mardi 25 juillet 2023

Patrice Guinard Averussement à la critique nostradamique de J. Halbronn

Avertissement à la critique nostradamique de J. Halbronn par Patrice Guinard [L'article de Jacques Halbronn1 est] une sorte de condensé à l'ouvrage qu'il a récemment confié aux Editions Ramkat : Prophetica Judaïca Aleph. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus (Feyzin [Rhône], 2002, Ed. Robert Benazra, robertbenazra@infonie.fr), et qui reprend une partie de sa thèse doctorale (1999). Il est réservé aux spécialistes et lecteurs avertis. Le lecteur non familiarisé avec le corpus nostradamique et l'histoire des éditions des textes du prophète de Salon gagnerait, avant de s'engager dans sa lecture, à consulter les quelques ouvrages de référence en la matière, à savoir ceux de Daniel Ruzo (1982) et de Robert Benazra (1990) cités dans la bibliographie de cet article, celui de Michel Chomarat (1989), ceux de Pierre Brind'Amour (1993 et 1996), et de Bernard Chevignard : Les Présages de Nostradamus (Paris, Le Seuil, 1999). Dans la première partie de son texte, Halbronn exploite assez amplement l'argument autoritaire et sceptique, fréquent aussi dans les traités anti-astrologiques, sous la forme du “on ne nous la fait pas”, par ailleurs bien ancré dans la mentalité française, et qui souvent va de pair, bien que ce ne soit pas ici le cas, avec l'ignorance brute. A la Renaissance, on croyait en l'homme, avec Plutarque, et en sa “vertu” et puissance d'accomplir des oeuvres personnelles véritables (comme en littérature celles de Rabelais, Montaigne, Shakespeare ou Cervantes), lesquelles vont bien au-delà des intrigues politiques et des querelles de pouvoir. Les oeuvres de Nostradamus et de Paracelse échappent à cet embrigadement de la pensée par la raison d'état qui a commencé à se mettre en place au début du XVIIe siècle. Dans son ouvrage, Halbronn dénie toute possibilité d'interprétation positive des Quatrains (« exégètes allumés », p. 8 ; « hypothèse des plus chimériques », p. 175 ; cf. aussi p. 165), et se montre incapable d'en rendre compte, si ce n'est par un dénigrement sans discussion. Inutile d'insister sur le fait que les spéculations halbronniennes sont à l'opposé des miennes. On peut voir des faussaires partout - et Halbronn connaît son sujet ! -, surtout pour des textes qui ont vraisemblablement fait l'objet d'un nettoyage systématique dans les grandes bibliothèques européennes aux XVIIIe et XIXe siècles, lesquelles connurent leurs « rationalistes » et idéologues zélés. Semble corroborer cette idée le fait que des exemplaires des premières éditions des Prophéties n'ont pu être retrouvées que dans des bibliothèques d'Europe de l'Est, ou dans de modestes bibliothèques municipales et universitaires. L'édition n° 5 (Répertoire Benazra) des Prophéties (Lyon, Antoine du Rosne, 1557) n'a été sauvegardée qu'à Budapest, à Moscou, et à la bibliothèque universitaire d'Utrecht. Un exemplaire de la bibliothèque d'état bavaroise (Munich) a disparu au cours de la seconde guerre mondiale. L'édition n° 1 (Répertoire Benazra) des Prophéties (Lyon, Macé Bonhomme, 1555) a été retrouvée à Vienne (Autriche) et à la modeste bibliothèque d'Albi, les exemplaires de l'ancienne bibliothèque de la Ville de Paris et de la bibliothèque Mazarine ayant disparu, ainsi que celui de Daniel Ruzo. Deux exemplaires très incomplets de l'Almanach pour l'an 1561 (Paris, Guillaume Le Noir, 1560) ont récemment été retrouvés par le personnel de la Bibliothèque Nationale de France, déposés à la bibliothèque Sainte Geneviève à Paris, et identifiés, non par R. Amadou (contrairement à ce qu'indique Robert Benazra dans son Répertoire, p. 632), mais par monsieur Nicolas Petit, l'ex-conservateur de la réserve de Sainte Geneviève (communication personnelle) : ils avaient servi de papier d'emballage ! Il en va ainsi de la plupart des oeuvres de Nostradamus, et il est devenu, au fil du temps, relativement aisé de spéculer en profitant des failles du matériel existant et de la disparition probable de documents essentiels au débat, à supposer que l'auteur de ce texte, directeur de la Bibliotheca Astrologica (à Paris), bibliothèque personnelle rassemblant des articles, ouvrages, archives et copies d'ouvrages dans les domaines de l'astrologie, du prophétisme et du judaïsme (laïc), ait bien voulu exploiter la totalité des documents qu'il a pu rassembler, ou qu'il accepte de les partager. On ne peut dénier le caractère original et tonique des théories de Jacques Halbronn, à savourer avec modération et entre connaisseurs, lesquelles ouvrent un réel débat dans le cadre des études nostradamiques. Dans l'immédiat, il reste à contrôler l'ensemble des ouvrages des imposteurs et faussaires, imitateurs de Nostradamus (Antoine Crespin dit Archidamus, Michel Nostradamus le Jeune, Florent de Crox, l'italien Philippe de Nostredame...) pour vérification de la thèse concernant les centuries V, VI et VII. Une simple supposition de bon sens voudrait qu'Antoine Crespin ait tout simplement utilisé deux éditions à trois centuries, par exemple l'édition n° 1 et l'édition n° 6 (Répertoire Benazra), autrement dit une édition à 353 quatrains et une autre à 300 quatrains, attestée par la deuxième page de titre des éditions de 1568 (Lyon, Benoist Rigaud), pour concocter sa compilation bâclée. Halbronn soutient que la publication des éditions des années 90 par de brillants faussaires, supposées être les premières à contenir dix Centuries, serait conjointe à celle d'éditions antidatées pour les années 1555, 1557 et 1568, celles que nous connaissons aujourd'hui. Il passe sous silence les références aux premières éditions des Centuries des Bibliothèques de François Grudé (1584), assasssiné à Tours en 1592 à l'âge de quarante ans, et d'Antoine Du Verdier (1585). Ce dernier, pourtant peu favorable à la poétique du prophète de Salon, lui préférant de banales pièces rimées ayant pour thème favori de petites aventures d'alcôves, atteste l'existence à cette date de l'édition Benoist Rigaud de 1568 : « Dix Centuries de prophéties par Quatrains qui n'ont sens, rime ni langage qui vaille. » (p. 912). On imagine difficilement que Du Verdier ait pu se laisser piéger par d'hypothétiques fausses éditions, et complètes, parues dans les années 75 - 80 et qui auraient bien sûr disparu, ayant lui-même été publié par le même Benoist Rigaud, précisément en 1568 ! (Antitheses de la paix & de la guerre, avec le moyen d'entretenir la paix, & exhortation d'aller tous ensemble contre les infideles Machometistes, Lyon, Benoist Rigaud, 1568). Ce sont plutôt les éditions de Crespin et de ses acolytes qui sont de grossiers plagiats antidatés, vraisemblablement concoctés dans les milieux réformés de Zurich et de Genève. Une lecture attentive du texte complet d'Halbronn (Feyzin, 2002) montre quelques faiblesses par endroits dans son ingénieuse mise à plat, et notamment des passages où la logique cède le pas à la spéculation négationniste. Quoiqu'il en soit ces théories sont nouvelles et dignes d'être lues (étonnant cependant que la falsification des textes attribués à Nostradamus n'ait pas même été suggérée, ni à l'époque des « multiples faussaires »supposés, ni après !), mais demandent des analyses collatérales, d'ordre linguistique et lexicographique (comme pour la datation d'objets antiques, laquelle réclame la concordance de méthodes indépendantes). Inutile d'insister sur le fait que l'auteur dénie toute aptitude prophétique à l'esprit humain, et au cas contraire (où cette aptitude pourrait être montrée de quelque manière), ses thèses nous conduisent dans des voies fortement improbables, à savoir l'existence de plusieurs prophètes actifs à la même époque !, et même invraisemblables si le corpus nostradamique est globalement codé comme de nombreux indices le suggèrent (cf. mon article sur Les planètes trans-saturniennes, mon texte La troisième et dernière épître de Nostradamus : Son Testament, et d'autres à paraître sur le Site du CURA). A partir de trois-quatre vers, suppléés par quelques fragiles indices, Halbronn a élaboré toute une théorie des contrefaçons et avancé l'hypothèse de la mise en place, sous la Ligue, d'un véritable gang de faussaires et d'éditeurs complices, resté impuni, et n'ayant laissé aucune trace, ce qui suppose l'ingénuité et/ou la collaboration de tous les commentateurs jusqu'au début du XVIIe siècle, au service d'un projet politique, aux « enjeux plus sérieux » (!) selon Halbronn, que l'oeuvre prophétique. Ces idées présupposent en outre des acteurs d'une habilité prodigieuse, sachant imiter aussi bien les vers que la prose du maître, ayant peut-être même quelque don de prophétie. Un simple coup d'oeil à la prose poussive et ampoulée du faussaire Crespin, son Epitre dediee a la puissance Divine, comme son avertissement Aux faux juifs execrables & marrans, chicaneurs & revolteurs de proces (texte reproduit dans l'ouvrage d'Halbronn), suffit à se rendre compte du fossé qui sépare Nostradamus de son imitateur. Il y a plus encore, puisque les originaux de cette supposée fabrication collective auraient bien sûr disparu tout comme les premières éditions des Centuries. Nous sommes en présence d'une hypothèse beaucoup plus hallucinante que celle laissant à Nostradamus la paternité légitime de ses écrits : Halbronn n'a pas tiré leçon d'Ockham et de son rasoir. Et comme l'écrit Nostradamus en son Almanach pour l'an 1566 : « les livres de leurs vrais exemplaires si elongnez & corrompus qu'on ne sçaura à la parfin à qui croire. » J'en profite, comme m'y incite amicalement Jacques Halbronn, pour lancer un appel de recherche au sujet de la bibliothèque rassemblée par Daniel Ruzo (décédé en 1992). Que les lecteurs soient remerciés par avance, qui pourraient et voudraient me communiquer tous documents, textes ou actes notariés relatifs à cette question de l'authenticité du corpus nostradamique. Patrice Guinard Carcassonne, le 13 Mars 2002 Note 1 Nous vous invitons vivement à consulter l'importante étude de J. Halbronn directement à sa source, sur le C.U.R.A. (Centre Universitaire de Recherche en Astrologie), intitulée : Michel de Nostredame face à la critique nostradamique, et pour les plus courageux, à lire l'intégralité de sa thèse sur ce sujet, publiée aux Editions RAMKAT.Retour

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