mercredi 7 juillet 2021

jacques Halbronn Quelques observations sur les travaux de Patrice Guinard concernant le Corpus Nostradamus

Quelques observations sur les travaux de Patrice Guinard concernant le Corpus Nostradamus Par Jacques Halbronn Nous étudierons l’ouvrage intitulé Nostradamus occultiste : Codes et procédés de déchiffrement dans l’œuvre de Nostradamus (Books on Demand, 2015) dont on nous dit que « cet ouvrage rassemble mes études parues au CURA depuis l’an 2000é Guinard parle dans sa présentation de « scénarios salissant la mémoire du prophéte » (p. 5),il condamne au pilori tout « dépréciateur », « dénigreur » et se déclare « nostradamiste », c’est-à-dire gardien de l’image de Michel de Nostredame. Il faut de la « sympathie » pour le sujet que l’on aborde. Guinard se veut le défenseur de la « doxa » nostradamiste et il la récite comme on le fait à l’église pour le « credo » avec la succession des événements : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts. Je crois en l’Esprit-Saint, à la sainte Eglise catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle. Amen. » Crédo de Guinard : « Nostradamus divise ses Prophéties en deux livres : chacun précédé d’une préface. Le premier livre est publié en deux éditions successive en 1555 chez Macé Bonhomme avec un privilége pour deux ans puis en 1557 dans deux versions différentes chez l’imprimeur lyonnais Antoine du Rosne Le second livre est publié l’année suivante en 1558 comme l’atteste la préface etc « (p. 7) La messe est dite ! Un bon nostradamiste, qui se respecte, doit impérativement croire un tel narratif des éditions successives et cite à l’appui de son propos la Préface datée de 1555 à César, le fils de Nostradamus et (p. 75) la mention d’une milliade dans l’Epitre à Henri II datée de 1558 Un tel discours serait excusable s’il datait d’avant les années 1989-90 mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, depuis 30 ans. Guinard reconnait qu’il a commencé à publier « depuis 2000 », certainement influencé par notre exemple. Il accorde une place centrale au « cycle saturnien » (p. 39) important chez Pierre d’Ailly (cf Astrologie et Religion au Moyen Age, de Denis Labouré) La question que nous posons est la suivante : à partir de quel seuil de précision doit-on commencer à considérer que l’on a affaire à un faux ? Pour Guinard, plus c’est précis, plus cela vient valider un texte alors que pour nous cela le rend suspect. Le rôle du critique est de signaler des précisions invraisemblables. Arrêtons- nous sur la mort en tournoi d’Henri II en 1559 dont on voudrait nous faire croire qu’elle aurait été annoncée. Si l’on ne note pas l’anagramme du quatrain I, 35 « Dans caige d’or les yeux lui crévera » (cf Guinard, pp. 149 et seq), on ne prend pas la mesure de la surenchère prophétique qui discréditera d’ailleurs les Sixains dont la précision est bien trop grossière pour être crédible comme le note l’auteur anonyme, en 1656, de l’Eclaircissement des véritables quatrains (cf Le Dominicain Jean Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique. Post Doctorat, 2007). Pourtant Guinard avait disposé des données nécessaires pour déceler les ficelles de ce verset puisqu’il nous rappelle que « Gabriel de Montgomery ( 1530-1574) (est le) fils ainé de Jacques, sieur de Lorges » et il y a là un clin d’œil qui n’aura pas échappé aux initiés de l’époque, même si ce point n’a pas été relevé. Comme dirait Guinard, il importe de se mettre à la place des personnes que l’on étudie. Cela lui aurait permis de s’apercevoir que « caige d’or » est l’anagramme de « Lorges » On lira en fait qu’un certain « Lorges » (ge d’or) les yeux lui (le roi) crévera » La question des noms propres se révéle en fait souvent la faille des faussaires, justement parce que cela impressionne plus que tout les esprits. On sait que Dumézil se sera arrété sur le quatrain comportant le nom de Varennes dont Chantal Liaroutzos nous a montré que ce nom figurait dans la Guide des Chemins de France de Charles Estienne (cf son étude dans Réforme Humanisme Renaissance), ce qui d’ailleurs aura conduit, dans un souci de « précision », à changer Chastres, dans le texte en Chartres pour que cela corresponde au lieu prévu pour le couronnement d’Henri IV, précision invraisemblable tant la coutume désignait Reims, ce à quoi même un Charles VII n’aura pas dérogé au début du XVe siècle malgré une situation aussi chaotique que sous la Ligue, à la fin du XVIe siècle… Dans notre étude « Les prophéties et la Ligue » (Actes du Colloque de 1997 Prophétes et prophéties), nous avons montré que la mention de la ville de Tours en IV, 46, donc censé avoir figuré dans l’édition Macé Bonhomme 1555, était lié à la situation politique des années 1588-89, date à laquelle le quatrain en question était apparu alors qu’il ne figurait pas dans les éditions précédentes de ces années (cf Robert Benazra, Répertoire Chronologique Nostradamique, 1990). Cette question de la succession des éditions ligueuses est soigneusement occultée par Guinard car cela mettrait à mal tout son échafaudage. En effet, le scénario selon lequel les quatrains qui s’ajoutent entre deux éditions dans ces années 1588-1589 ne faisait que restaurer les éditions des années 1550 alors que l’on a affaire tout simplement à un chantier « in progress « , quitte à antidater pour donner plus de force au texte – ne peut que séduire que les nostradamistes les plus acharnés. Car contrairement au cas de Guinard, les auteurs auxquels il se rallie n’avait pas connaissance des arguments avancés, ils n’étaient donc pas dans la même situation et auraient su reconnaitre honnétement ce qu’il en était. Mais Guinard lui est dans la « persévérance » dans l’erreur. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » La question des anagrammes est la marque des Sixains, dont nous avons montré (cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, 2002) qu’ils étaient dus à Morgard avant d’être récupéré pour le « troisiéme volet » (daté de 1605), sort qui sera aussi celui d’un Antoine Crespin, reprenant d’ailleurs parfois tel texte en prose de Nostradamus comme dans le cas de « macelin » (jeu de mots à partir de Marcelin) Le cas de Robin renvoyant à Biron (sixain 6) aura marqué les esprits (L’Avenir dévoilé, ou Concordance des prophéties de Nostradamus, avec les événemens passés, présens et à venir de la Révolution, Hambourg, 1800. Mais cette fois, personne n’aura pris la peine de fabriquer une édition antidatée, ce qui aura refroidi les enthousiasmes. Guinard a certainement raison de conseiller aux chercheurs d’éprouver quelque empathie pour leur « corpus » mais il y a des limites à la crédulité à ne pas dépasser même si c’est pour la « bonne cause » ! JHB 07 07 21