mercredi 23 décembre 2009

Estudes nostradamiques

Nouvelles réflexions sur le premier état de la IVe Centurie
par Jacques HalBronn

Une pièce manque dans le corpus nostradamique, il s'agit de l'édition de 1588, parue à Rouen chez Raphaël du Petit Val et qui se présente -puisque l'on en a la page de titre - comme comportant "quatre centuries". Dès l'année suivante, le même libraire proposera une édition augmentée (dont Mario Gregorio nous a obligeamment fourni une photocopie (mais la fin du document manque et l'on s'arrête avant les derniers quatrains de la VIe Centurie, ce qui empêche d'observer la présence ou l'absence de l'avertissement latin). Etrangement, cette édition ne signale pas qu'il y a eu addition après le 53e quatrain à la différence des éditions parisiennes des années 1588-1589 pas plus d'ailleurs que le fait que la IVe Centurie ne comportait précédemment que 49 quatrains puisque n'y figurent pas les quatrains 44 à 47. Malheureusement, comme on a dit, on ne dispose pas d'un accès direct à cette édition de Rouen 1588 qui pourtant fut en la possession de Danie Ruzo, au moins en photocopie sinon en original..
Il reste que ces diverses éditions de Rouen et de Paris, censées parues de 1588 à 1589 ne sont pas sans nous interpeller, et ce à plus d'un titre.
On aura noté que les éditions rouennaises ont un intitulé différent de celui des éditions parisiennes: "Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus" et non "Les Prophéties". Cependant, la Préface à César, quant à elle, a la même présentation, tant à Rouen qu'à Paris (rappelons cependant que nous n'avons pu étudier ce texte dans l'édition de Rouen 1588):
"Préface de M. Michel Nostradamus à ses prophéties"
Force est donc de constater que le mot "prophéties" est éventuellement synonyme de "prédictions", puisque tel est le titre de l'édition rouennaise de 1589. Rappelons que dans l'édition anglaise de 1672, on trouve au titre "Prophecies or prognostications", ce qui confirme que le mot prophéties ne désigne pas ici un texte d'un genre particulier. Quant à dire que le mot "prédictions" ou "prognostications" puisse désigner un texte comme celui des Centuries, l'on peut fortement en douter. Le fait que les éditions parisiennes aient opté pour le titre "Prophéties", supprimant donc la synonymie avec Prédictions des éditions rouennaises, correspondrait à un état plus tardif où l'on aura voulu renforcer le pôle prophétique.
Mais, comme nous le signalions, les éditions parisiennes semblent s'intercaler entre l'édition rouennaise à 4 centuries et l'édition rouennaise à 6 et probablement 7 centuries (mais à combien de quatrains? voir l'édition d'Anvers 1590, avec le même titre qu'à Rouen et qui se réfère à une édition de 1555 et qui ne comporte que 35 quatrains à la VIIe). En effet, les éditions parisiennes marquent bien le passage de 53 à 100 quatrains à la VII, ce dont se dispense l'édition rouennaise de 1589, ce qui nous autorise à penser qu'il convient de supposer un état intermédiaire dans la suite des éditions rouennaises correspondant, sur ce point, à ce que présentent les éditions parisiennes.
De ces considérations, l'on est en droit de s'interroger sur le premier état de la IVe centurie comme d'ailleurs sur le premier état de la VIIe centurie, les deux centuries les plus "sensibles" de l'ensemble centurique et qui firent l'objet d'additions, jusqu'à l'époque de la Fronde (et au delà), au milieu du XVIIe siècle.
Il se trouve que les centuries IV et VII semblent particulièrement marquées par l'époque de la Ligue. On laissera de côté le cas des centuries VIII-X et notamment du quatrain IX, 86, dont nous pensons qu'il date des années 1593-1594, centuries absentes des éditions de Paris et Rouen, ainsi que l'Epître à Henri II). Parmi les recoupements avec les événements des années 1588-1594, signalons le Quatrain "Tours" en IV, 46 et le Quatrain "Marquis du Pont" en VII 24. En ce qui concerne la genèse de la centurie VII, elle est singulièrement compliquée, comme l'attestent les éditions parisiennes qui donnent l'impression d'un véritable chantier. Signalons seulement que le Marquis du Pont, appartenant à la maison de Lorraine, compta parmi les candidats à la couronne de France avant l'abjuration d'Henri IV de 1593.
Notre intérêt pour la IVe Centurie ne date pas d'hier et nous avons insisté dans une communication (aux journées Verdun Saulnier, à la Sorbonne) sur le verset "Garde toy Tours de ta proche ruine" qui selon nous visait directement la ville de Tours et ses environs, point capital du camp d'Henri de Navarre et où des accords furent conclus avec Henri III, au lendemain de l'assassinat du duc de Guise, à Blois.(décembre 1588), Henri III se rend à Tours pour demander l'aide d'Henri de Navarre. Il signe avec le Bourbon le traité de Plessis les Tours le 3 avril 1589 par lequel le roi et les protestants s'unifiaient un temps pour lutter contre la ligue. C'est dire que Tours apparut alors comme symbolisant, pour la Ligue, l'adversaire à maudire et ce qui fut demandé à... Nostradamus, dans un quatrain qui par la suite figurera dans l'édition Macé Bonhomme datée de 1555 et dont nous pensons qu'elle est en fait postérieure à l'édition de Rouen 1588 laquelle ne comporte pas le quatrain IV, 46 relatif à Tours. D'aucuns soutiennent que ces quatrains 44-47 avaient été supprimés. Nous tendons plutôt à penser qu'au début de 1588 ils n'existaient pas encore.
On nous objectera probablement que les éditions parisiennes 1588 attestent de l'existence dès cette année des dits quatrains 44- 47 mais on est là dans une chronologie très fine qui se situe plus en termes de mois que d'années. Soit la mention de 1588, dans les éditions parisiennes est antidatée, soit, elle précède de peu les événements de Blois, Henri III ayant réagi à un danger manifeste. Dès lors, l'édition de Rouen de 1588 daterait du début de la dite année, voire d'ailleurs aurait été précédée d'une édition dans les années précédentes.
Il ne nous semble pas que l'on puisse affirmer que la IVe Centurie comportait à l'origine 53 quatrains. Elle pouvait tout aussi bien en comporter que 49- voire moins tant et si bien que le nombre de ses quatrains devait être assez proche de celui de la VIIe centurie, dans ses premières moutures (Anvers, 35 quatrains à la VII), en deçà en tout cas de 50.
Examinons les 4 quatrains de la IV absents de l'édition rouennaise de 1588 :
IV, 44: un quatrain en langue occitane et qui vise donc le Languedoc comme si l'on avait voulu toucher ces populations. On a bien là un outil de propagande.

IV, 45
"Par conflit roy regne abandonnera
Le plus grand chef faillira au besoing
Mors profligés peu en réchappera
Tous débranchés un en sera tesmoing
IV 46
Garde toy Tours de ta proche ruyne etc
IV 47
Le noir farouche quand aura essayé
Sa main sanguine par feu, fer, arcz, tendue
Trestout le peuple sera tant effrayé
Voir les plus grans par col & piedz pendus"

Il nous semble bien qu'il soit ici annoncé de grands revers pour un roi (anagramme noir, à IV, 47) forcé de quitter le pouvoir (IV, 45). Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces quatrains visent des enjeux liés à la couronne. Le dernier quatrain fait allusion aux exécutions de certains "grands", tel que le duc de Guise, laissant entendre que personne n'est plus à l'abri de la vindicte, ce qui pourrait concerne d'ailleurs plus Henri III, qui a du sang sur les mains, depuis Blois, qu'Henri de Navarre. Qui sait si cette campagne n'aura pas encouragé à l'assassinat d'Henri III par le moine dominicain Jacques Clément, au tout début du mois d'août 1589 (voir les travaux d'Annie Duprat sur la propagande contre Henri III précédant sa mort à Saint Cloud)?
Certes, certains spécialistes fanatiques pourraient-ils soutenir que tout cela avait été bel et bien annoncé par Nostradamus dès 1555 ou 1557 et que cela vient prouver les facultés prophétiques du dit Nostradamus, que des quatrains ont été supprimés puis replacés..... Il nous semble qu'en réalité, les Centuries telles que nous les connaissons, toutes impressions confondues, ne sont pas antérieures à l'année 1584 qui est celle du décès du Duc d'Alençon, faisant ipso facto du protestant Henri de Navarre le successeur à venir de son cousin Henri III. Le fait que ces quatrains de circonstance figurent dans des éditions datées de 1555-1557 et 1568 devrait suffire à considérer avec la plus grande suspicion les dites éditions, étant entendu, par ailleurs, qu’un premier état perdu des Centuries a du circuler dès 1568, en tant que document posthume, sous une forme manuscrite dont Antoine Crespin, au début des années 1570, a restitué de nombreux passages. (Voir notre ouvrage paru aux Ed. Ramkat, 2002, Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, voir aussi lettre de Jean de Chevigny au président Larcher, 1570, voir la vidéo de notre soutenance de post doctorat (2007) sur teleprovidence.com)


JHB
17. 11. 09

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