mercredi 23 décembre 2009

Réflexions sur la dialectique jour/nuit

par Jacques HalBronn


Pour nous, la nuit est en correspondance avec la conjonction (on ne voit pas la nouvelle lune), avec l'eau qui abolit les différences générées par l'élément terre et le jour. Mais l'eau est chaude, la terre, froide, l'on sait que c'est la chaleur qui transforme un solide (Terre) en liquide (Eau) puis en gaz (air).
Or, la nuit, il fait plus froid que le jour, ce qui peut sembler contradictoire avec ce que nous venons d'énoncer. Claude Lévi Strauss écrit (Le cru et le cuit, op.cit. p. 299) que "le feu de cuisine évite une disjonction totale, il unit le Soleil et la terre (...) mais cette présence est aussi interposée, ce qui revient à dire qu'elle écarte le risque d'une conjonction totale et d'où résulterait un monde brûlé". On notera cette dialectique disjonction/conjonction dont nous nous servons également dans nos travaux sur la cyclicité.
Dans les almanachs du Moyen Age, le feu joue un rôle important pour les mois d'hiver (janvier, février) -et nous avons déjà dit à quel point il était étrange que les signes d'hiver ne soient pas attribués au feu. Il y a certes un paradoxe en ce sens que le feu vient ainsi remplacer le soleil, d'où, a contrario, son absence durant les mois d'Eté dans l'iconographie des almanachs.
Le mois de février y est notamment représenté par une assemblée attablée, à proximité d'une vaste cheminée. Le mot "assemblée" est évidemment à rapprocher de celui de conjonction.
C'est la nuit que nous recherchons la chaleur chez nos semblables, le lit étant à la fois le support du sommeil et de l'acte sexuel. On dit "coucher avec quelqu'un".
Nous avons déjà indiqué (dans un autre texte de ce journal de bord) que la nuit favorise la parole laquelle n'exige pas une bonne visibilité mais se contente d'une pénombre : on peut parler dans le noir. A contrario, le jour peut profiter de ce qui est visible et pénalise moins les sourds/muets que ne le fait la nuit. On retrouve ici, aussi, le mythe du vampire, qui craint la lumière du jour.
Toutefois, l'astronomie est largement une activité nocturne -on ne perçoit pas les étoiles en plein jour - mais en même temps elle comporte une forte dimension visuelle, elle est une signalétique non pas auditive mais visuelle. Mais la brillance même des astres facilite leur visualisation. Nous dirons donc que la nuit a trois faibles lumières qui pourraient ne pas exister, dans l'absolu-on peut concevoir un monde sans lune, sans feu et sans firmament, surtout si l'atmosphère de la Terre était très dense, épaisse, opaque : la lune, le feu, les étoiles (planètes comprises) tandis que le jour est dominé par la puissance solaire qui rend obsolète les fragiles lumières nocturnes.
Avec le progrès technique, l'électricité a remplacé le feu et la nuit est de plus en plus solaire, ce qui fait que l'on observe mal le ciel dans les villes, en raison de l'éclairage artificiel des rues, ce qui affaiblit la dialectique jour/nuit et peut rendre caduques les veillées d'autrefois, avec la sociabilité qu'elles permettaient et impliquaient. Il semble que les priorités techniques furent de remédier à la mauvaise ouïe en inventant l'écriture, permettant à la vue de prendre le relais. L'écriture est à l'ouïe ce que seront, ultérieurement, les lunettes à la vue. Ne plus entendre fut, selon nous, longtemps socialement éliminatoire alors qu'une faible vue suffisait. Peu à peu, ceux qui entendaient mal furent conduits à renforcer leur vue et à préférer le jour à la nuit, sortant ainsi de la caverne, inventant d'autres modes de communication exigeant une vue toujours plus aigue. On pourrait imaginer une société clivée entre deux populations, voire deux humanités: ceux qui entendent bien (et mal voyants) et ceux qui voient bien (et sont malentendants), vivant plus ou moins en symbiose mais les bien entendants dominant longtemps les bien voyants, de par l'élaboration de leur pensée, liée à l'ouïe, la vue ne permettant qu'une élaboration mentale plus faible, l'écriture se calquant sur la parole. Le '"Parlement" est le lieu de la parole, de la vie sociale en un espace restreint alors que la vue permet des distances plus grandes au niveau des signaux. Lévi Strauss (dans le même ouvrage) a montré que la musique offrait une créativité supérieure à celle de la peinture, en ce qu'elle produit quelque chose qui ne préexiste pas dans la Nature. Ainsi, le feu, auquel Lévi Strauss accorde la plus grande importance, est-il une interface entre le jour et la nuit, entre le chaud et le froid, entre le cru et le cuit. Sans ces lumières ponctuelles, ces points dans le ciel et dans l'espace, l'humanité n'aurait probablement pas été ce qu'elle est devenue mais il semble bien que nous ayons perdu de tels repères, l'astrologie en manifestant probablement la nostalgie, notamment avec le thème natal.







JHB
20.11. 09

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