par Jacques HalBronn
Dans une récente conférence à laquelle nous assistâmes, place saint Sulpice, à Paris, l'écrivain Michel Butor distingua deux types d'artistes, ceux qui ajoutent et ceux qui retranchent. On pourrait inscrire une telle dualité dans une cyclicité : il y a un temps pour ajouter et un temps pour retrancher, retrancher signifiant ici revenir à l'essentiel, au "début", à la conjonction.
Dans nos relations intellectuelles, nous avons pu, au cours de quelques décennies, observer un tel clivage et notamment dans le domaine de l'Histoire de l'Astrologie et de celle des études nostradamiennes, tant au sein de l'Université qu'à l'extérieur.
Il y a deux façons d'être historien : soit l'on se contente de décrire ce que les choses sont devenues, soit l'on essaie de comprendre pourquoi elles sont devenues ce qu'elles sont devenues. La plupart de ceux qui abordent l'Histoire préfèrent s'en tenir à la première approche, en parlant de phénoménologie. Quelques uns optent, cependant, pour une approche plus génétique. Les uns s'intéressent, s'émerveillent devant l'emballage et sa complexité alors que les autres, dont nous sommes, tendent à décortiquer, à disséquer, à déconstruire. Nous y voyons là une forme de lutte des classes, découlant de programmations nous conduisant d'entrée de jeu dans une certaine direction de travail.
Le cas Nostradamus est emblématique d'une telle conflictualité. Il y a ceux qui tendent à antidater les documents et d'autres à en retarder la date de parution. Cela donne quelque chose d'assez inouï: certains parlent des Centuries comme parues à partir de 1555, d'autres, comme nous, qui les situent au plus tôt à la mort de Nostradamus, en 1566, dans un premier état et à la fin du seizième siècle sous leur forme "canonique". Autrement dit, entre les uns et les autres, il y a un écart d'une bonne trentaine d'années! Comment des chercheurs, pour une période relativement proche - moins de 500 ans - peuvent-ils différer dans leurs conclusions à ce point par rapport à des textes imprimés et qui nous sont parvenus? Selon nous, l'explication résiderait en quelque sorte dans une certaine forme de programmation psychique.
On a, en tout cas, le même phénomène au niveau de l'Histoire de l'Astrologie. Il y a, à nouveau- et parfois ce sont les mêmes chercheurs - d'une part ceux qui considèrent que ce qu'est devenue l'astrologie aujourd'hui était déjà inhérent à ce qu'elle est dès l'origine, que l'on n'a fait que découvrir progressivement ce qui était déjà là virtuellement et d'autre part, ceux qui soutiennent, comme nous, que l'astrologie a été augmentée de toutes sortes d'apports plus ou moins tardifs et dont l'importance, épistémologiquement, est marginale, contingente.(voir nos divers textes sur ces sujets)
Dans un livre intitulé "Le siècle Juif" ( titre de l'original de 2004, "The Jewish Century"), Yuri Slezkine (Paris, Ed. La Découverte, 2009, pp. 39 et seq.) distingue entre les Mercuriens et les Apolliniens. Nous aurions tendance à assimiler les Apolliniens au premier groupe décrit plus haut et les Mercuriens au second. Les "Apolliniens" sont nationalistes, c'est à dire qu'ils prennent au sérieux les clivages et découpages générés de façon aléatoire par l'Histoire tandis que les "Mercuriens" perçoivent le caractère arbitraire et contingent des constructions humaines. Pour Slezkine, les Juifs seraient les Mercuriens type.
Selon nous, le rôle des Mercuriens consiste à défaire le travail des Apolloniens. Rappelons notre modèle (exposé ailleurs) : une phase conjonctionnelle suivie d'une phase disjonctionnelle - mais que nous pourrions désormais renommer "divisionnelle", la division étant le contraire de l'union, de la con-jonction. Au cours d'un cycle, l'on passe inexorablement de l'union à la division puis de la division l'on remonte vers l'union et tout cela en 7 ans environ (selon notre Astrologie 4 Etoiles). A un certain stade, l'énergie conjonctionnelle fléchit et tend dès lors à multiplier les divisions et les subdivisions, à l'instar de l'empire de Charlemagne divisé entre ses trois fils. Il lui faut ensuite relativiser ce processus centrifuge pour renouer avec un nouveau cycle.
Le problème, c'est que les Apolliniens, pour reprendre la terminologie slezkinienne, s'accrochent aux dites subdivisions- générées d'ailleurs par les Mercuriens à titre provisoire - et s'efforcent de les cristalliser en développant toutes sortes d'arguments dans ce sens que vont réfuter et démonter les Mercuriens.
En règle générale, dans le domaine des sciences dures, les Mercuriens ont su imposer leur loi même s'ils ont encore à se battre avec les Créationnistes par exemple. En revanche, dans le domaine des sciences dites "molles", les Apolliniens ne sont guère disposés à supporter la domination mercurienne. C'est pourquoi l'arrivée de Mercuriens sur leur territoire est susceptible de provoquer des réactions collectives assez vives, comme dans le cas de Claude Lévi-Strauss, qui vient de disparaitre à l'âge de 100 ans. C'est bien entendu ce qui s'est produit et continue à se produire à propos de Nostradamus. Et l'enjeu est, il est vrai, d'importance, puisque si les Apolliniens devaient se plier au joug mercurien, dans ce domaine, il y aurait là une brèche qui pourrait s'élargir et jusqu'où irait-on? C'est donc une bataille importante -plus que l'on pourrait le penser au premier coup d'œil - qui se joue depuis quelques années autour de la datation des éditions des Centuries. (Voir sur le site du Cura.free.fr, sur ramkat.free.fr, sur grande-conjonction.org et soutenance Sorbonne de novembre 2007, sur teleprovidence.com)
En effet, si les Apolliniens sont disposés à accepter que la "Science" avec un grand S leur échappe - laissant les chercheurs débattre sur le big bang - encore que les astrologues tendent à vouloir récupérer l'astronomie en jouant notamment sur sa partie la plus arbitraire (nom des planètes, des signes, des constellations), s'ils reconnaissent que ce qui a été proposé à titre provisoire ne saurait perdurer indéfiniment, en revanche, dans le champ des sciences humaines, des "lettres", des langues, l'idée d'un retour à un point origine leur apparait comme chimérique et cela explique par exemple que les linguistes aient voulu décourager et disqualifier toute "spéculation" sur l'origine du langage. En 1865, la Société de linguistique de Paris avait dans ce sens informé ses membres dans ses règlements qu'elle ne recevrait «aucune communication concernant (..) l'origine du langage». C'est l'occasion de préciser que la linguistique est aussi un enjeu important dans la lutte entre mercuriens et apolliniens et que nous avons été également impliqués dans ce domaine
Il nous apparait clairement que les Apolliniens n'ont pas la cyclicité dans le sang ou plutôt que tout progrès est un aller simple, irréversible, définitif alors que les Mercuriens ne perdent jamais de vue la nécessité de la cyclicité, aucune "solution" ne pouvant être autre chose qu'éphémère. Le cas de la question juive est à ce propos, lui aussi, assez emblématique, puisque Slezkine traite avant tout du problème juif dans le "Siècle juif". Le sionisme est apollinien plutôt que mercurien, même s'il prétend, sous sa forme actuelle, renouer avec une origine historico-géographique. Mais pour un Mercurien, tout est cyclique, aucune solution ne saurait arrêter - dans tous les sens du terme - le cours des choses. (voir nos textes sur le néo-sionisme, la Nouvelle Sion). Les apolliniens sionistes, on s'en doute, apprécient assez peu l'approche mercurienne de la question juive. On nous dira qu'il y a là quelque contradiction puisque les Mercuriens, selon Slezkine, sont Juifs. Ce serait oublier qu'il y a toujours un moment d'accord entre Mercuriens et Apolliniens, c'est ensuite que les choses se gâtent, quand le provisoire tend à devenir permanent, du point de vue des Apolloniens alors qu'il n'était qu'une issue temporaire de celui des Mercuriens. Opposition classique entre universalisme et nationalisme, l'universalisme intégrant le nationalisme dans une cyclicité qui prévoit et intègre le provisoire, au cours de la phase divisionnelle que nous avons évoquée pus haut et qui correspond à une période de relâchement, où il faut bien, à l'instar d'un oiseau, se poser quelque part mais pour mieux repartir ensuite. La pose n'est qu'une pause.
La question du masculin et du féminin devrait également s'articuler sur une telle dialectique et nous tendrions à penser les femmes comme plutôt apolliniennes et les hommes comme plutôt mercuriens, au sens slezkinien- et non astrologique - du mot. Nous avons pu, en effet, noter que les réactions les plus viscéralement apolliniennes émanent de la gent féminine et que les hommes sont généralement même quand ils optent pour des positions apolliniennes moins typés que les femmes. Selon nous, instinctivement, les femmes tendent à vouloir maintenir, figer, fixer, prendre au sérieux, un certain statu quo au niveau de certains acquis, de l'avoir alors que les hommes sont dans l'inné et l'être, relativisant tout ce qui est arbitraire, se refusant à épiloguer. Pour elle le "progrès" n'est pas cyclique, il n'est pas question de "revenir en arrière".
Pour finir, interrogeons-nous sur la pertinence de la terminologie "slezkinienne". Pourquoi parler de Mercure pour désigner un groupe et d'Apollon à propos de l'autre groupe? Cela n'a certes pas grande importance, ce n'est là somme toute que convention. Mercure semble indiquer une idée de mouvement, de passage, d'expédient provisoire que l'on ne prendra pas trop au sérieux. Apollon, finalement, dieu solaire, n'échappera nullement à la cyclicité et même son triomphe, au solstice d'Eté, est de courte durée mais Apollon est d'abord l'astre du jour qui doit tôt ou tard se coucher. Pour nous l'humanité est avant tout nocturne, elle n'instrumentalisera le visible que dans un second temps.
JHB
04. 11. 09
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