Dernières avancées de la critique nostradamique
par Jacques Halbronn
Dans
le cas de Nostradamus, il ne faut certes remonter qu’au XVIe
siècle mais c’est plutôt le trop-plein qui alors menace et il
importe de savoir distinguer le bon grain de l’ivraie, les textes
authentiques et les contrefaçons que l’imprimerie n’aura fait
que multiplier. Croire que la proximité relative dans le temps
serait le garant d’une fiabilité des « sources » serait
l’expression d’une certaine naïveté En revanche, les procédés
du XVIe siècle peuvent nous mettre sur la piste de ceux utilisés
bien des siècles plus en amont.. Peut-on mettre en parallèle la
transfiguration du personnage de Jésus et celle de Michel de
Nostradame (de préférence à de Nostredame), notamment au lendemain
de leur mort puisque selon nous c'est au lendemain de la
mort du « Mage de Salon » que le phénomène
centurique se met en place- au regard de la postérité en vue de
fabriquer le personnage du prophète français, tous les procédés
étant admis pour la « bonne cause » - encore que
l'on n'en connaisse guère de commentaire avant 1594, ce qui vient
confirmer notre thèse d'une production démarrant réellement au
milieu des années 1580. On dispose d'un seul exemple d'un quatrain
dûment cité (cf Brind'amour, Introduction Les Premières
Centuries ou prophéties, Droz, 1996, p. LII) avec sa signalisation
officielle en centurie et en quatrain (II, 45) en dehors des
éditions elles-mêmes, relatif à la naissance d'un androgyne et
cela date de 1570 mais nous exprimons les plus vifs doutes sur
l'authenticité de cette pièce manifestement antidatée, ce qui nous
conduit à penser -si on associé cela au cas Crespin avec ses
éditions datées de 1572 qu'il y eut une tentative pour créer un
pôle d'éditions autour de 1568 avant d'en créer un autre, par la
suite, carrément du vivant de Nostradamus, autour de 1555.-1558,
dates des deux épîtres introductives aux centuries.
A
partir de 1990, nous commençâmes à demander à Brind'amour et à
Benazra de nous faire part d’éléments attestant de la circulation
des centuries en dehors du corpus des dites éditions. C'est ainsi
que jusqu'alors la mention du dit quatrain II, 45 ne figure pas dans
les bibliographies alors même que celles-ci signalent l’œuvre
!(cf Benazra, RCN pp. 95-96). La mention de ce quatrain figure
dans « L'androgyne né à Paris le 21 juillet 1570 illustré
des vers latins de Jean Dorat, contenant l'interprétation de ce
monstre avec la traduction d'iceux en françois par Chevigny,
» Lyon, Michel Jove, 1570 et nous pensons qu’il s »’agit
là d’une contrefaçon, fabriquée par Jean,-Aimé de Chavigny,
lors de la parution d’un recueil d’œuvres jusque là restées en
partie manuscrites, en 1586 , le dit Chavigny se prétendant
le même personnage que le Jean de Chevigny, qui fut secrétaire de
Nostradamus et se substituant à lui dans certains cas comme pour
l’épître de 1570 adressée au président Larcher.
D’aucuns
croient faire œuvre de science en s’en tenant aux documents
existants alors que la Science exige de formuler des hypothèses plus
ou moins probables mais rien ne se fait sans une certaine qualité de
la Cité scientifique propre à chaque domaine et laquelle Cité dans
le domaine de l’histoire des textes et des langues nous semble
être singulièrement médiocre et frileuse, préférant la
synchronie à la diachronie. Celui qui tente de se contenter des
pièces existantes sera condamné à construire un véritable roman
alors que la prise de conscience de certains éléments manquants
permet seule de rester dans le vraisemblable. Jusque dans les années
90, les nostradamologues ne se souciaient guère de relever ce qui
pouvait attester de la circulation des centuries en dehors des
éditions elles-mêmes. Ce n’est que depuis que nous avons
interpellé ce milieu de chercheurs que l’on a commencé à
recueillir les éléments de recoupement avec des résultats bien
médiocres et même lorsque, comme dans le cas signalé plus haut, on
obtenait des « preuves », il apparaissait qu’elles
avaient été contrefaites ! Certes, dans tel ou tel cas,
l’on pouvait découvrir un « emprunt » mais dans
quel sens s’était-il opéré, à partir des centuries ou bien
plutôt au profit des centuries , c’est à dire récupéré
dans le but de nourrir cette « Tour de Babel » que
constituent la « miliade » de quatrains, selon la
formule utilisée dans la fausse épître à Henri II en tête
des centuries VIII. IX et X.
C’est
probablement là l’effet d’une certaine mode structuraliste qui a
suscité des générations de chercheurs qui étaient plus doués
pour montrer que tout se tenait et faisait sens plutôt que pour
saisir les perturbations et les interpolations que les textes et les
langues ont pu subir au cours de leur « formation », terme qu’il
convient au demeurant d’utiliser avec précaution quand il laisse
entendre que l’important est ce que le texte est devenu et
présenter celui-ci comme un phénomène en constant progrès ». Il
y a là une forme d’anthropomorphisme qui s’apparenterait à la
croyance selon laquelle une machine pourrait se réparer sans
intervention à l’instar du corps humain. Selon nous, un texte,
une langue sont au départ des systèmes, des systématisations d’un
matériau antérieur brut et la cohérence n’est pas en ce qui le
concerne à rechercher dans le futur mais bien dans le passé. Les
incohérences de ce que nous observons actuellement sont là pour
nous permettre de remonter le temps, de restituer une genèse. Encore
faudrait-il que les chercheurs fussent formés à une telle
discipline.
Pour
notre part, nous avons constamment oscillé entre l’étude des
textes au premier et au second degré, le premier degré étant de
restituer le cours de la production littéraire de tel auteur
(exemple Nostradamus) ou de tel courant (exemple Le prophétisme)
alors que le second degré consistant à déterminer ce que les
textes les plus anciens révèlent de notre Subconscience en action
ici et maintenant. Ce qui nous interpelle à propos de Nostradamus
concerne ce que l’on peut appeler son élection. Force, en effet,
de constater que cette polarisation des commentaires autour d’un
corpus qui lui est attribué nous semble relever d’une mise en
scène. Entendons par là que nous nous trouvons confrontés au
mystère du choix. Pourquoi une telle convergence, persistante,
autour de ce personnage et d’une œuvre qui lui est attribuée au
prix de contrefaçons antidatées ? Cela ne s’explique, selon nous,
que par une nécessité sociale, que l’on peut associer à la
Subconscience, en sa dimension cyclique, et qui ordonne une telle
polarisation autour d’un personnage.
Le
néo-prophétisme des Centuries
La
France a été marquée par une certaine renaissance du prophétisme
et Nostradamus (1503-1566) semble bien être une des figures de proue
d’un tel mouvement . Mais on soulignera le fait que le phénomène
centurique est collectif et transgénérationnel.
La
fortune mondiale des Centuries nous semble en effet pouvoir
remarquablement illustrer le rayonnement de la culture française en
ce que leurs quatrains très largement traduits sont très nettement
inspirés par l’Histoire de France. Ajoutons que Nostradamus aura
fini par acquérir une stature prophétique et c’est d’ailleurs
sous le nom de « prophéties » que les « Centuries » sont d’abord
parues. Selon nous, il est arrivé que ses adversaires – comme un
Antoine Couillard du Pavillon Lez Lorriz- s’en prennent à ses «
prophéties » (et ce dès 1556) mais cela ne désignait pas
-et pour cause- les centuries. Mais ce serait justement parce que
certains textes de Nostradamus avait été qualifiés sérieusement
ou ironiquement de « prophéties » que ce terme fut
choisi comme titre des contrefaçons datées de 1555 et au-delà
. En fait, à l’époque le terme pouvait tout à fait désigner le
travail astrologique d’où la formule « prophéties de
Nostradamus & autres astrologues que l’on trouve chez le
dit Couillard :
Les
Prophéties du Seigneur du Pavillon lez Lorriz,
Paris, Jean Dallier, 1556
Contredicts,
aux faulses & abbusifves propheties de Nostradamus, & autres
astrologues. Adjousté quelques œuvres de Michel Marot, fils de feu
Clément Marot, prince de poètes François. Paris, Charles
L'Angelier, 1560.
Les
Centuries se révèlent bel et bien telle une œuvre collective, si
l’on y intègre d’une part la rédaction des textes et de l’autre
leur interprétation. Notons que le texte bilingue de Jean Aimé de
Chavigny autorise des traductions très discutables, comme Bloys ou
encore Loi ou Loin, rendus le plus souvent par Lodoicus, ce qui est
censée renvoyer au Roi de France.(Janus Gallicus pp. 68-69, 98-99,
118-119, 122-123 etc)
En
ce sens, tout comme la langue française, on assiste à là à
l’émergence d’une véritable « ressource » culturelle, d’un
tout autre ordre que les richesses du sous-sol dont bénéficient
diverses régions dans le monde et qui ne doivent rien aux États qui
les exploitent pas plus d’ailleurs que les États qui bénéficient,
pour leur tourisme, des restes de civilisations qui leur sont
antérieures, à l’instar du cas égyptien.
Nostradamus
est un fort bon exemple de la condition de l'astrologue au milieu
du XVIe siècle et ce statut est souvent négligé au vu des
Centuries qui ne furent aucunement le cœur de son travail mais un
produit dérivé.
Nous
disposons de centaines de pages (imprimées et manuscrites) que
Nostradamus consacra à la rédaction de ses almanachs, de ses
pronostications, travail assez fastidieux au demeurant quand on songe
que pour ses almanachs annuels, Nostradamus devait interpréter,
traduire, une cinquantaine de "cartes du ciel, semaine après
semaine. Il s'agissait donc de partir des configurations astrales,
dans leur ensemble, lesquelles constituent des signifiants auxquels
associer un premier niveau de signifiés. Bien évidemment, le
lecteur de ces textes sera conduit à associer à ce premier niveau
un deuxième niveau lié à son ressenti, à son expériences propres
du moment.
Mais
parallèlement, les almanachs de Nostradamus, parus dans les années
1550 -1560 comportent aussi des quatrains, un par mois, qui
reprennent un certain nombre de signifiés du premier niveau mais en
les traitant comme signifiants, eux-mêmes voués à être
interprétés par le lecteur. En fait, il apparaît que Nostradamus
ne serait très probablement pas l'auteur de ces quatrains, en tant
que tels même si le matériau des dits quatrains est issu de la
prose de ses prédictions. Intervient ici quelque "versificateur"
dont on ignore l'identité, tel assistant ou collaborateur de
Michel de nostradame ou plutôt un employé du libraire (éditeur)
car ces quatrains ne figurent pas dans le manuscrit conservé
regroupant les brouillons de Nostradamus ayant servi pour ses
almanachs, lesquels étaient parachevés en aval. par son "atelier".
Sans ces premiers quatrains, il n’y aurait pas eu ceux des
centuries. Au fond Nostradamus aura ainsi trouvé son Jean de La
Fontaine, comme cela se produisit pour Esope. Et d'ailleurs, les
Fables de La Fontaine – élaborées un siècle plus tard -
constituent certainement un autre monument de la littérature
française, on pourrait dire une sorte de bagage identitaire
largement partagé..
A
l'imitation de ces quatrains d''almanachs, vont naître d'autres
quatrains, cette fois reprenant des documents épars –d’origines
diverses allant du traité d’astrologie de Richard Roussat à la
Guide des Chemins de France de Charles Estienne, conservés dans la
bibliothèque de Nostradamus (mort en 1566), constituant un ramassis
assez hétéroclite et aléatoire désigné sous le nom de centuries,
terme qui ne veut rien dire d’autres que série de cent. En fait on
est là face à un processus de remplissage, les quatrains
constituant autant de vases à remplir, sur la base de séries de
cent. Le format est ainsi fixé, il n’y a plus qu’à y verser du
texte que l’on ira prendre un peu n’importe où, à commencer par
les papiers en vrac laissés par Michel de nostradame dans sa
bibliothèque.
Mais
le format du quatrain confère son unité à l’ensemble. Les
centuries constituent un moule qu’il s’agissait de remplir- on
parlera de remplissage - et l’on aura fait flèche de tout bois.
On connaît ce cas de figure quand il s’est agi par exemple de
trouver des motifs religieux pour une série de vitraux dont le
nombre est fixé par avance.
Par
ailleurs, une partie des quatrains des centuries est reprise du
travail d'imitateurs de Nostradamus, en tant qu'auteur présumé des
quatrains de ses almanachs.
Durant
la vingtaine d'années qui suivit la parution des derniers almanachs
de Nostradamus, toute une série d'almanachs signés de noms divers
paraîtront agrémentés de quatrains, de présages en vers dont
certains se retrouveront dans certains quatrains de centuries, à
partir du milieu des années 1580. On pense notamment à Antoine
Crespin alias Archidamus dont l'antijudaïsme est patent et dont
certains quatrains centuriques seront par voie de conséquence
imprégnés.(cf notre étude "Roy
de Bloys en Avignon regner"
The
Centuries and the Avignon context of the years 1560-1570
« )
Cas
remarquable de l'imitateur imité que l'on retrouve dans le rapport
de l'anglais au français quand le français adopte des formes
anglaises issues du français, notamment dans le domaine de
l'informatique. (cf. supra)
Nostradamus
incarne toute l'ambiguïté du personnage de l'astrologue :
Nostradamus est un astrologue dont on a fait un voyant en
transposant son œuvre en prose en quatrains complètement
déconnectés du cadre chronologique initial. En ce sens, le
prophétisme aura été en concurrence avec l'astrologie et c'est
pourquoi ayant commencé nos recherches dans le champ de l'astrologie
nous avons obliqué, sur le plan universitaire, vers le prophétisme
moderne.
Les
Centuries sont une des œuvres de langue française – et qui plus
est pleinement imprégnée de l’Histoire de France –à l’instar
de l’Ancien Testament imprégné de l’ Histoire des Hébreux- qui
aura connu la plus grande fortune depuis le milieu du XVIe siècle,
du fait du nombre d’éditions et de traductions. Il s’agit d’une
des œuvres rédigées en français qui auront connu la fortune la
plus remarquable mais cela ne s’est produit que dans la mesure où
le signifiant aura repris ses droits sur les signifiés.
Nous
avons ainsi montré que la prose astrologique de Michel de Nostradame
s’était transmutée en une série d’oracles qui avaient repris,
recyclé, les mots de la prose mais qui s’ouvraient à des lectures
nullement envisagées par le « Mage de Salon », titre qui se
substitua à celui plus juste au départ d’astrologue ou
d’astrophile. Les centuries montrent à quel point le récepteur
prévaut sur l’émetteur en instrumentalisant à sa guise le
matériau initial et plus ce matériau est confus, plus il sera
malléable.
Mais
le cas Nostradamus est d’abord celui d’une extraordinaire
supercherie littéraire qui n’a toujours pas été reconnue comme
telle par la plupart des spécialistes de cette période. On a là un
déni d’imposture.
L’historien
devrait être formé aux techniques de la contrefaçon, à la
détection du plagiat, à l’emprunt non avoué, méthodes qui sont
souvent marquées par un déni de dette. Notre étude sur les
origines du Tarot (cf. la Revue Française d’Histoire du Livre,
2015-2016) a montré que la source d’un tel ensemble de «lames »
était à rechercher dans l’appareil iconographique d’un recueil
français célèbre, à savoir le Calendrier et Compost des Bergers
(fin XVe siècle). On a longtemps cru que le Tarot avait réuni
diverses images alors qu’en réalité, il a repris une série déjà
constituée, quitte à réinterpréter les dites images voire à les
dénaturer.
Les
deux ensembles datent d’ailleurs de la même fin de siècle et la
rencontre se sera opérée lors des guerres d’Italie qui mirent
les deux sociétés, les deux langues en contact tout comme le lien
entre le français et l’anglo-saxon germanique avait eu lieu quatre
siècles plus tôt dans le cours du XIe siècle lors de la Conquête
normande. Les vignettes du Kalendrier des Bergers furent ainsi
réinterprétées dans le contexte italien et furent éventuellement
redessinées en n’en retenant que certains motifs et en en
transposant d’autres. Dans le cas de Nostradamus, les quatrains
jouent le rôle d’images qui sont décryptées à la lumière du
contexte de telle ou telle époque.
Avec
les Centuries, on observe que les quatrains qui sont inspirés de
certaines chroniques anciennes peuvent être lues comme visant notre
époque. Là encore le passé resurgit et tend à relativiser
l’apport du présent en devenant en quelque sorte intemporel.
Le
phénomène des Centuries est remarquable en ce qu’il est
l’Histoire d’un signifiant mais chaque quatrain peut être –le
cas échéant- être considéré isolément voire chaque vers, en
tant que tel. Cela pose plus largement le statut du poème lequel
bascule vers le signifiant en ce que le choix des mots est avant
tout fonction de leur forme et de leur rapport tout aussi formel avec
d’autres mots, avec notamment la règle, le principe de la rime,
quand cela est respecté.
L’interprète-
le commentateur- choisit parmi des centaines de quatrains, un certain
quatrain pour expliquer un certain signifié. Il sera attiré par tel
quatrain ou partie de quatrain et va rechercher dans sa propre
mémoire ce qui justifierait son adoption. C’est probablement ainsi
qu’ont procédé les grands interprètes comme le Beaunois Jean
Aimé de Chavigny(dans son Janus Gallicus, 1594) ou le dominicain
Jean Giffré de Réchac (dans son Éclaircissement de 1656) mais l’on
peut envisager un processus inverse qui consisterait à partir du
besoin d’’expliquer un événement et de chercher un quatrain qui
lui ferait en quelque sorte écho. Le Janus Gallicus mélange
indifféremment les quatrains des dix centuries, comme s'il
s'agissait en effet d'un corpus d'un seul tenant et ce dès l'année
1594 qui est celle d'une sorte de réconciliation nationale. On y
trouve également, par dessus le marché, des quatrains des
almanachs dont on se demande s'ils avaient fait l'objet d'une
publication dès 1589 par le même Chavigny, comme semble en
témoigner un manuscrit (utilisé par Chevignard, mentionnant
Grenoble comme lieu d'édition.. sous le titre Recueil des Présages
Prosaïques de M. Michel de nostradame, lorsqu'il vivoit, conseiller
du Roy Tres Chrestien Charles IX. Du nom (..) extrait des
Commentaires d'iceluy & réduict en XII livres par Jean Aimé de
Chavigny Beaunois ». Ce volume (qui classe dans des tables
les versets de façon à ce que son lecteur trouve celui qui lui
convient) comporte également les quatrains des almanachs que
Chavigny commente également du moins pour certains.. Ce manuscrit a
pu être publié en cette même années 1589 qui correspond à
l'échéance annoncée dans le Janus Gallicus (mais on n'a pas
l'édition du Janus de 1589), ouvrage qui commente indistinctement
les 10 centuries mais aussi les quatrains-présages des
almanachs.(figurant dans le dit Recueil). En vérité, l’événement
lui-même est censé avoir été annoncé, signalé au moyen de
mots spécifiques et il est tentant de rechercher ces mêmes mots
dans la longue série d’un millier de quatrains- il existe
d’ailleurs des index voire des dictionnaires du Corpus Nostradamus
pour faciliter une telle démarche. Autrement dit, le signifié est
porteur de mots et en cela il devient signifiant auquel il importera
de donner du sens. On retrouve le même cas de figure dans
l’interprétation astrologique – on associe telle personne, tel
trait de caractère donc bel et bien un mot et on va chercher dans
son thème astral un synonyme qui lui fasse écho de sorte que l’on
reste ainsi dans le champ du signifiant d’un bout à l’autre.
Autrement
dit, contrairement à ce que l’on pourrait laisser croire, il
n’est nullement nécessaire de passer par les signifiés mais
l’on peut rester dans une relation entre des signifiants que l’on
n’a pas à prendre la peine de définir –sinon par le biais des
mots qui sont ici encore des signifiants- d’où les discours
souvent tautologiques où le féminin par exemple se définit par ce
que le langage associe à ce terme, d’autant que le langage est
souvent le seul bagage commun à tout un groupe et donc son ciment
identitaire.
Chronologie
et contrefaçon
L’historien
devrait être formé aux techniques de la contrefaçon, à la
détection du plagiat, à l’emprunt non avoué, méthodes qui sont
souvent marquées par un déni de dette. Notre étude sur les
origines du Tarot (cf. la Revue Française d’Histoire du Livre,
2015-2016) a montré que la source d’un tel ensemble de «lames »
était à rechercher dans l’appareil iconographique d’un recueil
français célèbre, à savoir le Calendrier et Compost des Bergers
(fin XVe siècle). On a longtemps cru que le Tarot avait réuni
diverses images alors qu’en réalité, il a repris une série déjà
constituée, quitte à réinterpréter les dites images voire à les
dénaturer.
Les
deux ensembles datent d’ailleurs de la même fin de siècle et la
rencontre se sera opérée lors des guerres d’Italie qui mirent
les deux sociétés, les deux langues en contact tout comme le lien
entre le français et l’anglo-saxon germanique avait eu lieu quatre
siècles plus tôt dans le cours du XIe siècle lors de la Conquête
normande. Les vignettes du Kalendrier des Bergers furent ainsi
réinterprétées dans le contexte italien et furent éventuellement
redessinées en n’en retenant que certains motifs et en en
transposant d’autres. Dans le cas de Nostradamus, les quatrains
jouent le rôle d’images qui sont décryptées à la lumière du
contexte de telle ou telle époque.
Avec
les Centuries, on observe que les quatrains qui sont inspirés de
certaines chroniques anciennes peuvent être lus comme visant notre
époque. Là encore le passé resurgit et tend à relativiser
l’apport du présent en devenant en quelque sorte intemporel.
Le
phénomène des Centuries est remarquable en ce qu’il est
l’Histoire d’un signifiant mais chaque quatrain peut être –le
cas échéant- être considéré isolément voire chaque vers, en
tant que tel. Cela pose plus largement le statut du poème lequel
bascule vers le signifiant en ce que le choix des mots est avant
tout fonction de leur forme et de leur rapport tout aussi formel avec
d’autres mots, avec notamment la règle, le principe de la rime,
quand cela est respecté.
L’interprète-
le commentateur- choisit parmi des centaines de quatrains, un certain
quatrain pour expliquer un certain signifié. Il sera attiré par un
certain quatrain ou partie de quatrain et va rechercher dans sa
propre mémoire ce qui justifierait son adoption. C’est
probablement ainsi qu’ont procédé les grands interprètes comme
le Beaunois Jean Aimé de Chavigny (dans son Janus Gallicus, 1594)
ou le dominicain Jean Giffré de Réchac (dans son Éclaircissement
de 1656) mais l’on peut envisager un processus inverse qui
consisterait à partir du besoin d’’expliquer un événement et
de chercher un quatrain qui lui ferait en quelque sorte écho. (cf.
infra, notre volet sur Nostradamus)
En
vérité, l’événement lui-même est censé avoir été annoncé,
signalé au moyen de mots spécifiques et il est tentant de
rechercher ces mêmes mots dans la longue série d’un millier de
quatrains- il existe d’ailleurs des index voire des dictionnaires
du Corpus Nostradamus pour faciliter une telle démarche. Autrement
dit, le signifié est porteur de mots et en cela il devient
signifiant auquel il importera de donner du sens. On retrouve le
même cas de figure dans l’interprétation astrologique – on
associe telle personne, tel trait de caractère donc bel et bien un
mot et on va chercher dans son thème astral un synonyme qui lui
fasse écho de sorte que l’on reste ainsi dans le champ du
signifiant d’un bout à l’autre.
Autrement
dit, contrairement à ce que l’on pourrait laisser croire, il
n’est nullement nécessaire de passer par les signifiés mais
l’on peut rester dans une relation entre des signifiants que l’on
n’a pas à prendre la peine de définir –sinon par le biais des
mots qui sont ici encore des signifiants- d’où les discours
souvent tautologiques où le féminin par exemple se définit par ce
que le langage associe à ce terme, d’autant que le langage est
souvent le seul bagage commun à tout un groupe et donc son ciment
identitaire.
Nous
avons pu remarquer la difficulté de certains chercheurs à éviter
les pièges, leur tendance à suivre des leurres, ce qui pose le
problème des contrefaçons auquel tout historien est tôt ou tard
confronté. C'est ainsi que certains textes ont été antidatés de
façon à donner l'illusion que leur forme tardive était identique à
leur forme initiale. Cela va de la lente formation du Coran aux
prétendues premières éditions des Centuries de Nostradamus. On
reconnaît désormais le rôle des « farceurs
» dans toutes sortes de prétendus phénomènes extraordinaires
comme certains dessins tracés dans les champs.
Le
problème quant à la fabrication de faux, c’est qu’ils
prennent la place de vraies éditions disparues, manquantes. C’est
exactement ce qui s’est passé pour la « critique nostradamique »
(sur le modèle de la critique biblique), à savoir que l’on
dispose actuellement de toute une série de fausses éditions
antidatées pour les années 1550-1560 et qu’il nous manque en
revanche les vraies premières éditions parues dans les années
1580. . Une telle observation vaut sur les plans les plus divers :
une solution de rechange fait obstacle à la recherche et à la
réforme
Le
problème se pose pour d’autres corpus comme celui des Centuries de
Nostradamus au sein duquel cohabitent des points de vue antagonistes.
Dans le cas des Prophéties de Michel de Nostradame, il est clair que
les textes de départ auront été largement remaniés et retouchés
par des rédacteurs au service de camps opposés, lors notamment du
conflit entre la Ligue et les tenants du réformé Henri de Navarre,
le futur Henri IV, couronné à Chartres en janvier 1594, ce pourquoi
un quatrain aura été retouché pour faire apparaître le nom de
Chartres, alors que c’est Reims qui est le lieu traditionnel du
couronnement des rois de France. Bien plus, des faussaires ont
antidaté les éditions pour faire croire que l’état ainsi modifié
des textes était déjà établi du vivant de Nostradamus ou juste au
lendemain de sa mort (éditions datées de 1568), survenue en 1566.
Tout se passe comme si l’édit de Nantes de 1598 établissant une
cohabitation entre catholiques et protestants avait présidé à des
éditions des Centuries englobant les différents courants et il est
vrai que par la suite, un tel procédé lequel n’avait
certainement pas échappé aux contemporains, ne sera pas signalé
par les spécialistes, au cours des siècles suivants.
Le
parallèle entre nos travaux sur les Prophéties de Nostradamus et
sur le Pentateuque, montre qu’au sein d’un ensemble considéré
comme étant d’un seul tenant, on aura rassemblé, après coup, des
textes relevant de camps opposés. Dans les Prophéties (centuries),
les sept premières centuries sont introduites par une Préface à
son fils César laquelle
puise largement, comme l'a noté Pierre Brind'amour, dans le
Compendium du Dominicain Savonarole.
alors que les trois dernières le sont par une épître adressée au
roi Henri II. (mais qui renvoie nommément à l’Épître à César)
« dedans l’épître que ses ans passez ay dédiée à
mon fils César Nostradamus »), ce qui confère un air
d’authenticité à cette fausse épître au Roi, calquée sur une
précédente authentique. Cette Préface à César semble également
avoir recyclé un texte de Nostradamus ; Patrice Guinard (in
RFHL) signale qu'un de ses 'haineux » cite un passage que
l'on retrouve dans ce texte, dans sa Déclaration ds abus,
ignorances et séditions de Michel Nostradamus de Salon de Craux en
Provence, Avignon,Pierre Roux, 1558. D'ailleurs, certaines éditions
(1588) des Centuries donnent pour date de la pseudo Préface à
César le Ier mars 1557 et non 1555 (cf Benazra, RCN,pp ; 32
et 118)
La
thèse que nous soutenons est la suivante : le premier
groupe est marqué par la Ligue, le second par les partisans du futur
Henri IV ;, ce qui la situe dans le contexte des années
1588-1594 Les faussaires n’ont pas pris garde de supprimer dans
leurs éditions antidatées les éléments par trop criants.
D’ailleurs, par la suite, de tels enjeux ne viendront plus à
l’esprit des commentateurs, instrumentalisant les textes plutôt
que cherchant à en saisir le véritable contenu.. De même, selon
nous, le livre de la Genèse est du moins à partir du chapitre XI au
service du royaume de Juda alors que le Livre de l’Exode sert les
intérêts du royaume d’Israël, et l’on assiste là à un
processus de substitution qui précède celui qui caractérisera la
démarche chrétienne face à la confession mosaïque, avec le thème
du « Nouvel Israël ». On peut d’ailleurs
considérer que les autres livres du Pentateuque sont également
marqués par la référence aux « Fils d’Israël
» comme dans le Lévitique qui adopte également cette
terminologie. Cela dit, les trois occurrences figurant dans la
Genèse concernant Israël (une à propos de la lutte avec l’ange
et les autres ( seulement à partir du chapitre 48 ) tout à la
fin en rapport avec les Fils de Joseph et ceux de Jacob , faisant
ainsi la connexion avec le début du Livre de l’Exode) sont
certainement une retouche de circonstance au sein d’un ensemble qui
reste marqué par la référence à la domination de Juda, si ce
n’est le rêve de Joseph, un de ses frères, qui se voit, ses
songes à l’appui, le maître de la famille, selon des termes très
proches de ceux accordés par Jacob à son fils Juda (Genèse, Ch.
49). Ce sont là des pratiques de contrefaçon et de substitution
auxquelles un historien des textes est accoutumé.
La
métamorphose d’un médecin astrologue
Il
y a le Nostradamus de la légende dorée et le Michel de Nostradame
historique, comme on pourrait probablement le dire en ce qui concerne
le personnage de Jésus si ce n’est qu’il s’agit là d’une
période, le XVIe siècle, sensiblement plus proche de nous et d’un
pays qui est censé nous être également plus familier, la France.
Cela dit, force est de constater que la dimension mythique résiste
singulièrement en ce qui concerne cet homme , d’ascendance juive,
dont la famille s’était convertie au catholicisme, né à St Rémy
de Provence en 1503 et mort à Salon de Provence en 1566. Cela tient
notamment à la question du livre imprimé et à la relative
facilité à fabriquer des contrefaçons et de les répandre. La
constitution de bibliothèques aura permis aux faussaires de gagner
en vraisemblance en se servant de documents d’époque, tant et si
bien que les chercheurs actuels n’y voient souvent que du feu et se
laissent berner par les procédés et les expédients des éditeurs
d’il y a 400 ans..En tout cas, notre passage par ce domaine nous
aura préparé pour contribuer à la critique biblique (cf supra)
Les
ouvrages signés Nostradamus qui seraient les moins suspects de
contrefaçons sont ceux constitués par sa production annuelle,
faite de deux types de publications, d’une part les almanachs et de
l’autre, les pronostications . Les uns sont structurés
sur une base mensuelle en partant de janvier, les autres sur une base
saisonnière en partant du printemps. Les almanachs comportent des
quatrains, un par mois, voire un pour l’année et les
pronostications sont agrémentées d’une vignette en leur page de
titre, ce qui n’est pas le cas des almanachs, du moins chez
Nostradamus si ce n’est que de son vivant de faux almanachs
circuleront sous son nom, portant une vignette calquée sur celle de
ses pronostications mais tout de même assez différente quant à
certains détails. Par ailleurs, Antoine du Rosne, que l'on présente
comme un des premiers éditeurs des centuries (1558) se serait servi
de la même vignette pour son édition de la Paraphrase de Gallien
sur une exhortation de Ménodote, le nom de Nostradamus figure au
titre en qualité de traducteur de latin en français.(cf Benazra,
RCN, p. 25, P. Guinard
Nostradamus traducteur . Horapollon et Galien février
2015 Books on Demands ). Nous pensons que ce texte fait
partie des matériaux utilisés pour composer les quatrains et que
les éditions que l'on en connaît datent de la période de
production centurique donc pas avant la fin du XVIe siècle.
D'ailleurs, Robert Benazra relève (RCN, op. Cit p. 26 , note 1) un
tel emprunt à propos du quatrain 51 de la Ve Centurie :
«
*la prophétie de l'escrit de la Sibylle qui n'a guières a esté
trouvé en plus profonds abismes de l'Occident, proche des Colonnes
d'Hercule »»
V,
51 « *Pour passer oultre d'Hercules la colonne »
On
rappellera qu'avec les Centuries, on a l'exemple remarquable de
signifiants dotés de nouveaux signifiés et donc il importe peu que
la Paraphrase n'ait pas un contenu intéressant au regard du signifié
prophétique pourvu qu'elle serve à produire , in finé, du
Nostradamus en recyclant son propre langage. La Paraphrase aurait, en
quelque sorte, servi de manuel pour former des rédacteurs de
quatrains .
D'ailleurs,
les quatrains des almanachs (appelés traditionnellement présages)
sont issus de la prose des prédictions de Nostradamus
résultat d' un travail consciencieux sinon besogneux, articulée
sur le thème astral de chaque rencontre entre la Lune et le Soleil
pour ce qui est des almanachs et selon les équinoxes et les
solstices dans le cas des pronostications. On n’y trouve vraiment
aucune verve prophétique ou poétique. On nous objectera que les
almanachs comportent des quatrains mais il nous apparaît que Michel
de Nostradame n’en était probablement pas l’auteur. Ce ne sont
d’ailleurs que des versifications assez fantaisistes de ses
prédictions en prose dont furent probablement chargés des
assistants de l’auteur ou de l’éditeur, constituant ainsi une
sorte d’atelier nostradamique. Or, l’on peut prendre connaissance
du manuscrit que Nostradamus livrait à ses collaborateurs, grâce à
un volume de ses différents travaux qui fut conservé dans sa
bibliothèque et dont la publication avait été envisagée à
l’époque sous le titre de Recueil de Présages prosaïques et on
relèvera le terme « prosaïque » qui montre
bien qu’il n’est pas question ici de versification. La
comparaison entre le manuscrit et les publications imprimées qui
nous sont parvenues montre que Nostradamus laissait une certaine
marge à son « atelier ».. On pourrait parler
d’une alchimie poétique : tout se passe en effet comme si
la transmutation de la prose en vers correspondait au passage du
plomb en or.
L’émergence
des Centuries
Quand
apparaissent ce qu’on appelle habituellement les Centuries, terme
qui est purement technique (groupe de cent, comme le mot Bible,
d’ailleurs, qui ne signifie que livre) et sous quel
titre ? Deux pistes : Grandes et Merveilleuses
Prédictions ou bien Prophéties, si l’on s’en tient à
l’étude des éditions parues à la fin des années 1580 et qui ont
été conservées ou dont on a une reproduction en fac simile (cf
le Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra, Paris,
préface J. Céard, La Maisnie-Grande Conjonction, 1990). Un autre
corpus existe, celui d’éditions imprimées datées des années
1555, 1557, 1568 et dont nous pensons qu’il s’agit ni plus ni
moins que de contrefaçons calquées sur les éditions des années
1580 et suivantes. La grande astuce des faussaires aura été de
produire une succession d’éditions, à quatre, puis à sept puis à
dix centuries pour faire plus vrai , sur le modèle de la
succession d’éditions des dites années 1580 au lieu de se
contenter de produire une seule et unique édition «
complète » sur la base de l’édition la plus «
complète » ou « complétée ». Il
aura suffi pour y parvenir de se servir de la production de certains
libraires lyonnais tels que Macé Bonhomme ou Antoine du Rosne dont
on disposait de certains ouvrages, créant ainsi de toute pièces un
ensemble lyonnais parfaitement fictif puisque les premières éditions
des années 1588-90 siècle ne concerneront jamais Lyon mais Rouen
et Paris ou encore Anvers et Cahors. Il faut attendre 1594 pour que
la production centurique lyonnaise soit attestée et c’est
probablement justement dans le milieu lyonnais et à cette époque
que les contrefaçons s’élaboreront.
L’étude
des éditions successives des Centuries entre 1588 et 1594 est
passionnante en ce que l’on voit l’œuvre se constituer sous nos
yeux, par étapes successives, les faussaires n’ayant conservé
qu’une partie de ce processus éditorial, ce qui se conçoit,
produisant ainsi une cote mal taillée mais suffisamment
impressionnante pour des esprits point trop exigeants.
Nous
procéderons par étapes et approches successives en commençant
par cette première description « classique »
s’offrant au vu des bibliographies sous la forme de 3 stades
successifs :
I
stade à 4 centuries
Si
l’on compare l’édition à 4 Centuries de 1588 et sa contrefaçon
de 1555, l’on observe les points suivants : le titre
Grandes et Merveilleuses Prédictions en 4 centuries est devenu
simplement Prophéties, sans indication de contenu, ce qui permettait
d’utiliser la même présentation pour 7 centuries. Pat ailleurs,
l’édito de 1588 ne numérotait pas les quatrains à la différence
de l’édition Macé Bonhomme 1555
II
stade à 7 centuries
Ce
stade est le plus complexe car il comporte lui-même plusieurs
strates.
Le
passage de 4 à 7 centuries impliquait de « compléter
» la centurie IV qui ne comportait que 53 quatrains. D’une
édition à l’autre, le nombre de quatrains augmentait. Il semble
que l’on ait eu une édition à 6 centuries « pleines
» puis des éditions comportant une septième centurie, avec un
nombre de quatrains variable. D’où deux fausses éditions datées
de 1557 à partir d’éditions différentes.
III
stade à 10 centuries (contrefaçon 1568)
Ce
stade ne se limite pas aux éditions ligueuses à 7 centuries des
années 1580 mais englobe en un second volet des centuries
numérotées de VIII à X, ce qui relève de la décennie 1590,
lesquelles centuries semblent bien avoir été produites par le camp
protestant. A partir de 1594 et du couronnement d’Henri IV, les
deux registres purent paraître conjointement du fait de la fin des
conflits et des zones d’influence respective mais la trace des
origines différentes sera maintenue avec une division en deux
volumes, le premier introduit par une Préface à César,, telle que
figurant dans les éditions de la Ligue et le second par une Épître
à Henri Second (IIe du nom) , recourant en fait à une vraie épître
de Nostradamus en date de 1556 et non comme la «
nouvelle »- c’est à dire la fausse- de 1558. Ces
introductions, on l’aura compris, étaient cette fois en prose.
Les
faussaires commirent une bévue avec ces éditions de 1568 en
omettant de préciser qu’à cette date Nostradamus était décédé.
Ils s’étaient vraisemblablement inspirés d’une certaine
production posthume authentique laquelle soulignait pourtant bel et
bien la mort de l’auteur. C’est parfois l’absence d’un
élément qui trahit la contrefaçon.
Le
fait que l'édition posthume soit à 10 centuries nous conduit à
penser qu'elle fut produite par le parti protestant ou en tout cas à
un stade assez tardif. Rappelons que sous la Ligue, seules parurent
les sept premières centuries, ce qui conduit certains
nostradamologues à affirmer que les Centuries VIII-X avaient été
évacuées sous la Ligue, puisque parues dès 1568. Or, il s'agit en
tout état de cause d'une édition antidatée de plus de plus de 20
ans.
Dans
un premier temps, il semble donc que les faussaires aient voulu
présenter les premiers lots de centuries comme étant parus au
lendemain de la mort de Nostradamus, ce qui correspond bien à la
date de 1568 utilisée pour les éditions à 10 centuries, à deux
épîtres. Cela n’aurait été que par la suite, que l’idée de
produire des éditions censées parues du vivant du dit Nostradamus
aurait émergé, ce qui signifie que la première fausse édition
serait celle datée de 1568. Cette édition posthume faisait sens
puisqu’à la mort de Nostradamus, on avait pu récupérer divers
manuscrits inédits, conservés dans la bibliothèque qu’il avait
constituée et dont d’ailleurs il traite dans son Testament. (cf D.
Ruzo, le Testament de Nostradamus, Ed du Rocher, Monaco, 1982 El
testamento auténtico de Nostradamus, 1975)
On
se mit donc à produire des éditions datées du vivant de
Nostradamus, 1555 et 1557 et cette fois, on prenait des risques
puisque Nostradamus ne fait aucunement référence à ces éditions
dans son œuvre de l’époque. Il est clair que le recours à des
quatrains, pour les centuries, s’inspirait du fait que les
almanachs de Nostradamus en comportaient.
Ces
quatrains mensuels seront d’ailleurs repris en appendice de
certaines éditions à 10 centuries sous le nom de «
présages », lesquels seront d’ailleurs englobés pour
certains d’entre eux, dans le premier grand commentaire des
centuries -avec traduction latine- dû à Jean Aimé de Chavigny,
sous le nom de Janus Galicus, Lyon, 1594., lequel annonce la fin des
Valois dans son titre intérieur se référant à 1589 (date de
l'assassinat d'Henri III, et en son titre extérieur, correspondant,
selon nous, à une nouvelle mouture, -laquelle en notre possession à
l'avènement à la Couronne de France d'un Roy qui ne peut être ici
qu'un 'Henri IV fraichement couronné.
Toutes
proportions gardées, l'on peut ainsi se demander si le corpus, le
canon constituant les Centuries ne serait pas un équivalent pour les
Français de ce qu'est l'Ancien Testament pour les Juifs. Ce qui est
incontestable, c'est la fortune tout à fait extraordinaire de ce
monument versifié sous forme de quatrains (et accessoirement de
sixains) que sont les Centuries de par le monde, depuis plus de 4
siècles. Un tel ouvrage a été traduit et commenté dans un très
grand nombre de langues, même s'il est recommandé d'avoir accès à
l'original français. En raison de la proximité relative, dans le
temps, des Centuries, nous devrions, en principe, mieux en
appréhender la genèse que pour la “Bible” et notamment les
sources. Il n'en reste pas moins que l'exercice est loin d'être
aisé, ce qui fait que la critique “nostradamique” n'a rien à
envier à la critique “biblique” quant à la difficulté de sa
mise en œuvre.
Il
convient d'abandonner la thèse selon laquelle Michel de Nostradame
serait le seul et unique artisan des Centuries, tout en rappelant que
le corpus nostradamique ne se limite nullement aux dites Centuries.
En fait, ce qui serait vraiment de Nostradamus, stricto sensu, ne
serait que très peu représenté dans les dites Centuries et ne
relèverait pas d'un ensemble versifié mais bien de publications en
prose. Tout comme la Bible, les Centuries sont assurément une œuvre
collective, s'étalant dans le temps, bien après la mort de Michel
de nostradame. La comparaison entre le corpus biblique et le corpus
nostradamique nous semble heureuse épistémologiquement en ce que
des problématiques assez proches peuvent ainsi apparaître, venant
ce faisan valider une certaine méthodologie. On est ainsi dans le
champ d'une exégétique comparée. A terme, le calcul des
faussaires de la fin du XVIe siècle aura probablement tablé sur la
disparition des documents permettant des recoupements mais cela
n’aura pas été le cas du fait même de l’engouement pour les
Centuries, lequel aura suscité des vocations de conservation pour
tout ce qui touchait de près ou de loin à Nostradamus, fournissant
ainsi, involontairement, le matériau permettant de dénoncer les
contrefaçons !
Donc,
à un certain stade, il fut décidé de produire des éditions qui ne
seraient pas des faux posthumes, comme pour la première vague de
contrefaçons (1568-1572) mais carrément datées du vivant de
Nostradamus, ce qui aboutirait inévitablement à la coexistence
entre ces deux productions. Au final, l’effet sera positif,
puisque l’on disposera ainsi à la fois d’éditions du vivant et
d’éditions posthumes ! Comment argueront les avocats de
ces faussaires, aurait-on pu produire autant de faux ?
Tout se passe comme si les libraires avaient pris un malin plaisir à
reconstituer le passé, avec le plus de vraisemblance dans les
détails, à la façon dont on le fait au théâtre et au cinéma.
Bien entendu, ces faux seraient calqués sur les éditions parues
sous la Ligue et au-delà et dans certains cas, on ne dispose pas
des « originaux » mais seulement des «
copies » tant et si bien qu’il convient de regrouper
l’ensemble des vraies et des fausses éditions pour reconstituer la
production de la fin du XVIe siècle.
Vu
que Nostradamus avait publié de son vivant divers ouvrages dont
certains avec quatrains (pas ceux des Centuries!)
;l’entreprise a pu paraître jouable si ce n’est que l’on prit
pour modèle de faux almanachs comme l’Almanach pour 1563 composé
par M. Michel Nostradamus,docteur en Médecine de Salon de Craux en
Provence, Paris, Barbe Regnault, .(cf Benazra RCN pp. 58-59) en
reprenant leurs vignettes pour illustrer les fausses éditions des
Centuries datées de 1555 et 1557 . Cet almanach semble
avoir été calqué dans sa présentation (pas dans son contenu) sur
l’almanach nouveau pour l’an 1562 « composé par
Maistre Michel Nostradamus, Docteur en médecine de Salon de Craux en
Provence » (Paris, Guillaume Le Noir) Dans les deux cas,
un quatrain est placé en exergue sur la page de titre.
Les
« Praedictions » de Nostradamus
Certains
textes imprimés de Nostradamus ne nous sont parvenus qu'en
manuscrit, c'est le cas de celui intitulé Les Praedictions de
l'almanach de l'an 1562, 1563 et 1564 par M. Michel de nostre dame,
qui astreint été publiés par Nostradamus lui-même, à Salon le 20
avril 1561 :! Il en aurait donc l'auteur mais aussi
l'éditeur, et ces « Prédictions » viendraient
ainsi compléter sa production d'almanachs et de pronostications
; laquelle passait par des éditeurs ayant pignon sur rue
:. « Faciebat M. Nimbostratus, Salonae Petrae
Provinciae, XX Aprilis 1561 ».. Et dans cet ouvrage,
Nostradamus montre un autre visage, sensiblement plus prophétique
et somme toute plus en phase avec la production centurique qui lui
sera attribuée. On retrouve la mention « faciebat M. (ou
Michael) Nostradamus Salonae etc à la fin de l’épître à
Antoine de Bourbon (le père d'Henri IV) ouvrant la Grande
Pronostication pour l'an 1557 bien que le nom d'un libraire y soit
mentionné au titre, à savoir Jacques Kerver, à Paris. En revanche
, une telle mention ne figure pas à la fin de la vraie Épître à
Henri II de 1556 alors qu'on la trouve à la fin de la fausse
Épître à Henri II, datée de 1558 mais sous une forme tronquée «
Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, sans
mention de date, ce qui montre bien que le modèle est une
publication dont Nostradamus était l'agent, l'opérateur et pas
seulement l'auteur.. En revanche, on trouve une pitre datée de 1558
comme la seconde épître à Henri II, elle est adressée à Jacob
Marrasala et se termine ainsi : "De Salon ce 14. d'Aoust
1558. Faciebat Michaël Nostradamus Salonae petreae provinciae, 1558
pro anno 1559. & 1560." introduisant les Significations de
l'Eclipse qui sera le 16 septembre 1559 etc (Paris chez Guillaume Le
Noir). On voit que le faciebat tronqué de la fausse épître à
Henri II datée du 27 juin 1558 est inspiré de la dite épître du
mois d’août de cette même année 1558. Encore un exemple,
probablement, d'un ouvrage d'abord produit par les soins de
Nostradamus et reprise par un libraire parisien comme c’est aussi
le cas de l’almanach pour 1563, Avignon, Pierre Roux (cf Benazra,
Répertoire chronologique nostradamique, op. Cit, p. 58), il
comporte également une telle mention « Faciebat M
. Nostradamus, Salonae Petrae Provinciae, die 7 Maii 1562, pro
anno 1563 . Impressum Avenioni cum licentia magnificorum
dominorum superiorum » Nous pensons donc que là encore,
on aurait affaire à une formule de coédition, Nostradamus
fournissant à un libraire un ouvrage déjà imprimé, à l’instar
d’un producteur livrant à une chaîne de télévision un «objet
» prêt à la diffusion. La formule « faciebat
» ne vise pas Nostradamus en tant qu’auteur mais en tant
qu’éditeur en liaison avec un imprimeur à l’instar de ces
cinéastes qui produisent également leurs films.
Rappelons
que les premières éditions des centuries semblent avoir eu pour
titre « Les Grandes et merveilleuses Prédictions de M.
Michel Nostradamus » (cf Benazra, RCN pp. 122 et seq)
avant de prendre le titre de Prophéties, nom qui sera utilisée pour
les éditions antidatées aux années 1560-1570. D'ailleurs, dans la
fausse Préface à César, s'il est fait référence plus ou moins
directement à des « sentences obscures » que sont
les quatrains, on fait dire à Nostradamus qu'il n'est pas prophète
: -” Encores mon filz, que i’aye inséré le nom de prophète,
ie ne me veulx attribuer tiltre de si haute sublimité pour le temps
présent : car qui Propheta
dicitur hodie, olim vocabatur videns;
car prophète proprement, mon filz, est celuy qui voit choses
loingtaines de la cognoissance naturelle de toute créature. Et cas
advenant que le prophète moyennant la parfaite lumière de la
prophétie lui apaitre manifestement des choses divines, comme
humaines que ne ce peult fayre, vu les effects de la future
prédiction s’estendant au loing. “ Il nous semble donc assez
improbable qu'un tel texte ait pu ouvrir un ouvrage intitulé
“Prophéties” comme le laisseraient croire les éditions
antidatées 1555 et 1557. On s''en tiendra plutôt à Grandes et
Merveilleuses Prédictions comme intitulé de la première mouture
de la présentation de ce faux et ce pas avant le milieu des années
1580., soit une quinzaine d'années après la mort de l'auteur. Il
reste que l'absence de mention de la mort de Nostradamus dans ces
diverses éditions des dites années 1580 plaide en faveur
d'éditions censées parues de son vivant dont elles ne sauraient que
la reproduction – ce qui ne signifie pas que l'on ait immédiatement
pris la peine d'en fabriquer d'époque. Rappelons que l'édition
d'Anvers 1590 mentionne en son colophon une édition de 1555, soit
l'année même de la prétendue Préface à César.
Or,
il est admis qu'une partie de la Préface comporte un plagiat assez
grossier du Compendium de Savonarole. Guinaerd écrit à ce sujet
(Nostradamus occultiste, op. Cit., p
248) ;"l'hostilité de Savonarole envers
l’astrologie (.;) dans son Compendium n’empêche pas Nostradamus
de continuer à suivre son discours, moyennant quelques
aménagements; Il suffit de rectifier les affirmations
erronées du florentin tout en reprenant ses termes". Il nous
semble que de tels procédés sont le propre de faussaires, à
l'instar de la fabrication des Protocoles des Sages de Sion (cf le
sionisme et ses avatars, op. Cit.)
Nostradamus
et l'Antéchrist
Nostradamus
s'était fait connaître,, on a vu, de son vivant pour ses
Prédictions, parues séparément et qu'il commercialisait lui-même,
ce point semble avoir échappé jusque là aux chercheurs, d'où le
hiatus entre un Nostradamus besogneux commentateur de thèmes
soli-lunaires et les « centuries. Le chaînon manquant, ce
sont les Praedictions, lesquelles d'ailleurs seront reprises, dans
certains quatrains comme on peut l’observer ci après :
.
Et ne veux rien en mettre de l’an 1567 que dans le mois d’Avril
naistra un (sic) de quelque grand Roy et monarque, qui fera sa fin
cruelle et sanguinolente mais la ruine de son règne oncques ne fut
pire ne plus sanguinaire. On le nommera MARCELLINUS mais on lui
ostera de son nom l’R.’ »
Si on enlève, le R de Marcellinus, on arrive à macellinus, ce qui nous renvoie à « macelin », boucher, Ce qui est à rapprocher du quatrain VIII 76 : En latin, le macellum est le « marché aux viandes » Le quatrain ne restitue pas le jeu de mots et ne fait sens que par référence au texte en prose.
« Plus macelin que roi en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
Lasche sans foy, sans loy saignera terre
Son temps s’approche si pres que je
Si on enlève, le R de Marcellinus, on arrive à macellinus, ce qui nous renvoie à « macelin », boucher, Ce qui est à rapprocher du quatrain VIII 76 : En latin, le macellum est le « marché aux viandes » Le quatrain ne restitue pas le jeu de mots et ne fait sens que par référence au texte en prose.
« Plus macelin que roi en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
Lasche sans foy, sans loy saignera terre
Son temps s’approche si pres que je
Selon
nous, Nostradamus s'intéressait à l'Antéchrist et le voyait
naître en 1567. Or, dans la seconde Épître à Henri II, il est
fortement question de l'Antéchrist tant et si bien que même si
c'est un faux,(daté de 1558) cela peut parfaitement, néanmoins,
avoir repris des éléments dont Nostradamus serait l'auteur,
notamment au sein de ce genre méconnu de la production
nostradamique que sont les Prédictions.
«
Puis le grand empire de l'Antéchrist etc »
Ce
thème était cher aux Protestants qui voyaient l'Antéchrist dans
le pape de Rome et on ne sera donc pas surpris de le voir figurer
dans l’épite ouvrant le second volet des Centuries dont nous avons
dit qu'il avait été instrumentalisé par les dits Protestants.
On
notera que le « charme » des quatrains, c’est
qu’ils évacuent dans bien des cas les données chronologiques
rapidement devenues obsolètes, ce qui permet de relier ceux-ci à
d’autres échéances, au choix de l’interprète.
Critique
et apologétique nostradamiques
Le
milieu des historiens de la Renaissance est divisé, clivé, par le
dossier Nostradamus. Dans les deux cas, force est de constater que
l’affaire est complexe/ Les critiques se voient traiter de
complotistes qui imaginent tout une « mafia »
de libraires produisant toute une « collection
» de faux pour brouiller les pistes / Quant aux avocats de la «
doxa » nostradamique, ils sont obligés de supposer
que les premières éditions se seraient terriblement dégradées et
décomposées entre les années 1550-1560 et les années 1580-1590.
; ils nous parlent de « quatrains manquants
» en se référant à un état initial dont on peut sérieusement
douter de l’existence.
On
a donc le choix, encore actuellement, entre deux thèses, celle d’un
chantier qui s’ouvre au milieu des années 1580 , fortement marqué
par la question de la succession dynastique qui se résout peu ou
prou avec le couronnement d’Henri IV en la cathédrale de Chartres
(et non comme la coutume l’aurait voulu celle de Reims, rituel
auquel pourtant s’était plié un Charles VII, en pleine Guerre de
Cent ans ou bien celle d’un âge d’or du centurisme dans les
années 1550-1560 avec la parution de 10 centuries et qui aurait
connu une crise sévère sous la Ligue. Ce qui est patent, c’est
que l’on assiste à une surenchère de centuries et de quatrains,
d’où une profusion d’éditions qui égare les bibliographes,
écartelés entre fausses éditions et centuries faussement
attribués à Nostradamus quand les deux phénomènes ne se
présentent pas conjointement.
Il
vaut la peine de mentionner un tel discours car il résonne quelque
part avec le débat autour de la critique biblique.
Patrice
Guinard écrit ainsi à propos d’une édition «
défectueuse » daté de 1588 : « il n'y a
aucune raison de penser que cette édition ait pu censurer des
quatrains ou des vers en apparence favorables aux ligueurs et
hostiles à Henry IV dans le contexte politique des années 88-93 :
"Par
conflit roy, regne abandonera"
(IV-45a) ou "Garde
toy Tours de ta proche ruine"
(IV-46b). Les quatre quatrains manquants ont été écartés pour des
raisons de mise en page (32 ff.), car il sont reproduits dans
l'édition de 1589. Ce fait prouve qu'on n'attachait pas une si
grande importance à ces vers, ni en particulier au quatrain IV 46,
ou en tout cas qu'on était loin de les interpréter à la lumière
du contexte politique de la fin des années 80, contrairement aux
affirmations de certains spéculateurs, puisqu'un éditeur rouennais,
en principe favorable à la Ligue, n'hésite pas à les supprimer de
son édition, à moins d'admettre que l'édition rouennaise se soit
appliquée à reproduire exactement le texte Roux de la fin des
années 50. La suppression de quatre quatrains afin de respecter la
mise en page, est une nouvelle preuve en faveur de l'authenticité de
l'édition Bonhomme de 1555, comprenant 353 quatrains”
Pour
nous, au contraire, le passage de 349 à 353 quatrains (attesté par
les éditions plus « complètes » comme celle à
laquelle correspond l'édition antidatée Macé Bonhomme 1555 à 53
quatrains à la centurie IV, ferait donc suite à la parution de
l'édition à 349 quatrains et correspondrait aux événements de la
fin 1588. On voit donc que Macé Bonhomme 1555 ne saurait être
considérée comme le premier état d'élaboration centurique pas
plus d'ailleurs que les éditions Antoine du Rosne 1557 ne sauraient
correspondre au premier état des éditions à 7 centuries puisque la
centurie VII de l’édition Anvers 1590 n'est qu'à 35 quatrains et
non à 40 et 42 comme dans les dites éditions de 1557. Nous ne
suivrons donc pas Benazra (RCN, p.p 126 et seq) quand il écrit que
l'édition de Cahors 1590 à 10 centuries « reproduit les
éditions de Benoist Rigaud » (1568). Elle en serait bien
plutôt le prototype dont émaneraient les diverses éditions
antidatées 1555, 1557, 1568, occultant l'élaboration des années
précédentes lesquelles ne cachaient nullement la marque des
additions successives, ce dont rendent d’ailleurs compte leurs
intitulés..
On
note d'ailleurs que le titre de l'édition 1590 est tronqué.
1590
« dont il y en a trois cens qui n'ont encores jamais esté
imprimées. Adioustées de nouveau par le dict Auteur...1589
(Paris, Charles Roger : « dont il y en a trois cens
qui n'ont encores été imprimées lesquelles sont en cette présente
édition ; Revues & additionnées par l'Autheur pour
l'an mil cinq cens soixante & un de trente neuf articles à la
dernière centurie »
Quid
des éditions 1557 et 1568 ? »
Antoine
du Rosne 1557 : à 7 centuries : « Dont il
en y a (sic) trois cens qui n'ont encores jamais esté imprimées
»
On
notera que nous disposons de deux éditions datées de la même année
et pourtant offrant de sensibles différences au titre. L'exemplaire
de la bibliothèque de Budapest est plus récent que celui de la
bibliothèque d'Utrecht, en ce qu'il comporte un millésime en
chiffres arabes et non en chiffres romains. Or l'édition Macé
Bonhomme 1555 est aussi avec un millésime en chiffres romains. Par
ailleurs, la vignette de l'exemplaire de Budapest diffère en ce que
le personnage assis est placé à droite dans l'exemplaire de
Budapest (en fait en position inverse mais l'image est tronquée)
et à gauche dans celui d'Utrecht, dont là encore la vignette est
semblable à celle de Macé Bonhomme. Voilà qui montre, si c’était
encore nécessaire le caractère fort aléatoire des mention des date
édition ! L'édition Utrecht comporte la même page de titre
que le premier volet de Benoist Rigaud 1568 (cf infra) à 7
centuries alors que celle de Budapest a une page de titre d'une
édition à seulement 6 centuries mais avec un contenu de 7
centuries.
Benoist
Rigaud 1568 premier volet à 7 centuries :
» Dont il y en a trois cens qui n'ont encores jamais esté
imprimées. Adioustées de nouveau par le dict Autheur ».
Cette fois, le titre indique bien une nouvelle addition si ce n'est
que la formule est tronquée car le titre original précise qu'on a
ajouté 39 articles à la Vie centurie qui aurait du rester la
dernière. On peut dire que Antoine du Rosne 1557 Utrecht a servi
pour le premier volet Rigaud 1568 à moins que cela n'ait été
l'inverse. On notera que l'édition la plus tardive (Budapest)
comporte 40 quatrains à la septième centurie, soit deux de moins
que la précédente (Utrecht). ; ce qui montre que le
processus n'est pas nécessairement additionnel mais que des
quatrains peuvent être éliminés en cours de route. Or, les
éditions 1568 sont à 42 quatrains à la VII.(cf Benazra, RCN, p.
85)
Force
est de constater qu'il nous manque un certain nombre d'éditions
: on n'a pas conservé une seule édition à 6 centuries, ni au
regard des contrefaçons ni à celui des éditions parues sous la
Ligue. On ne dispose que de la page de titre de cette édition qui
a été conservée par l 'édition antidatée conservée à
la Bibliothèque de Budapest.(mais cela ne correspond pas à son
contenu, lequel comporte une centurie VII!). Ces éditions 1557
correspondent par leur contenu mais non par leur titre lequel est
tronqué aux intitulés des édifiions parisiennes qui elles ont le
« bon » titre mais pas le « bon »
contenu ! Quant à la toute première édition des centuries,
son titre devait être celui de l'édition rouennaise Petit Val et
son contenu toutefois passé de 349 à 353 quatrains dans
l'édition Macé Bonnhomme 1555 mais non en son titre lequel
ne signale aucun contenu précis: Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus. Un point c'est tout !.
Le
second volet se présente ainsi «Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus Centuries VIII. IX. X (lire huitième, neuvième,
dixième). qui n'ont encores iamais esté imprimée
»,. Cette fois, on ne dispose d'aucun état intermédiaire
permettant de suivre la genèse de cet ensemble, ce qui est assez
surprenant au vu de ce que nous savons pour le premier volet
à moins de supposer que l'on ait préféré ouvrir un troisième
volet que d' ajouter une centuries. D'ailleurs, les sixains seront
souvent qualifiés de Centurie XI.e., à partir de 1605., ce qui ne
devait donc pas avoir plus de 10 ans de décalage avec la première
édition des Centuries VIII-X. Notons que la Centurie XI ne relève
pas d'un volet à part du deuxième en ce qu'elle ne dispose d'une
page de titre distincte avec mention de libraire et de date ;
Elle n'est qu'un appendice de la centurie X.même pas mentionné au
titre du second volet et ce même si elle dispose d'une épître
introductive propre dédiée à Henri IV, le roi régnant.
..
. On notera qu'il n'existe pas chez Benoist Rigaud 1568 de titre
englobant les deux volets, ce qui n'est pas non plus le cas de Cahors
1590 dont elle est issue. Il faudra attendre 1605 pour que se
constitue une page de titre se limitant à dire « Les
Prophéties de M. Michel Nostradamus Revues & corrigées sur la
copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud 1568. Mais on connaît
des éditions datées de 1611 , troyennes, qui reprennent la
présentation en 2 volumes sur le modèle Cahors 1590. Les éditions
troyennes se distingueront ainsi pat leu r titre distinct de Cahors
1590 (cf Benazra, RCN, pp. 191 et seq) En fait, ce n'est qu' à
partir de la période de la Fronde que le schéma de Cahors 1590 sera
en partie remplacé par un nouveau titre : Les Vrayes
Centuries de M° Michel Nostradamus (..) Revues & corrigées
suyvant les premières éditions imprimées en Avignon en l'an 1556
(Sic) & à Lyon en l'an 1558 avec la vie de l'autheur »
; deux dates ne correspondant d'ailleurs à aucune édition
conservée. En fait, on retrouvera l'intitulé Cahors au XVIIIe
siècle avec les fausses éditions datées de 1566.(cf Benazra, RCN
pp ; 297 et seq., attribuées à Pierre Rigaud, fils de
Benoist Rigaud «'les prophéties de M. Michel Nostradamus
dont il y en a trois cens qui n'ont jamais été imprimées.
Ajoutées de nouveau par l'Auteur. imprimées par les soins
du Fr. Jean Vallier du Couvent de Salon des mineurs conventuels de
Saint François ». La dite édition est généralement
consifée comme une édition antidatée, statur refusé pour les
autres éditions des décennies 1550-1560. Cela tient notamment au
fait que Pierre Rigaud n'exerçait pas encore en 1566. Mais en 1863,
l'abbé Henti Torné-Chavigny s'appuiera sur la dite édition
Pietrte Rigaud 1566. (cf RCN pp 410 et seq), en réalité produite à
Avignon durant le Sècle des Lumières. Malheureusement, le rejet de
cette édition antidatée ne débouche toujours pas en ce début de
XXIe siècle sur la disqualification des éditions 1555, 1557 1568 et
plus largement sur l'idée que ces centuries ne sont pas dues à
Nostradamus, du moins en tant qu'ensemble de quatrains. Pareillement,
si les sixains sont rejetés du fait que ce sont des sixains et non
des quatrains, en revanche, l idée de quatrains
centuriques qui ne seraient pas de Nostradamus reste insupportable
aux yeux de la communauté des nostradamistes pour laquelle tous les
expédients sont bons pour « sauver » la renommée
du prophète. Or, pour nous, il s'agit bien là d'une bulle.
Il
est clair que l'édition 1568 est moins tronquée en son titre que
l'édition 1557, ce qui nous conduit à dire qu'elle est postérieure,
en dépit des dates indiquées sur la page de titre puisqu'elle ne
comporte même pas la mention « Adioustées de nouveau par
le dict Autheur » alors même que cette addition s'y trouve
bel et bien, à 40 et 42 quatrains à la VIIe centurie, ce qui fait
écho aux 39 quatrains signalés comme une addition au titre des
éditions parisiennes de 1588 et 1589., encore que le contenu des
dites éditions ne corresponde pas à leur titre (cf infra), la «
dernière centurie » (en l’occurrence la VIIe, avant
que ne vienne s’adjoindre un nouveau volet) de trois centuries)
ne disposant pas de 39 quatrains...
Le
corpus des éditions ligueuses est en vérité doublement gênant
pour les tenants d’éditions parues du vivant de Nostradamus
: d'une part en raison des recoupements entre quatrains et contexte
ligueur et notamment du fait que le second volet semble bien
fortement lié au camp d'Henri de Navarre face au camp de la Ligue
parisienne et guisarde mais aussi parce que les éditions qui
paraissent dans les années 1588-89 donnent le sentiment d'un
travail en cours (work in progress)
Pour
pallier l'argument selon lequel c'est bien sous la Ligue que les
Centuries auraient peu à peu pris forme et généré dans la foulée,
des éditions antidatées – c'est la thèse «
halbronienne »-, un Patrice Guinard en arrivera à soutenir
que Nostradamus avait dès le départ programmé une telle parution
échelonnée des éditions de ses Prophéties avec notamment trois
stades 1555, (à 4 centuries) 1557 (à 7 centuries) et 1558 (à 10
centuries), que rien de tout cela n'était donc du au hasard. des
événements (cf Nostradamus occultiste, op. Cit). Il reste que
pendant la période 1588-&589, on n'a pas trace d'une édition à
10 centuries alors même qu’existerait depuis 1568, une telle
édition (Benoist Rigaud, Lyon.) ce que nous expliquons en disant que
ces 3 dernières centuries ne furent composées que sous la Ligue,et
plus précisément à la fin et au lendemain du règne d'Henri III,
soit la période qui regroupe précisément un grand nombre
d'éditions centuriques..
En
ce qui concerne cette édition qui est la seule à mentionne le
nombre de 4 centuries en son titre (ce qui ne sera pas le cas de Macé
Bonhomme 1555) notre argument obéit à une autre logique: nous
avons affaire avec la seule édition ligueuse connue à 4 centuries –
toutes les autres étant à sept centuries- (avec un stade
intermédiaire probable à six centuries) à un premier “jet” ne
comportant que 349 quatrains à la Ive et dernière (à ce stade)
centurie. Ensuite, d’autres quatrains sont ajoutés à la dite
centurie dans les éditions à sept centuries qui produisent cette
fois une centurie iV “complète”.à 100 quatrains. .
Daniel
Ruzo qui est le seul à notre connaissance à avoir eu cette édition
à 4 centuries sous les yeux et l’on se perd en conjectures quant à
la disparition depuis sa mort de la dite édition (y compris en
reproduction, hormis la page de titre déjà reproduite en 1975)
présente les choses de façon quelque peui biaisée: (Testament de
Nostradamus, p. 358) :”Il manque (sic) les quatrains 44,45, 46 et
47 de la Centurie iV qui se termine par le quatrain 53. Cette
édition comporte seulement (sic) 349 quatrains”/ Le lecteur
pourrait croire que le dernier quatrain est numéroté “53” alors
que les 349 quatrains se succèdent d’un seul tenant, sans qu’il
y ait trace d’un quatrain expressément qualifié de 353e.
Voyons
comment Robert Benazra décrit, à sa façon, les éditons des
années 1580 :( RCN pp 118 et seq): mais cette fois, on s’arrêtera
sur le sort de la Centurie VII laquelle n’est pas sans offrir des
similitudes avec celui de la Centurie iV, puisque la VIIe Centurie ne
comportera pas plus d’une quarantaine de quatrains, mais selon un
processus là encore progressif, d’aucuns diront régressif: Ainsi,
les bibliographies nostradamiques de Chomarat, Ruzo ou Benazra
sont-elles encombrées d’éditions supposées ou contrefaite pour
les années 1550!
Ci
–dessous un commentaire de Ruzo repris par Benazra
:
Grandes
et Merveilleuses Prédictions, Anvers1590 :
“VII
1-35 : il manque (sic) les quatrains 3, 4, 8, 20 et 22 de la
centurie VII de sorte que le quatrain numéroté 35 correspond ainsi
qu’ n°40 (qui est le nombre de l’édition de 1557
Quant
à la sixième centurie, elle est peut être encore plus
problématique puisque les éditions des années 1588-1589 ne
fournissent que 74 quatrains alors que l’édition Anvers 1590 la
donne “complète” (à un quatrain près), ce qui signifie pour
les tenants des éditions centuriques des années 1550, qu’à la
fin des années 80, on n’aura pas souhaité reproduite la totalité
des quatrains de la dite Vie Centurie. Dans l’édition de Rouen
1589, on a 96 quatrains à la Vie Centurie et donc 99 dans l’édition
d’Anvers. C’est le retour des quatrains disparus!
Pour
le second volet des Centuries, nous ne disposons malheureusement pas
d’un tel corpus et on ne les connaît en vérité que sous une
seule et unique mouture si ce n’est que l’on dispose du modèle
dont on s’est servi pour composer l’Épître à Henri II datée
de 1558 et non plus de 1556. Signalons d’ailleurs que la date de
rédaction de la Préface à César a changé en cours de route et là
encore, l’on peut se demander dans quel sens cela s’est opéré:
1555:
Ier mars 1555
1588
Paris, Ier mars 1557
1588
Rouen 4 Centuries, 22 juin 1555
1590
Anvers 7 centuries 22 juin 1555
C’est
la forme « 1555 » qui l’aura emporté sur la forme
« 1557’. Or, selon nous, les éditions parisiennes
correspondent, du moins sur certains points, à un état antérieur.On
serait donc passé de 1557 à 1555,date qui aurait été adoptée
pour les contrefaçons antidatées.
Toute
recherche débouche à un certain stade sur des chaînons manquants
car il est dans l’ordre des choses qu’il y ait de la perte mais
aussi de l’ajout, lequel tend à compenser la perte. Les vraies
prvi pour leremières éditions des Centuries ne nous sont pas
parvenues sous leur forme originale, première. On ne les connaît
que par des biais, par des traces. On peut avant tout affirmer leur
absence puisqu’il faut bien une source aux éléments dont nous
disposons. Ces éditions « X » qu’il faut dater
autour de 1588-1589-1590 auront généré d’abord ce qui ressort
des éditions parisiennes portant ces mêmes dates puis, dans un
deuxiéme temps les éditions de Rouen et d’Anvers, également
porteuses des mêmes dates et dans un troisiéme temps le premier
volet de l’édition de Cahors 1590. Quant
aux éditions Benoit Rigaud 1568, en dehors de la division en 2
volets et en 2 épitres, si le titre du second volet comporte bien
l'annonce de deux additions l'une qui ne peut que concerner le
passage de 4 à 6 centuties « 'dont il y en aé 300 qui
n'ont encores jamais esté imprimées » ainsi qu'une
adddition correspondant à la centurie VI, ce qui donne la VIIe
centurie « Adioustées de nouveau par ledict Autheur
», titre au demeurant tronqué et que l'on peut restituer grâce aux
éditions parisiennes : « Revues & additionnées
par l'Autheur pour l'an 1561 de 39 articles à la dernière
centurie ». A ce propos, les éditions de Rouen, quant à
elles si elles comportent au tirtre l'annonce de 300 quatrains
supplémentaires (ce qui est d'ailleurs faux, puisque sur ces 300
quatrains, on doit compter les 53 quatrains de la Ive Centurie) ne
font pas mention de l'annonce d'une septiéme centurie
Evidemment,
la question qui se pose et que nous n’entendons pas résoudre ici
est celle de la « vraie » chronologie de toutes ces
éditions dérivées d’une édition inconnue ! Est-ce que
les dates affichées par les éditions de 1588-1590,tant de Paris que
de Rouen sont fiables ou bien ne font-elles que reprendre les
pages de titre des « vraies » éditions ? Mais
il0 qui aura ses éditions antidatées -1557-1568. Evidemment, la
question qui se pose et que nous n’entendons pas résoudre ici est
celle de la « vraie » chronologie de toutes ces
éditions dérivées d’une édition inconnue ! Est-ce que
les dates affichées par les éditions de 1588-1590,tant de Paris
que de Rouen sont fiables ou bien ne font-elles que reprendre
les pages de titre des « vraies » éditions ?
Mais il nous semble légitime de penser que les premières vraies
éditions pourraient être quelque peu antérieures aux dites années
1588aux quatrains des almanachs de Nostradamus. . C'est ainsi qu'en
1585, paraissaient des Pronostications astronomiques pour six
années par /M. Anthoine Crespin Archidamus, astrologue ordinaiire
du Roy comportant deux quatrains présentés sous le nom de
“troisiéme centurie de l'an 1584 et Quatriéme centurie de l'an
1585, empruntés C'est dire que la seconde moitié de la décennie
1580 est marquée par le mot “cennturie” entrant dans le champ
du lexique prophétique. On soulignera le changement d'année de
l'épitre à César passant de 1557 à 1555, il semble donc que les
toutes premières éditions centuriques devaient comporter l'année
1557 et non 1555, année 1557 qui est aussi celle de la fausse
édition Antoine du Rosne 1557.
Nostredame
ou Nostradame ?
Un
détail qui peut avoir son importance pour détecter les contrefaçons
est l’usage de la forme « Michel de Nostredame »
au lieu de « Michel de Nostradame ». De son vivant,
l’on trouve, à notre connaissance, soit Michel Nostradamus, soit
Michel de Nostradame et non Michel de Nostredame comme cela figure
sur les éditions antidatées des Centuries.
Le
cas des almanachs pour l’an 1563 est particulièrement
emblématique. On dispose de deux éditions, l’une parisienne, chez
Thibaut Bessault et l’autre, lyonnaise, chez Benoît Odo. La
première comporte la vignette que l’on retrouve dans les fausses
éditions de 1555 et 1557 ainsi que la forme « Michel
Nostradamus » alors que la seconde comporte un autre type
de vignette et la forme « Michel Nostradame ».
L’almanach
pour 1566 comporte la mention Michel de Nostradame » et
paraît à Lyon chez Antoine Volant et Pierre Brotot,
Quant
au dernier almanach de Nostradamus, imprimé peu de temps après sa
mort Almanach
pour l'an M.D.LXVII., il parut chez le même libraire lyonnais,
Benoît Odo qui avait produit un des almanachs -l’authentique-
pour 1565 et se présente en son titre comme “ Composé par feu
Maistre Michel de Nostredame”
On
ajoutera que le volume posthume comportant les diverses
publications annuelles de Nostradamus s’intitule :
- “Recueil des presages prosaiques de M. Michel de Nostradame lors qu'il vivoit etc “ (cf l’édition de B. Chevignard, Paris, Seuil 1999)
En
bref, la forme “Michel de Nostredame” ne serait pas attestée
dans les années 1550-1560/ On la trouve tardivement en 1867 pour
Anatole Le
Pelletier,
Les Oracles
de Michel de Nostredame,
Paris. Elle semble bien s’être imposée dans les biographies en
tant que “ Michel de Nostredame, dit Nostradamus”.
Toutefois,
les Pronostications de Nostradamus, parues dans les années 1550
comportent une vignette qui n’est certes pas celle des éditions
contrefaites mais où figure la forme “M. de Nostredame”, et dès
lors la forme “Nostradame” se serait substituée à “
Nostredame” au cours des années 1560.
Déjà
du temps de Nostradamus, pullulaient de fausses éditions de ses
almanachs et il semble que les faussaires ne l'aient pas su et qu'ils
aient cru que tout ce qui se présentait comme l'œuvre de
Nostradamus l'était bel et bien et c'est ce qui aura permis de les
démasquer. C'est ainsi que des vignettes figurant sur de faux
almanachs de Nostradamus furent utilisés pour les pages de titre
des éditions de 1555 et 1557. D’ailleurs, ces faux almanachs se
distinguent précisément en ce qu’ils comportent en leur titre
une vignette alors que chez le vrai Nostradamus ce n’est le cas que
d’un autre genre, celui des Pronostications.
Ces
faussaires auront été ainsi victimes de la richesse de la
documentation à laquelle ils avaient accès pour réaliser leurs
contrefaçons.
La
Bible et les Centuries
Il
y a un parallèle qui vient à l'esprit quand on compare les deux
corpus que sont d'une part l'Ancien et le Nouveau Testament et de
l'autre le premier et le second volet des Centuries. A l'évidence,
le second volet vient s'ajouter chronologiquement, au premier avec
une tonalité catholique pour le premier et une tonalité réformée
pour le second.
“Autrement
dit, les Centuries consacrent la dualité au cœur de l'Europe entre
la catholicisme romain et le luthéranisme, qui se manifeste et
émerge notamment à partir de 1517. Le christianisme, en son
temps, ne fut-il pas lui aussi un processus de réforme du judaïsme
et ce d'abord au sein même du monde juif ? Les
Centuries nous évoquent donc la dualité des deux Testaments,
rassemblés sous le nom générique de Bible.
Cela
ne s'explique , au vrai,que du fait de la réconciliation nationale
qui s'opère avec le couronnement d'Henri IV en 1594, faisant suite à
sa conversion, survenue l'année précédente, ce qui conduirait en
1598 à l'édit de Nantes. Pendant un peu moins d'un siècle, celui
des premiers Bourbons, d'Henri IV à Louis XIV, le Royaume de France
fit cohabiter les deux confessions.. Mais même après la Révocation
de 1685, les Centuries continuèrent à paraître , toujours avec
leurs deux volets, introduits respectivement par deux textes en
prose, tant et si bien qu'en 1656, le dominicain Jean, Giffré de
Réchac, suivant en cela l'exemple de Chavigny dans son Janus
Gallicus (dont le titre même implique d'ailleurs une dualité), paru
l'année du couronnement d'Henri de Navarre, englobera
indifféremment dans son commentaire les deux volets.(cf -Halbronn,
J. (1998.1), “Les prophéties et la Ligue”,
Colloque Prophètes et prophéties ... siècle, Cahiers V. L.
Saulnier, 15, Paris, Presses de l'Ecole
Normale
Supérieure. Actes du Colloques Prophètes et prophéties au XVIe
siècle, Cahiers
Verdun Saulnier,
15, 1998.)
L'épitre
à Henri II – laquelle ouvre le second volet- est cependant
nettement marquée par son origine réformée et quand il y est
question de l’Église Chrétienne, c'est bel et bien à la Religion
de Calvin et de Luther qu'il est fait référence, ce que les
exégètes se sont bien gardés de signaler. Cela vaut aussi en fait
pour la formule « vrai catholicisme ». On
notera que tout au long du XVIIe siècle, une partie importante des
éditions des Centuries paraîtra en Hollande, « refuge
» de bien des Huguenots français, exilés du fait de la
Révocation de l’Édit de Nantes.(cf le Répertoire Chronologique
de Robert Benazra, Paris, Trédaniel, 1990)
L’annonce
d'un changement majeur pour 1792, (repris notamment du Livre de
l'Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat, Lyon, Guillaume
Rouillé, 1550, citant la prophétie de Pierre d'Ailly pour la fin
du XVIIIe siècle ) qui figure dans cette même Épître, concerne là
encore un prophétisme d'inspiration protestante, visant la ruine de
l’Église Romaine, le triomphe- par opposition- de l’Église «
chrestienne » ce qui correspond assez bien à la
période révolutionnaire, on l'avouera. Et d'ailleurs, c'est
également sous la Révolution que les travaux en histoire des
religions d'un Volney et d'un Dupuis, concluent à un prochain
changement d'ère.(ce qui aboutira au mythe d'un Age du Verseau
(Aquarius Age), attente qui marquera le « New Age
», au Xxe siècle, à l'approche de l'An 2000, nouveau
millénarisme. Dupuis résume ainsi cette théorie «La précession
des équinoxes fait correspondre successivement le Soleil aux divers
signes du Zodiaque, à l"époque de l'équinoxe du Printemps. Il
y a environ 4000 ans que le Soleil ouvrit l'année
astronomique placé, dans le Taureau (…) Le soleil n'ouvrait plus
l'année monté sur le Taureau mais placé sur le Bélier ou l'Agneau
Céleste. De nouvelles religions se fondèrent et
s'emparèrent de ce nouveau symbole" D'ailleurs, Dupuis se
situe, explicitement, au prisme de l’Histoire des Religions dans
son rapport avec le cosmos, dans le prolongement de la théorie des
grandes conjonctions d'Albumasar et qui mettait notamment en avant la
durée des religions, tel Élément (Feu, terre, air, eau) étant par
exemple plus favorable à l'Islam. Mais l'on ne saurait oublier la
Grande Année de Platon ou l'idée d'Age d'or, suivi de métaux de
plus en plus vils. Toute chronologie risque de déboucher sur une
forme de prophétisme C'est ainsi que selon
enseignement moonien, « l'histoire
mondiale peut être divisée essentiellement en trois périodes:
d'Adam à Abraham, une période de ténèbres ; d'Abraham à Jésus,
une période de formation; de Jésus à Moon, une période de
croissance. Moon, avec la pensée de l’Unification (des
Christanismes) introduit l'ère de la perfection. il est
l'accomplissement de toutes les promesses de Dieu.”
.En
tout cas, l'annonce « protestante » figurant dans
l’Épître à Henri I n'aura guère empêché la circulation des
Centuries dans le Royaume, bien après la révocation de l’Édit de
Nantes, en 1685, même si bien des éditons ne furent pas produites
en France et d'ailleurs ne se privèrent pas dès les années 1660
(1667-1668, puis la traduction anglaise de 1672),- lors des
affrontements avec Louis XIV, d'annoncer la chute de l’Église
Rome, identifiée à l'Antéchrist, au prisme de la fausse Épître
à Henri II, laquelle faisait dire à Nostradamus ce qu'il n'avait
jamais proféré. On donnera pour exemple l’œuvre de Jacques
Massard, Harmonie et Accomplissement des prophéties sur la durée
de l'Antéchrist & des souffrances de l''Église, Cologne,
chez Pierre Marteau , 1686, 1687-1688.(cf après 1685, R. Benazra,
RCN, pp. 256 et seq). Cela dit, il semble bien que très vite la
conscience de la polémique religieuse traversant les centuries et
les épîtres ne fera que décliner pour ne reprendre forme, un
siècle plus tard, que sous la Révolution.. D'ailleurs, l'on
pourrait en dire autant de la circulation de la prophétie des papes
(cf notre ouvrage Papes et prophéties, op. Cit) en milieu catholique
alors même que celle-ci était porteuse de l'annonce, à terme, de
la fin de la papauté. Il est vrai que la conscience des enjeux
religieux dans cette littérature « prophétique »
semble bien s'être assoupie sous le poids de l’exégèse qui
finit par se substituer au texte de base instrumentalisé, tant et si
bien que la grille religieuse pour rendre compte des deux volets et
des deux épîtres des éditions des Centuries semble bien ne plus
orienter les nostradamologues.
Le
corpus centurique, pris dans son ensemble, nous apparaît comme un
monument majeur de la civilisation européenne, lequel monument est
bel et bien rédigé en français et largement nourri de sources
relatives à la France, ce qui débouchera sur une pléthore de
traductions et de commentaires en toutes sortes de langues à
l'instar de celle que publiera en 1672 un Théophile de Garencières,
en anglais. Quand on examine la première édition anglaise des
Centuries, l'on relevé d'abord le titre « The true
Prophecies or Prognostications of Michael Nostradamus (…)
translated and Commented etc ». On a bien affaire à une
traduction du français vers l'anglais mais précisons aussitôt que
les quatrains y sont donnés d'abord en français et sont suivis de
leur traduction en italique. Il serait intéressant d'étudier de
quelle façon les mots français se retrouvent en anglais. Il reste
que, toutes proportions gardées, il est conseillé généralement
aux nostradamologuques anglais de comparer les traductions comme on
le ferait pour celles du texte biblique. Il est de bon ton de
connaître le français pour lire Nostradamus tout comme il l'est de
connaître l'hébreu pour aborder l'Ancien Testament .
De
fait, à cette époque, une grande partie des lettrés européens
avaient directement accès à l'original français, le français
étant alors, par excellence, la langue du monde civilisé ou du
moins reconnaissaient, lors de la lecture des quatrains, nombre de
mots français repris dans leurs langues respectives (d'Ouest en
Est de l'Europe septentrionale) ou qui avaient un air familier, par
rapport aux autres langues latines. En tout état de cause, le
français fut reconnu dès le Moyen Age comme le fer de lance de la
latinité au-delà des limites (Limes) de l'empire romain tant et si
bien qu'il importe de relativiser la portée des traductions du latin
vers diverses langues européennes (on pense à la version King
James de la Bible, au début du XVIIe siècle)étant donné que
celles-ci étaient marquées par la langue française, donc par une
langue latine. En ce sens la France méritera ce titre qui lui sera
dévolu au XIX siècle de Fille Aînée de l’Église. Le français
se présente ainsi comme un compromis heureux entre l'Antiquité
représentée par le latin et la Modernité incarnée par la France
du Roi Soleil et du Siècle des Lumières cf. (La Grande
Encyclopédie, autre monument majeur en langue française)
Au
vrai il semble bien que les centuries aient connu un usage plutôt
lié à l'apprentissage de la langue :
Stéphane Gerson , Nostradamus, op. Cit, p; 147)
signale que "Des documents attestent que, dans certains
territoires des écoliers apprenaient à lire en récitant
ses quatrains '(ce fut le cas jusqu'en 1881 au moins) ce que
vient corroborer Théophile de Garencières le premier (il est
lui-même français) traducteur de français en anglais des Centuries
(1672) The Préface to the reader
"The
Reputation that this Book hath amongst all the Europeans since its
first coming out which was in the year 1555 (...) is a
sufficient warrant for my undertaking. (...) This Book was the first
after my Primmer wherein I did learn to read it being the
custom in France about the year 1618 to initiate Children by
that Book (...) so this Book in those days was printed every
year like an Almanack or a Primer for Children”;
Notre
traduction: la réputation de ce livre (..) est une caution
suffisante pour mon entreprise; (..) Ce livre fut le premier; après
mon abécédaire, dans lequel j’appris à lire, comme c’était
la coutume en France vers l’an 1618 que d’instruire les enfants
en passant par ce livre (..) A l’époque, on l’imprimait tous les
ans à l’instar d’un almanach ou d’un livre pour les enfants”.
Garencières
déconseille même de trop s'intéresser au sens du texte: “In
vain or at least without great profit thou shalt bestow thy time,
care and study upon it. fior which I will give you the chief reasons
that have dissuaded me from it"
De
la prose aux vers
Dans
notre post doctorat (EPHE Ve section 2007), nous avons montré que la
source de nombre de quatrains était à rechercher dans les textes en
prose du dit Nostradamus, ce qui implique le retraitement de ces
derniers et en quelque sorte leur transmutation de plomb en or, tant
il apparaît avec le recul des siècles, que la dimension prophétique
(les Centuries portèrent initialement le titre de Prophéties) ne
s'est constituée qu'à partir des quatrains, classés en centuries
(100 quatrains), publiés par Nostradamus de son vivant se
retrouvaient dispersés, souvent en un seul exemplaire restant, dans
une myriade de bibliothèques de par le monde, hormis le cas de deux
épitres en prose, chacune placée en tête d'un “volet”, le
premier volet regroupant 7 centuries (Préface à César, datée de
1555, le fils de Michel) et le second trois.(Épître à Henri II),
datée de 1558)
Pour
bien suivre notre “démonstration”, (cf. -Halbran,
J. (1998.1), “Les prophéties et la Ligue”,
Colloque Prophètes et prophéties ... siècle, Cahiers V. L.
Saulnier, 15, Paris, Presses de l’École
Normale
Supérieure. Actes du Colloques Prophètes et prophéties au XVIe
siècle, Cahiers
Verdun Saulnier,
15, 1998), il convient de distinguer deux types de quatrains, ceux
des almanachs (dernière édition pour l'année 1567, Nostradamus
étant mort l'année précédente) et ceux des centuries, même si
les quatrains des almanachs ont pu être placés en annexe (sous le
nom de présages) des quatrains des centuries. On dispose d'une série
d'almanachs comportant un quatrain mensuel plus un quatrain annuel
(cf. la collection publiée par B. Chevignard, Paris, Seuil 1999 à
partir d'un recueil manuscrit intitulé Recueil de Présages
Prosaïques). Selon nous, ces quatrains reprennent purement et
simplement un certain nombre de termes du texte en prose, en une
sorte de transposition poétique. Dans certains cas, les quatrains
attestent de textes en prose disparus ou qui n'ont été conservés
qu'en manuscrits ou encore traduits en italien à l'époque.
Qui
donc composa ces quatrains des almanachs ? Il semble que cette tâche
ait été dévolue à des assistants plus ou moins doués. Et c'est
précisément parce que ces premiers quatrains avaient connu un
certain succès que l'idée vint par la suite de produire les
“Centuries”, les quatrains d'almanachs étant relégués. Comment
composa-t-on cette seconde génération de quatrains?. Selon nous, on
se sera servi de documents laissés par Michel de Nostradamus (plus
correct, de son temps, que la forme Nostredame, utilisée
généralement) à sa mort, en sa bibliothèque, qu'il s'agisse
notes manuscrites ou de publications de divers auteurs dont
notamment -de façon assez étonnante, la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne, qui comme son nom l'indique a une dimension
géographique. En gros, toutes sortes de textes n'offrant au départ
aucun caractère proprement prophétique, quand il ne s'agissait pas
de chroniques des siècles passés...
Les
sources des quatrains « centuriques »
Les
chercheurs ont effectué toutes sortes de recoupements. On aurait
recopié (cf. Brind’amour) des chroniques antérieures au temps de
Nostradamus et l’on se demande en quoi de tels procédés
faisaient sens pour des « prophéties ».
On
aurait également confectionné certains quatrains en recopiant
carrément des guides « touristiques », des
itinéraires de pèlerinages extrêmement détaillés, généralement
conçus pour un départ depuis Paris, tant et si bien que les
communes de la banlieue francilienne y sont fort bien représentées,
comme Antony ou Montléry, pour « sortir » de
la capitale.
Mais
il existe d’autres sources encore, comme des carnets de voyages que
l’on aura probablement retrouvés dans la bibliothèque du défunt
médecin.
Nostradamus
semble avoir voulu conserver les brouillons des «
manuscrits » envoyés à ses éditeurs. L’on observe,
quand on compare avec les imprimés, que certains éléments avaient
dû être ajoutés par des assistants (cf. l’édition Chevignard
d’un recueil, Paris, Seuil, 1999). Pour notre part, nous attachons
une grande importance à un document dont l’impression française
semble avoir été censurée. Rappelons qu’en 1560, un édit pris
lors des Etats Généraux réunis à Orléans, entendait contrôler
le contenu de cette littérature prédictive. En revanche, ce texte
fut traduit en italien et il nous a été conservé à la BNF.
En
effet, il s’agit d’un texte particulièrement alarmant et fort
peu étudié bien qu’il ait été édité au début du XXe siècle.
Il nous montre un Nostradamus, pris par une certaine fièvre
vaticinatrice et fixant une échéance cruciale pour 1567, alors que
lui-même mourra en 1566.
Nostradamus
pointe la date de la Saint Marcelin comme l’avènement de
l’Antéchrist ! Et il fait un jeu de mots sur ce prénom
en le rapprochant de macelin, qui signifie boucher (en italien). Or,
nous trouvons un quatrain centurique qui reprend cette expression, ce
qui nous conduit à penser qu’on se trouve ici d’une recette que
nous avons déjà signalée, consistant à convertir un texte en
prose en quatrain.
VIII,
76 « Plus Macelin que Roy »
macellaio
: boucher, macel ; boucherie, carnage
(cf
p ; 217 Dictionnaire Nostradamus. Michel Dufresne Ed
JCL, Ottawa 1989,p. 217)
8:76
Plus Macelin que roy en Angleterre,
Lieu obscure nay par force aura l'empire:
Lasche sans foy sans loy saignera terre,
Son temps s'approche si presque je soupire.
Plus Macelin que roy en Angleterre,
Lieu obscure nay par force aura l'empire:
Lasche sans foy sans loy saignera terre,
Son temps s'approche si presque je soupire.
De
Chastres à Varennes
Une
des découvertes les plus remarquables quant aux souces des quatrains
centuriques même si cela n’en concerne qu’une poignée -(cf
Liaroutsos) concerne les emprunts à la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne. Cela nous permet en effet d’observer que ces
sources n’ont pas nécessairement été reprises telles quelles
mais bel et bien retouchées pour les besoins de la cause.
Ainsi
en est-il du quatrain relatif au couronnement d’Henri iV
où Chastres devient Chartres. Et c’est bien Chartres et non
Chastres qui figure dans les éditions antidatées des années
1550-1560 !
De
fait, on peut hésiter entre deux itinéraires, tous deux passant par
Bourg La Reine et le « Pont Anthony » (lgne de
Sceaux). Mais nous avons en fait affaire à un binôme de deux
quatrains : on se situe au sein du second volet des
Centuries
IX
86 et 87 :
Du
Bourg La Reyne parviendront droit à Chartres (sic)
Et
seront pres du pont Anthoni pause
Sept
pour la paix cauteleux comme Martres
Feront
entrée d’armée à Paris clause
Par
la forêt du Touphon essartée
Par
hermitage sera posé le temple
Le
Duc d’Estempes par sa ruse inventées
Du
mont Lehori prélat donra exemples
Source
(Guide d’Estienne) :
A
(vers) Orléans
Le
Bourg la Royne
Le
pont Antony
Longiumeaux
Montlehery
(mont Lehory)
Chastres
Torfou
(=Touphon)
L’hermitage
Estampes
L’autre
itinéraire est le suivant :
A
Nogent le Rotrou
Le
bourg la Royne
Le
pont Antony
Massy
Palaiseau
et arrive en effet à Chartres mais sans passer par les diverses
communes mentionnées dans les deux quatrains. D’où nous en
déduisons que Chastres a été commué en Chartres. Décidément, ce
n’est pas la même «direction ». Ces
exemples illustrent bien la méthode qui a servi à confectionner
toute une série de quatrains. On notera que le quatrain IX, 86 non
seulement comporte le nom de Chartres mais aussi celui de Paris,
épisode majeur qui aura précédé le couronnement, ces deux
événements se voyant ainsi annoncés par les centuries de longue
date si l’on antidate les éditions aux années 1550-1560.
La
première édition à 10 centuries dont on dispose se situe à Cahors
et porte la date de 1590 (cf Benazra, RCN, op. Cit; pp. 126 et seq),
chez Jaques Rousseau. Or, cette ville où vécut le futur Henri IV –
on visite encore la maison de son séjour- se situait dans une zone
contrôlée par son camp, ce qui n'était évidemment pas le cas de
Paris. Cela vient confirmer noter thèse selon laquelle les centuries
VIII-X auraient été un apport d'origine protestante qui se serait
greffé, en tant que nouveau volet, aux sept centuries déjà
parues. En tout état de cause, le fait d'opter pour la continuité
de numérotation va dans ce sens comme ce sera le cas dans
l'addition d'un troisième volet en 1605 avec une épître à Henri
IV. Par ailleurs, le Janus Gallicanes a du avoir une première
édition sans référence à Henri IV et n'aura intégré en son
sein une Pronostication de l'advenement (du) Prince Henry de
Bourbon, Roy de Navarre, 1595, parue à Paris, au lendemain de la
conversion du roi (“Pari vaut bien une messe” ) Or, on ne
connaît de nos jours que des éditions augmentées, bien que datées
de 1594 avec la mention au tiitré “ A la fin est adiousté un
discours de l'advénement à la couronne de France du Roy Tres
Chestien à présent regnant. Il est clair que l'intitulé de la
Pronostication aura été modifié au vu de l’avènement. Rappelons
que l'intitulé initial du Janus Gallicus s’arrêtait à 1589 mais
que ne nous est parvenu que l'édition datée de 1594 comportant la
dite addition. D'ailleurs, force est de constater que le Janus
Gallicus, en dehors de ce supplément, était plutôt favorable à
la Ligue au vu des commentaires que l'on y trouve. On y trouve
cependant des quatrains issus des Centuries VIII-X, ce qui pourrait
laisser penser que les éditions à 10 centuries qui nous sont
parvenues pourraient comporter des retouches favorables aux
Réformés, ce qui expliquerait leur contenu assez composite sur le
plan politique. On voit bien à quelles gesticulations, cette période
de la fin des annéed 1580 et de la décennie suivante a pu
conduire, ce qui n'est pas sans rappeler ce qi s'est passé dans les
années 40 du Xxe siècle en France et notamment dans le cadre de la
littérature “prophétique” (cf notre Vie Astrologique, années
30-50 op. cit).
Une
des sources non pas de Nostradamus mais plus vraisemblablement des «
éditeurs » des Centuries du second volet (VIII-X)
semble bien avoir été la Guide des Chemins de France (cf. Chantal
Liaroutzos
“Les prophéties de Nostradamus : suivez la guide “
(Bulletin
de l'AssoHYPERLINK
"http://www.persee.fr/collection/rhren" ciation d'étude
sur l'humanisme, la réforme et la renaissance,
1986 Volume 23 Numéro
1 pp. 35-40 )
On y trouve notamment le nom de Varennes, lieu rendu célèbre en
raison du passage qu’y fit dans des conditions dramatiques la
famille royale en 1793.
Sous
la Révolution, les esprits furent frappés par la présence du nom
honni de Varennes dans le quatrain IX, 20/
Ce
n’est pas ici une retouche mais est repris directement de la Guide,
ce qui donne :
De
nuit viendra par la foreſt de Reines, Deux pars vaultorte Herne la
pierre blanche, Le moine noir en gris dedans Varennes Eſleu cap.
cause tempeſte feu, ſang tranche
IX,
20
De
nuict viendra par la forêt de Reines
Deux
parx vaulvorte Herne la pierre blanche
Le
moine noir en gris dedans Varennes
Esleu,
cap, cause tempeste, feu sang, tranche
A
Rennes par Angers :
On
retrouve dans ce parcours : « la pierre blanche
», Varennes, Vaultorte, Hervée, et la mention d’une forêt.
Georges
Dumézil a écrit à ce sujet une « Sotie «
portant le titre d’un verset du dit quatrain. En réalité, comme
il apparaît, le Varennes de la Guide n’est pas le Varennes en
Argonne de Louis XVI : C’est ce genre de quatrains qui
aura façonné pour le XIXe siècle, la dimension prophétique de
Nostradamus. Bien entendu, , il est ici hors de question de parler
d’une quelconque retouche des quatrains, vu qu’à la fin du
XVIIIe siècle, le canon centurique était définitivement clos. Mais
l’on peut se faire une idée de la méthode suivie pour la
confection de quatrains à partir d’un matériau en prose.
Une
fois que certaines “sources” en prose ont été identifiées,
l'on est ainsi en mesure de déterminer si des modifications
ultérieures sont intervenues, ce qui permet in fine de dater les
éditions qui comportent de telles retouches. Un des cas les plus
remarquables concerne probablement un quatrain censé annoncer le
couronnement d'Henri de Navarre – Henri Iv- à la Cathédrale de
Chartres, en janvier 1594.
Un
cas moins connu de nos jours mais qui dut certainement marquer les
esprits en son temps, c’est-à-dire lors du Couronnement d’Henri
de Navarre, concerne un quatrain comportant le nom de Chartres. Or,
c’est bien dans cette ville –et non à Reims comme l’aurait
voulu la tradition, qu’eut lieu le couronnement d’Henri IV.
Or,
l’ensemble du quatrain se retrouve dans une rubrique de la Guide
des Chemins de France mais avec une variante/ Bien évidemment, c’est
le quatrain qui comporte la dite variante et non l’inverse. Le nom
de Chastres (l’actuel Arpajon) aura été retouché en Chartres,
soit après l’événement soit en vue du dit événement. On est au
lendemain de la célèbre formule « Paris vaut bien une
messe ! »
Le
recyclage de l’Épître à Henri II
L’Épître
qui figure en tête du second volet des Prophéties de Nostradamus-
le volet que le camp réformé s’appropria- est dédiée au roi de
France, Henri II, fils de François Ier. Si les faussaires
disposaient d’une riche documentation, c’est également le cas
des historiens actuels qui disposent d’un grand nombre d’ouvrages
en rapport avec le nostradamisme. rassemblés par des collectionneurs
comme Daniel Ruzo, qu’il s’agisse d’originaux ou de films.
C’est ainsi que l’on a connaissance d’une «
première » Épîtres dédiée à ce roi, époux de
Catherine de Médicis. Il s’agit d’un texte daté de 1556 alors
que l’Épître figurant au sein des Centuries est datée de 1558 et
ne mentionne pas la précédente Épître, tout en laissant entendre
qu’elle est la première. Cette Épître de 1556 figure en tête
des Présages Merveilleux pour 1557, qui sont en prose et non en
vers, au demeurant.
Cette
fausse épître de 1558 est célèbre en ce qu’elle met en avant la
date de 1792, ce qui la fait prophétiser, diront les commentateurs,
la Révolution Française, reprenant ainsi une tradition bien établie
depuis le cardinal Pierre d’Ailly (1414)
Date
des premières éditions des Centuries
Deux
écoles s'affrontent, l'une qui s'en tient à la date indiquée sur
certaines éditions censées parues en 1555, 1557 et 1568 et
l'autre, que nous représentons, qui soutient que les dites éditions
sont reprises d'éditions sensiblement plus tardives. La première
école, constatant que sous la Ligue, on ne voit paraître que des
éditions à 7 centuries alors que des éditions à 10 centuries
seraient parues dès 1568 affirment que la période de la Ligue
aura été marquée par une dégradation des éditions antérieures.
Paradoxalement,
il semble bien que les fausses éditions antidatées aient été
mieux conservées que les toutes premières éditions des Centuries
probablement parues au milieu des années 80
On
évitera toute fois de confondre le fait de se référer (comme on
le trouve dans la série Grandes et Merveilleuses Prédictions) à
une édition avignonnaise de 1555 et le fait de la produire
véritablement, ce qui constitue une surenchère.
La
« première » édition des Prophéties
On
nous présente généralement la toute première édition des «
centuries » comme parue chez le libraire lyonnais Macé
Bonhomme en 1555. Elle est introduite par une Préface à César, le
fils de l’auteur présumé. Outre le fait qu’elle comporte une
vignette qui n’est utilisée que dans les faux almanachs
nostradamiques de l’époque, son titre fait problème quand on le
compare à la série des éditions parues sous la Ligue, lesquelles
sont pour nous les vraies premières éditions dont les fausses
éditions seraient en réalité issues.
Si
l’on fait l’historique des éditions ligueuses, et donc
favorables au camp catholique, hostile à Henri de Navarre, qui a le
tort d’appartenir à la « religion prétendue réformée
« (RPR), l’on tombe sur un état apparemment le plus
primitif, daté de 1588. Édition dont on ne connaît que la
description et la reproduction de la page de titre (entre temps, on
ne sait pas ce qu’elle est devenue, cf. le Testament de
Nostradamus, de Daniel Ruzo, Paris, Ed du Rocher, 1982, trad. De
l’espagnol,
On
note qu’elle se réfère en son titre même à ‘quatre centuries
» alors que l’édition 1555 Macé Bonhomme ne comporte pas, en
revanche, une telle description de son contenu, ce qui est tout de
même assez fâcheux pour valider son authenticité ! Par
ailleurs, la description de cette édition de 1588, nous indique que
les quatrains n’y étaient pas numérotés alors que l’édition
de Lyon 1555 les numérote de 1 à 353. Ruzo fournit en effet les
données suivantes (Testament de Nostradamus, op. Cit. p. 282)
«
Dans l’édition de Raphaël du Petit Val (Rouen 1588), les
quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les 349 quatrains sont
précédés non seulement de l’en-tête « Prophéties de
Maistre Michel Nostradamus » mais encore par un autre
titre antérieur « La Prophétie de Nostradamus
» Et
Ruzo
d’ajouter « l’édition comporte 349 quatrains.
L’éditeur voulant finir son livre dans cette même page, supprima
les quatrains 44, 45, 46 et 47 de la IVe Centurie » Une
telle explication ne nous semble guère recevable.
Le
phénomène Crespin
Il
faut nous arrêter sur le cas des Prophéties d'Antoine Crespin
alias Archidamus. On y trouve un très grand nombre d'extraits des
Centuries mais qui ne se présentent comme tels. On peut se demander
si les faussaires n'auraient pas plutôt recyclé la production
pseudo-nostradamique de Crespin d'autant que dans d'autres ouvrages
de cet auteur, l'on trouve des quatrains qui s'en prennent à
Avignon. .
Cet
Antoine Cresson s’en était pris au pape en raison de sa politique
dans les territoires de l’Église en Avignon. Roy de Bloys en
Avignon régner. On trouve cette injonction dans le second volet,
(VIII, 52)
De
deux choses l’une, soit il aura repris à son compte un quatrain
des Centuries, soit les éditeurs des Centuries auront récupéré
certaines textes de sa plume.
Or,
nous avions découvert, au début des années 90, dans le cadre d’une
thèse d’Etat sur le prophétisme, que dans les Prophéties dédiées
à la puissance divine, le dit Crespin avait introduit sans
mentionner le nom de Nostradamus toute une série de quatrains, sous
la forme d’adresses à de hauts personnages. (cf. Brind’amour, Ed
Droz 1996 et notre édition de 2002, Documents inexploités sur le
phénomène Nostradamus) Qu’en conclure ? Que Crespin
avait recopié les Centuries ou que c’est lui qui avait été «
plagié » du fait même qu’il s’exprimait
à la façon des quatrains des almanachs de Nostradamus, au point
d’avoir adopté le surnom d’Archidamus ! Sous prétexte
que Crespin aurait usurpé, au lendemain de la mort de Nostradamus,
une identité qui ne lui revenait pas – il y eut d’ailleurs toute
une série de « successeurs » dont certains
portaient le nom de Nostradamus le Jeune, entre autres (-, d’aucuns
ont cru bon de décréter que le dit Crespin ne pouvait qu’avoir
récupéré les quatrains à partir d’éditions déjà parue ou qui
auraient circulé sous forme manuscrite, ce qui était assez fréquent
à l’époque.)/ En tout état de cause, si ces éditions avaient
déjà été imprimées en 1572, on ne voit pas quel aurait pu être
l’intérêt de les reproduite de la façon dont s’y serait pris
Crespin. En publiant ces textes, Crespin se serait évidemment exposé
à ce qu’on s’aperçut et dénonçât l’emprunt !
Ce
serait là peut être aller un peu vite en besogne d’autant que
nous avons montré par ailleurs que certaines attaques visaient les
Juifs d’Avignon, communauté dont Nostradamus devait être assez
proche, puisqu’il avait une ascendance israélite (d’origine
pyrénéenne) et était né dans la région. En outre, l’on trouve
certaines variantes entre le texte de Crespin et celui des Centuries,
en précisant que le dit texte ne se présente pas formelles comme
des quatrains.
On
reprendra la présentation de Pierre Brind’amour sur Crespin (Droz
1996) p. XXVI
«
On peut se faire une idée de l’état des textes qui étaient à
la disposition du public quelques années après la mort de
Nostradamus en lisant la production des imitateurs et des plagiaires.
Dans ses Prophéties parues en 1572 et dédiées à la duchesse de
Savoie, l’imposteur Antoine Crespin aligne bout à bout des vers
nostradamiens -vers piqués au petit bonheur à droite et à gauche,
un ou deux à la fois- et forme ainsi des vers d’une prose
maladroite qui constituent de petits paragraphes. Chaque paragraphe
est dédié de manière ronflante à quelque grand seigneur du
royaume et principalement de Provence (...)Or, ce texte , en ce qui
concerne les 354 premiers quatrains n’est pas celui de l’édition
Macé Bonhomme de 1555, c’est un texte qui s’en éloigne autant
que les éditions des années 1580. De plus l’auteur pille
abondamment les quatrains des centuries postérieures. Tout se passe
comme si les éditions complètes des Prophéties reliées ensemble,
circulaient dans les années qui suivirent la mort de Nostradamus et
qu’elles étaient dans un état d’incurie typographique aussi
grave, par rapport au texte original, issu de la plume du prophéte,
que celui des éditions publiées à la fin du siècle .
Les centuries postérieures comme les premières étaient déjà
connues et publiées en 1570 »
Pour
notre part, nous ne pensons pas qu’il faille conclure du «
témoignage » de Crespin à la préexistence des
Centuries avant 1572 et en tout cas pas à l’existence d’éditions
qui seraient parues du vivant de Nostradamus. (cf Documents
inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed Ramkat 2002)
Bien plus, Crespin aurait également servi à authentifier l’Épître
à Henri II datée de 1558, puisqu’elle figure à la même époque
dans un autre texte portant le nom du dit Crespin (cg nos Documents
Inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. Cit), ce qui
n’exclue pas pour autant que certains quatrains centuriques aient
été empruntés à la production pseudo-nostradamique du dit Crespin
et ce serait d’ailleurs pour cette raison que l’on aura
instrumentalisé ce dernier.
Il
existe certes des présomptions en faveur d’une édition posthume,
dans les années qui suivirent la mort de Nostradamus en 1566. Mais
on peut aussi considérer que ce fut une première option des
faussaires de faire paraître des éléments à cette époque. Le
fait que les éditions « complètes » datées
de 1568 ne mentionnent pas la mort de Nostradamus confirme selon nous
que même ces éditions posthumes seraient des faux et cela vaudrait
tant pour le texte sur l’Androgyne (1570) que dans le cas de
Crespin. Autrement dit, les Prophétie dédiées à la puissance de
Dieu et à la nation française (on en connaît au moins deux
éditions) seraient faux, incluant des quatrains issus des 10
centuries, ce qui recouvre en effet le contenu à deux volets des
éditions datées de 1568, à Lyon.
Les
centuries au service des partis
Les
éditons parues sous la Ligue, à Paris, ne comportent que 7
centuries alors qu’au XVIIe siècle, on leur en connaîtra dix.
L’ensemble se maintiendra jusqu’à nos jours sous une forme
duelle, d’une part un volet de 7 centuries et de l’autre un volet
de 3 centuries, avec chaque fois une épître en prose.
Selon
nous, le volet de 3 centuries était au service du camp protestant et
le volet de 7 à celui du camp catholique. Certains quatrains sont, à
nos yeux, assez explicités tel le 46e de l’Ive Centurie, figurant
donc dans le premier volet.
Garde-toi
Tours de ta prochaine ruine !
Or,
Tours était le lieu où était venu s’installer Henri III, sur la
Loire, lequel fera assassiner le « Duc de Guise » à
Blois, non loin.
On
a vu que le second volet annonçait nettement la victoire des Vendôme
sur les Lorrains. Il est donc assez remarquable que l’on continue à
soutenir l’unité des 10 centuries, comme étant le fait d’un
seul homme, mort en 1566, Michel de Nostredame.
Au
lendemain de l’édit de Nantes, on aurait réuni en un seul volume
ces deux volets ainsi qu’un troisième introduit par une épître à
Henri IV et comportant cette fois une cinquantaine de sixains mais
aussi la collection des quatrains des almanachs, pour faire bonne
mesure, rassemblés sous le titre de « Présages ».
La
question des éditions « ligueuses »
Il
y a toute une polémique autour de cette série d’éditions à 7
centuries (sauf une à 4 centuries) et donc ne comportant pas les
centuries VIII, IX et X.
Deux
thèses en présence , soit celle d’un chantier où le
corpus aurait été en train de se constituer progressivement, soit
des éditions en pleine décomposition par rapport aux premières
éditions des années 1550-1560 dont on a retrouvé un certain nombre
d’exemplaires. Il est donc intéressant de comparer ces deux
corpus. Pour les uns, les deux corpus seraient authentiques tandis
que pour les autres, dont nous faisons partie, seul le plus tardif
le serait datant des débuts de la Ligue, lorsque la succession
d’Henri III se posa, du fait du décès du duc François d’Alençon
en 1584, dernier frère vivant du Roi. On assiste à la fin des
Valois avec ces trois fils qui se succèdent sans héritier.
Ces
Centuries, par la suite réunies en un seul volume ,
seraient donc fortement marquées par les Guerres de Religion qui
précédèrent l’édit de Nantes de 1598 lequel tentait d’organiser
une coexistence pacifique, moins d’un siècle avant sa «
révocation » en 1685 par Louis XIV. Mais ce serait une
erreur que de croire que l’animosité par rapport à la branche de
Lorraine, les Guises ne date que des années 80 car elle remonte en
fait à l’avènement de François II, à la mort de son père en
1559, le dit prince étant sous la coupe des Guises.
On
ne saurait lire les Centuries sans une certaine connaissance de la
culture française (tant la langue que l’histoire) pas plus que
cela ne se concevrait pour l’Ancien Testament. Mais cela vaut
aussi pour un considérable corpus de commentaires des Centuries
reflétant ce qui s’est passé en France depuis le temps de
Nostradamus.
La
question des sixains
Un
troisième volet (qui n’est en fait qu’un appendice au deuxième
volet tout comme la VIIe centurie l’était pour le premier volet,
apparaîtra au XVIIe siècle, comportant quant à lui une Épître à
Henri IV, en date de 1695 introduisant cette fois 58 sixains, venant
ainsi compléter une centurie VII resté à 42 quatrains, ce qui
permettait d’atteindre
les
1000 quatrains. On les présente toutefois comme formant une
Centurie XI. On y trouve notamment des anagrammes assez transparents
comme Robin pour Biron.(sixain VI) mais aussi en clair (sixain 52)
: « Encor un coup la sainct Berthelemy »,
référence évidente au drame de 1572 ! Dans l’Épître,
la thèse posthume est clairement exposée :. On retrouve
avec la pratique des anagrammes, l’esprit du second volet dont il
relève.
«
Sire, ayant (il y a quelques années) recouvert certaines
Prophéties ou Pronostications faites par feu Michel Nostradamus
(…) par moy tenues en secret iusques à présent etc
».
Il
est évident que l’auteur ne se réfère pas à des éditions
existantes sinon son apport ne ferait aucun sens.
En
1656, le dominicain Giffré de Réchac dans son Éclaircissement-
paru anonymement- rejettera ces sixains amorçant ainsi ce que nous
avons appelé un critique nostradamique (cf notre post-doctorat 2007)
mais également les quatrains des almanachs pourtant bel et bien
parus du vivant de Nostradamus.
Les
éditions perdues
Une
recherche bien conduite peut rarement éviter de détecter quelques
chaînons manquants. Dans le cas du corpus nostradamique, nous en
donnerons deux exemples : celui des toute permières « vraies »
éditions des « fausses » Centuries. Il apparaît qu’il
faut aller en amont des éditions qui nous sont parvenues, non point
par référence à de prétendues premières éditions des années
1550 mais quelques années avant 1588, tant il ressort que les
éditions datées de 1588-1589 sont soit trop parfaites pour avoir
été premières (Rouen et Anvers), soit trop décalées par rapport
au titres censé décrire leur contenu. Il convient donc, à notre
sens, de supposer l’existence d’un lot antérieur, à situer par
exemple en 1587, soit trente ans après l’édition antidatée
1557
Un
autre exemple sera pris du Janus Gallicus, le premier grand
commentaire des Centuries. On n’en connaît que les éditions de
1594 et sous un titre diffèrent de 1596, (Commentaires du Sr de
Chavigny sur les centuries et prognostications etc,( cf Benazra
RCN, pp ; 142 è-143) ), mais il est très improbable que nous
soyons là ne face des premières moutures du fait d’une addition
(datée du 19 février 1594, soit au lendemain du couronnement de
Chartres) qui s’y trouve consacrée à l’Advénement d’Henri
IV, ce qui puise dans les quatrains favorables au roi de Navarre,
dont d’ailleurs une édition séparée datée de 1595 nous est
parvenue sous le titre de Prognostication de l'advénement à la
Couronne de France etc , Paris, Pierre Sevestre (cf Benazra, RC N,
p. 140) dont on nous dit que c'est une réédition d'un texte d'abord
paru dans le Janus alors que cette pièce est certainement parue
d'abord séparément (pas forcément l'édition conservée)
d'ailleurs).
En
fait, tout indique que la première version de ce grand commentaire
signé Jean Aimé de Chavignyne se situe dans les années 1590 et
suivantes. Le sous titre se référe à des événemennts allant
jusqu’en 1589, date de l’assassinat d’Henri III. On peut se
demander d’ailleurs si cette première édition comportait un
commentaire de certains quatrains du second volet comme c’est le
cas de l’édition qui nous est parvenue. Il s’agit très
vraisemblablement d’un ajout prenant en compte la parution en 1590,
à Cahors, de la première édition conjointe des deux volets, qui a
d’ailleurs du servir à produire l’édition antidatée 1568,
alors que la plupart des nostradamologues soutiennent encore que
c’est l’inverse qui s’est produit..
pensik
Le
dilemme des prophétologues
Les
nostradamologues sont souvent confrontés à un dilemme, ce qui les
empêche de prendre conscience de certains anachronismes, ce qui
aura constitué un obstacle épistémologique pour la recherche en ce
domaine. En effet, dès lors que l’on part du principe que
Nostradamus pouvait explorer, en quelque sorte, le futur, il devient
difficile d’affirmer que tel passage de son œuvre ou de l’œuvre
qui lui est attribuée relèverait d’une interpolation tardive. On
est dans le « et pourquoi pas ? »
», le « sait-on jamais ? » La
perception des invraisemblances devient plus difficile, ce qui nuit à
terme à une démarche critique.
C’est
ainsi qu’en ce qui concerne la période de la Ligue, lorsque nous
soutenons que telle retouche a été effectuée du fait des enjeux
politiques de l’époque (quatrains comportant le mot Tours ou le
mot Chartres, par exemple), on nous répond le plus sérieusement du
monde que Nostradamus l’avait prévu et donc que nos observations
ne prouvent pas vraiment qu’il y aurait eu des additions de
circonstance..-
Ajoutons
la résistance de certains chercheurs qui nous reprocheront de
vouloir « déposséder » Nostradamus de son
principal « trésor ». L’idée de disperser
la patenté des quatrains entre plusieurs auteurs et plusieurs
périodes irait ainsi à l’encontre de l’image d’un grand
prophète français, d’où l’attachement de nombre d’entre eux
à la thèse d’une parution des Centuries du vivant même de
Nostradamus, du moins pour ce qui est des sept premières d’entre
elles, étant entendu que le dit Nostradamus aurait composé
l’ensemble des dites Centuries dès les années 1550, ce qui
permettrait ainsi de lui attribuer la prédiction de la mort en
tournoi d’Henri II, survenue en 1559. Cela apparaît dès la
première centurie (parue selon nous au plus tôt vers 1585-, ce qui
montre d’entrée de jeu l’intention apologétique des éditeurs
:
I,
35
Le
lyon jeune le vieux surmontera
En
champ bellique par singulier duelle
Dans
cage d’or les yeux luy crevera
Deux
classes une puis mourir mort cruellement
Rappelons
que le souverain fut blessé mortellement à l’oeil par la lance
de son adversaire,Gabriel
de Lorges,
comte de Montgommery
( 1530
- 1574,)
, d’où des jeux de mots sur le « grain »
(d’orge) à propos d’autres quatrains.. On peut voir
éventuellement dans « cage d’or » un
anagramme d’Orge.
La
présence de noms propres, même sous forme d’anagrammes, aura
fortement contribué à la réputation des Centuries bien plus, selon
nous, que de simples allusions événementielles. Les sixains,
lesquels, quant à eux, s’en tiennent bel et bien à la thèse
posthume useront plusieurs fois d’un tel artifice, ce qui nous
éloigne décidément de l’approche astrologique pour basculer vers
la voyance.
Les
deux intitulés
Comme
le suggère Ruzo (Testament de Nostradamus, op. cit), le fait que
ces éditions portent deux type de titre constitue une piste à
suivre, même si nous n’en tirons pas les mêmes conséquences.
D’une
part, donc, les Grandes et Merveilleuses Prédictions, censées
parues à Rouen et à Anvers et de l’autre , les «
Prophéties », censées parues à Paris et à Lyon.
Les premières se référent (à la fin de l’ouvrage) à une
édition de 1555, les secondes mentionnent l’année 1561 en leur
titre, comme une année où 39 « articles »
auraient été ajoutés à la « dernière centurie
», ce que l’on peut comprendre comme concernant la centurie VII,
la dernière centurie étant la Vie, se terminant par un quatrain
latin, annonçant la fin de tout l’ouvrage. Hâtons-nous de
préciser que l’on ne dispose d’aucune édition à six centuries,
sans addition mais son existence est très probable pour la période
des années 1588 et seq.
Pour
rendre compte d’un tel ensemble assez hétéroclite, nous
proposerons le scénario suivant : il est probable que les
premières éditions des Centuries, telles qu’elles parurent sous
la Ligue, portaient le nom de Grandes et Merveilleuses Prédictions
(même si le terme prophéties a pu figurer à l’intérieur, comme
dans le cas de l’édition annonçant « 4 centuries
» en son titre. Ces éditions comportent une épître à César
datée de 1555, soit la même année indiquée in fine (cf édition
Anvers 1590) mais cela ne signifie nullement qu’à ce stade les
libraires concernés aient produit des éditions antidatées
comportant mention de cette année, en leur page de titre. On
retiendra que toutes ces éditions ne vont pas au-delà de 7
centuries, à l’instar de l’édition d’Anvers qui ne comporte
que 35 quatrains à la VIIe centurie.
Un
autre groupe de Centuries porte le nom de Prophéties et pour les
années 1588-1589 c’est la mention de Paris qui figure en page de
titre. Le point important, c’est qu’il existe une édition
lyonnaise datée, quant à elle, de 1568, portant également le titre
de Prophéties mais qui est la seule du corpus considéré à
comporter non pas 7 mais 10 centuries. Ce faisant, ce corpus
s’inscrit, à l’évidence, dans une stratégie d’éditions
antidatées et pas seulement de références à l’année 1555 comme
on a pu l’observer pour l’autre groupe dit des Grandes et
Merveilleuses Prédictions (GMP) Or, c’est le camp protestant qui
ajoute les centuries VIII, IX et X avec la fausse épître
à Henri II. L’édition à 10 centuries serait donc issue de ce
camp alors que la série Grandes et Merveilleuses Prédictions
relèverait du camp ligueur, d’où la présence à la Ive Centurie
d’un quatrain s’en prenant à la ville de Tours devenue en 1589
la capitale d’Henri III, à la veille de son assassinat. Selon
nous, les éditions antidatées , comportant en leur titre 1555 ou
1557 sous le même titre de Prophéties seraient des hypostases de
l’édition 1568, toutes les éditions concernées se présentant
comme lyonnaises.(chez Macé Bonhomme, Antoine du Rosne ou Benoist
Rigaud). On peut penser que dans un premier temps, on aura produit
une édition posthume mais étrangement ne mentionnant pas la mort de
l’auteur, à la différence d’autres ouvrages parus alors et que
l’on se sera enhardi à faire paraître des éditons censées
parue du vivant de Nostradamus. On ajoutera que selon nous, les
éditions parisiennes datées de 1588 et 1589 se référant à 1561
n’auraient pas réellement réalisées à Paris, capitale de la
Ligue et seraient l’œuvre du camp réformé, récupérant le
contenu des Grandes et Merveilleuses Prédictions, les éditions
réellement ligueuses étant parue à Rouen puis à Anvers. De même,
les éditions antidatées 1555 et 1557 seraient également d’origine
réformée et portant le titre de « Prophéties
» et non de Grandes et Merveilleuses Prédictions. On relèvera le
fait que la première édition connue des GPM (Rouen, 1588) porte
en son titre « divisée en 4 centuries »,
élément non fourni dans l’édition Macé Bonhomme datée de 1555
pourtant effectivement constituée de la sorte. La ville de Lyon
semble bien avoir été le foyer de ces diverses contrefaçons,
elles-mêmes situées chez des libraires lyonnais ayant accès au
fonds d’éditions de leurs prédécesseurs, encore que Benoist
Rigaud censé avoir publié en 1568 les 10 centuries fût encore en
activité au début des années 1590. C’est également à Lyon que
parait le grand commentaire franco-latin de Jean Aimé De Chavigny,
Janus Gallicus-Janus François lequel intègre des quatrains issus
tant du premier que du second volet des Centuries.
En
tout état de cause, l’existence dans l’édition lyonnaise 1568
à 10 centuries d’une précédente épître à Henri II, dont Ruzo
avait parfaitement connaissance puisqu’il reproduit la première
page de l’un et de l’autre dans son Testament de Nostradamus,
aurait du inciter ce chercheur à une certaine prudence quant à
l’authenticité des éditions centuriques la comportant. (à
commencer par celle “posthume” de 1568 dans la mesure où la
fausse épitre ne mentionne pas la précédente, laquelle relatait
déjà la rencontre de Nostradamus avec le souverain. Mais s’il a
existé des éditions contrefaites, il ne faudrait pas oublier que
c’est tout le processus de rédaction des Centuries qui relève peu
ou prou du genre de la supercherie littéraire à des degrés
divers.
La
question des deux titres pour les centuries
Si
l’on s’en tient aux activités de Jean Aimé de Chavigny, l’année
1589 apparaît comme déterminante. En effet, tout indique qu’à
cette date, qui est celle de la mort tragique du dernier Valois, on
disposait des 10 centuries et des présages des almanachs alors même
que nous ne disposons pas d’imprimés à cette date. Il faut
attendre une édition de Cahors de 1590 (cf. RCN, p. 126) pour
disposer du second volet des Centuries sous le nom de Prophéties de
M. Michel Nostradamus. Centuries VIII, IX et X ?
L’on
peut se demander si le fait que l’on dispose de deux titres
: »Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel
Nostradamus et Prophéties de M. Michel Nostradamus ne
correspondrait pas au départ à une différence de provenance.
Seules des éditions parisiennes comportent le titre «
Prophéties », dans les années 1588-1589 alors qu’en
province ou à l’étranger (Anvers), c’est l’autre titre qui
s’impose.
Les
qualités de Nostradamus
En
2015, Patrice Guinard a publié deux ouvrages sur Nostradamus (Books
on demand), ce qui nous a conduit à préciser les éléments de
notre dossier.: il s'agit d'un diptyque :
Nostradamus occultiste et de Nostradamus traducteur.
Un
point semble avoir échappé à cet éminent nostradamologue, la
question de la mention des "qualités" professionnelles de
Nostradamus. On note ainsi que ce qui se présente comme
paru chez Antoine du Rosne ne porte aucune mention de cet
ordre alors même que l'on connaît un grand nombre d'œuvres de
Nostradamus ou qui lui sont attribuées dans les années 1550-1560
qui fournissent les détails en question.
Étrangement,
même la traduction de Nostradamus de la Paraphrase de Galien
censée parue chez Du Rosne ne signale pas que le dit Nostradamus est
lui-même médecin – Nostradamus n'a même pas droit à un “M.”
pour “Maître” devant son nom, ce qui ne s'est jamais vu à
l'époque et l'on ne sera donc pas surpris que les éditions des
Prophéties censées parues dès 1555 chez Macé Bonhomme, ne donnent
pas davantage de précision sur l'identité de Nostradamus alors même
qu'à la même époque de nombreux ouvrages signés Nostradamus ou
qui l'imitent, ne se priventr pas d'indiquer qui est ce Nostradamus.
(il suffit de consulter sur Google les "images" de
cette production pour s'en assurer). Bien entendu les édition des
Prophéties parues dans les années 1580-90 ne mentionnent
pas les titres de Nostradamus et tout indique que les éditions des
Prophéties des années 1550-1560 sont en réalité calquées
sur elles. En revanche, dans la seconde partie du XVIIe siècle, la
forme simple « Michel Nostradamus », sans précision
devant le nom est attestée. C'est ainsi que la traduction anglaise
de 1672 donne The True Prophecies or prognostications of
Michael Nostradamus » mais c'est dans les «
mazarinades » nostradamiques que la pratique est attestée
couramment cf Benazra, RCN, op. Cit ; pp. 220 et seq
) avec la producton de Jacques Mengau et ses «
Advertissements » « predict(s) par Michel
Nostradamus, Paris, I. Boucher 1651-1652, donc sous la Fronde et
l'on sait que telle édition centurique antidatée de 1568 est parue
en 1649. Citons aussi les Visions astrologiques de Michel
Nostradamus, paris, Veuve A. Musnier, 1649. L édition
Antoine du Rosne, de la Paraphrase pourrait bien dater de cet autre
âge d'or nostradamique, outre celui de la Ligue, que fut le temps
de la Fronde.
Une
seule exception toutefois, pour les éditions datées de 1568. On
dispose d'une édition indiquant qui est ce Nostradamus. Elle
comporte une vignette que l'on retrouve dans les Prédictions pour 20
ans (cf icono ci-dessous) "trouvée en la Bibliothèque de
nostre defunct dernier décédé (...) Maistre Michel de
nostre Dame (..) par Mi. de Nostradamus le Jeune. On note
que le premier quatrain des Centuries est associé à ce
"successeur"de Nostradamus, ce qui nous conduit à penser
que ce quatrain n'est justement pas de Michel de Nostredame mais
qu'il aura été récupéré par les faussaires lesquels
ont pu penser d'ailleurs qu'il s'agissait bel et
bien de Michel de Nostredame et non de Mi. de Nostradamus le Jeune..
D'ailleurs, c'est cette même erreur qui aura conduit les dits
faussaires à emprunter aux faux almanachs parisiens parus dans les
années 1560, du vivant de Nostradamus, les vignettes dont ils se
serviront pour fabriquer les fausses éditions Antoine du Rosne, ce
qui vaut tant pour les Prophéties que pour la dite
traduction de Nostradamus de la Paraphrase, toutes comportant une
vignette différente de celles de la production authentique.
Ce
quatrain serait donc le premier attesté par une source extérieure
aux éditions centuriques.
Estant
assis de nuit secret estude,
Seul
reposé sus la selle d'aerain,
Flambe
exiguë sortant de solitude
Fait
proférer qui n'est à croire vain
Il
existe des variantes de ce quatrain. (cf P. Brind'amour Les
premières centuries ou Prophéties, Droz, 1996, pp; 45 et seq
C'est ainsi que l'édition Macé Bonhomme 1555 comporte “repousé”
au lieu de “reposé” alors que celle d'Antoine du Rosne 1557
comporte bien “reposé. (variante non signalée par Brind'amour)
Ce chercheur qui n’hésite pas à y voir un emprunt à une édition
des Centuries signale (p. LVII) que ce quatrain aurait été
repris par Jean Dorat en 1581 sous la forme suivante alors qu'au
vrai, on n'y retrouve que les mots estude et repos dans le seul
premier verset de cet épithalame: . Nous avons montré que ce
premier quatrain avait été utilisé par Nostradamus le Jeune et il
est très probable que ce dernier en soit l’auteur, le dit
quatrain ayant été par la suite intégré dans le canon centurique.
Jouissant
du repos de mon tranquille' estude
Un
esprit vint à moy qui de voix assez rude
Me
dit ou me sembla me dire tel propos
Que
fais-tu là Dorat en cet obscur repos
Insistons
sur le fait que l'on a fort bien pu confondre en effet,ce Mi (chel)
de Nostradamus le Jeune avec Michel Nostradamus. C'est ce même
Dorat qui servira à Chavigny lequel latine lui consacre une épitre
dans son Janus François de 1594 (pp/ 31 et seq)) pour dater de
1570 citer un quatrain dûment estampillé quant à sa centurie et à
son numéro, dans un texte relatif à l'Androgyn, introduit par un
certain Jean de Chevigny (cf Benazra, RCN; pp/ 95 et seq), ouvrage
que l'on connaît par ailleurs dans le cadre des œuvres complètes
de 1586.du dit Dorat, paru peu avant sa mort.-(Androgyni
Interpretatio, Œuvres, tome I).. Chavigny est d'ailleurs le premier
à revendiquer cette identité, en tète du Janus Gallicus Selon
nous, il aura ajouté au texte de Dorat de 1586 cette épître à
Larcher en se servant des coordonnées d'une édition centurique de
la fin des années 1580 en l'antidatant pour les besoins de la cause,
ce qui le rend suspect d'avoir participé à d'autres entreprises de
plus grande envergure du même ordre.
On
notera que Chavigny, dans le Janus Gallicus, vers 1589-96, prend la
peine de signaler les qualités de Nostradamus en tant que
“conseiller et médecin ordinaires des tres chrestiens roys de
France etc “ et ne se contente pas de fournir sèchement son nom,
sans autre développement Prend on la mesure de cette mention “Michel
Nostradamus”, dans toutes les éditions des Centuries du XVIe
siècle – à une exception près ( dans une présentation d'une
prétendue édition 1568), sans indiquer même qu'il est astrologue
alors qu'en ce qui concerne un Antoine Crespin, on lit “astrologue
de France, médecin et conseiller ordinaire du Roy & de Monsieur
son frère unique”( référence en 1578 au duc d'Alençon, qui
mourra en 1584) L'on peut mettre l'absence de précision sur le
compte la célébrité du personnage 20 ans après sa mort, quand
diverses éditions centuriques commencèrent à circuler mais de son
temps, apparemment, Nostradamus n'était pas assez célébre pour que
l'on n'indique pas ce qu'il était et au service de qui il servait.
On notera d'ailleurs que les éditions des Centuries à part les
épîtres datées de 1555, 1557 ou 1568 – on saute après une
vingtaine d'années sans aucune édition, jusqu'en 1588- ne
comportent jamais de préface à qui que ce soit..
Comme
on dit, le diable est dans les détails. Quand on examine les
vignettes, l'on remarque une sorte de croix de Lorraine sous le
fauteuil sur lequel est assis le personnage dans le vrai-faux (car
il est bien paru à cette date) almanach pour 1561. Cette croix
figure également dans l'édition Veuve Nicolas Roffet de 1588. Il
ne s'agit pas ici de soutenir que cet almanach pour 1561 aurait été
antidaté du fait qu'il porte les armes des Guises de Lorraine mais
il faut quand même rappeler que la maison de Guise n'a pas attendu
la Ligue pour se manifester; A la mort d'Henri II en 1559, les Guises
seront très proches de son fils aîné, François II,, ce qui
correspond tout à fat à la date de confection du faux '(mais non
antidaté) almanach pour 1561.
La
notice Wikipedia est explicite :
“Fils
aîné d'Henri
II et de Catherine
de Médicis, il Monte
sur le trône de France à
l'âge de quinze ans après la mort accidentelle de son père le 10
juillet 1559. Son règne éphémère n’a duré qu'un an et cinq
mois mais constitue un prélude majeur au déclenchement des guerres
de religion. Son
règne est en effet marqué par une importante crise politique et
religieuse. À son avènement, il confie les rênes du gouvernement
aux Guise,
les oncles de son épouse MHYPERLINK
"https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Ire_d%27Écosse" arie
Stuart, reine
d'Écosse, partisans
d’une politique de répression à l'égard des protestants.”
On
comprend mieux comment cette croix de Lorraine a pu se retrouver
dans les éditions parisiennes ligueuses mais disparaîtra dans les
éditions centuriques antidatées et comment les dites éditions se
sont servi des faux almanachs également parisiens.
En
revanche, cette croix de Lorraine ne figurera dans aucune édition
censée parue dans les années 1550 chez Antoine du Rosne, qu'il
s'agisse des Prophéties ou de la Paraphrase. On peut certes soutenir
que l'almanach pour 1561 aura copié les vignettes de 1557-57 en
ajoutant ce signe mais pourquoi aurait-on opté en 1557 pour une
autre vignette que celle des Pronostications pour 1555 ou 1557? Cela
se comprend en revanche pour le faux almanach pour 1561 qui ne
reprend d'ailleurs pas la menton “M. de Nostredame” figurant sur
les vignettes des dites Prognosticatiions, le faux almanach utilisant
d'ailleurs une vignette alors que les almanachs de Nostradamus n'en
comportent pas à l'époque. Pour nous, le scénario aura été le
suivant. Le libraire parisien de 1588 reprend la vignette du faux
almanach tout aussi parisien de 1560 (pour 1561) puis à partir de
là seront fabriquées les fausses éditions lyonnaises (1555, 1557),
toutes dépourvues, du fait de la négligence du copiste, de cette
petit croix.
Passons
à une observation qui cette fois concerne la série “Nostradamus
le Jeune” : dans les éditions centuriques qui la comportent, il
est toujours mentionné que Nostradamus a été”médecin du Roy
Charles IX & l'un des plus excellens astronomes qui furent
jamais”. Cette donnée est à l'évidence tronquée car l'on sait
que sa source comportait bel et bien le nom des trois rois de France,
Henri II (mort en 1559), François I (mort dès l'année suivante)I
et Charles IX. L'absence de mention d'Henri II est d'autant plus
étrange qu'y figure une épitre de Nostradamus au dit roi Henri
Second. Le titre complet est fourni par le Janus Gallicus de 1594 et
sa reprise de 1596, Commentaires du Sr de Chavigny sur les
Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus. En
1595, le même Chavigny avait t fait paraître une Prognostication de
l'advénement à la Couronne de France (du) Prince Henry de Bourbon,
roi de Navarre (…) le tout tiré des Centuries & autres
commentaires de M. Michel de Nostradame jadis conseiller &
médecin de trois Roys. Dans les Pléiades, le même Chavigny (1606)
rappellera encore “jadis Conseiller & Médecin de trois Rois
tres Chrestiens” . En revanche, dans les éditions centuriques de
1605 (date de l’épître de Vincent Sève à Henri IV qui y figure
en tête des sixains), il est indiqué en tête du dernier volet
(mais non sur la page de titre principale) :”Prédictions
admirables pour les ans courans en ce siècle. Recueillis des
Mémoires de M. Michel Nostradamus (de son) vivant Médecin du Roy
Charles IX & l'un des plus excellens Astronomes qui furent
jamais”. Cette fois, seul le nom de Charles IX figure et telle est
bien la source immédiate de la série Nostradamus le Jeune, dont on
connaît des éditions datées de 1568. (cf notre appareil
iconographique) En 1672, la traduction anglaise précisera bien “
Michael Nostradamus, physician to Henry II., Francs II. And Charles
IX. Kings of France” On notera que le point suivant la mention du
nombre implique que l'on lise “second, troisième, neuvième”.
Or, l'on sait que ce code de prononciation s'est perdu depuis au
regard de la langue française.
On
attirera enfin l'attention sur le fait que la vignette d'origine du
“portrait” de Nostradamus le Jeune comporte une mention
manuscrite : Quid altius astris, c'est à dire quoi de plus
élevé, de plus haut que les astres, belle formule pour un
astrologue - dans les éditions non centuriques comme les
Prédictions pour 20 ans, (Rouen, Pierre Hubault, dédiée au jeune
duc d'Alençon) et que cette formule disparaît dans les éditions
centuriques. Cela fait écho à ce qu'écrit le poète Jean Passerat
(1534-1602), ami de Jean Dorat (1508-1588), : Vel Phoebo
ignotum nihil est, nihil altius astris (au sein d'un texte bilingue
latin-français intitulé Nihil.
Nemo. Quelque chose. Tout. Le moyen. Si peu que rien.
Caen,
Imp. de la Veusve de Jacques
Le Bas. 1596.
) La traduction française rend le passage ainsi “Rien est plus
eslevé de ces beaux feux célestes”. Nous n’excluons pas qu’il
puisse exister un lien entre Passerat et ce Nostradamus le Jeune
car comme dans le cas de Dorat, il semble que l’on ait publié
tardivement, à la veille de leur mort, des textes datant des
années 1560-1570., traduit
en français « Rien »).. Rien n'est plus élevé que
les astres( cf sur l’intérêt de Dorat pour les prophéties,
Monique Bouquet.La Sibylle: Parole et representations). Il est un
fait que Nostradamus intéressa de nombreux poétes de son temps
tels que Dorat mais aussi Ronsard (cf Stéphane Gerson
.Nostradamus:
Le prophète HYPERLINK
"https://books.google.fr/books?id=GNOSCwAAQBAJ&pg=PT103&lpg=PT103&dq=Ronsard++Nostradamus&source=bl&ots=yWNPPH30C6&sig=msEwTFWMxIC0rQfVkvtMyid8asw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj798q7irPUAhXFOhQKHUIiBeIQ6AEIPTAE"
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"https://books.google.fr/books?id=GNOSCwAAQBAJ&pg=PT103&lpg=PT103&dq=Ronsard++Nostradamus&source=bl&ots=yWNPPH30C6&sig=msEwTFWMxIC0rQfVkvtMyid8asw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj798q7irPUAhXFOhQKHUIiBeIQ6AEIPTAE"
nos malheurs. XVIe-XXIe siècle, 2016) Que certains poétes aient
utilisé des pseudonymes nostradamiques n’est pas à exclure, comme
dans le cas de cet Antoine Crepin (alias Nostradamus puis
Archidamus) dont on ne sait pas grand chose quant à sa biographie.(à
ne pas confondre avec d’autres auteurs du même nom mais d’une
autre époque)
En
bref, il semble donc qu' une seule édition 1568 à 10 centuries
ait utilisé la vignette Nostradamus le Jeune et reprenant de façon
certes tronquée, les qualités de Nostradamus mais que les autres
éditions n'aient même plus pris cette peine, alors qu'elles se
présentent comme réalisées au lendemain de la mort du dit
Nostradamus!.Quant à notre série “Nostradamus le Jeune” , ainsi
nommée par nous du fait de sa vignette, elle pourrait dater de 1605
se référant explicitement en son titre à 1568 – sans mentionner
Charles IX, du moins en son titre principal “ Reveues &
corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568”.
L'édition de 1649 et celle de 1568, ne mentionnent pas Benoist
Rigaud mais mettent en avant en leur titre le seul Charles IX. On
voit donc que nous avons droit à trois vignettes: celle des
pronostications authentiques (pour les années 1555, 1557, 1558) ),
celle des pronostications contrefaites ( Pronostication pour 1562,
à Paris, Barbe Regnault, que l'on retrouve dans les Prophéties
datées 1555, 1557) et celle associée aux publications de ce Mi.
de Nostradamus le Jeune.(1568, 1605, 1649) On notera que les autres
éditions 1568 ne comportent aucune vignette représentant un
personnage, ce qui contraste avec les éditions des années
1555-1557, ce qui indique soit que l'on aura abandonné cette
pratique, soit que cette pratique de telles vignettes sera apparue
ultérieurement, (elle n'est d'ailleurs pas en usage dans la série
Grandes et Merveilleuses Prédictions 1588-1590) ce qui signifie que
le scénario d'une édition posthume aurait précédé celui du
scénario d'une édition en train de se faire, 4 centuries en 1555, 7
centuries en 1557 voire, selon certaines hypothèses, 10 centuries en
1558 (avec le second volet introduit par une Épître à Henri II,
que Nostradamus aurait adressée au roi, à la veille de sa mort en
tournoi, en 1559, édition non retrouvée cependant. Cet autre
scénario se serait calqué sur la succession des éditions des
années 1580-1590. et c'est d'ailleurs ce qui rend le dit scénario,
fort ingénieux, particulièrement attractif aux yeux de bien des
nostradamologues, encore de nos jours.. Autre “détail”, la
vignette de l'almanach pour 1561 et ses dérivés, inverse l'ordre
des luminaires observables à travers la fenêtre de ce bureau: Dans
les vignettes authentiques, le soleil se situe à gauche et la Lune à
droite de la fenêtre, alors que dans les vignettes des éditions
“pirates”, et donc dans les éditons 1555 et 1557, c'est la
Lune qui est placée à gauche et le soleil à droite.
C'est
dire que règne une certaine confusion entre Nostradamus et
Nostradamus le Jeune puisque la vignette du second aura servi pour le
premier comme il le ressort de notre corpus iconographique, du fait
d'un certain "glissement".
Il
reste que c'est la vignette des faux almanachs parisiens
pour les années 1560 qui aura finalement servi pour les
édition antidatées, la vignette Nostradamus le Jeune n'ayant servi
que pour l'édition "posthume" de 1568. On notera
d'ailleurs que jamais les éditions 1568 n'utiliseront les vignettes
1550, dont on rappellera qu'elles servirent d'abord pour les éditions
parisiennes ligueuses, notamment chez la veuve de
Nicolas Roffet.
Qu'en
est-il donc de la traduction de Nostradamus de la Paraphrase? On ne
saurait exclure qu'il en soit l'auteur et qu'on l'ait retrouvée à
sa mort dans ses "papiers". On peut certes se
demander pourquoi les faussaires auraient pris la peine de produire
cette Paraphrase de Galien, sans grand intérêt au regard du
prophétisme centurique et dont on s'accorde à reconnaître qu'elle
n'a pas grande valeur
«
Je ne vis, déclare François Buget ( Bulletin du
Bibliophile) 1861,) dans cette traduction souvent presque
inintelligible, même avec le secours du latin, qu'une suite
d'offenses à la grammaire et au sens commun, de contresens faits à
plaisir et d'omissions qui brisent le fil de la pensée dans le but
évident de révolter le lecteur et de se faire passer pour un fou
». Mais l'on peut se demander si cette traduction bâclée n'aurait
pas été le fait de quelque préposé. Au fond, ce serait faire
injure à Nostradamus que de la lui attribuer, ce qui n'empêche que
le dit Nostradamus ait pu par ailleurs s'intéresser à un tel projet
-ceci expliquant cela- puisque la lecture de la correspondance de
Nostradamus (cf Dupébe, Nostradamus. Lettres Inédites, Droz,
1983, pp. 51-54) permettait, en tout cas, d'apprendre que Notsradamus
s'était bel et bien lancé dans un tel travail lequel avait, selon
toute vraisemblance, pu circuler en manuscrit. Olrias de Cadenet, un
des cousins de Nostradamus se fâcha même avec lui pour avoir émis
(en 1560) des réserves sur une telle entreprise dont il avait pu
prendre connaissance . Pour quelque raison, on trouva utile vers la
fin du siècle, d'en faire une impression,vraisemblablement, à
partir du manuscrit retrouvé dans la bibliothèque du défunt,
agrémentée de quelques gravures alors que la traduction
d'Horapollon par le même Nostradamus (cf Guinard, Nostradamus
traducteur op. cit) resta inédite jusqu'au Xxe siècle.. Il fallait
donc avoir accès au manuscrit de la correspondance de Nostradamus
pour songer à produire la dite Paraphrase, ce qui est aussi le cas
pour l’accès au manuscrit des Présages Prosaïques, ce qui
semble avoir été le cas de Chavigny. Notons aussi que les éditions
parisiennes de 1588-89 reprennent les quatrains de l’almanach pour
1561, en lieu et place des quatrains centuriques (cf Benazra, RCN),
ce qui exigeait la possibilité d’ un tel accès assez réservé.
Certes,
les faussaires ont ils pu faire leur possible pour conférer un
cachet d'authenticité à leur contrefaçon mais de là à se lancer
dans la réalisation de deux éditons de la Paraphrase, datées 1557
et 1558, cela semble bien hors de proportion. Et pourtant, comment
expliquer que les dits faussaires aient pu négliger de préciser les
qualités médicales du traducteur lequel était
parfaitement en vie à l'époque? Rappelons que la vignette concernée
a bel et bien circulé dès le début de la décennie 1560 mais
qu'elle n'est pas autrement attestée pour les années 1550, hormis
bien entendu les dites contrefaçons.. Il y a donc un
mystère concernant les motivations liées à la publication de la
Paraphrase laquelle apparaît comme un complément aux Prophéties.
Mais comme le note Guinard, la dite édition comporte
certaines singularités, tant et si bien que c'est Guinard
lui même qui pourrait apporter un semblant de réponse à une telle
énigme. (cf pp. 180 et seq)Nous n'entrerons pas ici dans des
considérations sur le contenu de l'édition de la Paraphrase, en
précisant que même si la traduction a pu être de Nostradamus, cela
ne signifie pas que l’Épître qui l'introduit le soit. Citons
Guinard (p. 257) à propos de la Paraphrase et de
son épître : "nous sommes en présence d'un dispositif
consommé mais qui n'a pas encore livré ses secrets". Dont
acte. Il reste que les critères qui nous semblent
déterminants à savoir l'absence de mention des qualités de
"docteur" de Nostradamus, plus le fait que c'est
précisément chez le même libraire que paraîtront deux éditions,
dont l'une comporte des ajouts à la Centurie VII par rapport à
l'autre, avec les même vignettes reprises des faux
almanachs parisiens non attestées avant 1560,- et ne comportant pas
la mention M. De Nostredame- nous obligent à situer ces éditions
dans les années 1580, quelle que puisse être par ailleurs
l'authenticité de la traduction.
.
On y trouve comme à l'habitude une épître, cette fois adressée
au Baron de La Garde, Admiral du Levant (cf Guinard; Nostradamus
traducteur, op. cit. ^/ 257).., datée du 17 février 1557..
Robert Benazra dans une notice relative à son testament, nous
précise que "Nostradamus possédait deux astrolabes.
En effet, son bisaïeul, Jean de Saint-Rémy, lui avait légué un «
instrument » pouvant servir à dresser des thèmes et il
avait reçu un astrolabe en cadeau du baron Paulin de La Garde,
commandant des galères du roi en Méditerranée." Dans ce
contexte posthume, on peut se demander si l'on n'avait pas retrouvé
une traduction manuscrite de la Paraphrase de Galien qui aurait été
transmise à quelqu'un comme Jean Aimé de Chavigny comme
cela semble bien avoir été le cas pour le Recueil des
Présages Prosaïques, dont à l'évidence le dit Chavigny se servit
pour son Janus Gallicus (1594), lequel comporte le commentaire de
plusieurs quatrains probablement repris du dit Recueil dont on sait
que le dit Chavigny avait l'intention de le publier en 1589, à
Grenoble, (cf B. Chevignard, Prédictions, Paris,
Seuil 1999) On sait aussi que les éditions parisiennes de
la Ligue ont eu également connaissance de certains
quatrains d'almanachs (pour 1561) contenus dans le dit Recueil dans
laquelle on a du puiser. On rappellera à ce propos que les éditions
ligueuses comportent des pages de titre qui ne correspondent pas
vraiment à leur contenu.
Mais revenons
sur la série Grandes et Merveilleuses Prédictions, Rouen, 1588-89
et anvers 1590 en relevant une bévue que l'on retrouve
étrangement dans les éditions Lyon Antoine du Rosne 1557
mais pas dans les éditions Benoist Rigaud 1568
1557 Les
Prophéties (.. ) dont il en y a trois cents qui n'ont
encores iamais est
imprimées
1588
Grande et Merveilleuses Prédictions "dont
il en y a trois cens qui n'ont encores jamais esté imprimees.
Esquelles
se voit representé une partie de ce qui se passe en ce temps, tant
en France, Espaigne, Angleterre etc
On
a "dont il en y a " au lieu de "dont il y en a"
comme dans Lyon 1568
En
revanche, il n'y a pas dans la série 7 centuries
la mention "Adioustées par le dict Autheur? On peut certes
penser que cette mention vise les centuries VIII, IX et X.
Mais cette même mention se trouve déjà dans les éditions à 7
centuries des années 158-89 (Paris)-90 (Cahors) et viserait plutot
la VIIe Centurie:
""revue
& additionnées par le dict Autheur pour l'An
1561 de 39 articles à la dernière centurie"
Paris 1588
Cela
signifie que le titre des éditions 1557 correspond à un contenu non
pas de 7 mais de 6 centuries! Or, on n'a pas conservé d'édition à
6 centuries, cela pourrait correspondre à une édition antidatée à
1556, signalée au titre de la série Vrayes Centuries et Prophéties
(...) revues & corrigées suivant les
premières éditions imprimées en Avignon en l'an 1556 et
de Lyon en 1558 (Amsterdam 1667)
1555
4 centuries
1556
6 centuries (se terminant par le quatrain latin)
1560
(pour l'an 1561) 7 centuries (comme indiqué dans les
éditions de 1588)
On
aura compris que les pages de titre nous racontent une histoire qui
ne correspond pas à leur contenu mais nous avons
la faiblesse de penser que les dites pages de titre offrent une
certaine fiabilité au regard de la chronologie des "fausses"
éditions.
Les
éditions sans mention "ajoutés par l'auteur" devaient
correspondre à 6 centuries et les pages de titre 1557 sont
reprises des pages de titre Rouen 1588 etc
Quant
aux éditions à 7 centuries, elles correspondent aux pages de titre
de éditions de Paris 1588-1589.et auraient servi pour le premier
volet des éditions à 10 centuries. Lyon 1568
Les
deux familles de titres centuriques
Notre
propos s’articulera autour de la dualité des titres. D’une part
les Grandez et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus et
de l’autre les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (cf
R. Benazra, Répertoire Chronologique Nostradamus, Paris, Trédaniel-
Grande Conjonction, 1990 et Ruzo Testament de Nostradamus,
Ed du Rocher, 1982)
Selon
nous, le premier titre est « ligueur » et le
second « protestant », puisque selon nous le
premier volet est Catholique et le second
(centuries VIII-X) au service d’Henri de Navarre
Si
l’on applique une telle grille, toutes les éditions portant en
leur titre principal le mot « Prophéties »
seraient le fait d’une production réformée. Or, l’examen des
diverses éditions (cf RCN, op. cit. pp; 118 et seq) fait apparaître
deux séries d’éditions ’1555-1568 et 1588-89 que l’on
n’attribue pas spécialement au camp du futur Henri IV. Le cas le
plus remarquable est l Ȏdition Lyon 1568 qui est la seule
avant les années 1590 à comporter les 10 centuries et donc le
second volet avec la fausse épître à Henri II (cf nos
Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Ed
Ramkat 2002) et c’est en fait cette édition « complète
» posthume (tout en ne signalant pas le récent décès
de l’auteur comme cela est attesté pour d’autres textes de cette
même année) qui est au cœur de notre étude.
I
Les Grandes et Merveilleuses Prédictions
Il
s’agit probablement du premier intitulé utilisé, celui de
Prophéties étant plus tardif, si l’on fait la part évidemment
des éditions antidatées 1555-1568 (cf. RCN, pp. 8 et seq) On
connaît, grâce à Daniel Ruzo, grand collectionneur de
nostradamica, une édition sous ce titre parue à Rouen en 1588 chez
le libraire Raphaël du Petit Val. Cet exemplaire a disparu
et nous devons nous reposer sur la description qu’en donne Ruzo qui
l’avait dans sa collection, depuis dispersée. En dépit du titre,
le contenu ne comporte aucune division en centuries mais une suite de
349 quatrains dont nous ne savons pas s’ils étaient ou non
numérotés.
L’édition
suivante chez le même libraire normand comporte six centuries et
donc des quatrains absents de la précédente édition, notamment le
quatrain IV, 47 selon la numérotation en vigueur. Or, ce quatrain
s’en prend explicitement à la ville de Tours « garde-toi
Tours de ta proche ruine », En 1589, Henri III s’était
établi dans cette ville fuyant Paris, contrôlée par les «
ligueurs ». Selon nous, ce quatrain aura donc été ajouté
au vu des circonstances politiques. (cf. notre étude Les centuries
et la Ligue Colloque de 1997, publié par l’École Normale
Supérieure) Ce quatrain figure dans les éditons antidatées
parues sous le titre de Prophéties Lyon 1555-1557 (cf.
infra) Cette édition tronquée en ses dernières pages ne
comportait pas selon nous la VIIe centurie et selon
nous cela correspond à une édition à six centuries s’achevant
par un quatrain latin marquant la fin de l’ensemble.
En
1590, sous le même titre, parait à Anvers une édition comportant
35 quatrains à la VIIe Centuries (et non 40 ou 42 comme dans les
éditions parues sous le titre de Prophéties antidatées de
1557 et 1568(cf. infra)
Ces
éditions se référent à une édition d’Avignon, 1555
(cf. colophon de l’édition Anvers 1590), mais ne la produisent
pas.
Cette
série ne comporte pas les Centuries VIII-X, mais est toujours
introduite par une « préface » à César, datée
du 22 juin 1555 (alors que celle de Macé Bonhomme 1555
est datée du Ier mars)
Selon
nous, cette série ne génère pas de fausses éditions si
ce n’est que leur contenu est en partie faussement attribué à
Nostradamus. On peut s’interroger sur l’authenticité de la
Préface à César dès lors que l’on considère que Nostradamus
n’a jamais voulu faire paraitre de telles « centuries de
quatrains ». Une partie du texte est reprise, comme l’a
noté Pierre Brind’amour ‘Nostradamus astrophile), du Compendium
de Savonarole. Rappelons que le dit César naquit fin 1553 et
qu’Henri II mourut eb 1559, ce qui délimite une certaine fenêtre
de tir, un terminus.
II
Les Prophéties
Les
Protestants disposaient des 7 premières centuries produites par les
tenants de la Ligue et ils décidèrent de leur ajouter 3 centuries
numérotées VIII, IX et X. Ce seraient donc eux qui
auraient géré l’ensemble sous le titre de Prophéties, à
commencer comme on l’a dit par l’édition antidatée de 1568, qui
sera « authentifiée » par les Prophéties de
Crespin à la puissance divine et à la nation française (censés
parues en 1572 mais c’est selon nous une édition antidatée pour
la circonstance. Même observation concernant le quatrain reproduit
en 1570 dans le livre consacré à un Androgyne, et comportant
notamment un texte de J. de Chevigny (cf Benazra, RCN, op; cit; pp.
96-97) Dans la foulée, les mêmes faussaires (ou d’autres?) se
décidèrent à produire une édition datée de 1555 puisque cette
date figurait dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions (cf
Benazra, RCN,op. cit p. 127), édition à 353 quatrains et donc avec
plus de quatrains que l’édition signalée plus haut (Rouen Du
Petit Val, 1588, cf RCN, op. cit pp. 122-123)/
En
ce qui concerne les éditions Antoine Du Rosne, 1557, dont on dispose
de deux versions (celle d’Utrecht non signalée dans le RCN). elles
comportent respectivement 40 et 42 quatrains à la VIIe centuries
donc davantage que l’édition Anvers 1590 qui n’en compte que
35. Rappelons en passant l’argument très souvent utilisé
par Benazra, Ruzo ou Guinard et al tous refusant la thèse d’éditions
1555-1557-1568 antidatées . selon lequel ce sont les
éditions des années 1580-90 qui ne comporteraient pas certains
quatrains qualifiés de « manquants »! Rappelons
aussi en passant que les vignettes utilisées pour les éditions
1555-1557 sont prises d’un faux almanach parisien pour 1563 (cf
RCN, op. cit. pp. 58-59) et que le second volet des centuries
comporte un quatrain annonçant ou célébrant le couronnement
d’Henri IV à Chartres en janvier 1594, lequel quatrain
figure dans toutes les éditions du second volet, ce qui nous conduit
à penser que la fausse édition Lyon, Benoist Rigaud 1568 date au
plus tôt de 1593. Et enfin, rappelons que Chavigny semble avoir été
marqué par l’année 1589 (date du manuscrit du Recueil des
Présages Prosaïques et date terminale du commentaire du
Janus Gallicus, date supprimée dans l »édition de 1596,
qui se contente d’un « iusques à présent ».(cf
RCN, op. cit. pp. 142-143)
Abordons
à présent la délicate question des éditions parisiennes parues en
1588-1589 sous le même titre de Prophéties. On serait
évidemment enclin de les situer dans le champ ligueur, vu l’origine
parisienne affichée. Mais selon nous, ce n’est là qu’un
stratagème et le titre de Prophéties et non de grandes et
merveilleuses prédictions va dans ce sens. Si l’on a produire de
fausses éditions lyonnaises pour 1555-1568, pourquoi pas,
en effet, de fausses éditions parisiennes pour une période
sensiblement plus récente et donc dont la production locale était
bien plus accessible.
Au
demeurant, ces éditions » parisiennes », censées
être contemporaines des Grandes et Merveilleuses Prédictions (RCN,
op. cit. pp. 118 et seq), qu’elles émanent de la Veuve de Nicolas
Roffet, de Pierre Ménier, ou de Charles Roger, s’inscrivent
difficilement dans la chronologie des autres éditions. Étrangement,
la préface à César y est cette fois datée non pas du Ier mars
1555 mais du Ier mars 1557 et la date avancée ailleurs 3767 et non
3797, comme le note Benazra.
L’intérêt
de ces éditions n’est pas négligeable. On y trouve des
formules qui manquent ailleurs:
Prophéties
de M. Nostradamus adioustées outre les précédentes éditions.
Centurie IV après le quatrain conclusif 353 de l’édition Macé
Bonhomme 1555.
et
puis
«
Prophéties de M. Nostradamus. Adioustées nouvellement. Centurie
septième. (cf Benazra, RCN, pp. 118 et seq) mais on n’y
trouve pas les quatrains de la VIIe centurie tels qu’on les connaît
notamment d’après l’édition Anvers 1590 ni comme ils se placent
dans les éditions 15557 et 1568. Les bibliographes parlent
alors comme on l’a dit d’éditions corrompues, eux qui s’en
tiennent à la chronologie résultant d’une lecture au premier
degré des dates d’édition successives.
Ajoutons
un point très important, toutes ces éditions parisiennes, largement
identiques, se référent en leur titre à l’année 1561: «
dont il y en a 300 qui n’ont encores esté imprimées lesquels
sont en ceste présente édition. Revues & corrigées par
l’auteur pour l’an 1561 de 39 articles à la dernière Centurie
».
On
nous propose donc le scénario suivant: une première
édition à 3 centuries (avec un appendice), suivie d’une seconde
comportant 3 centuries supplémentaires (l’appendice étant intégré
dans la centurie IV), ce qui donne six centuries, et enfin d’une
troisième édition à 39 quatrains à la centurie VII
Ajoutons
immédiatement que le contenu de ces éditions diffère
singulièrement de leur titre et ce qui nous intéresse ici, ce sont
les intitulés qui nous semblent correspondre à une certaine
réalité, qui est celles des Grandes et Merveilleuses Prédictions,
avec l’augmentation entre 1588 à 1590 du nombre de centuries,
étant entendu que la dite série rouennaise telle qu’elle nous est
parvenue est très vraisemblablement incomplète puisque l’on ne
trouve pas d’édition à seulement 6 centuries, ce qui constitue un
chaînon manquant.
Mais
revenons sur la référence à 1561 qui peut laisser perplexe plus
d’un chercheur. Il faudrait donc entendre, si l’on s’en tient
au dit scénario, que la septième centurie à 39 quatrains (mais à
35 seulement dans l’édition Anvers 1590) ne serait parue
qu’en 1561 alors que l’édition de Lyon Antoine du Rosne datée
de 1558 comporte déjà la dite centurie VIIe! il y
a là quelque dissonance bibliographique ! Les éditions 1557
auraient dû porter la date de 1561 pour correspondre à cette
chronologie assez concevable du moins dans l’esprit des faussaires
puisque rappelons-le toutes ces éditons sont antidatées, ce qui
n’empêche pas qu’il puisse exister une chronologie «
virtuelle », aussi fictive serait-elle. On aura noté que la
préface à César des éditions parisiennes est datée de cette même
année 1557, mais dans les éditions 1555 et 1557, elles portent bien
l’année 1555! On rappellera que le titre de l’édition 1588
Rouen Petit Val ne correspond pas non plus à son contenu puisqu’on
y annonce une division en 4 centuries alors que d’après Ruzo,,
l’ensemble n’était même pas encore divisé en centuries. Si
l’état de cette première édition des GPM est
concevable, cela signifierait qu’il a existé une toute première
éditon qui n’était pas encore structurée en centuries, à 349
quatrains. D’ailleurs, Ruzo (Testament de Nostradamus) précise que
le texte débute, à l’intérieur, par la formule «
Prophétie de Nostradamus ».
On
terminera avec l’édition Cahors Jaques Rousseau, 1590 (cf Benazra,
RCN, pp . 126 et seq) laquelle comporte deux volets, c’est la
première du genre si l’on excepte l’édition 1568. La date de la
préface est du 22 juin 1555, date qui figure dans
la série Grandes et Merveilleuses Prédictions (GMP), ce qui montre
bien que les auteurs de ces éditions « Prophéties
», disposaient de la dite série GMP. En 1594, Benoist
Rigaud publie les deux volets. (cf Benazra, RCN, op. cit. pp 140 et
seq). Cette édition Cahors a pu servir de modèle pour confectionner
l’édition Lyon, Benoist Rigaud, 1568; Benazra affirme évidemment
l’inverse à savoir que c’est l’édition de Cahors qui
reprend celle de 1568!
Ce
que nous retiendrons de plus remarquable à l'examen du corpus
centurique du second seizième siècle, marqué notamment par le
passage des Valois aux Bourbons, c'est le cas de ces éditions dont
le titre ne correspond pas au contenu. Cela trahit selon nous le
caractère tardif des élections parisiennes, à savoir que l'on
aurait dans certains cas, disposé d'un catalogue des publications
nostradamiques mais sans les ouvrages eux-mêmes. Dès lors,
certains éditeurs inventeront des contenus sans prendre garde que
cela ne correspondait pas aux titres. Autrement dit, les dits
éditeurs nous auront ainsi restitué de vrais titres d'ouvrages
disparus mais transmis de faux contenus. Cela vient encore plus
embrouiller le paysage centurique : centuries faussement attribués
à Nostradamus, éditions antidatées et pages de titre ne
correspondant pas au contenu ainsi déclaré. Sur ce dernier point,
on comprend mieux le sentiment de dégradation des centuries exprimé
par nombre de nostradamologues à l'encontre des éditions
parisiennes, d'autant que le contenu des dites éditions ne
correspond pas vraiment à celui des éditons antidatées, lesquelles
certes sont antidatées mais comportent un contenu qui correspond
mieux aux titres des éditions parisiennes que celle-ci. Autrement
dit, on ne connaîtrait le vrai contenu de telles éditions que par
le biais des éditions antidatées restituant le dit contenu. D'un
côté fausses pages de titres mais contenus fidèles à la
production centurique initiale et de l'autre, les bonnes pages de
titres mais avec des contenus fantaisistes comme d'intégrer dans
telle édition les quatrains (présages) de l'almanach pour 1561.(il
existe un vrai et un faux almanach pour cette année cf Benazra ,
RCN, op. Cit pp/ 42 et seq)) C'est en combinant ces deux
catégories que l'on peut avoir quelque chance de restituer la dite
production dans son intégrité.
Mentionnons
un extrait de la description que Benazra donne des éditons
parisiennes des Centuries: (RCN, pp 118 et seq):
Centurie
septiéme: “Dans cette centurie, on a inséré 12 quatrains qui
n'en ont jamais fait partie. (..) ce sont ceux qui devaient être
publiés comme présages pour l'almanach pour 1561”. Apparemment,
voyant que le titre mentionnait l'anné 1561, les éditeurs, faute de
mieux, ont repris des éléments associés effectivement à l'année
en question, lesquels éléments sont d'ailleurs tout à fait
authentiques. Mais cela ne correspond nullement- du point de vue du
nombre, aux 39 articles ajoutés à la dernière centurie annoncés
au titre. Cela suppose en tout cas, que l'on ait disposé soit des
almanachs de Nostradamus, soit plus probablement du Recueil des
présages prosaïques, paru en 1589 (Chavigny étant l'éditeur)
si l'on en croit le manuscrit conservé (publié en partie par B.
Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, pp. 143
et seq), en rappelant que nombre de quatrains d'almanachs furent
commentés dans le Janus Gallicus du dit Jean-Aimé de Chavigny,
Beaunois, qu'il faut probablement considérer comme l'auteur de la
fausse édition de l'Androgyn (antidaté à 1570), introduite par un
certain Jean de Chevigny, un quasi homonyme, secrétaire de
Nostradamus, le dit Jean Aimé se servant d'une édition dûment
calibrée en centuries et en quatrains à l'instar de l'édition de
Cahors (1590) par exemple.
Des
titres sans contenu adéquat
Une
des observatins les plus stupéfiantes quand on examine les
descriptions des édiitions successives pour la période 1588-1590
telle que fournies par R. Benazra, (RCN op. Cit) ou M. Chomarat
(Bibliographie Nosradamus, Baden Baden, Koerner, 1989), c'est bien le
décalage entre les titres des ouvrages et leur contenu. Ce point là
semble avoir été jusqu'à présent négligé et peu exploité.
La
question est de savoir si ce qui intéresse le plus l'historien des
textes, c'est le titre ou le contenu. La tendance semble avoir été
de s'en tenir au contenu plutôt qu'au titre mais cela n'allait pas
sans déclencher quelque perplexité plus ou moins avouée.
Nous
proposerons ici d'accorder toute son importance aux titres mais
aussi tout de même à l'articulation interne.
En
ce qui concerne le titre, l'on voit émerger, si l'on s'en tient au
seul corpus des éditions parisiennes, l'année 1561. “Les
¨Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a qui n'ont
encores esté imprimées. Additionnées par l'auteur pour l'an 1561
de 39 articles à la dernière centurie”
Il
semble que dans les édiions de 1568, le titre ait été tronqué:
“Les
Prophéties de M. Michel Nostradamus Dont il y en a 300 qui n'ont
encores jamais esté imprimées . Adioustées de nouveau par ledict
Auteur”
La
suite “pour l'an 1561 de 39 article à la dernière centurie” a
disparu à moins évidemment que l'on soutienne que cet élément
aurait été ajouté par rapport à l'édition de 1568. Il s'agit là
de l'ajout à un ensemble de 6 centuries- la dernière centurie
étant la sixième se terminant par un quatrain latin très net à ce
sujet- d'un appendice de39 quatrains, lequel ne constitue pas stricto
sensu une centurie à part entière et d'ailleurs cette “septième”
centurie ne sera pas complétée sauf à considérer les 58 sixains
(et non quatrains) qui figureront au siècle suivant. Or, les
éditions datées de 1557 ne signalent même pas cette addition à la
“dernière centurie” alors qu'elles comportent bel et bien 40
quatrains pour l'une et 42 quatrains pour l'autre, en la centurie
septième, ce qui fait dire à tel commentateur que les éditions
mentionnant l'addition de 39 articles pour l'an 1561 n'avaient pas
connaissance des éditions 1557! Rappelons que les éditions 1568 ont
supprimé, à moitié, la mention d'une telle addition ultime de 39
quatrains, ce qui est étonnant si elles font suite à une édition
de 1557 qui n'en fait nulle part mention non certes pas e, son
contenu – puisque la centurie VII s'y trouve bien- mais en son
titre. Tout indique au contraire que l'on aura composé une édition
'1557” à ^partir d'une édition “1568', en évacuant le morceau
de phrase subsistant “ adioustées de nouveau par le dict auteur”.
Rappelons que toutes ces éditions portent le même titre principal
“Prophéties de M. Michel Nostradamus” à la différence des
éditions de Rouen et d'Anvars, “Grandes et merveilleuses
Prédictions de M. Michel Nostradamus” lesquelles ne fournissent
pas la moindre explication quant à la moindre addition. En ce
sens, notre inclinaison serait de considérer des titres ne
comportant aucune mention de ce type comme plus tardives.
Passons
à la structure interne de ce corpus des “Prophéties” qui nous
éclaire encore un peu plus puisqu'au milieu de la Centurie IV nous
trouvons 'Prophéties de M. Nostradamus adioustées outre les
précédentes impressions. Centurie quatre”. Il s'agit là d'un
chaînon manquant puisque la première édition du groupe,
Prophéties, Lyon, Macé Bonhomme, ne comporte que 53 quatrains à la
centurie IV et que l'addition part du quatrain numéroté 54. Il est
normal que l'édition Macé Bonhomme ne l'indique pas puisque
l'addition n'a pas encore eu lieu mais il ne l'est guère que
l’édition Antoine du Rosne 1557 qui comporte cette fois une
centurie VII “complète” ne fasse pas figurer après le quatrain
53 qu'une addition a été opérée. Mais il est vrai qu'elle ne
précise pas davantage l'addition qui ouvre sur la centurie VII; Or,
pour en revenir aux éditions parisiennes de 1588-1589, à
l'intérieur de l'ouvrage, on lit “ Prophéties de M. Nostradamus
adioustées de nouveau par lecdict auteur. Centurie Septième.”,
élément qui manquera à l'intérieur de l'édition 1568, dont on a
vu que le titre annonçant cette dernière addition avait été
tronquée par comparaison avec les dites éditions 1588-1589. Le fait
d'indiquer “centurie septième” montre d'ailleurs que cet
'appendice” (“39 articles à la dernière centurie” aura fini
par constituer une septième centurie, d'où la numérotation du
second voler mentionnant nommément “centuries VIII-IX-X” au tire
dudit second volet, notamment dans l'édition Lyon 1568.
Le
problème, c'est que lorsque l'on passe à la question du contenu en
termes de quatrains, comme on en a averti le lecteur, plus haut, ces
éditions parisiennes apparaissent comme fort défectueuses, et en
tout cas sans grand rapport avec ce que l'on peut lire en leurs
titres. Cela aura conduit probablement à considérer les dites
éditions comme peu fiables alors qu'au contraire, celles-ci nous
apparaissent, la question des quatrains mis à part, comme tout à
fait utiles pour toute entreprise visant à établir la chronologie
et la genèse du premier volet de 7 centuries.
Mais
répétons -le, la série Grandes et Merveilleuses Prédictions ne
s’embarrasse quant à elle d'aucune information concernant les
étapes de formation de l'ensemble 7 centuries si ce n'est dans le
cas de la première édition du dit groupe laquelle comporte en son
titre (mais ce point ne sera pas repris dans les autres éditions du
même groupe) “Les grandes et merveilleuses prédictions de M.
Michel Nostradamus divisées en quatre centuries” (Rouen, Raphael
du Petit Val 1588). Cela est à comparer avec le premier état de
l'autre groupe
Macé
Bonhomme 1555. Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, sans autre
précision. Cette fois, c'est le groupe Grandes et Merveilleuses
Prédiction qui s'avère plus précis avec la mention de 4 centuries.
L'absence de cette indication dans l'édition datée de 1555 nous
apparaît comme sensiblement lapidaire en comparaison des éditions
suivantes du dit groupe.
On
aura compris que si l'on s'en tient au pages de titre des diverses
éditions parues en 1588 et 1589, l'on est en mesure de restituer
avec quelque vraisemblance la dit genèse éditoriale à savoir
I
“divisées en 4 centuries” (dont la Ive à seulement 49 (Rouen
1588) ou 53 quatrains (Lyon 1555)
II
Une addition de 3 centuries,, intégrant le premier groupe de
quatrains de la Centurie IV ce qui donne une édition à 6 centuries
(aucun exemplaire ne nous en est parvenu)
III
Une addition de 39 quatrains à la sixième centurie (mais on
n'en trouve que 35 dans l’édition Anvers des Grandes et
Merveilleuses Prédictions) Notons toutefois que cette édition se
réfère in fine à une première édition datée de 1555; à
Avignon.
Ensuite,
il revient de nous pencher sur l'historique du présent corpus d'
éditions au prisme de la question des éditions antidatées, en
négligeant la question des contenus en termes de quatrains, dont on
fera ici totalement abstraction jusqu'à nouvel ordre.
L’intitulé
des éditons parisiennes de 1588-1589 nous semble correspondre à
l'état final du premier volet avec mention des additions successives
à la fin de la IIIe et de la Vie centuries. Cela suppose donc qu'il
y eut des éditions à 4 centuries, à 6 centurie et à 7 centuries
et qui sait à 3 centuries, puisque la Ive centurie semble
additionnelle avec ses 49/53 quatrains avec le même profil que la
VIIe. Mais on laissera ce point en suspens.
La
seule donnée se référant à une production du vivant de
Nostradamus concerne évidemment la mention de l'année 1561, où se
met en place une addition à la dernière et Vie centurie. Autrement
dit, cela signifierait que l'ensemble à six centuries aurait été
achevé avant 1561. Dès lors, pourquoi ne pas dater de 1557 le
passage de trois centuries plus une centurie IV à 53 quatrains à
un ensemble à 6 centuries puisque cette date figure sur deux
éditions du groupe des “Prophéties” lesquelles mentionnent
justement une addition de 300 quatrains. Quant à l'édition
“posthume” de 1568, elle aurait le statut d'une édition à 10
centuries avec ses deux volets,.
1555-1557-1561-1568,
telles seraient les dates clef du “scénario” que nous
considérons comme fictif des éditions centuriques des années
1555-1568. Rappelions que 1555 est une date qui figure dans
l'édition Anvers 1590 des grandes et merveilleuses prédictions.
(l'absence de cette mention dans l'édition Rouen 1589 tiendrait au
fait que la fin de la dite édition ne nous est point parvenue.
Oe,
si l'on admet que les Protestants ont réalisé les centuries VIII à
X, il leur revenait de présenter une édition complète à 10
centuries comme celle de 1568. Mais cela ne saurait dater d'avant le
temps de la Ligue, c'est à dire le milieu des années 1580, avec la
crise dynastique de 1584, due à la mort précoce du frère d'Henri
IIII, le duc François d'Alençon. Il leur revenait de laisser
entendre que Nostradamus avait publié de son vivant au moins les 7
premières centuries, suivies après sa mort en 1566 d'un supplément
de 3 centuries d'où cet échelonnement 1555 -1557-1561. et seule
l”édition antidatée de 1561 manque à l'appel. Benazra à juste
titre date cette dernière de 1560, vu qu'il est indiqué “ajouté
pour l'année 1561 (cf RCN, pp 51 et seq) et il situe cette édition
chez Barbe Regnault, à Paris mais il s'agit de toute façon d'une
chronologie fictive, ce qui ne signifie pas que les 7 sept premières
centuries seraient parues d'emblée d'un seul tenant. Les faussaires
ont fort bien pu procéder par étape, en une sorte de surenchère,
mais on n'a pas gardé les dites éditions en tant que telles mais
seulement leurs “traces” par le biais des titres. Il est
possible que ces édition seraient parues dans les années 1588-1589
et que par la suite, des éditeurs aient souhaité produire de
fausses éditions de ces éditions premières des centuries, mais
sans en fournir le contenu complet. *En ce sens, les bibliographes
qui décrivent ces éditions comme défectueuses n'auraient pas tort,
si ce n'est qu'elles le sont non points par rapport aux éditions
antidatées mais par rapport à des éditions disparues des mêmes
années 1588-1589 dont seraient issues les éditions 1555-1557-1561
et 1568., lesquelles nous sont parvenues si ce n'est pour l'édition
1561, laquelle a probablement existé.
Autrement
dit, les éditions 1588-1589 qui nous sont parvenues seraient
antidatées tout comme les éditions 1555-1568. Ces dernières
seraient parues au cours des dites années 1588-89 alors que les
fausses éditions 1588-1589 auraient été confectionnées plus
tardivement. Une édition Cahors 1590 est la seule qui nous soit
parvenue d'une telle entreprise, elle a servi à l'édition de 1568
et comporte la même mention tronquée “ adioustées de nouveau
par ledict Auteur” au titre du Premier volet et non l'inverse
comme le propose Benazra qui dit que c'est l'édition de 1568 qui
aurait été reprise par l'édition de Cahors Jaques Rousseau. On
est donc en face d'un étrange phénomène de contrefaçons à
plusieurs niveaux.
Quid
dans ce cas de la date de parution des Grandes et Merveilleuses
Prédictions (1588-1590? On a dit que ces éditions en dehors de la
première qui mentionne une division en 4 centuries qui a du
correspondre à la toute première édition des Centuries à 4
centuries, ne fournissent aucune donnée ni au titre ni à
l'intérieur de la formation progressive du premier volet si ce n'est
que la VIIe centuries de l'édition d'Anvers comporte 35 quatrains et
non 39 comme annoncé dans la présentation de l'édition antidatée
de 1560-61. A ce stade de la recherche, nous adopterons la position
suivante à savoir que le titre de l'édition “divisée en 4
centuries” a bien dû exister en 1588 mais que les autres éditions
ont repris un tel titre sans la dite mention et seraient en fait les
éditions réellement parues dans les années 1588-89, mais sans
considérer utile de signaler les étapes successives. Elles seraient
calquées sur l'édition Cahors 1590 et d'ailleurs l'édition Anvers
est également datée 1590.
Pour
terminer sur le décalage entre le titre et le contenu, l'édition
1588 'divisée en 4 centuries”, telle que Ruzo qui est le seul à
notre connaissance à l'avoir eu sous les yeux – n'est nullement
divisée en centuries mais est constituée d'une suite de 349
quatrains. Autrement dit, si le titre de la dite édition est
probablement authentique, l'édition en tant que telle ne l'est
point. On reste perplexe face à une telle disparité sur laquelle
nous ne sommes guère étendus. On relèvera néanmoins un cas
extrême, à savoir le fait que dans les éditions portant référence
à 1561 en leur titre, on ne trouve pas les quatrains de la centurie
VII, mais, comme l'a noté Benazra, les 12 quatrains de l'almanach de
Nostradamus pour 1561.On a là un exemple de bricolage qui est assez
typique de la pratique des contrefaçons, lesquelles n'hésitent à
pratiquer le plagiat ou l'emprunt. (comme dans le cas des Protocoles
des Sages de Sion, cf notre édition, Ramkat 2002)
1589
est une année clef: c'est celle de la mort d'Henri III. C'est la
date à laquelle se réfère le Janus Gallicus de Chavigny (en 1594)
ainsi que celle d'une probable édition du Recueil des Présages
Prosaïques par le même C havigny (à Grenoble), comportant les
quatrains des almanachs dont on a vu l'usage pour l'année 1561..
Dans le Janus Gallicus, on trouve des commentaires à la fois de
certains quatrains issus des 10 centuries mais aussi de certains
quatrains des almanachs parus, quant à eux, bel et bien du vivant de
Nostradamus, ce qui justifiait l'entreprise visant à produire
d'autres quatrains censés parus à la même époque.
Les
additions successives du premier volet
Une
des preuves du caractère antidaté des éditions 1557 et 1568 tient
au fait que les marques d'addition n'y figurent pas. Certes, pour
quelqu'un qui n'a pas pris connaissance des éditions ligueuses, cela
ne pourra etre relevé. Mais la thèse selon laquelle les éditions
ligueuses seraient issues de l'édition 1557 Antoine du Rosne ne peut
raisonnablement tenir car on voit mal pourquoi l'on aurait indiqué
des additions qui n'auraient pas existé précédemment. Cette
tendance à supprimer les marques additionnelles dans le corps de
l’ouvrage vient compléter nos observations concernant les pages
de titre.
Or,
l'on observe que l'édition à 7 centuries parue à Anvers (celle de
Rouen nous étant parvenue tronquée) se présente comme d'un seul
tenant et renvoie à une prétendue édition d'Avignon 1555, laissant
carrément entendre que dès 1555 les 7 centuries auraient déjà
été publiées. « imprimées premièrement en Avignon par
Pierre Roux Imprimeur du Légat en l'an mil cinq cens cinquante cinq
./ Avec privilège du dit Seigneur »
Les
éditions parisiennes de la même période ont donc précédé
celles de Rouen, ce qui nous amène à penser que la série
Rouen-Anvers ces Grandes et Merveilleuses prédictions serait
antidatée. C'est en tout cas, cette série qui aura servi pour
produire les éditions Du Rosne,d’autant que l'on y trouve la même
formule « dont il en y a »
Robert
Benazra a restitué le découpage des éditions parisiennes – sans
en tirer d'ailleurs la moindre d'ordre chronologique RCN, pp. 118 et
seq)
Prophéties
de M . Nostradamus adioustées outre les précédentes
éditions . Centurie quatre suivent les quatrains 54 à 100
Prophéties
de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septième.
Précisons que si le titre indique une addition à la «
dernière centurie » de 39 « articles », on
ne retrouve pas un tel nombre au niveau du contenu, ce qui montre que
l'on a raison de considérer les éditions parisiennes comme
défectueuses, mais non pas au regard d'une édition 1557 retrouvée
mais d'une édition perdue parue sous la Ligue.Les éditeurs modernes
de l’édition Antoine du Rosne (Bibl Budapest) ne se sont pas
encombré de tels « détails »., s'en tenant à une
logique chronologique n'envisageant même pas la possibilité de
l’anti-datation.
Ajoutons
que tout se passe comme si l'édition 1557 comme celle de 1590
Anvers voulaient passer sous silence le premier jet de 4 centuries
tout comme d'ailleurs, le stade à six centuries s'achevant par un
avertissement en latin, disparu dans l 'édition Anvers 1590
. On aurait ainsi voulu occulter la publication Rouen Du Petit Val
de 1588 dont le titre signale bien «quatre centuries »..
Ainsi, non seulement, l'on produit des éditions antidatées mais en
outre, l'on tend à supprimer la trace d'éditions récemment
parues. Et cependant, on n'en trouve pas moins une édition
antidatée à 4 centuries Macé Bonhomme 1555 mais cette fois sans
indication de contenu au titre ?
Le
titre des premières éditions
Il
nous semble fort improbable que les toutes premières éditions des
Centuries que nous datons de 1584-85 n'aient pas rappelé les titres
d'un Nostradamus mort plus de 15 ans auparvan. En, ce sens, nous nous
fierons à ce qu'en dit en 1594 le Janus Gallicus de
Chavigny:rappelant en son titre le nom des rois Valois sous lequel il
aurait exercé, à savoir Henri II et ses deux fils François II et
Charles IX. Or, ce n'est le cas d'aucun des éditions des années
1588-90 qui nous soient parvenues, ce qui nous incité à penser que
ces éditions ne font que rebondir sur de précédentes éditions,
parues lors des années précédentes.
Quand
il s'est agi de fabriquer des éditions antidatées du vivant de
Nostradamus ou au lendemain de sa mort, une telle mention eut été
inutile. Toutefois, l'on connaît une édition à l'effigie de
Nostradamus le Jeune qui rappelle qu'il fut médecin de Charles IX
mais omettant de mentionner ses prédécesseurs, Henri II (dont il
aurait annoncé la mort en tournoi) et le bref règne de son fils
sous le nom de François II.
Mais
ces faussaires ne parvinrent , apparemment pas , à rendre compte du
vide béant existant entre les éditions du vivant de Nostradamus,
dans les années 1550-1560 et les prétendues rééditions des années
1580, à savoir qu'aucune édition ne serait parue durant ce laps de
temps, ce qui ne serait pas la marque d'une fortune remarquable..On
peut supposer que les toutes premières rééditions perdues aient pu
s'efforcer de s'en expliquer, ne serait-ce qu'en parlant de textes
retrouvés, « recouvrés », à la mort de l'auteur
dans le style de l’épître à Henri IV, datée de 1605.
Les
spécificités du second volet
Ce
qui vient étayer la thèse que nous soutenons d'une
instrumentalisation du second volet par les adversaires des Guises,
d'origine lorraine, tient à la présence de divers quatrains, dont
notamment ceux annonçant la victoire de la maison de Vendôme sur
celle de Lorraine, avec des anagrammes comme respectivement Mendosus
et Norlaris mais aussi en clair. Chacun savait à l'époque que le
Roi de Navarre était aussi Duc de Vendôme et les Guises liés à
la Maison de Lorraine. Or, de telles formules ne figurent qu’au
second volet.
Grand
Mendosus obtiendra son Empire IX 35
Mendosus
tost viendra à son haut régne IX 50
Le
ranc lorrain fera place à Vendosme X, 18Par ailleurs, bien que
Chavigny ne cite pas ce quatrain, le quatrain VIII, 86 visant
expressément à la fois le couronnement de Chartres et l'entrée
d'Henri de Navarre dans Paris.
De
Bourg La Reine parviendront droit à Chartres(…) Feront entrée
d'armée à Paris clause
De
façon assez étonnante, le commentateur décidé à prouver que
Nostradamus avait prévu ceci ou cela se voit pris à son propre
piège face au critique qui retourne ses arguments pour prouver le
caractère tardif, après coup, du passage concerné. Bien entendu,
au delà de la clôture définitive du canon nostradamique dans le
cours du XVIIe siècle, l'argument ne porte plus de la part du
critique et cette fois, il lui faut se confronter avec le processus
d’interprétation du 'nostradamiste, convaincu de la vertu
prophétique de Nostradamus, en personne, à distinguer de la
recherche du nostradamologue lequel s'intéresse à une travail
collectif et transgénérationnel, se présentant d'une part sous la
forme d'ajouts sur le texte et d'ajouts autour du texte.
Paradoxalement, le “nostradamiste” va se trouver névrotiquement
face à un dilemme du moins pour la fin du XVIe siècle et le début
du XVIIe siècle, quant aux éditions s'étalant entre 1555 et 1605
(avec les sixains et l’épître à Henri IV) sur un demi-siècle :
plus il prouve que Nostradamus avait annoncé tel éventement et plus
il apporte de l'eau au moulin du nostradamologue partisan d’éditions
antidatées! De même, dans le domaine de l’exégèse biblique,
plus l'on veut prouver que l'arrivée de Jésus correspond aux
prophéties et plus le discours qu'on lui attribue est suspect d'une
part de vouloir “coller” à la prophétie ou de référer à des
textes retouchés antidatés. Et donc bien plus tardifs qu'on ne le
prétend.
Un
tel marquage n'aurait guère fait sens en 1568 (avec la prétendue
première édition des centuries VIII-X) et encore moins en 1558
(selon certaines hypothèses), avant la mort d'Henri II sauf
évidemment à se raccrocher, en désespoir de cause à l”idée que
Nostradamus avait déjà prévu une telle situation, trente ans avant
la crise dynastique ouverte en 1584 par la mort du dernier fils
d'Henri II et de Catherine de Médicis! En revanche, nul ne
conteste que de fausses éditions aient pu être datées de la sorte;
Une chose est de rétablir la chronologie virtuelle et une autre la
chronologie réelle mais pour certains esprits, il y aurait comme
unie incapacité à faire le distinguo entre ces deux niveaux,
laquelle incapacité est caractéristique d'une dimension androïdale,
à savoir que ce qui est dit et écrit fait loi et que c'est le
dernier “avis”,, “ordre”, qui fait autorité. De la même
façon, dans le domaine religieux, la plupart des Juifs s'en tiennent
au dernier statu quo, ce qui conduit à une démarche apologétique à
l”'opposé d'une approche critique des textes. On touche là en
quelque sorte à une programmation mentale qui conduit à valider
d'office la dernière mouture chez l'esclave, le serviteur et l'on
retrouve là la dialectique du maître et de l'esclave. Celui qui a
une mentalité de maître n'est pas prisonnier d'une telle “loi”
de robotique ,non signalée par Azimov. Le test du texte est
probablement ce qui doit permettre de séparer le maître et
l'esclave.. Pour le philosophe Alain,. penser,
c'est
d'abord se dire
non à soi-même,
sans avoir besoin d'autrui, pratiquer l'auto-critique.
On retrouve là la dynamique interne de l'androgyne.
La
dualité religieuse des Centuries, à travers leurs deux volets, à
l'instar de la Bible, avec ses deux Testaments, se manifeste avec
un quatrain annonçant la 'ruine de Rome ' (X, 65) et qui fait
pendant au quatrain IV 46, au premier volet, sur la ruine de Tours.
“O vaste Rome, ta ruyne s'approche” H”Garde toy Tours de ta
proche ruine”
En
outre, les sources de ce second volet sont spécifiques puisque
l'emprunt à la Guide des Chemins de France ne concerne que des
quatrains du sceond volet avec notamment le quatrain Varennes ou le
quatrain Chastres devenu Chartres et quelques autres(IX, 19 et 20,
86, 87, X, 18)
Mais
l’on trouve aussi le quatrain “Macelin”, qui a sa source dans
une publication de Nostradamus relative à l'Antéchrist censé
naître à la Saint Marcelin?. Or l'on connaît l'intérêt des
Réformés pour ce thème, le pape étant souvent assimilé à
l'antéchrist..
On
s'interrogera également sur le verset “Le Roy de Bloys dans
Avignon régner” (VIII 38 et 52) qui pourrait être un emprunt à
une brochure d'Antoine Crespin Archidamus, lequel s'en prenait aux
“Juifs du pape”.. Étrangement, le quatrain VIII 52 est incomplet
en son quatrième verset. (cf Demonstracion
de l'Eclipce lamentable du Souleil que dura le long du jour de la
Seint Michel dernier passé 1571
etc , Paris, Nicolas Dumont)
Le
Roy de Bloys dans Avignon regner
Une
autre foys le peuple emnopolle
Esleu
sera renard ne soucent (sic) mot
Faisant
le S. public uivant (sic) pain d'orge
Tirannizer
après tout à ung cop
Mectant
à pies des plus grands sur la gorge
suivi
par
A
nostre S. Père le Pape par l'astrologue du treschrestien Roy de
France & de Madame la Duchesse de Savoye. Salut
Les
deux premiers vers se retrouvent dans VIII, 38, à la suite.
Comme
pour Mi. de Nostradamus le Jeune (I, 1), il semble que Crespin, autre
pasticheur de Nostradamus, ait été mis à contribution pour remplir
les centuries.
Rappelons
qu'à l'inverse, les premières centuries sont marquées par le camp
de la Ligue, la seconde centurie se terminant par le quatrain cent
dont le dernier verset est ainsi tourné “Qu'on se viendra ranger
à la grand ligue” Patrice Guinard commente le quatrain VI, 23
comme annonçant la Journée des Barricades (Nostradamus occultiste
op. Cit)
“Et
seront peuples esmeus contre leur Roy (…) Rapis (anagramme de
Paris) onc (jamais) en si tres dur arroy”. En voulant trop prouver,
il ne fait qu'entériner la thèse d'une rédaction des Centuries à
cette époque. Le 12 mai 1588, Paris -et les Guises jouent un rôle
dans ce soulèvement - se révolte contre Henri III soupçonné
d'accepter qu'un prince protestant, Henri de Navarre, puisse lui
succéder. Ce mois de mai 1588 -s'il devait se refléter dans ce
quatrain- fournirait un terminus pour la parution des éditions
centuriques se référant à cet événement et de fait, on ne trouve
pas dans les bibliographies d'édition centurique entre 1568 et 1588.
Cela dit, la centurie VI correspond à un prolongement d'une édition
à 4 centuries dont la Ive centurie à 49 quatrains laquelle peut
avoir précédé cette date. C'est lors des additions à ce premier
état que différents quatrains hostiles à Henri III et à Henri
de Navarre seront ajoutés, à l'instar du quatrain IV, 46, Garde
toi Tours de ta proche ruine. C'est aussi le moment où le duc de
Guise – qui prétendait au trône de France- sera assassiné o la
demande d'Henri III le 23 décembre de la même année, lors des
États Généraux de Blois.
Henri III et Henri de Navarre se rencontreront au
Plessis-Lès-Tours
le 30 avril 1589....Henri III sera assassiné le 2 aout de la même
année. On voit que la période allant de la Journée des Barricades
à l'assassinat d'Henri III se situe au cœur de l'histoire des
Centuries, qu'elle ait été annoncée ou qu'elle y ait été
répercutée. On notera que pendant une longue période, les
bibliographes des centuries se contentèrent de recenser les
diverses éditions en négligeant ce qui pouvait valider ou
invalider telle ou telle édition au prisme de la littérature de
l'époque alors même que les faussaires avaient constitué des
“preuves” de leur authenticité, notamment par des publications
datées des années 1570, on pense à l’Épître de Jean de
Chevigny de 1570 comportant mention explicite d'un quatrain, ce qui
d'ailleurs ne fait que souligner le fait que l'écho des centuries du
vivant de Nostradamus et à sa mort, mis à part évidemment les
éditons elles-mêmes, semble avoir été très faibles et pour
cause, ce sont les faussaires s'étaient rendus compte. L’épître
de Chevigny est d'ailleurs un cas unique en son genre, les autres
recoupements posant le problème de la récupération de textes
marqués par Nostradamus, imités de ses quatrains d'almanachs, par
les faussaires pour remplir ces centuries, tâche assez colossale, ce
qui montre bien que les faussaires nnages portèrent des noms de
lieux, la géographie et l'histoire se conjuguant. (cf. François
Secret “De quelques courants prophétiques et religieux sous le
règne de Henri III, in Revue
de l'histoire des religions
Année 1967 Volume 172 Numéro
1 pp. 1-32
cf.)
s'étaient
donné les moyens de valider leur entreprise, ,o, seulement par la
production d'éditions mais aussi par la quantité de quatrains ainsi
constitués, ce qui explique des expédients comme le recyclage de la
Guide des Chemins de France. Paradoxalement, c'est l'utilisation de
textes sans caractère prophétique qui dans certains cas aura eu le
plus d'impact, le meilleur exemple étant, sous la Révolution, le
quatrain comportant le nom de Varennes qui aura frappé les
imaginations!, La réputation des Centuries aura été
singulièrement sous tendue par l'usage de noms propres, d'autant que
bien des noms de personnages sont aussi des noms de lieux La présence
d'un nom propre dans un quatrain (parfois sous forme d'anagramme)
aura largement contribué à la réputation des Centuries et seul un
Victor Hugo connaitra une telle influence internationale parmi les
écrivains d'expression française avec son œuvre majeure, les
Misérables, à 300 ans d'intervalle, un Hugo qui avait un vrai don
d'écriture à la différence de Nostrdamus, sachant que les mille
quatrains et plus qui lui furent attribués sont dus à des plumes
anonymes.
Le
prophétisme antidaté
,Le
débat autour de la date des éditions centuriques touche bien
entendu à la tentative de la part de certains de laisser croire
qu'un texte avait annoncé un événement suffisamment longtemps à
l'avance.(cf notre texte prophétique en France, op. Cit)
Il
ne faut pas aller chercher plus loin pour comprendre la raison qui
aura sous-tendu la fabrication datées de 1555 et/ou 1557. Un exemple
célébre est l'annonce prétendue de la mort en 1559 du roi Henri
II, succédant à son père François Premier. Si un quatrain est
désigné pour avoir annoncé un tel drame, survenu lors d'un tournoi
parisien, il fallait impérativement que Nostradamus l'ait annoncé
auparavant . Il est d'ailleurs possible que cela ait été le
cas non pas dans les Centuries mais dans quelque almanach ou
prognostication.
Mais
toujours est-il que tout indique qu'un quatrain 35 – figurant dans
la toute première centurie, fut certainement conçu dans ce sens .
(cf Brind'amour, Nostradamus ; Les premières centuries ou
prophéties, Droz, 1996, , pp.99 et seq). Parmi les commentateurs,
intéréssons-nous à la première édition anglaise (1672).
Théophile de Garencières y atteste de la fortune du dit quatrain
: » This is one of the Prophecies that hath put our
Author in credit, as well for the clearness as for the true event
of it » ce que nous traduirons ainsi « C'est l'une
des prophéties qui aura fait le plus pour le crédit de notre
auteur etc ».Le même Garencières nous indique (p ;
25) que César de Nostredame (auquel la Préface est adressée) s'y
référe, en 1614 dans son Histoire de Provence;parue à Lyon chez
Simon Rigaud, un descendant de Benoist Rigaud, l'éditeur de
l'éditon à 10 centuries antidatée 1568 (cf aussi RCN, ; 177
et seq)
Nous
ferons remarquer que ce n'est pas seulement la mention de l'oeil qui
aura marqué les esprits ou celle d'un duel mais un jeu de mots que
ne restitue pas la traduction anglaise qui rend « Dans cage
d'or l'oeil lui crevera » par « In a Golden cage
he shall put out his Eye ». Selon nous, bien que cela n'ait
pas été signalé à notre connaissance par les commentaires qui
nous sont parvenus ; Il faudrait, selon nous, lire danas «
Cage d'or », « de lorges », sous forme
d'anagramme , vu que celui qui porta le coup fatal au
souverain était Gabriel Iet de Montgomery, comte de Lorges. Ajoutons
que l'on a cherché à faire ressortir le mot « grain
» pour référér à l'orge, à partir du mot « Grand
», ce qui montre bien que l'identité de Gabriel de Lorges était
bien connue. César de Nostredame (Histoire, p . 782)
signale un autre texte “accordant merveilleusement bien avec ce
qu’il en avoit dit en quelque autre endroit en ces termes courts &
couverts, L’orge estouffera le bon grain,
(comportant le) nom de celuy qui porta ce coup de lance tant
malheureux etc”.
Pour
nous, c'est la présence même de ce quatrain I, 35 qui vient
confirmer la supercherie des éditions antidatées, censées parues
dans les années qui précédèrent le tournoi mortel. Etrangement,
plus l'on trouve de correspondances entre tel verset et tel événement
des années 1550 à 1590, et plus on a la preuve que l'on est en
présence non seulement d'éditions mais de textes antidatés. On
peut certes affirmer que les centuries annoncent le temps de la Ligue
mais il est bien plus probable qu'elles furent rédigées soit alors
soit ultérieurement, a posteriori.