samedi 26 août 2023

Isabelle Nadolny Histoire du Tarot. Origines, iconographie, symbolisme

Isabelle Nadolny Histoire du Tarot. Origines, iconographie, symbolisme Introduction Tarot de la collection Rothschild, l’Empereur, Italie du Nord, fin du xve siècle, musée du Louvre. Un jour, quelqu’un a raconté cette histoire… « Il y a fort longtemps, tous les sages hiérophantes, dépositaires de la tradition occulte de l’Égypte, s’étaient réunis pour débattre d’un très grave problème. De par leurs facultés prophétiques, ils avaient acquis la certitude que leur civilisation bientôt s’écroulerait. Et avec elle, les temples des dieux, et les écoles initiatiques où la Vérité se transmettait depuis toujours de maîtres à disciples. Il s’agissait donc de trouver un moyen de préserver de la destruction les points les plus importants de cette Vérité cachée, afin qu’elle puisse de nouveau être révélée le moment venu. “Gravons les textes de notre savoir ancestral sur les murs de pierre du temple le plus vénérableˮ, proposa un des membres de l’assemblée. Mais on lui objecta que même le temple le plus solide ne résisterait pas aux ravages du temps et aux assauts des envahisseurs. “Gravons-les sur les plaques du métal le plus résistantˮ, dit un autre. Mais on lui rétorqua que, si c’était un métal noble, il serait inévitablement sujet à la convoitise, et que si c’était un métal vil, il ne résisterait pas à la rouille. Un autre membre hasarda : “Confions nos arcanes à un homme simple et vertueux, qui, avant de mourir, les transmettra à un autre homme simple et vertueux, et ainsi de suite, jusqu’à ce que de nouveau, la Vérité puisse être professée et comprise.ˮ Mais on lui répondit que même les âmes les plus pures seraient inévitablement sujettes à la tentation. Alors le plus jeune des adeptes parla ainsi : “Servons-nous des vices, des péchés, des mauvaises passions de l’homme pour préserver le dépôt de nos doctrines secrètes. Exprimons celles-ci dans un ensemble de figures apparemment innocentes et qui, multipliées à l’infini, serviront à assouvir une des passions les plus vives de l’homme : la passion du jeu. Confions aux énergies du mal les germes de Vérité qui contiennent la condition du salut et du bonheur du monde.ˮ Cette proposition fut acceptée. Les adeptes fixèrent en images symboliques les axiomes de leurs doctrines secrètes. Ils en firent un jeu qu’ils mirent en circulation et qui préserva de manière allégorique les Vérités cachées. Telle serait l’origine du jeu de tarot. » 1 Gérard Van Rijnberk, Le Tarot, histoire, iconographie, ésotérisme, Paul Derain, Lyon, 1947, p. 14. 2 Papus,Le Tarot des Bohémiens, G. Carré, Paris, 1889, p. 348. 3 Antoine Court de Gébelin, Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, Paris, 1781, t. VIII, p. 365-366. Cette histoire sur l’origine du tarot, l’auteur Gérard van Rijnberk rapporte qu’elle lui aurait été racontée par un M. V. Tomber, vice-consul d’Estonie à Amsterdam, qui l’aurait apprise dans « une puissante société occulte de l’époque antérieure à la Révolution bolchévique »1 . Papus, le célèbre occultiste dont nous reparlerons, annonce dans son Tarot des Bohémiens qu’il l’a trouvée dans « un vieux manuscrit tout poudreux oublié dans un coin de bibliothèque »2 . Le plus mystérieux avec cette histoire, dont les sources sont plus qu’incertaines, c’est qu’elle est devenue un des mythes fondateurs du tarot. L’idée qu’un jeu de cartes soit le réceptacle de sagesses cachées a captivé une foule d’auteurs depuis le xviiie siècle. C’est Antoine Court de Gébelin qui, dans le tome VIII de son Monde primitif paru en 17813 , développa le premier une théorie sur les origines égyptiennes du jeu : « Si l’on entendoit annoncer qu’il existe encore de nos jours un Ouvrage des anciens Égyptiens, un de leurs Livres échappé aux flammes qui dévorèrent leurs superbes Bibliothèques, & qui contient leur doctrine la plus pure sur des objets intéressans, chacun seroit sans doute empressé de connoître un Livre aussi précieux, aussi extraordinaire. Si on ajoûtoit que ce Livre est très répandu dans une grande partie de l’Europe, que depuis nombre de siècles il y est entre les mains de tout le monde, la surprise iroit certainement en croissant : ne seroit-elle pas à son comble, si l’on assuroit qu’on n’a jamais soupçonné qu’il fût Egyptien. […] Ce Livre est composé de LXXVII feuillets ou tableaux […] ce Livre est en un mot le jeu des tarots. » Il semble que nous tenons là le manuscrit poussiéreux de Papus ; en tout cas l’idée y est développée. À la suite d’Antoine Court de Gébelin, tout le monde s’est mis à écrire sur les origines et les savoirs cachés du tarot: celui-ci proviendrait, outre d’Égypte, des mythes cachés des Tziganes, des Templiers, des cathares, des francs-maçons ou de toute autre société initiatique dont les maîtres cartiers auraient hérité des secrets. Il révélerait les nombres de Pythagore, les contenus de l’arbre de vie ou les enseignements d’Hermès Trismégiste. Une des théories les plus récentes en fait le réceptacle du savoir de la Renaissance, et