samedi 12 juin 2021

Jacques Halbronn Le couple Jupiter Saturne, d'André Barbault à Denis Labouré

Le couple Jupiter Saturne, d’André Barbault à Denis Labouré Par Jacques Halbronn L’histoire de la dialectique Jupiter-Saturne est au cœur de notre approche de la pensée astrologique. Nous avons voulu ici aborder cette question par le biais d’ observations autour de deux ouvrages, Jupiter & Saturne, un collectif sous la direction d’André Barbault ( Ed du CIA, 1951, réédition 1980 avec une nouvelle présentation par André Barbault, Editions Traditionnelles) et Astrologie & Religion au Moyen Age de Denis Labouré Suivi de la traduction en langue française par le Dr Giuseppe Nastri de la Concordantia astronomie cum hystorica narratione du cardinal Pierre d’Ailly, Domuni Press 2019) I Jupiter & Saturne La page de couverture présente deux visages, l’un dilaté (de Jupiter), l’autre contracté (de Saturne), ce qui résume bien l’orientation général de ce collectif Guy Fradin avertit « La découverte d’Uranus et Neptune, celle de Pluton, ont fait perdre aux conjonctions de Jupiter et de Saturne leur ancienne prépondérance (p. 39) Maurice Lunzinger, à qui l’on doit les dessins,note » C’est l’étude sur l’opposition des deux types Jupiter et Saturne qui a amené le Dr Louis Corman à édifier tout son système de morpho-psychologie. C’est ainsi qu’il déclare dans son Manuel de Morpho-psychologie (1948) » L’opposition de Jupiter et de Saturne (..) Par exemple, la bonne humeur habituelle, la bienveillance, l’esprit de société, le sens pratique, l’attachement aux choses du monde s’expliquent aisément chez le Dilaté Jupiter par son excellente adaptation au milieu. Inversement, l’humeur inquiète , la misanthropie, l’indépendance, le goût des spéculations théoriques se rattachaient chez le Rétracté Saturne aux difficultés d’adaptation » Jean Carteret Mythologie : « L’histoire de ce dieu est qu’il n’a pas été avalé par son père (…) Le Jupiter mythologique déborde singulièrement le Jupiter astrologique » (p. 54) Brahy : Les tendances sociales « Dans le jeu des influences planétaires, Jupiter et Saturne forment ce que l’on peut appeler « un couple » de forces inversement polarisées ou encore les deux pôles d’expression d’une même force. Il n’y qu’à considérer les hiéroglyphes (sic) de ces deux planètes pour s’en rendre compte » (pp. 181 et seq) Notre commentaire : il nous semble que les propos ici tenus en 1950 se fondent sur une représentation faussée du processus social. On voudrait croire que la vie en société est épanouissante alors que l’individu isolé serait en souffrance. Or, nous pensons que rien n’est plus contraignant que l’intégration sociale que l’on nous présente comme une « adaptation » mais à quel prix ? L’on sait d’ailleurs à quel point les exigences d’intégration, d’assimilation font désormais probléme. La « socialisation » passe par l’apprentissage d’une langue, d’une, d’une discipline ; d’une culture commune, le terme assimilation renvoyant à la similitude, au conformisme. Cela ne signifie pas que les gens ne soient « heureux » de leur sort… C’est pourquoi, nous pensons que Saturne est lié au processus de socialisation en ce qu’il a de plus pesant. A l’inverse, nous pensons que le chercheur, le créateur, dans leur « tour d’ivoire » sont bien plus libres que l’homme moyen, prisonnier de toutes sortes de conventions, de préjugés dont, éventuellement, l’homme « libre » saura le libérer en lui ouvrant sa cage. Autrement dit, la survalorisation de l’adaptation conduit à une inversion : l’assimilation est saturnienne avec ce qu’elle peut avoir de tatillon, de mesquin mais c’est bien le Saturnien qui est « sociable » si l’on ne prend pas cette expression comme une valeur d’épanouissement du moi. Celui qui a un Moi puissant n’est pas « sociable », il faut une certaine faiblesse de caractère pour l’être ! L’on assiste donc ici à une certaine projection idéologique sur l’astrologie dont il faut absolument s’émanciper et purger l’astrologie/ Les ouvrages comme Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley ou 1984 de Horwell nous dressent le portrait d’une société lobotomisée. On notera qu’en 1945, Barbault dans son Astrologie agricole (.) classe Saturne avec Uranus et Jupiter avec Neptune. Il est vrai que l’un des domiciles de Saturne, le Verseau a été attribué à Uranus et que l’un des domiciles de Jupiter , les Poissons, a été attribué à Neptune mais il reste que le couple Saturne-Neptune et le couple Jupiter Uranus sont plus pertinents ! Cela dit, il nous semble bien que le binome Uranus Neptune élaboré par les astrologues au milieu du XIXe siècle, à la suite des découvertes de 1781 et 1846 doive avant tout être considéré comme une projection des valeurs Jupiter-Saturne, à partir de l’Inconscient Collectif. Il ne faudrait donc pas considérer les significations comme visant les « nouvelles planétes » mais au contraire comme l’émergence d’archétypes genérée par ces découvertes. D’ailleurs, on ne saisit pas le lien qui peut exister entre le dieu Ouranos et ce qui est dit par les astrologues sur cette planéte. En fait, Uranus est associé à l’époque avec l’idée de révolution à commencer celle de 1789 alors que Neptune correspondrait au phénoméne communiste qui prend forme au moment de la découverte de cette planéte. Or, il y a bien là une polarité : Jupiter, pour nous, est une énergie de transformation dans le temps alors que Saturnne s’inscrit dans une spatialité, dans une uniformité sociale. Et selon nous, cette dualité résume bien la combinatoire des enjeux dont traite l’Astrologie. II La conjonction Jupiter-Saturne en astrologie mondiale Il est question du De magnis coniunctionibus d’Albumasar (pp. 117 et seq) – les « grandes conjonctions » Labouré en rappelle les régles bien connues ; « Les conjonctions de Jupiter avec Saturne se produisent tous les 20 ans mais elles se produisent pendant deux siècles dans les signes de même élément « ‘(p. 136) Ce qui donne un cycle global de 960 ans (4×240 ans) Le changement de « triplicité » (cf les 4 Eléments) désigne une conjonction majeure, tous les 240 ans. A propos de la « fortune » des spéculations de Pierre d’Ailly en rapport avec la venue de l’Antéchrist – Bulletin de la Société Historique de Compiégne, 1993 (Colloque européen 16-17 mai 1992 de Pierre d’Ailly à Christophe Colomb) « Pierre d’Ailly et l’Antéchrist » (pp. 49-78)/ En 1994, Laura Ackerman Smoller fit paraitre à l’Université de Princeton « History, prophecy and the stars. The Christian Astrology of Pierre d’Ailly 1350-1420 » Notre étude ignorée de Labouré, précéde donc celle de Smoller. En 1998, signalons notre communication « Accomplissement des prophéties / Pierre DuMoulin » in Colloque Formes du millénarisme en Europe à l’aube des temps modernes. Année: 2001, Pages: 233-245, on ne peut s’empêcher de décéler une influence « alliacienne » dans la refonte centurique de l’Epître contrefaite de Nostradamus à Henri II, datée de 1558 (et qui se calque sur celle de 1556), vraisemblablement parue, en fait, dans le cours de la décennie 1590. On y trouve la « persécution de l’Eglise » et l’année 1789 rendue comme 1792. Antoine Couillard en 1556 ironisera sur cette date avancée de 1789 reprise en 1550 par Richard Roussat dans son Livre de l’Estat et Mutation des temps. Signalons aussi que Nostradamus s’était bel et bien intéressé à l’arrivée de l’Antéchrist dans son Epitre au Pape Pie IV dans ses publications pour 1562 (cf la réédition au début du XXe siècle bet notre article en 1991 dans la revue Réforme Humanisme Renaissance) ce qui ressort de l’un de ses quatrains autour de « Macelin » (déformation de Marcellin), naissance qu’il situait autour de 1566-67, ce qui correspondra surtout à la date de sa propre mort. Autrement dit, les contre façons de la production de Nostradamus reprennent toujours peu ou prou des textes authentiques. On regrettera que cette Epitre au pape ait été éclipsée au moins nominalement par celles à César et à Henri II . A la même époque où paraissait la mouture contrefaite de la première épitre à Henri II (cf Prophética aleph Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat 2002) le juriste angevin Jean Bodin reprendra le terme « mutation » dans les Livres de sa République en rapport avec les conjonctions Jupiter-Saturne. Bodin polémiquera avec Auger Ferrier sur ce sujet (cf notre DEA 1981 Lille III, en ligne sur la plateforme SCRIBD) Il est clair que Pierre d’Ailly entendait au moyen de l’astrologie refondre la science historique. On sait que ces deux domaines seront in fine recalés, à la fin du XVIIe siècle, par l’Académie Royale des Science, ce qui ne se serait pas produit si la connexion avait vraiment pu être établie. ¨Parmi les précureurs de Pierre d’Ailly, signalons le Meguilat Hamegalé d’Abraham Bar Hiyya au XIIe siècle ( cf Le monde juif et l’astrologie, Milan, Arché 1985) Pour notre part nous avions émise l’hypothèse selon laquelle Pierre d’Ailly, en 1414, avait surtout voulu repousser les échéances prophétiques de son temps. Pour conclure sur la dualité Jupiter Saturne, il semble bien qu’elle doive occuper une place centrale pour l’astrologie du XXIe siècle (cf notre brochure l’Astrologie selon Saturne, 1994-1995) On notera que la théorie des grandes conjonctions n’aborde pas la signification spécifique de Jupiter d’une part et de Saturne de l’autre mais se fixe sur la combinatoire des deux. 11 06 21 JHB

Jacques Halbronn L'apport de Mireille Huchon à la recherche nostradamologique

L’apport de Mireille Huchon à la recherche nostradamologique Par Jacques Halbronn Début 2021 parut chez Gallimard , dans la collection Biographies, un ouvrage ambitieux, à savoir le « Nostradamus » de Mireille Huchon, spécialiste de Rabelais. Embrassant un grand nombre de publications, on se demandera si la montagne n’a pas accouché d’une souris. A la différence d’Hervé Drévillon et Jean-Paul Lagrange, auteurs en 2003 d’un précédent opus chez le même éditeur, Mireille Huchon nous offre une quantité de notes de bas de pages mais sans index des travaux de recherche sur le sujet et sans bibliographie si ce n’est une dizaine de titres dans une rubrique intitulé « Nostradamiens » (p. 349). On est donc condamné à dépouiller l’entrelacs des notes non pas placées en bas de page mais en vrac pp. 311- 349) Dans la quatriéme de couverture, on insiste sur le caractère ‘biographique » plutôt que « bibliographique » du travail entrepris. « à la faveur de documents récemment exhumés » (cf pp. 292 et seq). De quels documents s’agit-il du Recueil des Présages Prosaïques, édité en partie dès 1999 aux éditions du Seuil par Bernard Chevignard et de la correspondance, éditée par Jean Dupèbe (Lettres inédites, (Travaux d'Humanisme et de Renaissance, n° CXCVI). Genève, Librairie Droz, 1983), donc des éléments connus déjà depuis un certain temps, vingt ans et quarante ans environ respectivement. Mais peut-on séparer biographie et bibliographie dans le cas de Nostradamus ? Un tel exercice apparait vite comme acrobatique. Cela contraint l’auteur à admettre d’office que le domaine bibliographique ne fait plus problème, surtout depuis les publications de Chomarat, Benazra et Brind’amour – entre 1989 et 1993- âge d’or en quelque sorte de la recherche en ce domaine -et qu’il est enfin temps de passer au stade biographique. Exemple :’ De son vivant, ses livres de prophéties n’avaient pas remporté un succès comparable à celui de ses productions annuelles » (p. 263) Dont acte. L’affaire est entendue. Le lecteur est fixé : Nostradamus a bien publié « de son vivant » ses « prophéties ». On nous explique qu’en « 1588, 1589 et 1590 les éditions des Prophéties de Nostradamus (…) sont publiées sans les trois dernières centuries »(p.272) Mireille Huchon se contente donc de constater qu’aucune « réédition » à 10 centuries n’aurait eu lieu entre 1568 et 1590 sans se demander si l’édition de 1568 a jamais existé, ce qui permettrait de comprendre pourquoi il n’en fut pas question dans les années citées. On voit là à quel point la biographie est tributaire de la bibliographie puisque la biographie est contrainte de conférer une réalité existentielle à toute la chronologie des œuvres, ce qui est là franchir un seuil redoutable ! Mireille Huchon ne peut éviter l’ecueil bibliographique quand elle évoque «  l’existence d’une édition en 155_ aujourd’hui perdue »(p 264) Quant à l’argument selon lequel certains quatrains traitent de telle époque du vivant de Nostradamus, c’est bien léger. Ce qui est plus grave, c’est quand certains quatrains traitent de la période de la Ligue (cf notre communication in Prophétes et Prophéties 1997) mais on peut alors mettre cela sur le compte de la vertu prophétique !D’ailleurs, Mireille Huchon s’interroge : » Préscience réelle s’il existe bien une édition publiée en 1558, ou prescience forgée par quelque faussaire qui a pu vouloir, après coup, donner l’illusion de la capacité de prophétie de Nostradamus » (pp 264-265) Mireille Huchon est tout à fait avertie de l’usage de la Guide des Chemins de France (1552) et elle ne s’étonne pas plus que cela que Nostradamus se soit amusé à compiler cet ouvrage truffé de noms de lieux.(pp. 265 et seq) tout comme elle ne s’étonne pas que ‘Nostradamus se (soit) fait chroniqueur de la royauté française ». Il ne lui vient pas à l’esprit que de tels procédés seraient précisément ceux de tacherons payés par des libraires faussaires pour faire du quatrain à la chaîne ! Mais revenons sur le propos de Mireille Huchon (p. 266) à propos des quatrains géographiques (signalés par Chantal Liaroutzos) Elle mentionne la « correction « de Chastres en Chartres sans se demander ce que vient faire Chartres dans ce quatrain ; Or, la « correction » n’est nullement innocente, elle fait référence, selon nous, à l’annonce du couronnement d’un Henri IV, converti, dans la cathédrale de Chartres au lieu et place de celle de Reims qui lui est inaccessible dans les années 1593-94, ce qui, dans ce cas, permettrait de dater le quatrain pour ce moment qui fait suite à la fameuse formule «  Paris vaut bien une messe ».Il semble donc que Mireille Huchon ait pu croire que la forme « Chastres » était une erreur de la Guide des Chemins de France que l'on aurait corrigée dans le quatrain en question, alors que Chastres était tout à fait correct et n'a été changé en Chartres que pour les besoins de la cause ! Chastres alias Arpajon correspond bien géographiquement aux autres communes citées, ce qui n'est pas vraiment le cas de Chartres ! Mais venons-en à l’usage que tire Mireille Huchon du Recueil des Présages Prosaïques qui devait lui permettre, selon ses dires, de faire avancer le shmiblic. Elle nous parle d’extraits alors qu’il s’agit carrément de la reproduction intégrale de publications annuelles comme l’exposait Bernard Chevignard, en 1999, selon nos conseils. Mireille Huchon s’est probablement arrétée, par mégarde, dans ses notes en ce qu’en disait Pierre Brind’amour (décédé en 1995) en 1993 (Nostradamus astrophile) qui ne disposait pas d’assez d’exemplaires des imprimés de l’époque pour porter un jugement tout à fait pertinent. En fait, l’intérêt du dit Recueil, comme nous l’avons montré, est de nous permettre de retracer la genése de la préface à César dont Antoine Couillard se -fait l’écho en 1556 dans ses Prophéties sur lesquelles elle s’étend quelque peu (pp ; 166 et seq). Au premier abord, un tel témoignage semble attester de la parution de l’édition 1555 de Macé Bonhomme, qui s’ouvre par la dite Préface. Mais, justement il convenait de comparer le texte de Couillard avec la production de Nostradamus à ce moment -là, ce que permet justement le dit Recueil des Présages Prosaïques. L’on observe alors que certains passages des Prophéties de Couillard reprennent des éléments de la production de Nostradamus d’alors alors qu’on ne les retrouve pas dans la Préface à César en tête de la dite édition 1555. Inversement, à la lecture de la correspondance éditée par Dupébe, il n’est nullement question des Centuries mais –selon le texte latin d’une des lettres, d’ »éphémérides », c’est-à-dire d’almanachs –Dupébe ayant mal rendu ce passage (cf notre post doctorat Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique. EPHE 2007) dont il ne semble pas que Mireille Huchon ait pris connaissance 12 ans plus tard. Quant à Ronsard (cf pp. 213 et seq), dans son Elégie (dont Hervé Drévillon et J. P. Lagrange avaient traité avec une certaine désinvolture en 2003 dans son Nostradamus. L’éternel retour, chez le même éditeur, il n’attribue nullement la mort du Roi à une prophétie de Nostradamus –il s’agit d’une cométe qui avait laissé pressentir un drame notamment chez Junctin de Florence (cf Isabelle Pantin sur cette question, p. 477). Ronsard fait référence explicitement aux prédictions annuelles qui ont fait sa réputation et rappelons que ses almanachs comportaient des quatrains tirés de ses textes en prose – et dont il ne fut probablement même pas l’auteur- lesquels inspirèrent les faussaires dans leur projet « centurique ». L'annee 2003, célébrant la naissance de Nostradamus en 1503 inspira des éditeurs tels que Gallimard et Flammarion d'où la sortie des "Prophéties / Nostradamus ; présentation, notes, glossaire et bibliogr. par Bruno Petey-Girard. et la biographie de Lagrange et Drévillon qui s'avancèrent sur un terrain miné, mal préparés au répérage des supercheries littérairs/ . JHB 11.05. 21