jeudi 28 septembre 2017

Bruno Petey Girard en marge du Colloque Nostradamus (1503-2003)




Colloque - Nostradamus, 500 après
En marge du colloque consacré à Nostradamus, qui aura lieu à la Bibliothèque nationale de France le jeudi 23 janvier 2003 : Entretien avec Bruno Petey-Girard, maître de conférences à Paris 12 - Val de Marne, qui propose une nouvelle édition des Prophéties de Nostradamus à paraître chez Garnier-Flammarion à l'occasion des 500 ans de la naissance de l'auteur.
Choniques.fr : Comment établit-on aujourd'hui une édition de Nostradamus ?

Michel de Nostredame dit Nostradamus,
lithographie, XIXe
BPG : Je ne suis pas un spécialiste de Nostradamus. Flammarion a fait appel à moi en tant que seizièmiste. Dans mon approche du texte, j'ai dès l'abord choisi d'écarter de mes préoccupations ses éventuels aspects prophétiques et oraculaires, refusant de me prononcer sur sa capacité à prédire l'avenir ; je ne l'ai lu que comme un texte poétique, un recueil de quatrains décasyllabiques en rimes croisées, organisés en centuries. Mon souci majeur a été celui de l'établissement du texte qui se révèle, plus peut-être que pour tout autre texte de la période, problématique et complexe. J'ai dans un premier temps dû faire le choix du corpus à éditer. En effet, les Prophéties présentent trois strates : la première est constituée par les 353 quatrains publiés en 1555 - soit 3 centuries et 53 quatrains -, la seconde par les 289 nouveaux quatrains publiés en 1557 - ce qui porte le compte à 6 centuries et 42 quatrains - et enfin la troisième par les 300 quatrains publiés à titre posthume en 1568 et qui forment 3 centuries distinctes qui s'ajoutent au texte de 1557 sans pour autant réellement le compléter. Pour cette dernière série se pose la question de l'authenticité, qui n'a toujours pas été éclaircie. Pour cette raison, je n'ai retenu que les textes parus du vivant de l'auteur.

Les éditions de 1555 - deux éditions qui, à la même date, proposent deux tirages différents -celles de 1557 - deux éditions différentes parues en septembre et en novembre - ne proposent pas un texte qui puisse donner entière satisfaction à un éditeur moderne ; elles comportent toutes des erreurs que Nostradamus n'a pas pris soin de corriger d'une édition à l'autre. La forme en vers est impitoyable : certains vers ne riment pas, d'autres ont plus ou moins de dix syllabes. Ailleurs, le texte est visiblement faux. L'éditeur moderne se trouve donc placé devant un impératif travail de correction reposant sur des conjectures que la difficulté de compréhension des textes rend fort souvent hasardeuses. Pour corriger avec quelque certitude, il faudrait pleinement comprendre, ce qui n'est que rarement le cas.
Par ailleurs, les éditions de 1557 qui donnent les textes que j'ai choisi de retenir pour cette édition comportent de nombreuses fautes typographiques ; ces fautes sont pour la plupart corrigées dans l'édition posthume de 1568.
J'ai donc choisi une position médiane : prendre comme texte de base celui de l'édition de 1568 tout en ne retenant que les quatrains publiés en 1557 ; j'y ai intégré les leçons plus satisfaisantes des éditions antérieures ainsi que les conjectures des spécialistes de Nostradamus, Pierre Brind'amour, Jean Dupèbe, Roger Prévost... J'y ai adjoint un glossaire et un ensemble de notes brèves qui peuvent permettre un accès plus aisé à la langue de Nostradamus.

Chroniques.fr : Peut-on parler des doutes sur la sincérité de Nostradamus ?

DCB : Poser ainsi la question n'a pas grand sens par rapport à l'époque, si tant est qu'elle puisse en avoir en littérature. Peut-être faudrait-il mieux parler des motivations de Nostradamus dans le contexte des mentalités de son époque.
Au XVIe siècle, les écrits prophétiques abondent. Nostradamus participe à cet engouement et publie tous les ans entre 1550 et sa mort un almanach de pronostics pour les différents jours de l'année ; l'Europe entière fait appel à son jugement d'astrologue. Par ailleurs, il manifeste un intérêt vif pour les écrits qui conservent la "science sacrée" des Anciens et compose vers 1545 une Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo. On ne peut que difficilement supposer qu'il fut un charlatan ; sans doute se sentait-il prophète, statut particulièrement ambigu et difficile à tenir en contexte chrétien. Les écrits de ses nombreux détracteurs en sont la preuve.

Chroniques.fr : Quelle est selon vous l'explication d'une telle longévité du texte de Nostradamus ?

DCB : A la différence de ceux de bien des écrivains qui figurent en bonne place dans le panthéon littéraire, la longévité du texte de Nostradamus n'est pas liée à des qualités reconnues par l'institution. Ce texte et le personnage de Nostradamus ont été auréolés par ce qui s'est déclenché après eux. Le texte brut résiste en raison de la spécificité de son écriture proprement fascinante. Il est angoissant, terroriste. Il correspond à la définition que les poètes de l'époque donnaient à la poésie dans laquelle fureur poétique et fureur prophétique étaient indissolublement liées. L'impact terrible du texte réside dans sa capacité à susciter des interprétations au-delà de son caractère énigmatique et abstrait.
Il répond peut-être ainsi au désir profond et permanent des hommes de prédire l'avenir. Le succès de ce texte que peu de gens ont lu dans sa forme originale est spécialement récurrent dans les périodes de crise, où réapparaissent des peurs primitives.
Propos recueillis par Marie-Noële Darmois



Avec Jean Céard, Roger Prévost, Yvan Cloulas, Jean Dupèbe, seizièmistes et Geneviève Guilleminot (BnF, Réserve des Livres rares) et Geneviève Voitel (sous réserve), (BnF, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme).

Colloque
Il y a 500 ans : Nostradamus

Jeudi 23 janvier 2003
18h30 -20h30
Petit auditorium
Site François-Mitterrand

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