notamment des traditions hermétiques et néoplatoniciennes qui auraient été 7 redécouvertes à cette époque. On parle beaucoup de Marsile Ficin (1433-1499), traducteur des textes de Platon et du Corpus hermeticum, comme étant un des auteurs probables du tarot – théorie plus habile car il est historiquement avéré que le tarot apparut en Italie au xve siècle. Alors, ces théories ont-elles un fondement ? Si on les compare avec les sources historiques, se vérifient-elles ? Sait-on vraiment d’où vient le tarot, comment il fut constitué et dans quel but ? Et s’il n’est qu’un modeste jeu de cartes, pourquoi est-il devenu un des piliers de l’occultisme moderne et contemporain ? Vaste questionnement auquel il est difficile d’échapper dès lors qu’on regarde ces cartes qui semblent à la fois si simples et si mystérieuses. Cet ouvrage se propose d’y répondre en rendant compte des connaissances actuelles sur le tarot et son histoire, et en se basant sur les documents historiques ou les travaux des chercheurs, trop méconnus car peu diffusés ou parfois difficiles à lire. Nous allons ainsi aborder l’histoire du tarot selon l’approche suivante : « ceci est certain » (par exemple, quel est le plus ancien tarot connu), « ceci est probable », « ceci est improbable » ou « ceci n’est pas historiquement avéré » (par exemple, « le tarot est l’une des plus belles choses que nous ait laissées l’Antiquité »4 ). Nous replacerons aussi le tarot dans un contexte historique plus large, souvent méconnu des amateurs, qui nous a paru pourtant si important à connaître pour mieux rencontrer ce jeu ! Comment en effet envisager sereinement la théorie sur les origines égyptiennes du tarot si l’on ignore à quel point l’Égypte était considérée dans la France des Lumières, patrie des premiers auteurs qui écrivirent sur le sujet ? Ainsi, nous voyagerons dans le Paris des Lumières, où de drôles de personnages jouaient à de drôles de jeux. Plus largement, en revenant dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, nous verrons à quel point les représentations de ce temps ont pu imprégner les images représentées sur les cartes. Nous verrons que l’histoire du tarot est ainsi indissociable de celle des cartes à jouer, et donc des jeux, tout comme elle l’est de l’histoire de la divination et de l’occultisme, bien que ces derniers soient eux aussi souvent méconnus. On parle ainsi souvent de liens entre tarot et hermétisme, kabbale ou franc-maçonnerie, sans bien savoir parfois ce que tout ceci recouvre. Il nous a donc paru nécessaire de faire aussi un petit point 4 Écrit par Éliphas Lévi dans Dogme et rituel de la haute magie, G. Baillière, Paris, 1856. historique sur ces notions ou ces mouvements, en suivant toujours l’approche vue plus haut : qu’est-ce qui est certain (par exemple, l’apparition de la franc-maçonnerie en France au xviiie siècle) et qu’est-ce qui ne l’est pas (par exemple, les maîtres cartiers étaient des initiés). Nous rencontrerons les auteurs anciens qui ont évoqué le tarot, et nous saurons un peu mieux, après avoir eu un aperçu de leur époque, pourquoi ils en ont parlé de cette manière. Nous connaîtrons mieux aussi les tarots anciens en les observant : nous avons voulu inclure une palette de tarots différents, certains importants, d’autres inconnus et oubliés, pour montrer et retrouver le tarot dans sa richesse iconographique et sa diversité. Un des buts de cet ouvrage est de mettre à la disposition du lecteur un ensemble de sources qui ont nourri le tarot actuel : tarots anciens, textes et tirages anciens… Certains textes proposant des tirages de cartes sont publiés ici pour la première fois, tout comme de nombreuses reproductions de jeux anciens. Nous avons souhaité que le lecteur puisse se confronter directement à ces anciens jeux, tirages et interprétations de cartes, et prenne plaisir à les reproduire. Un dernier petit détail à préciser sur le style du texte : l’usage du « nous » est un effet de style un peu vieilli mais fort commode pour qu’un auteur puisse partager sa pensée sans glisser vers le récit personnel, d’où ce choix ! Ce livre n’a pas pu tout aborder, et ce n’était pas son but – quelle vanité ! Il n’a pas pu faire état de toutes les théories émises par les auteurs qui s’y sont frottés, sur le tarot, ses origines, son histoire, ou encore sur la constitution détaillée de cartes et de leurs très nombreux symboles. Nous avons tenté d’y remédier notamment en mettant à disposition des appendices : un ensemble de sites, blogues et bases de données ainsi qu’une bibliographie, avec les références nécessaires pour s’informer et aller plus loin grâce à des auteurs qui considèrent ces questions, même si, à notre sens, un brillant essayiste n’a pas forcément la même démarche qu’un historien. Car notre limite, mais aussi notre perspective, était de rester proche de l’histoire autant que possible. Nous avions aussi un autre objectif : celui d’enrichir la réflexion et de satisfaire la curiosité des amis du tarot, pour leur plus grand plaisir

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