lundi 12 avril 2010

Le rôle des séries dans la littérature divinatoire

par Jacques HalBronn

Qu'est ce que le Tarot si ce n'est un mélange assez étonnant sinon détonant de toutes sortes de séries se chevauchant dans un désordre sans pareil? Celui qui n'en prend pas conscience nous attriste (voir l'exposé de Marielle-Frédérique Turpaud, à la MDA de Neuilly, sur la télévision astrologique)
Sur seulement 22 lames, on trouve pèle mêle, trois des quatre vertus cardinales (il manque la Prudence), des échantillons de la série des 12 maisons, des extraits zodiacaux, des extraits du systéme solaire, bref une sorte de Kalendrier des Bergers, encyclopédie populaire, dont on n'aurait gardé que quelques pages!
Mais le Zodiaque lui-même n'est pas mieux loti qui rassemble, en 12 images seulement et non plus 22, des extraits de scènes d'almanachs -souvent méconnaissables et réduits à quelques motifs- ou de livres d'heures, rangées dans un ordre extravagant; trois des quatre Etres Vivants de la Vision d'Ezéchiel (il manque l'Aigle!), Pour ce qui est de la série des animaux du Zodiaque chinois, il est à parier que la liste n'est pas complète, bien qu'elle ait le mérite, par rapport au Zodiaque babylonien, d'être sensiblement plus homogène quant à ses composantes. Il fallait douze facteurs pour un cycle de 12 ans et aucune série n'en comportait naturellement. Il fallut donc se débrouiller en empruntant à gauche et à droite, à la manière d'un lit de Procuste, tantôt trop grand, tantôt trop petit.
Quant à la série des dieux-planètes, telle qu'elle existait en astrologie jusqu'au XIXe siècle, elle était elle aussi extraite d'un ensemble beaucoup plus vaste, la preuve étant que dès l'on découvrit de nouvelles planètes, on se hâta d'en rajouter, selon une logique consistant à dire que la série devait bien être complétée.
Quant aux Centuries de Nostradamus, elles comportent toute une série de quatrains qui sont reprises d'un Guide de Voyages, du à Charles Estienne, et paru du vivant du dit Michel de Nostredame, initiative qu'il serait d'ailleurs quelque peu impertinent d'attribuer au dit Nostradamus!
La seule série qui nous semble avoir préservé une certaine intégrité est celle des 12 maisons astrologiques qui recouvre de façon exhaustive, du moins dans les traités d'astrologie, tout ce qui peut survenir ou advenir aux êtres humains. Etrangement, les images de cette série se sont perdues en route si ce n'est qu'elles ont perduré, pour quelques unes, dans la compilation tarotique. (cf J.L. Caradeau, "La numérologie", Ed. Dangles, 1991, p. 148). Notons cependant que la numérologie, du fait qu'elle était fondée sur le 9 a produit un ensemble de 9 secteurs là où l'astrologie en a besoin de 12, pour des raisons qui sont simplement liées au fait que la lune rencontre 12 fois le soleil, du moins en perspective, en une année. Chaque savoir a ses contraintes, n'est-il pas vrai?
Ajoutons certaines incohérences du dispositif des exaltations (cf Mathématiques Divinatoires, Paris, Grande Conjonction-Trédaniel, 1983)- soit la combinatoire entre la série zodiacale et celle des dieux-planètes - où visiblement la lune et le soleil qui ont été permutés, la Lune ayant été probablement placée en bélier et non en taureau, et vice versa pour le Soleil, la Lune (en cancer) précédant le soleil (en lion) dans les domiciles et non l'inverse..
Que dire d'ailleurs d'une numérologie (voir notre entretien avec Anne-Marie Pellegrin, sur la Télévision Astrologique) qui récupère des alphabets dont l'ordre -pourtant déterminant puisqu'il fixe des valeurs chiffrées à partir des noms- - n'est nullement avéré - et qui varient d'ailleurs dans l'espace culturel? Certains commentaires - comme le Sefer Yetsira (Livre de la Création) en témoigne -.trahissent des changements intervenus dans l'ordre des lettres.(voir J. Halbronn, "Clefs pour l'Astrologie", Paris, Seghers, 1976).
Une certaine logique voudrait que l'on complétât les séries interrompues de façon à parfaire les diverses séries. Mais cela obligerait à réaliser un tarot avec un double d'arcanes! Erreur car l'important semble avoir été de remplir des cases ou de fabriquer des quatrains à la chaîne (il en fallait cent par centurie, comme le nom l'indique) et non de récupérer des documents dans leur intégralité. Il serait bien naïf de croire le contraire!
Est-ce à dire que peu importait ce que l'on mettait dans les cases? On ne serait pas loin de le penser, pour notre part. Rappelons quand même que le Tarot au départ n'était probablement pas divinatoire, empruntant d'ailleurs bien cavalièrement et avec quelle désinvolture. Quant au Zodiaque, tel que nous le connaissons, il est surtout une donnée astronomique visant à baliser le ciel et sans autre ambition. Idem pour les dieux de l'Olympe! Le fait même que l'emprunt ait été effectué un peu n'importe comment semble devoir, d'ailleurs, l'attester! Et pour ce qui est des Centuries, il semble que l'on ait pioché un peu n'importe comment dans des papiers épars de Nostradamus y compris dans certains livres de sa bibliothèque pour faire bonne mesure, quitte à parsemer, ici et là, de quelques quatrains vraiment prophétiques et en fait surtout politiques - au service de quelque parti - et qui étaient mise en évidence par l'insignifiance affligeante des autres.
Ces emprunts, aussi dérisoires soient-ils, au premier degré, ont leur utilité en ce sens qu'ils sont parfois tout ce qui reste des séries dont ils ont fait usage. Mais de là à les utiliser telles quelles il y a un pas que l'on ne saurait franchir car il s'agit là d'un savoir frelaté, corrompu comme celui que véhiculent les astronomes en matière de zodiaque ou de noms de planètes.
Certes, il y a de nos jours de bonnes âmes pour s'efforcer de sauver un tel corpus de la ruine en s'en servant comme d'une sorte de test de Rorschach, pratiquant ainsi ce qu'on appelle une instrumentalisation, c'est à dire avec une complète indifférence à la vocation première de ce dont on se sert, vocation d'ailleurs singulièrement brouillée.
Est-il légitime d'utiliser le zodiaque qui est un système cyclique pour étudier la psychologie d'une personne en examinant les positions des diverses planètes réparties dans le dit zodiaque, à sa naissance? Il semble bien qu'il s'agisse là d'une dérive aggravée par le peu de pertinence structurelle d'une telle série et qui conduit à figer pour toute une vie ce qui serait à capter dans la continuité?
Le cas du Tarot nous interpelle en ce qu'à la différence du Zodiaque dont on conçoit qu'il ait servi aux astronomes à placer les planètes et les étoiles dans le ciel; au sein de constellations, on ne voit pas très bien pour quel usage pratique l'on constitua cette série de 22 images, à rapprocher des 22 lettres de l'alphabet hébraïque. Répondre que c'était en vue d'en faire ce qu'on en a fait, n'est pas satisfaisant, vu le caractère hétéroclite de la série. Il y a eu à l'évidence solution de continuité! Il est assez aisé d'observer si un ouvrage
a été ou non initialement conçu pour ce qu'on en a fait au bout du compte. C'est ainsi que les quatrains des Centuries, dans un grand nombre de cas, ne semblent guère avoir été voués initialement au prophétisme. On a là, comme avec le Tarot, une forme de recyclage. Dans le cas de Nostradamus, l'hypothèse la plus simple serait celle de notes personnelles ne revêtant au caractère prophétique mais le devenant ipso facto puisque oeuvre d'un "prophéte", ou d'un auteur, par ailleurs, de "prophéties", au sens de prédictions que ce terme avait à l'époque. Quant au tarot, la piste la plus souvent proposée est celle des historiens de l'Art comme Warburg selon qui des artistes ayant eu pour tâche de décorer une salle, empruntèrent des motifs à l'iconographie divinatoire sans aucun souci de cohérence ou/et d'exhaustivité à l'instar de décorateurs de vitraux puisant dans la Bible pour leur inspiration. Rappelons aussi que le Tarot a servi de jeu de société, en dehors de toute considération divinatoire. On peut d'ailleurs se demander s'il est légitime d'utiliser les "arcanes mineurs" - c'est à dire le jeu de cartes ordinaires, avec cependant la disparition des "chevaliers"- au même titre que les arcanes majeurs.
Il est remarquable qu'à partir de matériaux aussi douteux puisse émerger une pratique qui, somme toute, donne quelque résultat. Mais il n'y a pas vraiment lieu de s'en étonner car le praticien, par quelque tour de passe- passe, en apportant son bon sens et en faisant appel à celui de son consultant, se contente, finalement, d'apporter quelque enchantement au monde, quelque tour de prestidigitation. Le récent film consacré à Sherlock Holmes en apporte brillamment la démonstration ou en tout cas illustre ce point : pas de magie sans trucage! Les clients de l'astrologue ou du tarologue sont de grands enfants, toujours fascinés par les images de monstres ou d'anges et que l'on essaie de conduire à un comportement adulte par quelque expédient digne d'Alice aux Pays des Merveilles!
Au final, en effet, toutes sortes de séries incomplètes, désordonnées, qu'il s'agisse du Tarot reprenant certaines images propres aux maisons astrologiques - notons que les tarologues se servent des 12 maisons astrologiques sans savoir que plusieurs arcanes s'y référent- ou du Zodiaque qui n'est nullement superposable intégralement aux 12 mois des almanachs, tout en en dérivant à l'évidence.
Mais alors, pourquoi - demandera-t-on -avoir voulu faire de ces corpus des outils divinatoires, ce pour quoi ils n'étaient pas faits du moins sous la forme sous laquelle ils sont parvenus? Car, a priori, pourquoi la divination serait-elle condamnée à recourir à des outils aussi biscornus, une des rares exceptions étant celle des 12 maisons astrologiques, qui semblent nous être parvenues à peu près intacte. Les autres dispositifs sont loin d'offrir une telle homogénéité.
Il convient de noter le passage d'un usage diachronique d'une série ou d'une combinatoire de séries à un usage synchronique.
Le Zodiaque, par exemple, est l'exemple d'une série "diachronique", c'est à dire permettant de situer un astre à différents stades de son mouvement. Il en est de même, évidemment, pour les mois de l'année et leur représentation imagée. Le fait d'attribuer une planète à chaque âge de la vie va dans le sens de la diachronie. Or, à un certain stade, il apparait que la dite série tende à servir à un usage non plus diachronique mais synchronique comme en témoigne le fait que les gens se définissent comme étant nés sous tel ou tel signe.(sans parler de la carte du ciel complète)
On se demandera donc, par delà la pertinence de l'ordre des images zodiacales, s'il y a lieu de s'intéresser au signe dans lequel se trouve telle planète à la naissance d'une personne comme devant marquer toute sa vie sa vie psychique et ce d'autant que l'on va ainsi combiner spatialement plusieurs cycles, un par planète au lieu d'avoir une seule planète passant par chacun de ces signes! D'où la substitution d'une pluralité de cycles au principe d'un cycle central.(voir notre Colloque "Unicité et diversité de l'Astrologie", sur la télévision astrologique)
Un autre cas est celui de l'alphabet dont on peut raisonnablement penser qu'il servait lui aussi à compter des progressions à l'instar d'un cadran solaire (rappelons que chaque lettre y pouvait servir de chiffre, d'où la numérologie (voir notre entretien avec Anne-Marie Pellegrin, sur la Télévision Astrologique). Rien n'est plus étrange que les dictionnaires qui classent les données selon l'ordre alphabétique, ce qui ne reflète aucune réalité temporelle. Pour faire image, nous dirons qu'une façon de ranger les choses est de tenir compte de leur ordre d'arrivée et qu'une autre est de les classer dans des boites, selon un certain nombre de critères, ce qui implique de se souvenir de l'emplacement des dites boites et de ce qu'elles sont censées contenir.


JHB
07. 02. 10

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