mardi 25 juillet 2023

Jacques halbronn Antoine Crespin, le second Nostradamus

94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus Par Jacques Halbronn Notre rapport à l’œuvre de Crespin a évolué sur une vingtaine d’années. Au début des années 90 du siècle dernier, nous pensions avoir trouvé en Crespin le témoignage d’une diffusion tardive des Centuries, à savoir au lendemain de la mort de Michel de Nostredame. Certains ouvrages de ce Crespin « dict Nostradamus »- selon la première formulation que l’on trouve, dans les titres de ses impressions, fourmillaient d’éléments qui se retrouvaient dans les Centuries[1]. Il n’y a qu’à lire les bibliographies de Chomarat et de Benazra pour remarquer à quel point de telles observations n’avaient pas encore été faites dans les années 1989 -1990. On ne trouve pas davantage cette information dans le Nostradamus astrophile de Pierre Brind’amour (1993). Et puis, soudainement, quand parait, en 1996, l’édition critique du chercheur québécois, qui venait de décéder, concernant les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555, les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise figurent dans le corpus de textes de P. Brind’amour. Il semble qu’il y ait eu des « fuites » et que les mémoires que nous avions consacré à Nostradamus, dans le cadre d’une thèse d’Etat dont la préparation s’étala jusqu’en 1999, parvinrent à la connaissance de ce chercheur que nous-mêmes fréquentions mais sans lui communiquer pour autant nos travaux. Toutefois, nous l’avions incité à rechercher des preuves extérieures aux éditions centuriques de leur circulation. Il est vrai qu’à l’époque, personne ne se souciait d’apporter de telles preuves dans la mesure où l’existence même des dites éditions faisait foi. L’idée qu’il ait pu s’agir de contrefaçons n’allait pas au-delà du cas de l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 – et dont on savait qu’elle avait été réalisée au début du XVIIIe siècle, l’erreur des faussaires ayant été de confondre Pierre avec son père Benoist, lequel Pierre ne pouvait exercer en 1566. L’erreur venait probablement de ces éditions non datées parues à la fin du XVIe et au début du XVIIe que l’on pouvait trouver dans les bibliothèques tantôt associées à Benoist, tantôt à Pierre et les faussaires pensèrent probablement qu’ils étaient frères et comme Benoist avait publié en 1568 une édition des Centuries, pourquoi pas Pierre, dont les éditions étaient identiques, en raison de la similitude extrême entre les éditions 1568 et celles parues trente ans plus tard. Nous nous mettons ici, on l’aura compris, dans la peau des faussaires eux-mêmes trompés par d’autres faussaires du XVIIe siècle sans parler de ceux du XVIe.Il s’agit bien là d’une tradition de contrefaçon nostradamique- avec les faux almanachs et les fausses pronostications - d’abord, centurique ensuite. Mais Crespin est-il un faussaire ? Nous ne le pensons pas. Le fait qu’il reprenne le nom de Nostradamus ne trompe personne. On observe une telle transmission de nom en Angleterre encore au XIXe siècle avec la succession des Raphaels. Crespin ne se présente pas, en tout état de cause avec le prénom Michel et l’on notera que c’est la forme « Michel Nostradamus » qui fait référence dans les éditions centuriques, le prénom ne disparaissant que dans des éditions modernes. Il serait donc bon à l’avenir de ne jamais oublier le prénom pour ne pas confondre avec Antoine Crespin Nostradamus, qui mérite vraiment le titre de second Nostradamus que nous lui accordons. De fait, on notera que sous le nom de Nostradamus, les bibliographes englobent tous les auteurs qui se référent à ce nom et pas uniquement Michel Nostradamus. Ce qui vient compliquer les choses, c’est que nous avons des centuries de Michel Nostradamus qui rassemblent ses quatrains d’almanachs et des centuries qui ne sont pas de sa plume et qui font appel à d’autres « Nostradamus », comme Mi. De Nostradamus ou Nostradamus le Jeune sans oublier, bien évidemment, Antoine Crespin-Nostradamus, même si celui-ci employa par la suite le nom d’Archidamus, ce qui serait aussi une façon de le distinguer. Mais, rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi dans les années 1580, on publie des Prophéties qui associent le nom et le prénom, dans le but d’établir une distinction avec d’autres Nostradamus. Mais dès lors, en précisant le prénom, on bascule quelque part dans la contrefaçon, ce qui n’aurait pas été le cas si l’on s’était contenté simplement de « Nostradamus » sans rien ajouter de plus. Du vivant de Nostradamus, le problème ne se posait pas encore puisqu’il était le premier de la lignée mais il n’en sera plus de même par la suite. Il nous semble souhaitable, ou en tout cas moins inadéquat, tant qu’à faire, de placer les « centuries » de quatrains à durée non déterminée sous le nom d’Antoine Crespin Nostradamus et ce d’autant que l’on n’est pas certain que Michel Nostradamus mettait la dernière main à « ses » quatrains la composition desquels lui échappait probablement en grande partie. La légitimité de la filiation en quelque sorte professionnelle de M. Nostradamus à A. C. Nostradamus nous semble confirmée par le fait que sa vignette est la seule qui comporte en son sein son nom, à l’instar de M. Nostradamus, dont le nom figure sur les vignettes de ses seules pronostications ‘M. de Nostredame » : « AC Nostradamus, astrologue du Roy ». Le prénom Michel est absent comme il se doit. Toutes les épitres qui sont envoyées par Crespin à de hauts personnages auraient-elles pu s’imprimer chez des libraires ayant pignon sur rue, à commencer par Benoist Rigaud- si l’on était dans le domaine de l’imposture ? Il faudrait en tout cas comprendre que l’imposture, quand elle existe, a ses règles, ses codes et ses limites pour qu’elle soit tolérée. C’est ainsi que Barbe Regnault publie des ouvrages sous le nom de Nostradamus mais en utilisant des vignettes différentes qui, elles, ne comportent pas son nom, en quelque sorte son sceau. Quant aux quatrains mensuels qui finiront par y figurer, ils sont certes repris de M. Nostradamus mais à partir d’almanachs d’années antérieures, comme l’a bien montré Robert Benazra (RCN), ce qui les déconnecte du texte en prose. Mais venons en aux faits : à savoir que Crespin n’emprunte pas ses textes à M. Nostradamus comme pourrait le faire croire une lecture décalée qui était encore la notre en 2002[2], lorsque nous publiâmes nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus.(aux éd. Ramkat, dirigées par R. Benazra). A l’époque, nous nous contentions de ,nous servir de Crespin pour situer la publication des Centuries après la mort de M. Nostradamus, remettant donc en question toutes les contrefaçons antidatées, censées être parues de son vivant. Par contraste, l’on pouvait en effet noter qu’aucun phénoméne comparable d’emprunt aux centuries « prophétiques », c'est-à-dire non fondées sur un substrat astronomique n’avait pu être observé avant la mort de M. Nostradamus. Nous avions d’ailleurs découvert le premier qu’il avait fallu attendre 1570 pour trouver un quatrain centurique, dument libellé, dans une épitre de Jean de Chevigny à Mgr Larcher –document en l’occurrence contrefait. Nous avions également signalé la mention dans les Significations de l’Eclipse de 1559 d’une « seconde centurie », autre document contrefait. Bilan, en tout état de cause, bien maigre pour une production centurique réputée, selon les biographes, avoir rencontré un franc succès et qui contrastait justement avec l’enseignement que nous pensions pouvoir tirer du phénoméne Crespin. Nous n’avions pas compris, à l’époque, que ce qui se référait à 1568 n’était pas initialement du à une production posthume de ces fameuses centuries mais à la parution (non conservée) du recueil de ses quatrains d’almanachs, probablement augmenté d’une notice biographique et de quelques commentaires, un matériau qui sera repris et complété dans le Janus Gallicus, en parallèle avec le Recueil des Présages Prosaïques (1589). En 2005, nous donnâmes une communication au Congrès Mondial des Etudes Juives au sujet de Crespin et des Juifs d’Avignon qui étaient un de ses sujets de préoccupation, en utilisant un autre ouvrage de cet auteur[3] Demonstracion de l’eclipce lamentable du Souleil, Paris, Nicolas Dumont, 1571. A cette date, nous affirmions qu’il fallait lire Crespin pour comprendre certains quatrains car le dit Crespin accompagnait ses vers ou ses formules lapidaires de développements fort copieux. On pouvait certes imaginer que Crespin soit allé prendre des quatrains de M. Nostradamus pour illustrer son propos, ce qui en aurait fait le tout premier commentateur des Centuries prophétiques... Quelle était la position de Patrice Guinard face à nos travaux sur Crespin[4] ? Pour lui, Crespin étant un « imposteur », son témoignage ne valait pas grand-chose. En fait, ce serait un plagiaire qui non content d’usurper un nom, s’emparait d’une œuvre. Etrange personnage ce Crespin qui aurait repris des séries de quatrains, en ordre dispersé, il est vrai, alors même que les Centuries étaient connues d’un grand nombre ! Mais il est vrai que dans les années 1570, on a un grand trou dans la série des éditions centuriques, que Guinard a tenté, assez vainement, de combler en étalant les éditions Rigaud 1568 sur toute la décennie alors que lesdites éditions furent réalisée au milieu du XVIIe siècle, vraisemblablement à Troyes, tout comme l’édition Pierre Rigaud 1566 le sera à Avignon au début du siècle suivant... Crespin nous semble au contraire occuper le terrain nostradamique pendant cette décennie 1570 et en fait prépare la décennie suivante puisque c’est encore Crespin, mais cette fois anonymement, qui sera mobilisé pour ressusciter M. de Nostradamus. Un prêté pour un rendu. Si l’on en croit nos sondages, réalisés avec la collaboration de Robert Benazra, il y a une quantité considérable de textes parus dans les ouvrages de Crespin que l’on retrouve dans les nouvelles Centuries, à commencer par le premier quatrain de la première centurie. Or, ce quatrain se retrouve également dans telle ou telle publication de Nostradamus le Jeune, ce qui nous interpelle quant aux relations entre ces deux personnages qui tous deux s’adressèrent au duc d’Alençon, le dernier fils de Catherine de Médicis. -Prognostication et prédictions des quatre temps pour l’an 1572 (…) contemplé & calculé par M. Anhoine Crespin, Lyon, Melchior Arnoullet (à rapprocher de François Arnoullet l’éditeur des Prophéties du même Crespin) BNF. -Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois, (mis) en lumière par M. de Nostradamus le Jeune, Paris, Nicolas du Mont 1571 (Bib. Ste Geneviève). En outre, le même libraire parisien, Nicolas Du Mont publie, on le voit, les Présages pour 13 ans de M. Nostradamus le Jeune mais aussi la Démonstracion de l’éclipce lamentable et l’Epitre démonstrative à Elisabeth d’Autriche, de Crespin qui sortent chez ce libraire qui ne s’en plaint pas moins, hypocritement, de tous ces imitateurs de Nostradamus qui font marcher son commerce.. On peut se demander si ces deux personnages ne faisaient pas qu’un. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se communiquaient leurs textes. En 1578, dans une édition Rigaud, Crespin se plaint de toute une série d’imposteurs dont d’ailleurs un Nostradamus le Jeune dont cependant on ne connait plus d’édition depuis le début des années 1570. Il semble que les éditions ultérieures de Crespin des années 1580 pourraient être des reprises ou des recyclages de ses textes de la décennie précédente, notamment la Prophétie Merveilleuse contenant au vraie les choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année 1590 iusques en l’année 1598, parue chez Pierre Ménier en 1590. Or ce libraire est un des libraires parisiens qui publient les nouvelles Centuries. On a une première édition de Ménier datée de 1589. Nous avons montré, dans de précédents mémoires, que cette « Prophétie Merveilleuse », datée du 20 mars 1589, au lendemain de l’assassinat d’Henri III, censée avoir été dédiée au Roi choisi par la Ligue, un autre Bourbon qui devient Charles X, reprenait des données astrologiques parues sous le nom de Crespin et qui ne correspondaient plus du tout à l’année 1590. C’est dire que le lien entre Crespin et les « Prophéties de M. Michel Nostradamus », que le dit Crespin soit ou non encore en vie, ce qui importe assez peu, nous semble avéré. Il convient donc de réhabiliter Crespin dont les textes alimenteront indifféremment les 10 centuries et qui constitue donc une source privilégiée de ce corpus et non pas seulement un témoignage. Autrement dit, s’il y a des différences entre le corpus centurique et le corpus Crespin, ce n’est pas dû à quelque étourderie de Crespin mais à des ajustements de la part de ceux qui l’utilisent. Dès lors que les faussaires – au sens où ils veulent faire passer un Nostradamus pour un autre- pouvaient puiser dans un ensemble de textes dans le style Nostradamus – et ils ne parvinrent pas à l’épuiser comme on peut le voir en notant que de nombreux textes parus alors et qui auraient pu servir ne furent pas mobilisés – on ne s’étonnera plus de la rapidité avec laquelle des centuries supplémentaires purent être pettes dans des délais apparemment fort courts. Il ne restait plus en effet qu’à procéder à quelques ajustements sut un matériau amplement fourni. JHB 17. 08. 12 [1] Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin, in Analyse, Espace Nostradamus. [2] Nous avions déjà développé cette thèse dans notre doctorat d’Etat. Le texte prophétique en France (cf site propheties.it) [3] Voir le texte anglais de notre conférence sur nos HR. [4] Voir de P. Guinard le récent CN 142- « Analyse critique des 22 opuscules connus mis au nom de Crespin (1570-1578, 1585-1604 »

Aucun commentaire: