mardi 22 décembre 2009

Emergence de l’astrologie à l'ère du visuel

par Jacques HalBronn


Nous avons consacré beaucoup de textes à la question du jour et de la nuit, ce qui recoupe largement celle de la vue et de l'ouïe. Il semble que l'on puisse classer assez évidemment - c'est le cas de le dire- l'astrologie dans le champ du visuel même si le ciel ne s'observe bien que la nuit.
On rappellera que la nuit, l'on communique plus par le son que par l'image, le "signe" (au sens d'expression visuelle et non dans le sens le plus large). Dans un monde où le son prime, les astres n'ont pas de place.
Pour nous, le passage du son au signe est le fait, comme dans bien des cas, de certaines carences que l'on aura cherché à pallier. Le sourd muet qui ne capte pas le son développera d'autant sa perception visuelle et vice versa l'aveugle sera très sensible aux sons.
On concevra qu'avant d'aller regarder le ciel, les hommes avaient déjà parcouru un certain chemin, ce qui fait de l'astrologie un savoir relativement récent dans l'histoire de l'évolution humaine.
Historiquement, on a écrit -fait visuel - bien avant d'avoir parlé - fait oral (d'un mot latin qui signifie bouche). Et cela reste vrai pour l'enfant qui ne commence pas par apprendre à écrire, et ce d'autant que l'écrit n'est qu'une transcription approximative de l'oral, notamment dans les langues sémitiques qui ne comportent pas de voyelles. Il est possible que l'on ait utilisé sa bouche avant de se servir de ses mains qui sont essentielles dans le "langage des signes" (sourds muets)
On voit beaucoup plus loin que l'on entend même si parfois l'on entend quelque chose avant de la voir, par exemple un train.
C'est ainsi que nous relierons l'émergence de l'astrologie à une ère où le visuel a fini par compte fortement, ce qui tend à conférer à ce qui n'est pas l'homme une importance croissante, passant peu à peu de l'organique (la bouche) à l'instrumental (le stylet, le symbole), du subjectif (le sujet) à l'objectif (l'objet)
L'astrologie serait donc liée à tout ce qui concerne l'instrumentation et l'instrumentalisation, c'est à dire au renforcement des rapports de l'homme avec ce qui lui est extérieur, qu'il s'agisse de comprendre le monde tel qu'il est ou de l'utiliser pour signifier ce que l'on veut qu'il signifie, par delà sa dimension intrinsèque et intégrale.
On notera que l'astrologie, au sens où Gauquelin l'a révélée, s'articule sur le lever ou la culmination d'un astre par rapport à un certain lieu, en un instant T, ce qui correspond à la sortie de l'obscurité et de l'invisibilité, passant de l'oral au visuel. Il semble qu'à l'échelle d'une journée, il ait été possible de calculer, sans trop d'erreur, le temps que mettrait un astre pour atteindre tel ou tel point du ciel, sous l'angle de la rotation de la Terre en 24 heures (ou selon toute autre division, cette division étant arbitraire). D'où d'ailleurs, l'intérêt du découpage de la journée.
Le "signe" visuel vient ainsi se substituer à ce qui est dit, à l'interdit, c'est à dire au départ ce qui est dit à tous (pas seulement ce qui est défendu), à la consigne. Ce qu'on appelle le calcul mental, c'est la faculté de compter sans avoir à écrire. Le "par cœur", consiste à réciter par le souvenir sans avoir à lire. Mais tout signe implique des choix comme les couleurs sur un drapeau. Le drapeau de l'astrologie ne saurait ainsi être constitué de toutes les couleurs existantes, c'est à dire, en l'occurrence, de toutes les planètes connues.
Bien souvent, le visuel vient au secours des carences de la mémoire, de la pensée, de l'expression. Il est une prothèse, une béquille pour ceux dont les fonctions mentales sont déficientes (manque de concentration, perte de mémoire et bien entendu carence de l'audition et de l'expression etc).
Recourir à des signes cosmiques, c'est permettre à ceux qui n'entendent pas - dans tous les sens du terme - d'être en communication avec la société "parlante" et dominante à la façon de ces dessins s'adressant à des analphabètes sur les bulletins de vote, dans certains pays.
En fait, le scribe est l'interface entre ceux qui entendent et ceux qui voient. Il permet de voir ce qui est dit (l'oral) et de dire ce qui est à voir (l'écrit). Il joue donc un rôle charnière au niveau social entre ces deux registres sensoriels. C'est au sens strict, un traducteur, un passeur.
Rappelons que la nuit, le sentiment d'unité est plus fort que celui de diversité et que c'est l'impression inverse le jour. C'est donc la nuit que l'homme développe l'approche la plus globale, les concepts les plus généraux. Le jour tend à tout diversifier, tout multiplier et il faut que la nuit revienne pour que l'on puisse à nouveau revenir à l'essentiel, à l'unitaire.
Ce qui rend bien difficile la mise en évidence de telles dialectiques, c'est le mimétisme de l'une par rapport à l'autre et nous reconnaissons avoir longtemps erré. C'est ainsi que l'on ne peut mettre sur le compte de la nuit l'imitation du jour ou sur l'hiver l'imitation de l'Eté. Telles sont bien les limites d'une approche phénoménologique. Ce n'est pas, en effet, parce que certaines civilisations ont tenté d'abolir les différences en question que nous devons refléter de telles dérives en les modélisant. Selon nous, la nuit n'a pas à imiter le jour- même si l'on observe à quel point cela se fait. Et ce d'autant plus qu'à plus d'un titre, c'est le jour qui...singe la nuit et non l'inverse. L'exemple de l'écriture est éloquent qui apparait bien après le langage lequel n'a pas besoin, sous sa forme orale initiale, du jour pour exister. Le passage de la nuit au jour, c'est l'emprise de plus en plus grande de la technique : on ne peut écrire sans une lumière, on ne peut, sans voir, forger et utiliser la plupart des instruments dont nous avons dit qu'ils viennent pallier des carences tout comme l'écriture remédie à la surdité. A plus d'un titre, donc, on en conviendra, l'humanité du jour est à la traine de celle de la nuit même si de nos jours l'on puisse être aisément victime d'erreurs de perspective. De façon générale, ce qui est amorcé la nuit "voit le jour" dans un deuxième temps, et il n'y a pas de printemps sans le travail hivernal de la Nature. Que les almanachs d'autrefois témoignent de scènes de banquet, à la lumière de torches ne fait pas nécessairement référence, ce sont là des empiétements du jour sur la nuit. La nuit est d'abord faite pour dormir, pour se coucher en tout cas dans l'obscurité, quitte à palabrer dans le noir. Ceux qui sont sourds sont évidemment pénalisés par le monde nocturne et trouvent leur revanche dans le monde diurne qui leur donne les moyens d'une compensation au point que désormais tout le monde est censé savoir lire et écrire plus encore que parler (par exemple sur Internet).
Comme le note Serge Bret-Morel, sur son blog (L'astrologie et la raison), l'émergence de l'astrologie est relativement tardive au regard de l’Histoire de l'Humanité. Mais ce sur quoi nous souhaitons insister, c'est qu'à la différence de beaucoup d'historiens de l'astrologie, nous ne pensons pas que l'objet Astrologie ait préexisté à l'intérêt que les hommes ont développé par rapport aux astres. L'astrologie en tant que savoir coïnciderait, en quelque sorte, pour nous, avec la réalité même de l'astrologie. Les premiers astrologues ne découvraient pas les lois astrologiques mais les posaient, plus en législateurs qu'en observateurs de quelque influence astrale objective. Ce n'est qu'avec le temps que l'astrologie aura consisté à restituer, par l'observation, en quoi avait consisté le travail des premiers astrologues.(voir le débat au colloque de Montréal, juin 2009). A partir du moment où l'astrologie se situe dans le domaine du visible et non de l'oralité, elle ne peut en effet qu'être tardive selon la thèse que nous avons défendu plus haut, à savoir que la communication par le son aurait précédé celle par le signe (au sens visuel du terme), tout comme l'enfant apprend à parler avant d'apprendre à écrire, les langues sémitiques, notamment, étant des langues qui ne sont accessibles qu'à celui qui les parle, en raison de leur absence de voyelles et du fait que le même schème consonantique peut être rendu diversement par la vocalisation.(on retrouve là d'ailleurs la dialectique de l'un et du multiple, de la racine et de ses dérivés, à la différence des langues européennes où on a l'illusion de la spécificité de chaque mot)




JHB
7. 11. 09

Aucun commentaire: