Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
lundi 14 avril 2025
Jacques halbronn Sociolinguistique. La dimension perverse de l'immigration francophone en France
jacques halbronn Sociolinguistique. La dimension perverse de l'immigration francophone en France
Quand on apprend une langue étrangère, on est censé, par la même occasion, acquèrir une certaine connaissance la culture dont elle fait partie, c'est à dire sa "civilisation", son Histoire, ses fondements. C'est ainsi que lorsque nous avons suivi une formation en hébreu aux langues O, tout était lié. Un enseignement est un tout et on ne saurait se limiter à tel ou tel aspect de ce qui la concerne.
Mais que se passe-t-il lorsque des francophones arrivent en France? Ils connaissent déjà la langue en tant qu'outil de communication basique. Mais ils sont tentés de se fondre dans la population locale et d'échapper, ipso facto, à toutes sortes de contraintes.
Nous avons ainsi eu l'occasion d'observer quelques specimens de francophones immigrés, non immergés dans la culture proprement française mais qui ont en effet un certain vernis langagier. C'est ce vernis qui les dispenserait à leurs yeux de chercher à compléter leur bagage par des connaissances historiques, géographiques puisque supposées connues et partagées par le francophone moyen.
Ajoutons le cas des populations d'Outre Mer, de race différente de la "caucasienne" colonisées par la France, sous la IIIe République. La compétence langagière ferait-elle oublier la différence d'aspect physique? Ce serai là risquer fort de se leurrer!
Autrement dit -on l'aura compris, la francophonie ne saurait dispenser d'un travail d'apprentissage, à un âge plus ou moins avancé. Car ce qui caractérise l'immigration, c'est bien qu'elle survient, en régle générale, à un âge relativement tardif, moins propre à l'acquisition de certaines connaissances. Et c'est bien là que le bât blesse! Il faut alors donner le change en développant diverses parades d'esquive.
Il y a un certain contraste entre une francophonie acquise très tôt mais limitée aux noms communs et une francophonie nourrie de dates, de noms propres qui ne faisaient guère sens dans le cas considéré, la langue étant isolée de son milieu naturel.
La solution, pour ces francophones d'un autre type, est le communautarisme, c'est à dire le fait de se retrouver entre eux, entre gens de même profil. A cela vient s'ajouter la question religieuse - l'Islam sous tendu par une autre langue l' arabe.
La francophonie est directement liée au colonialisme d'outre mer, se situant par delà les clivages géographiques et ethniques au nom de la toute puissance de la langue française, laquelle nous fait penser alors au baptéme du christianisme, censé effacer, abolir, tous les stigmates du passé. On est loin des conquétes napoléoniennes sur le continent européen - depuis le retour de la Campagne d'Egypte- erreur qu'auront su éviter le plus souvent les puissances "centrales" (Allemagne, Autriche- Hongrie, Russie).
JHB 14 04 25
jacques halbronn Pour une anthropologie de la pureté
jacques halbronn Pour une anthropologie de la pureté
Nous nous intéressons aux situations de décalage, de démarquage tout autant d'ailleurs qu'à celle de recyclage et de récurrence. Notre propos est ici dialectique et vise à analyser des situations d'interface : être ou ne pas être membre, être ou ne pas être en accord avec la Nature. Au cœur de notre exploration: les structures culturelles.
Notre pêché originel est peut-être d'arriver dans un espace que nous ne percevrons que déformé, ce qui génère mille contre sens que la psychanalyse devra s'efforcer de désamorcer. Le plus souvent, nous ne perturbons pas trop le milieu environnant parce que d'office nous ressemblons physiquement à ceux qui s'y trouvent déjà sans parler d'un certain héritage génétique et d'une très grande capacité d'adaptation chez l'enfant. Mais il peut arriver que cette expérience de la naissance à un autre monde doive se renouveler au cours de notre existence alors que nous y sommes moins prédisposés intellectuellement et moralement et qu'en outre, nous ne ressemblons pas à ceux que nous voulons rejoindre... C'est la difficulté de cette expérience migrante que nous voudrions psychanalyser. Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait.
Existentiellement, nous sommes donc a priori tous des « étrangers », ne serait ce que lorsque nous pénétrons dans un monde qui ne nous a pas attendu pour tourner.
De fait, en cela l'étranger est quelque part un « empêcheur de tourner en rond » : il y a en effet, quelque brusquerie, quelque violence, dans la problématique de l'étranger. Il brouille les cartes, il souhaiterait quelque part que tout se fige. On ne bouge plus...
Yves Lecerf[1], qui diffusa les thèses de Garfinkel en France, rappelait volontiers la convergence « objective » existant entre écologistes et partisans de Le Pen. Il faisait remarquer que ces « écolos » étaient en quête de pureté, voulaient un monde sans pollution. De la même façon, l'amour de la musique ne génère-t-il pas une certaine intolérance face à tout ce qui serait discordant ? Cette exigence « clean», propre, ne se retrouve-t-elle pas dans un certain discours sur les « émigrés » ? L'on disait autrefois, sous les Nazis, « judenrein », c'est à dire nettoyé, purifié, purgé des Juifs. Est-ce que la France, elle aussi, ne devrait pas être « dépolluée », est-ce que l'on n'est pas en droit d'exiger que son industrie nucléaire ou autre ne produise pas des « déchets » mal assimilables – dont personne ne veut – tant au niveau matériel qu'humain ? Au niveau biologique, il est également question d'immunologie (SIDA), de greffe, d'accoutumance (drogue), de rejet . En informatique, l'on parlera de systèmes incompatibles, l'on refusera toute redondance. La communication exige des messages clairs : ce qui est rouge n'est pas vert; il convient d'éviter toute confusion et se méfier des daltoniens. Que dire de la question du franglais qui pose le problème des mots étrangers en français, à cheval sur deux langues ? Quid, en économie, de la sensibilisation à un excès d'importation qui déséquilibre la balance commerciale ? Mais peut-on parler d'un « seuil » de tolérance ? Le problème de l’Etrangeté – concept qui n'existe pas à proprement parler et que nous voudrions introduire – du facteur inassimilable, perturbateur, me semble parfaitement convenir à la réflexion actuelle.
L'homme semble pris entre une recherche de cohérence et de pureté et une volonté d'appréhender et d'intégrer le monde tous azimuts. Le monde de la science ne génère-t-il pas, sans toujours s'en rendre compte, sinon le racisme, du moins une attitude critique à l'égard de l'étranger ? Peut-on fonctionner avec des dénominateurs communs trop larges ?
Il importe selon nous de distinguer radicalement les deux notions que sont racisme et xénophobie. Le racisme peut concerner des personnes qui ne sont pas pour autant des étrangers, c'est à dire qui ont un bagage culturel du même ordre que ceux qui ont une autre apparence. On peut être surpris d’entendre un Vietnamien parler le français sans aucun accent spécifique. Mais parfois l'étranger, ignorant tout de notre langue, peut, du moins superficiellement, ne pas être repéré comme tel, mais avoir une culture tout à fait distincte de la culture environnante. Qu'est-ce qui perturbe le plus d'une fausse différence ou d'une pseudo identité ?
Nous avons donc différents cas de figure : depuis l'étranger isolé, plus ou moins méconnaissable, jusqu'à une ethnie fortement représentée et aisément identifiable, comme cela se passe en Afrique. Au demeurant, l'intégration ethnique, raciale, poserait, en fin de compte, moins de problèmes au groupe d'accueil que l'intégration culturelle, individuelle. Par intégration, il ne faut nullement comprendre perte de différence mais mise en place d'une fonction nouvelle.
Il convient d'aborder ces problèmes sans préjugés, ni dans un sens, ni dans l'autre, car le problème du corps«étranger» se pose pour toute société, même les plus persécutées. Les Juifs n'ont-ils pas un discours sur ce qui est ou n'est pas « juif » (le goy),« judaïque » ? Mais ne sont-ils pas également conscients, par ailleurs, de la difficulté d'être étrangers ? Ne sont ils pas réticents à l'égard des conversions ?
On se proposera d'esquisser un «guide » de l'étranger, sous forme de recommandations, tant le concernant, qu'à l'adresse de ceux qui ont affaire à lui.
Notes [1] – Il a dirigé jusqu'à sa mort, en 1995, un Laboratoire d'ethno-méthodologie à Paris VII/ Paris VIII.
Les juifs gardiens du temps
jacques Halbronn sur son intérêt pour l'emprunt linguistique, depuis 60 ans.
jacques Halbronn sur son intérêt pour l'emprunt linguistique, depuis 60 ans.
Notre intérêt pour la présence de mots étrangers au sein d'une langue ne date certainement pas d'hier. La langue russe nous aura interpellé de bonne heure de par ses emprunts répétés au français. D'où en 1969, un séjour en URSS puis à partir de 1976, la fréquentation assidue de juifs/juives issus du monde russophone, ce qui aura impacté notre vie sentimentale à deux reprises. Nous avons étendu notre enquéte à d'autres langues que nous connaissions, comme dans le cas de l'allemand (cf infra) mais c'est surtout l'anglais qui aura retenu principalement notre attention.
sur le web
"Ces mots français qu’on trouve en russe
Après deux ans d’apprentissage du russe (j’ai commencé lors de mon Erasmus), je m’étonne encore du nombre de mots qui ont été empruntés au français dans la langue de Pouchkine.
On a l’impression que tout oppose russe et français. Et pourtant, ces langues offrent plus de similitudes qu’on le croit !
Certains mots sont des faux-amis, mais dans l’ensemble, ici, ce sont plutôt de vrais amis, qui signifient exactement la même chose en russe et en français. Allez, on commence tout de suite.
Les lieux et les transports
Imaginons que vous partiez en voyage (вояж – voïaj) dans un pays russophone. Vous préparez vos bagages (багаж – bagaj) dans un sac de voyage (саквояж – sakvoïaj).
Une fois en ville, apprendre les différents lieux ne sera pas bien compliqué :
le restaurant se dit песторан (restoran)
le parc парк (park)
la banque банк (bank)
le boulevard бульвар (boul’var)
le théâtre театр (teatr)
une boutique « normale » магазин (magasin)
une boutique un peu plus chic (de bijoux par exemple) sera бутик (boutik)
sur les boutiques de souvenirs, il sera écrit en gros сувениры (souveniry)
et même la plage s’écrira пляж (pliaj)
Il en va de même pour les moyens de déplacement :
le taxi se dit такси (taksi) – et qu’on ne me dise pas que c’est international : en estonien c’est takso –
le métro метро (metro)
l’aéroport аэропорт (aeroport)
le vélo велосипед (velosiped, comprendre vélocipède)
Pareil pour les voitures : une décapotable se dira кабриолет (kabriolet, comprendre cabriolet) et le coupé купе (koupe). « Кабриолет » est d’ailleurs le titre d’une chanson du groupe Leningrad (oups, connu pour la vulgarité de leurs chansons) :
Art, architecture, décoration…_
En Russie, dans les musées, vous serez prié de porter votre manteau à la garde-robe (гардероб – garderob). Et d’ailleurs, si vous visitez un musée d’art, bon nombre du vocabulaire sera issu du français : le paysage (пейзаж – peïzaj), le portrait (портрет – portret) et même, mon préféré, la nature morte (натюрморт – natiourmort).
La décoration intérieure y passe aussi avec le tabouret (табурет – tabouret), l’abat-jour (абажур – abajour), les jalousies (persiennes coulissantes, dites жалузи – jalousi) ou l’étage (етаж – etaj). Et peut-être que sur votre buffet (буфет – boufet) trône un bouquet de fleurs (букет – bouket) de votre dernier rendez-vous (рандеву – randevou).
Portraits, paysages ou natures mortes, les Russes comptent de grands artistes dans leur rang, comme ici Ivan Aïvazovski et son tableau « La Neuvième Vague » (CC Wikimédia)
Et en vrac, le magazine se dit журнал (journal), mais le journal газета (gazeta, comprendre gazette). Improviser se dit импровизировать (improvisirovat’) et s’adapter адаптировать (adaptirovat’).
J’aime aussi l’utilisation des mots anecdote (анекдот – anekdot), ou l’impression de déjà-vu (дежавю – dejaviou). Voire les insultes directement issues de la langue de Molière : débile (дебил – debil) ou idiot (идиот – idiot).
Et si c’est la merd*, on peut dire que c’est un cauchemar (кошмар – kochmar) ou une catastrophe (катастрофа – katastrofa). Mais gare au chantage (шантаж – chantaj) et au sabotage (саботаж – sabotaj) !
Mais cette liste est loin d’être exhaustive : il suffit d’une recherche internet pour le constater !
Plusieurs explications à l’existence de ces mots « français » dans la langue de Tolstoï.
Tout d’abord, le russe comme le français ont un ancêtre commun : l’indo-européen. On retrouve aussi des racines grecs et latines dans des mêmes mots russes et français.
Mais une autre raison explique l’arrivée de mots typiquement français dans le russe : à la cour des tsars, on parlait le français au XVIIIe et au XIXe siècle. Pierre le Grand souhaitait européaniser la Russie, et cela passer par une expression dans des langues étrangères dont le français qui dominait à l’époque.
En outre, la révolution française poussa de nombreux aristocrates français à émigrer vers la Russie. Tout ça a pris fin avec la campagne de Russie orchestrée par Napoléon. Mais le russe a gardé ses traces de français "
En ce qui concerne l'allemand, nous avions relevé dans le Judenstaat de Theodor Herzl, le lexique d'origine française (Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Ed Ramkat, 2002, pp/79-84 "le français du Judenstaat")
Le test Agatha Christie Dire qu'il y a des emprunts au français dans les livres d 'Agatha Christie ne doit pas faire oublier que pour l'auteur, il s'agit de mots figurant dans la langue anglais. Autant dire qu'elle n'a guère eu conscience du phénoméne. Ce n'est certainement pas dans les romans que l'on trouvera le plus de mots empruntés au français; ils sont sensiblement plus fréquents dans la presse politique ou dans les publications scientifiques.
Nous avons notamment étudié le rôle des traductions en ce qui concerne les emprunts (cf J. Halbronn, Autour de la traduction anglaise des Jugements Astronomiques sur les Nativités (1550) d'Auger Ferrier, DEA, Lille III. 1981) Selon Walter Scott, il y aurait un usage différencié des deux langues, comme pig et pork Nous avons choisi, au hasard, quelques pages d'un roman intitulé "The pale horse" (1961) dont nous avons souligné les mots repris du français ou en tout cas, communs avec le français.
Le chapitre XV "Mark Easterbrook's Narratives" nous aura servi de corpus: ci-dessous, donc, tous les mots français utilisés en quelques pages seulement, entre les pages 143 et 149:
Narrative, Divisional, detective, inspector, air, quiet ability, imaginative, consider, possibilities, interest, course,special, information,village,mention, described,introduction, conversation, particular embarassed, really, seriously,suppose,jusr,admitting,credulous, shop, remark, Pale, line, familiar, Finally, repeated, lot, trouble, legal,evading, murder, conversation, deny, criminal,crime, actual, question, imagine,paused, minute,chance, impression,personnality, disability,determination, enjoy, described, treasures, pity,excuse, absolutely, assurancen atrophied, certain, organisation, private; interlacing, circles; table, front, assemble, reasonably, agency, specialises, removal, persons, crude, organisation, employ ordinary , perfectly, natural, addition, amount, indefinite, information, natural causes, instance, profited, evidence, damnably, detail, peace, impunity, Charge, trumpet; according poisoned, account, Court, murmured,, quotation, applicable, inquiringly, possible, plan, judge, discussing, formulated,; individual, vaguely, decides, enters,agreement, presume, exactly, police, unofficially, during, clock; sound, dozen, connecting,, trance, projecting, science, sense, paved, entrée, dangerous, people, part, unexpectedly, argue " A la différence de l'anglais, le mots anglais en français sont repérés et signalés comme étrangers et souvent mis en italique ou entre guillemets.
En ce qui concerne certaines pratiques comme celles des diminutifs et des diphtongues, il a pu s'agit d'une matrice commune mais l'usage des mêmes codes de prononciation à partir de l'écrit, comme le "ou" (you, could), le "au" (daughter, authority), other (de autre), le "ai" (sai, way), l'impact du français est tangible.
Etrangement, l'anglais s'il ne pratique pas les réductions à la fin des noms communs en est en revanche fervent pour les diminutifs affectueux ((hypocoristique) des prénoms; Jean pour Jeannette, Dora, pour Dorothée, Connie pour Constance, Bob pour Robert, Dick pour Richard, Jimmy pour James, Charlie pour Charles, Dany pour Daniel, Larry pour Lawrence, Nick pour Nicholas, Gerry pour Gerald,Chris pour Christian , Bernie pour Bernard, Andy pour Andrew, etc Selon nous, il s'agit là d'une influence dérivée du français. En espagnol, on trouve José pour Josepe (à rapprocher du français Joseph), et cela a donné Pepito. Cela atteste de la mise en oeuvre d'une matrice centrale produisant une dialectique du long et du bref, du féminin et du masculin dont nous avons traité dans une série d'articles, par le passé.
annexe:
Catégorie:Diminutifs de prénoms en anglais
P
Abe
Andy
B
Barney
Bernie
Beth
Bette
Betty
Bill
Billie
Billy
Bob
Bobby
Brad
C
Carrie
Charlie
Chuck
Clint
D
Dan
Dick
Dora
E
Eddy
Em
G
Gerry
Greg
J
Jack
Jean
Jeff
Jerry
Jim
K
Katie
Ken
L
Larry
Lisa
M
Maggie
Mandy
Marge
Margie
Megan
Molly
N
Ned
Nick
P
Peg
Peggy
Phil
S
Sally
Sully
T
Ted
Teddy
Tommy
W
Will
Willie
Willy
JHB 14 04 25
Jean Chistophe Attias sur La Hagadah de Pessah
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𝑰-𝒔𝒆𝒅𝒆𝒓
Bien sûr, nous aurions pu réécrire la Haggadah, ce récit de la libération d'Egypte que nous étions censés lire. Elle aurait pu mettre ainsi explicitement les Palestiniens et leur lutte pour leur libération au cœur de la cérémonie. Ou bien les femmes et leur nécessaire combat contre le patriarcat. Bref, nous aurions pu cachériser le texte de la Haggadah de sorte à lui faire dire explicitement ce que nous voulions entendre. Nous ne l'avons pas fait. Je ne suis moi-même pas partisan des réécritures sauvages. Au fond, elles appauvrissent le texte. Il n'y a d'ailleurs aucune raison d'abandonner le rituel original, validé par des siècles de pratique régulière et constante, aux salauds qui en font un manifeste politique justifiant les horreurs du moment. Ce texte est à nous au moins autant qu'il est à eux. Et puis le rituel pascal n'a jamais été au fond la simple lecture d'un texte figé. Il est ouvert aux questions, il les suscite. Il est avant tout l'occasion de pratiquer un art éminemment juif : celui de l'interprétation, celui du commentaire.
J'ai certes pris soin d'ouvrir la cérémonie par quelques rappels qui me semblaient nécessaires. La Haggadah n'est certes pas un texte antisioniste. Mais elle n'est pas un texte sioniste non plus. Elle invite les fidèles à considérer qu'ils ont eux-mêmes été libérés de l'esclavage d'Egypte (par Dieu et par nul autre, pas même par Moïse, qui est d'ailleurs à peine cité) – et à espérer une libération encore à venir. Toujours à venir. Nullement réalisée aujourd'hui. Elle place le fidèle entre un présent ouvert et imparfait, le passé d'un événement mythique (la sortie d'Égypte) et le futur d'un événement improbable, non encore advenu (la rédemption).
La Terre d'Israël dont parle la Haggadah n'est ni l'Etat qui s'est construit là, ni même le territoire sur lequel il s'est construit. La Jérusalem dont il exprime la nostalgie n'est pas la ville qui sert de capitale à cet État. Et notre libération est encore et toujours pour demain : pour « l'an prochain ». Nul ne sait exactement ce qu'elle sera, ni même si elle sera. Ce qui compte, c'est demain. Ce qui compte, c'est la mémoire du salut et l'espérance. Il n'y a pas de « début de la germination de notre rachat ». Rien n'est aussi simple ni aussi clair que ce que certains le proclament. Et c'est heureux.
La Haggadah rappelle qu'il n'est pas une seule génération de Juifs qui n'ait connu le malheur (ou au moins la menace du malheur), et qu'il s'est levé, au fil de l'histoire, plus d'un adversaire travaillant à notre anéantissement. Bref : il n'y a pas eu qu'un Pharaon, il y en a eu plusieurs, et Dieu nous a sauvés de leurs mains (ou pas). Il a suffi que j'ajoute à cela l'idée que depuis le 8 octobre 2023, nous, Juifs, savons désormais que nous sommes nous-mêmes parfaitement capables d'engendrer nos propres Pharaons pour qu'autour de la table la parole se libère. Et s'il a bien été question de la libération des otages, tous les participants m'ont semblé d'accord pour affirmer deux choses : d'abord que le précédent juif de la libération de l'esclavage d'Egypte n'est pas seulement une affaire juive, mais la promesse faite à tous les peuples de leur propre libération (la rédemption n'est pas que pour les Juifs, que je sache) ; ensuite qu'il est parfaitement intolérable et doublement scandaleux que des Juifs eux-mêmes imposent à d'autres, les Palestiniens, et l'esclavage et le massacre. Si la Haggadah ne nous rappelle pas cela aussi, à quoi sert-elle ?
𝑺𝒆𝒅𝒆𝒓 est le nom de la cérémonie organisée le soir de Pâque autour de la table familiale. 𝑺𝒆𝒅𝒆𝒓 signifie ordre en hébreu. Si un rabbin triste nous avait observés, il aurait sûrement trouvé notre 𝒔𝒆𝒅𝒆𝒓 un peu « désordre » (𝒊-𝒔𝒆𝒅𝒆𝒓 en hébreu). Mais un peu de désordre n'est-il pas justement le commencement de la liberté ?
(Illustration : Souvenir du 𝒔𝒆𝒅𝒆𝒓 de Pâques 1937, Algérie, Constantine (?), Afrique du Nord, après 1937. MAHJ)
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