Jacques HalBronn
L'autre jour, à la Cinémathèque Française, nous fut projeté un film intitulé "Café de Paris" (1938) d'Yves Mirande et Georges Lacombe. A la sortie, les spectateurs exprimèrent leur perplexité au sujet d'un scénario ou en tout cas de dialogues quelque peu incohérents. En effet, un des suspects- à la suite d'un meurtre commis dans le restaurant (Le Café de Paris)- tantôt se présentait comme la sœur de la victime, tantôt comme sa femme! On se perdait en conjectures!
En fait, l'explication la plus probable était la suivante: le film que l'on nous avait proposé n'avait jamais été projeté de la sorte devant le public de l'époque, c'était une invention datant de plusieurs décennies plus tard, une "restauration" ayant d'ailleurs été annoncée, due à Renée Lichtig, récemment disparue.
Or, il eut été souhaitable que l'on nous avertît, d'entrée de jeu, des invraisemblances générées par une restauration ayant recouru, à l'évidence, à plusieurs versions, successives. Autrement dit, il est clair que deux versions de ce que l'on aurait du mal à appeler un "même film" puisque l'histoire diffère d'une version à l'autre. Il vaudrait mieux parler d'un même projet "Café de Paris" comportant des formulations et donc des tournages différents.
En nous entretenant avec le sociologue Laurent Junot, présent ce jour là, à la projection (6.11. 09), nous échafaudâmes un certain nombre d'hypothèses : pourquoi donc une version avec une "sœur" et une autre avec une "épouse"? Et laquelle des deux précéda l'autre.? Et comment se fait-il que la restauratrice en arrivât à un tel résultat hybride et sans l'indiquer explicitement comme si le public n'y verrait que du feu...?
Au vrai, tout cela faisait écho à nos recherches sur Nostradamus....Dans les deux cas, les "restaurateurs" disposaient d'un matériau assez riche, conservé depuis des lustres et qu'il s'agissait d'assembler, tel un puzzle, pour restituer le document prétendument d'origine. Car les "restaurateurs" des Centuries disposèrent eux aussi d'une large et éparse documentation, à "monter" et donc à combiner. Toujours est-il que dans les deux cas - les Centuries et "Café de Paris" - on en arriva à produire une "monstruosité", truffée de hiatus et d'invraisemblances, et ce à différents niveaux. En revanche, si l'on coupait le son, le film retrouvait une certaine cohérence, comme si la restauratrice avait considéré la partie sonore comme secondaire.
Pour en revenir à la genèse probable de "Café de Paris", film sorti il y a un peu plus de 70 ans, l'on peut raisonnablement supposer que l'on avait d'abord tourné la version "sœur" (Madame Pivert, sœur de Lambert) et que cette version fut rapidement abandonnée, avant même la sortie en salle, pour une version "épouse" (Madame Lambert). Imbroglio d'autant plus étrange que le film lui-même est nourri de faux semblants qui font tout l'intérêt de son déroulement mais quand même pas au point que la sœur se révèle être in fine l'épouse...même si une telle histoire se retrouve dans la Bible, avec Abraham, lors de son voyage en Egypte, présentant Sarah pour sa sœur alors qu'elle est sa femme...
Il semble donc que Renée Lichtig, lors de son travail de restauration, ait eu affaire à plusieurs exemplaires, dont aucun ne devait être en parfait état, ce qui obligea à prendre de chaque exemplaire ce qui était de la meilleure qualité technique. Or, il ne semble pas que la restauratrice se soit doutée de l'existence de deux versions différentes, jouées avec les mêmes comédiens, avec les mêmes costumes, dans les mêmes décors. On connait pourtant le cas de films dont la fin a été retournée...ou tronquée.
Pour en revenir à Nostradamus, le parallèle nous semble pertinent. Ceux qui ont "restauré" l'édition supposée publiée de son vivant, ont fabriqué quelque chose qui n'a jamais existé et pour la bonne raison que les Centuries sont une œuvre posthume. De même le film que l'on nous projeta à la Cinémathèque n'a jamais été présentée sous cette forme, avant la dite restauration qui, dès lors, n'en est plus une!
JHB
07. 11. 09
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire