due à Michel de Nostredame. Ce même Benoist Rigaud avait déjà publié, du vivant même de Michel de Nostredame la Prognostication ou révolution avec les Présages pour l’an mil cinq cens soixante cinq de Mi. de Nostradamus.C’est peut-être pour cela qu’on lui assigna la publication de l’édition de 1568. Toujours est-il que le frontispice de l’ouvrage en question comporte le même personnage mesurant le globe terrestre avec un compas que celui qui figure sur la page de garde des Prophéties par l’astrologue du très Chrestien Roy de France (Antoine Crespin) Lyon, François Arnoullet.1 Entre les divers disciples, pour le moins, des codes communs. Epître à Charles IX Extrait de l’Epître Epistre dédiée à Charles IX avec sixain en page de titre : “O Roy très invincible & la Majesté de Messeigneurs les Ducs d’Anjou, & d’Alançon, voz frères & le Pape de Rome, ensemble tous ses adherans & Messieurs de la Justice; & en general tout vostre peuple & tous les Princes & peuples de l’Europe, Soyez avertis que nous avons contemplé les neuf Climats de la terre, par les mouvements agilles du Firmament, que pour la negligence des Europiens, sera passage à Mahommet ouvert, la terre sera de sang trempée, les ports de Mer seront de voilles & Nefs couverts, l’ennemy, l’ennemy, foy promise ne se tiendra, les captifs retournez : soubz edifice Saturnin, trouve urne d’or, Capion ravi & puis rendu, Classe adriatique, citez vers la Tamise le quart bruit, blesse de nuict les reposans. Venus Neptune poursuivra l’entreprise, seres pensifz, trop les opposans. Vienne le temps que la vertu & regne florissant, tout par tout oste le vice: banny les moeurs, amendant les humains & inhumains faux & desbordez.” Quels recoupements et ceux-ci se situent-ils toujours hors des Centuries V-VII ? I, 18 Par la discorde negligence Gauloise Sera passaige à Mahommet ouvert De sang trempé la terre & mer Senoise Le port Phocen de voiles & nefz couvert Un quatrain centurique, certes, mais avec des variantes importantes. Prognostications pour 1571 On retrouve une partie de ce texte en exergue des Prognostications avec ses présages pour MDLXXI, Paris, Robert Colombel : L’ennemy, l’ennemy, foy promise Ne se tiendra le captif retourne Soubz edifice Saturnin trouvé urne D’or Capion ravy & puis rendu X, 1 L’ennemy l’ennemy foy promise Ne se tiendra les captifs retenus VIII, 29 Soubz l’edifice Saturnin trouvee urne D’or Capion ravy & puis rendu Voilà qui montre que cette prose pouvait fort bien se présenter sous forme de quatrain mais on notera l’absence de rime entre promise et rendu. Mais le passage en question se termine sur un quatrain dûment rimé - ce qui nous permet d’en affirmer l’existence - et qui correspond au quatrain d’almanach pour octobre 15552, en fait dans la Prognostication pour 1555 - puisqu’il semble qu’initialement les quatrains mensuels aient figuré dans une Pronostication et non dans un Almanach, et ce probablement à la rubrique des Lunes qui fait suite à l’étude des saisons - mais avec des versets autrement disposés : Venus Neptune poursuivra l’entreprinse Serrez pensifs, troublez les opposans Classe en Adrie, citez vers la Tamise Le quart bruit blesse de nuit les reposans Au lieu, chez Crespin, de : Classe adriatique, citez vers la Tamise Le quart bruit, blesse de nuict les reposans Venus Neptune poursuivra l’entreprise Seres pensifz, trop les opposans. Mais ce même quatrain se trouve également dans le faux almanach Barbe Regnault pour 1563 (Bibl. Municipale de Lille) et cette fois avec le même agencement : Clase en Adrie, citez vers la taminse Le quart bruict blesse de nuict les repossant Venus Neptune poursuivra l’entreprinse Serrez, pensifs trouble les opposans On relèvera simplement la variante : Classe adriatique pour classe en Adrie. Ce quatrain est toutefois attesté en anglais dans un almanack pour 1563 : Navy in Adrye toward the tamyse The fourth brut hurteth them & rest in the night Venus Neptune shall poursue entrepryse Harde/ the pensyfe shall trouble the contrary Il s’agirait donc de la traduction anglaise du faux almanach pour 1563, constitué de quatrains issus de divers almanachs et qu’il conviendrait évidemment de dater différemment. Ce sont en effet tous les quatrains du dit almanach qui sont ainsi traduits ainsi que tous les commentaires journaliers du calendrier. Mais pourquoi Crespin reprend-il le quatrain “Tamise” sous la forme de l’almanach 1563 Barbe Regnault ? A n’en pas douter, la prose de Crespin dissimule des quatrains mais cela ne relève pas nécessairement d’un emprunt aux Centuries mais bien plutôt, selon nous, cela nous révèle une production versifiée propre au dit Crespin et dans laquelle les Centuries puisèrent. Avec le cas du quatrain “Tamise”, on est en face d’un autre cas de figure, un mélange de quatrains des almanachs avec d’autres quatrains qui ne sont pas encore centuriques, mélange que l’on retrouvera dans le Janus Gallicus. Il semble bien qu’en 1571, date de la rédaction de l’Epistre de Crespin à Charles IX, le faux Almanach pour 1563 ait été publié. Il a été signalé que l’Epître à François de Lorraine, mort en 1563, l’année prétendue de la publication du dit almanach, qui s’y trouve est proche de celle de Nostradamus à Henri II.3 Or, Crespin atteste en 1573, dans son Epître à la Reine mère, Catherine de Médicis, de la parution d’une Epître à Henri II en date de juin 1558. Nous avions contesté la date de 1563 qui aurait laissé entendre que la dite Epître à Henri II serait parue avant 1566 mais cela ne nous fait pas problème de la situer au tout début des années 1570, en tant qu’oeuvre présentée comme posthume. Il n’y aurait donc rien de très surprenant à ce que l’on ait imité, peu après sa parution, cette Epître au défunt Roi comme le montre ce passage de l’Epître non datée au défunt duc de Guise : “m’a faict prendre l’audace vous vouloir consacrer ce mien petit Ephemeris” etc. Il est d’ailleurs bien possible que Crespin ait joué un certain rôle dans la fabrication du dit Almanach, ce qui expliquerait qu’il en reprendrait des quatrains remaniés à sa façon. En fait, on ne connaît la première mouture de l'Epître de juin 1558 à Henri II, laquelle n’introduisait pas encore, selon nous, de centuries, que par la dite Epître au duc de Guise tout comme on ne connaît le texte de la première Epître à César - non centurique selon nous au départ - que par les éléments que nous en transmet Antoine Couillard, dans ses Prophéties (1556). Il ne suffit pas de ne garder que ce qui se retrouve dans les moutures suivantes car il peut y avoir des passages qui n’ont pas été conservés par la suite. Passons à un sixain figurant chez Crespin, en exergue de cette même Epître dédiée à Charles IX : Le neuf Empire en desolation Sera changé du Pole aquilonaire De la Sicile viendra l’emotion Troubler l’emprinse à Philip tributaire Le successeur vengera son beau-frère Occuper regne soubz umbre de vengeance. Là encore, pas de rimes, cette fois, entre “beau-frère” et “vengeance”. Ce beau-frère, qui est ici invité à prendre le parti de la France, cela pourrait bien être l’époux de la duchesse de Savoie, soeur d’Henri II et dont Crespin se dit l’astrologue, et quant à Philip, il semble bien qu’il s’agisse là de Philippe II, vainqueur à Saint Quentin du roi de France en 1557. Quels recoupements, cette fois, avec les Centuries ? VIII, 81 Le neuf Empire en desolation Sera changé du pole aquilonaire De la Sicile viendra l’esmotion Troubler l’emprise à Philip tributaire Tout un quatrain à l’identique ! X, 26 Le successeur vengera son beau-frère Occuper regne souz umbre de vengeance Signalons, par ailleurs, un passage de la Prognostication generale pour l’année MDLXXV, parue à Lyon chez Jean Huguetan ainsi qu’à Rouen, adressée conjointement à Henri III et à son “dauphin” François d’Alençon, après la mort de Charles IX : “Le Roy Gaulois par la Celique dextre, voyant en discord la grande hierarchie sur les trois parts fera florir son sceptre. Contre la cape de la grand monarchie montera contre un griffon Viendra le Roy d’Europe accompagné de ceux de l’Aquilon. De rouge & blanc courra grand trouble, troupe allant contre le Roy de Babilon. Le vieux monarque dechassé de son règne. A l’Orient son secours ira querre, par peu de croix payera son enseigne (...) Le grand Scirin (sic) saizie d’Avignon (...) Car siecle approche de renouvellation” III, 47 Le vieux monarque dechassé de son regne Aux Orients son secours ira querre Pour peur des croix ploiera son enseigne En Mityléne ira par port & par terre Le dernier verset ne figure pas chez Crespin. X, 86 Comme un gryphon viendra le roy d’Europe Accompagné de ceux d’Aquilon De rouges & blancz conduira grand trouppe Et yront contre le roy de Babilon Il s’agit probablement de la vision de Crespin prophétisant l’alliance de la France et de l’Allemagne contre les Turcs. Crespin fut frappé par le mariage de Charles IX avec la fille de l’Empereur, Elisabeth d’Autriche à laquelle il consacre, en 1571, une Epître demonstrative, Paris, Nicolas du Mont. Dans l'Epître au Roi, Crespin du fait que “Le lys (est) avec la confederation de l’aigle” - Aigle, en latin, aquila (aquilon) - annonce la prise de Constantinople, ce qui conférera l’Empire au roi de France. Mais Charles IX décédé en 1574. IX, 41 Le grand Chyren soy saisir d’Avignon I, 16 Le siecle approche de renovation. On notera la forme “renouvellation” chez Crespin. Par siècle, il faut entendre ici le grand cycle (800 ans) de la grande conjonction Jupiter-Saturne, attendu pour les années 1580, en signe de feu. Cette configuration attendue dans le signe du bélier se manifesta en fait, à quelques degrés près du zodiaque, dans le signe des Poissons, le signe d’avant, mettant en cause la validité même de ce vénérable système. II, 69 Le Roy Gaulois par la Celtique dextre Voiant discorde de la grand Monarchie Sur les trois parts fera florir son sceptre Contre la cappe de la grand Hierarchie Inversion : “Monarchie” et “Hierarchie”. On a là un matériau qu’on ne retrouve pas toujours dans les Centuries qui aurait fort bien pu s’y trouver car il est de la même veine. Prognostication pour 1575 Extrait de l’Epître 1 Extrait de l’Epître 2 Les Prophéties dédiées à la Nation Françoise etc Epître 1574 Extrait de l’Epître Il pourrait s’agir d’un faux Crespin, le privilège citant Crespin accordé à François Arnoullet étant de 1569 alors que les éditions qui nous sont parvenues sont datées de 1572. En effet, on trouve une telle série d’adresses mais avec un contenu non nostradamique également dans l’Epistre de Profetie (sic) de paix qui doit venir au Royaume de France sans dissimulation, qui régnera plus de trois cens ans, Lyon, Jean Patrasson (BNF) : A la Royne mère du Roy (Catherine de Médicis) A la Royne de France A Messieurs les Frères du Roy A ma Dame de Savoye A ma Dame de Lorraine A monsieur l’Amiral A Mons. le Maréchal d’Anville A M. le Cardinal d’Armagnac A Monsieur l’Evesque de Grenoble A. M. de Mandelot A M. De Gorde A M. Le Comte de Tournon A M. De Montbrun A tous les Princes & Princesses de la Chrestienté Au Grand Turc “Aux Juifs exécrables & à tous ceux qui donnent conseil injustement de ruiner le peuple. Par l’astrologue du Roy Archidamus. Il vous annonce votre ruine & deshonneur car le siècle approche de renouvellation”. Cette formule se trouve également dans les Prophéties à la Puissance Divine, suivie d’un texte du même acabit mais sensiblement plus long puisqu’il couvre à lui seul une page entière.4 En fait, c’est ce texte sur les Juifs qui constituerait la seule raison d’être de toute cette publication, hormis peut-être telle ou telle adresse allant dans le même sens. PPD, Crespin 1572 Extrait des PPD Il n’est pas impossible que les dites Prophéties à la Puissance Divine, portant la date de 1572, du moins sous la forme qui nous est parvenue, soient une contrefaçon de l’Epître de Profétie de Paix, faite à Grenoble le 24 décembre 1573. En effet, le contenu des adresses est très différent et dans ce dernier cas, ne comporte aucun élément centurique. En revanche, les Prophéties à la Puissance Divine débutent par ce qui sera connu comme le premier quatrain de la première Centurie, quatrain récurrent dans la littérature “pré-centurique”. Il faudrait dès lors dater les Prophéties à la Puissance Divine de 1574 au plus tôt. La question qui se pose est la suivante : les passages figurant dans les dites Prophéties sont-ils extraits des Centuries ? Le hic, c’est que les adresses sont constituées de quatrains issus en partie de Centuries exclues des éditions de la Ligue. Or, il existe un faux indubitable, la Prophétie Merveilleuse de 1590, parue chez Pierre Ménier, un des libraires s’étant le plus soucié de faire paraître les Centuries sous la Ligue - on a deux éditions, une datée, une non datée. On y voit Crespin faire allégeance à celui que l’on appelait Charles X, un oncle cardinal d’Henri de Navarre. Les positions planétaires des années 1580, si chères à Crespin, y sont tout simplement transposées pour la décennie suivante, ce qui leur ôte toute assise astronomique. L’identité de Crespin Que savons-nous au demeurant de Crespin sinon qu’il emprunta d’abord le “titre” Nostradamus pour lui préférer celui d’Archidamus ? Dans sa Prognostication avec ses présages pour l’An MDLXXI, Paris, Robert Colombel (BNF), Crespin se présente comme étant “de Marseille en Provence” et pas encore au service de la soeur d’Henri II, la duchesse de Savoie, son mariage ayant été une des conséquences du Traité du Cateau Cambrésis de 1559. Il est médecin ordinaire de Monseigneur le Comte de Tande, Admiral du Levant, personnage auquel avait eu affaire Michel de Nostredame, provençal comme Crespin. Ces origines provençales sont d’ailleurs contestées en 1571, par le libraire parisien Nicolas du Mont, dans un Avertissement au Lecteur (p. 23) qui semble le viser, même s’il n’est pas explicitement cité : “Celuy-là natif de Paris renie sa patrie & se dit Provençal”.5 Notons que le libraire affirme avoir “esté requis & quasi importuné de mettre sur la presse ces présens Présages”. Il serait trop simple, sous prétexte que ces disciples seraient discutables de croire qu’ils n’ont fait que plagier ou compiler les Centuries. La réalité est plus complexe et il nous apparaît qu’en tout état de cause, ils auront joué un rôle essentiel, parfois à leur insu, dans la réalisation des dites Centuries lesquelles sont non point la matrice mais bel et bien la résultante de leurs productions pseudo ou néonostradamiques, si tant est qu’il s’agisse de plusieurs personnages ou d’un même usant successivement ou simultanément de plusieurs appellations. On ne saurait en tout cas ignorer à quel point cette mouvance nostradamisante est engagée politiquement dans le camp du dernier fils de Catherine de Médicis, devenu à partir de 1574, à la mort de Charles IX, l’héritier (dauphin) du trône occupé par Henri III, jusqu’à sa mort survenue dix ans plus tard et qui ouvrira une crise dynastique en faisant du prétendant Henri de Navarre, le futur Henri IV, revenu, après la Saint Barthélémy, à la religion réformée. Reconnaissons toutefois qu’on ne sait pas grand chose de ce Crespin, sinon qu’il date ses Epîtres, un genre qu’il affectionne et que l’on retrouve dans les Significations pour 1559, qui, selon nous sont antidatées et dans l'Epître prophétique “lyonnaise” à Henri II. Crespin écrit souvent d’Italie : Turin, Messine, Venise mais aussi de La Rochelle, de Grenoble, capitale du Dauphiné, souvent de Paris. C’est un prophète itinérant, fortement marqué par l’Italie et cela pourrait expliquer en partie la vogue de Nostradamus dans cette région. Mais quelle autorité dans ses propos qui éclipse selon nous quelque peu un Michel de Nostredame. Quelle imagination politique ! On rappellera les deux quatrains de la Centurie VIII avec leurs versets répétitifs et le fait qu’un des quatrains est incomplet sous sa forme centurique : “Le Roy de Bloys dans Avignon regner” (VIII, 38 et VIII, 52), formule que l’on trouve également dans un texte de Crespin Démonstration de l’éclipce (sic) lamentable du soleil que dura le long du jour de la Seint Michel dernier passé (...) par M. Anthoine Crespin, Paris, N. Dumont, 1571. Il semble bien que les quatrains centuriques reflètent les idées politiques de Crespin, et ce quand bien même ne serait-il pas le compilateur des Centuries mais seulement leur inspirateur. On voit à quel point Antoine Crespin et Michel de Nostredame se complètent : l’un par son oeuvre, l’autre par sa vie. L’addition des deux aura donné le phénomène Nostradamus. Demonstracion, 1571 Le Roy de Bloys dans Avignon Crespin et le quatrain “Avignon” C’est l’occasion de rappeler que l’antijudaïsme de Crespin qui transparaît dans certains quatrains des Centuries et qui constitue un arrière-plan de son oeuvre rend d’autant plus scandaleuse l’attribution des dites Centuries à Michel de Nostredame, dont on connaît les origines juives, lesquelles d’ailleurs étaient rappelées par certains de ses adversaires et ce d’autant plus que la famille (convertie) de Nostradamus appartenait, comme l’ont montré les biographes, à cette même communauté provençale à laquelle Crespin s’en prend.6 Crespin, s’il abuse certes de son statut plus ou moins autoproclamé, de prophète, pratique une poésie politique - comme il existe, au XVIe siècle, une poésie scientifique - n’hésitant pas à placer dans ses Epîtres des développements versifiés, ce que ne faisait pas son prédécesseur, si tant est que l’on sache exactement ce que ce dernier a véritablement produit. Que l’on lise notamment l’Epître de Crespin à Charles IX, ouverte par près d’une centaine de vers. Il importe de ne pas diaboliser Crespin ou les Nostradamus le Jeune et Mi. De Nostradamus car leur rôle dans la formation des Centuries ne fut certainement pas négligeable dès lors que l’on ne situe la parution de celles-ci dans les années 1550 mais plutôt dans les années 1570. Un Benoist Rigaud, on l’a vu, avait, avant même la mort de Michel de Nostradame, publié du Mi. De Nostradamus. En 1574, le même Rigaud publie cette fois un recueil de M. Michel de Nostradamus le Jeune, Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir etc, ouvrage qui paraît également à Troyes, chez l’imprimeur Claude Garnier. Benoit Rigaud publiera encore sous la Ligue l’Almanach pour 1587 d’Himbert de Billy lequel almanach comporte des quatrains pour chaque mois, conjointement avec le libraire parisien Jean Cavelat. Encore en 1594, alors qu’il fait paraître le premier volet des Centuries, Benoist Rigaud publie l’Almanach des almanachs le plus certain de Cormopéde, qui truffe également son calendrier de quatrains. Il est bien possible que pour Rigaud, toute cette littérature, Centuries comprises, soit considérée comme étant du même ordre. Prédictions des choses mémorables Nous conclurons que l’on trouve chez Crespin, ailleurs que dans les Prophéties à la Puissance Divine, un matériau très proche de celui des Centuries mais qui ne coïncide pas totalement. On peut certes penser que Crespin a mal recopié ou qu’il a eu accès à une édition perdue des Centuries mais nous avons la faiblesse de croire que ce n’est pas Crespin qui a emprunté mais qu’on lui a emprunté à moins qu’il n’y ait contribué délibérément, mettant ainsi son travail au service de la cause des Centuries et du culte de Michel de Nostredame. Certes, Crespin a pu brodé et ajouter à ses emprunts des éléments de son cru mais on peut tout aussi bien admettre que l’on n’a repris qu’une partie de son oeuvre comme c’est le plus souvent la règle en cas d’emprunt ou de plagiat. Dans le domaine iconographique7, la démonstration de l’existence d’un emprunt serait probablement plus aisée, dès lors que le motif emprunté appartient à un ensemble plus vaste, on pense au signe du verseau qui serait extrait d’une scène de banquet telle qu’on en organisait au mois de janvier. Dans le domaine littéraire, la notion d’ensemble de référence est peut-être plus floue mais en tout état de cause, Crespin serait une source des Centuries bien plus que leur compilateur et il convenait bel et bien de le réhabiliter. C’est dire que la genèse des Centuries se révèle autrement plus complexe que ce qu’affirment certains qui voudraient que tout soit sorti de la tête du seul Michel de Nostredame; non seulement on a identifié un certain nombre de sources des quatrains mais même les quatrains en question semblent ne pas avoir été l’oeuvre du dit Michel de Nostredame. Il faudrait en finir - on ne cessera de le répéter- avec des formules paresseuses du style “Nostradamus a dit ceci ou cela” en parlant des quatrains voire des épîtres centuriques. La vie des textes est souvent plus fascinante que celle de tel ou tel auteur et surtout elle se situe dans une autre échelle de durée surtout si l’on prend en compte et leur formation et leur fortune. Appendice I - La vignette du disciple Nostradamus le Jeune Portrait de Nostradamus le Jeune On a le portrait de Nostradamus le Jeune, il figure, dans les années 1560, muni d’un chapeau et d’une barbe sur certains frontispices, ou en page de garde, au dessus du premier quatrain de la première Centurie. Un des cas les plus remarquables est le frontispice des Prédictions pour vint (sic) ans (...) Mises en lumière par Mi. De Nostradamus le Ieune, Rouen, P. Brenouzer : “Estant assis de nuit secret estude/ Seul reposé sus la selle d’aerain/ Flambe exigue sortant de solitude/ Fait proférer qui n’est à croire vain.”8 Prédictions pour vingt ans Fontispice des “Prédictions pour vingt ans”, par Mi. de Nostradamus le Jeune Edition 1605 Edition 1649 Edition datée de 1568 Portrait de Nostradamus le Jeune dans des éditions des Prophéties Mais comment se fait-il qu’on le retrouve en frontispice de toute une série d’éditions des Prophéties de M. Michel Nostradamus ?9 Certaines avec l’année 1568, d’autres 1605 voire 1649. Signalons encore la présence de la dite vignette au frontispice d’un Almanach pour l’année 1651, (...) Composé par Antoine Chevillot, Troyes, I. Blanchard, ou encore, au XVIIIe siècle, sur des Prophéties générales nouvelles et curieuses (...) Depuis l’an 1760 jusqu’en l’an 1767. Tirées des anciens Manuscrits de Mre Michel Nostradamus, Troyes, Jean Garnier. Almanach pour l’an 1651 Fontispice de l’“Almanach pour l’an 1651”, par Antoine Chevillot Deux hypothèses s’offrent à nous : soit certains libraires se sont trompé et ont confondu Michel de Nostradamus avec un de ses disciples, soit au départ les Centuries se présentèrent comme étant l’oeuvre d’un de ses disciples ou en tout cas mises en lumière par lui. II - La vignette d’Auger Gaillard Dans l’historique des vignettes, nous signalerons le cas d’un poète du Sud Ouest Auger Gaillard10 dont la vignette figurant sur certaines des oeuvres parues au XVIe siècle va se retrouver sur nombre d’éditions des Centuries, au siècle suivant11 sans que l’on sache très bien pourquoi. Auger Gaillard Edition 1644 Origine d'une vignette nostradamique du XVIIe siècle III - Le quatrain “Secret Estude” Ce quatrain est récurrent dans la littérature néonostradamique, c’est-à-dire celle des disciples et autres succeseurs. De deux choses l’une, ou bien il s’agit d’un emprunt au premier quatrain de la première Centurie ou bien il s’agit d’un emprunt de la dite Centurie à la dite littérature. Or, le quatrain en question se présente parfois avec des variantes : “Que moy estant ravy en mon secret estude/ Et reposant tout seul sur la selle d’aerain/ Un exigu flambeau sortant de solitude/ Me faict dire cecy que ne croyrez en vain.”12 Quelle audace vraiment que de trafiquer un quatrain aussi célébre ! Certes Crespin, à d’autres endroits, est plus proche de la version canonique.13 Mais la variante ci-dessus nous paraît tout aussi pertinente : “ravy” étant plus “noble” que assis et aussi cette forme “dire cecy” ne convient-elle à merveille pour un quatrain introductif alors qu’il s’adresse directement à son lecteur ? Comment d’ailleurs si les Centuries étaient alors déjà parues pourrait-on se permettre de telles fantaisies de la part d’un Archidamus ? En outre, comment Crespin pourrait-il se permettre de reprendre tant de versets des Centuries sans citer ses sources ? En 1577, Crespin Archidamus connaissait-il les Centuries telles que nous les connaissons ? Il ne nous semble pas. Rappelons que nous n’avons pas d’assurance de leur existence avant 1584 et leur mention dans la Bibliothèque de Du Verdier comme l’a rappelé, en son temps, Patrice Guinard. On notera que Du Verdier désigne l’ouvrage sous le titre “Dix Centuries de prophéties par quatrains” et non par le titre que nous connaissons. On peut se demander si 1578 ne serait pas justement la “bonne” date pour situer la première parution de Centuries, attribuées à Michel de Nostredame. Entre 1578 et 1584, on sera passé à dix Centuries. On notera qu’après 1577, nous n’avons plus rien de très significatif de la part de Crespin. Le terme même de “Centurie”, comme synonyme de prédiction introduite par un quatrain, suivie d’un commentaire, ne figure chez Crespin qu’en 1586, dans la Pronostication astronomique pour six années (s.l.n.d., Bibl. Lyon La Part Dieu, cote 315920) et encore cela concerne-t-il en fait les années 1593 à 1598. En ce qui concerne l’Epître de Jean de Chevigny en tête de L’Androgyn de Dorat, Lyon, Michel Jove, 1570 et qui comporte une référence - la première du genre avec numéro canonique du quatrain et de la centurie - au quatrain correspondant au “monstre”, nous avons montré (dans une étude sur Espace Nostradamus) que nous avions affaire à un faux datant de la fin des années 1580, réalisé à partir du Tractatus de Monstris d’Arnaud Sorbin datant de 1570. IV - Les deux éditions des Prophéties dédiées à la Puissance Divine (1572) PPD Crespin 1 PPD Crespin 2 Les deux éditions Crespin des “Prophéties dédiées à la Puissance divine” Les bibliographies nostradamiques n’ont pas su distinguer les deux éditions, parues chez le même libraire lyonnais, François Arnoullet, en la même année 1572 alors que la disposition de la page de titre est différente, la seconde édition (conservée à la British Library) mettant en majuscules plus de mots que la première. Mais même le titre n’est pas exactement le même : A. Prophéties par l’astrologue du treschrestien Roy de France etc. B. Prophéties par l’astrologue du Roy de France etc. Privilèges Crespin Les Privilèges des “Prophéties dédiées à la Puissance divine” Le privilège, également, diffère : celui de la première édition14 comporte deux dates (24 mars 1572 et l’an 1569), celui de la seconde aucune. Il n’est nullement certain que ces deux éditions soient l’une et l’autre parues en 1572, année de la Saint Barthélémy. Certains traits de la seconde la rendent, en tout cas, pour le moins suspecte.15 Malgré l’addition de nouveaux versets de quatrains, ceux-ci n’appartiennent jamais aux Centuries V-VII. Jacques Halbronn Paris, le 15 janvier 2005 Notes 1 Cf. Documents inexploités, op. cit., p. 205. Retour 2 Cf. RCN, p. 8. Retour 3 Cf. P. Guinard sur ce sujet, sur le Site CURA.free.fr. Retour 4 Cf. Documents Inexploités, op. cit., p. 226. Retour 5 Cf. Présages pour Treize ans, réalisés par M. de Nostradamus le Jeune, dédiés au Duc d’Alençon, dédicataire de nombreux textes dus à des disciples plus ou moins douteux de Michel de Nostredame. Voir Bibl. Lyon La Part Dieu, cote 315921. Retour 6 Cf. notre article sur ce sujet, sur le Site du CURA.free.fr. Retour 7 Cf. notre article paru à la rubrique Tarotica, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour 8 Cf. RCN, pp. 90-91. Retour 9 Cf. RCN, A 25 et A 26, p. 639. Retour 10 Cf. notre étude parue sur Espace Nostradamus. Retour 11 Cf. RCN, A 15 et A 16, p.637. Retour 12 In Au Roy Episre et aux autheurs de disputation sophistique, Paris, Gilles de S. Gilles, 1577. Retour 13 Cf. “Au Roy par son Astrologue”, in Prophéties dédiées à la Puissance Divine. Voir Documents Inexploités, op. cit., p. 210. Retour 14 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed . Ramkat, 2002, p. 206. Voir aussi sur Gallica, pour une version numérisée. Retour 15 Cf. notre étude de cette édition, Documents inexploités, op.cit., pp.77-80. Retour