par Jacques HalBronn
Alain Ehrenberg, dans un récent ouvrage "La fatigue d'être soi. Dépression et société", Paris, Odile Jacob, 2000, -signalé par Frederic Lenoir dans une conférence donnée à l'association Source en février 2010- indique que beaucoup de gens dépriment du fait de leurs attentes excessives pour accéder à une certaine qualité d'individuation.
Les astrologues devraient se sentir viser par de tels propos, eux qui, au nom d'une astropsychologie, demandent à leurs poulains -pardon à leurs clients- de forger leur personnalité, au regard de leur thème natal.
Le diagnostic du psychiatre Ehrenberg vient confirmer nos soupçons et nos inquiétudes à l'encontre d'une astrologie qui laisserait entendre que chacun d'entre nous est voué à accéder à un certain épanouissement individuel. Mais cela vaut évidemment pour toutes sortes de méthodes visant à consolider, à fortifier le Moi, en prenant pour modèle des hommes célèbres - on pense à ces listes de célébrités associées à chaque signe zodiacal- dont on étudie le thème natal, des êtres illuminés, de grands capitaines etc.
Frederic Lenoir, auteur d'un ouvrage consacré à Jésus, Socrate et Bouddha, en arrive à affirmer que nous sommes tous dotés des mêmes facultés, ce qui signifie que chacun d'entre nous, s'il est bien "coaché" pourra parvenir à une certaine dimension de l'être, la chenille devenant papillon. Mais cela nous ferait plutôt penser à la fable de La Fontaine, "la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf"...
Selon nous, l'Astrologie, que l'on a parfois qualifié d'Art Royal n'est nullement vouée à aider tout un chacun à devenir un "grand homme" à l'instar des trois '"modèles" étudiés par F. Lenoir. Le fait même de parler d'eux est révélateur de leur caractère d'exception.
N'est-il pas temps, en vérité, de cesser d'inciter, d'exciter les gens en leur faisant croire qu'ils ont un thème natal à l'instar des célébrités les plus remarquables?
Que l'astrologie puisse aider à épanouir certaines personnes, nous n'en doutons pas, sous réserve d'élaguer sensiblement celle-ci. Mais qu'elle serve à tout le monde, il faudrait que cela cessât. Il en est de même de certains entrainements qui ne sont recommandés qu'à des personnes spécialement douées alors que pour les autres, cela risquerait de les briser.
Une des raisons les plus évidentes qui nous ont conduits à éviter de donner des consultations astrologique aura probablement été l'intuition que l'on faisait fausse route si l'on partait du principe que chacun d'entre nous avait un bâton de maréchal.
Il est certes des gens qui s'épanouissent en s'affirmant dans une certaine solitude et une verticalité cosmique qui les autonomise par rapport à l'entourage, au milieu; Mais il en est en bien plus grand nombre qui devraient être dirigés vers un autre mode d'épanouissement que nous qualifierons de collectif, de grégaire, avec la satisfaction notamment de faire partie d'une foule, d'une salle, d'un ensemble compact de gens allant dans le même sens comme dans une manifestation. C'est là que se situe le clivage entre introversion et extraversion. Encore faut-il comprendre que l'individu solitaire est dans un dialogue avec "son" public, se fans, ses fidèles tout comme une population a besoin d'être dirigée.
Que l'on nous parle de Bouddha, de Jésus et de Socrate, pourquoi pas? Qu'ils puissent servir d'exemples à suivre pour ceux qui sont de la même trempe qu'eux, cela se conçoit. Mais que l'on nous dise que telle personne a un thème comparable à celui de telle célébrité, et a fortiori si elle est née le même mois, voire la même année et pourquoi pas le même jour, à la même heure, quasiment au même endroit, cela nous parait très contestable pour la raison suivante, c'est que seules certaines personnes ont droit à un thème natal et que ce n'est pas le thème natal qui nous dit si nous sommes ou non du niveau de ces modèles remarquables que l'on nous présente. Car capter les signaux cosmiques que l'astrologie a constitués n'est pas à la portée de tout le monde..
Il revient à l'astrologue, par voie de conséquence, de déterminer si les personnes qui se présentent à son cabinet correspondent au type «individuel" (vertical, puisque relié au cosmos) ou au type «collectif" (horizontal, puisque dans une interdépendance avec ses congénères). Qui ne voit d'ailleurs à quel point un personnage providentiel est en dialectique avec les foules, que l'on songe à l'Allemagne nazie et ce pour le pire et pour le meilleur. On est d'ailleurs là par delà le bien et le mal: le plaisir de former une masse d'un seul tenant est très puissant chez la plupart d'entre nous et l'on en est réconnaissant à celui qui aura permis une telle focalisation qui ne saurait d'ailleurs perdurer indéfiniment. En effet, cette dialectique du leader et de son "parti" relève d'une cyclicité astrologique, la conjonction étant l'amorce d'une nouvelle aventure d'un chef et la disjonction marquant le moment où le dit chef joue ce rôle de rassembleur à grande échelle. On nous objectera peut être que cela signifié que les astres agissent aussi sur les foules et donc sur ceux et celles qui les composent. En réalité, la disjonction correspond à une sorte de grossesse, c'est à dire à un certain timing enclenché en amont et qui suit imperturbablement son cours jusqu'à la naissance, laquelle est suivie d'un moment de battement avant que ne soit engagé un nouveau processus d'enfantement. La conjonction est le déclic, est la semence qui portera à terme ses fruits mais il n'est nullement nécessaire de faire intervenir et interférer un autre cycle. Un seul cycle yang, bien balisé, suffit et son passage sur un mode yin n'est en fait que son déroulement naturel et logique. Autrement dit tout comme le 1 implique le 2, le yang débouche sur le yin sans qu'il soit besoin d'une nouvelle intervention cosmique au niveau du Yin, un peu à la façon dont la nuit n'est que l'absence du jour.
Il est des pathologies au niveau du collectif, lorsque par exemple dans certains pays, comme la Grèce, la population se refuse, tant que possible, à ne pas payer les impôts qu'elle doit à l'Etat. En contrepartie du yang qu'il reçoit, c'est à dire de l'être, le yin doit apporter de l'avoir au yang. Que le yang ainsi s'enrichisse n'a rien de scandaleux, ce n'est que la conséquence d'un échange mais cet argent doit être le résultat d'une multitude de micro-contributions, comme la vente de musiques ou de films dans le domaine culturel. Quand dans une société, les individus sont imbus d'eux-mêmes et se prennent tous pour des êtres yang, il y a déséquilibre. Or, dans le cas de l'astrologie, force est de constater qu'elle encourage fortement à l'illusion du yang chez beaucoup de personnes, via le thème natal auquel trop de monde revendique la propriété, d'où ce besoin de se retrouver, à tout prix, dans "son" thème de façon à appartenir à une caste supérieure. Au vrai, n'est-il pas logique que si le yang s'enrichit par les contributions du Yin, le Yin, de son côté, ne se dote des attributs de l'être? Mais il ne faudrait pas pour autant affirmer que nous sommes tous et toutes des combinaisons de yang et de yin ou en tout cas perdre la conscience de qui est fondamentalement yin et de qui est fondamentalement yang. L'être du Yin ne saurait en tout état de cause être individuel, il est un être collectif fourni par un individu yang. On retrouve la dialectique du singulier et du pluriel. Or, l'astrologie tend à produire, à diffuser une infinité de thèmes et donc à multiplier les prothèses yang, à dé-yiniser la population yin, d'où la dépression psychique ainsi provoquée que signale Ehrenberg. Chacun se croit ainsi être un Yang, au vu de son thème natal qui en serait la preuve. C'est pourquoi, en milieu astrologique, l'organisation de colloques est une chose saine car elle rappelle qu'il est des "chefs" et qu'il est un public qui fait sens par son nombre et par sa contribution pécuniaire. Nous avons contribué à l'instauration de ces manifestations depuis les années soixante-dix. Mais en même temps, force est de constater que cette population yin n'est plus guère disposée à réformer ses pratiques, à recycler ses modèles qui deviennent obsolétes et usés et dont on finit par oublier les fondements et les articulations. Chaque astrologue s'imagine être créatif. On nous dit que les astrologues sont "uraniens" et qu'ils diffèrent de l'un à l'autre. En réalité - et nos entretiens l'ont assez bien mis en évidence- on entend surtout des discours quasiment identiques, parfois mot pour mot, en ce qui concerne les outils astrologiques. On ne saurait donc nier l'existence d'un consensus yin mais qui n'est pas du à un yang actuel mais à un ancien yang. Quand le yin ne reconnait plus l'autorité du nouveau Yang et se contente de l'ancien yang, il y a décadence comme si le yin ne voulait pas revenir au yang et se contentait de poursuivre un processus yang enclenché de longue date, on bascule dans la linéarité (voir notre texte dans le présent JBA). L'astrologie de la deuxième décennie du XXIe siècle aura besoin de voir les êtres yin renouveler leur pratique collective en s'inspirant d'un nouvel apport yang, ce qui impliquera notamment le retour à des cycles courts et à des rencontres yin yang plus fréquentes, donc à l'abandon des hypercycles.(Ere du Verseau, transsaturniennes) qui, on l'a dit, sont une tentative du yin pour s'émanciper du yang. Il faudra notamment que les astrologues apprennent à reconnaitre les gens yang et les gens yin, en faisant preuve de discernement - qualité mise en avant par Frederic Lenoir, dans sa conférence, à l'association Source (que nous n'avons pu enregistrer) alors même que par ailleurs, il prônait une certaine égalité. Il faut arrêter notamment de généraliser en projetant le comportement de certains à l'ensemble de la planète. Ce qui est acceptable de la part du yang ne l''est pas de la part du yin (voir un entretien avec Gilles Devilleneuve). En affirmant que notre mode de vie occidental est ruineux à l'échelle de toute l'Humanité, l'on commet dès lors un contresens car, qu'on le veuille ou non, l'Occident est le yang du monde. Il ne faudrait pas que l'on se dirige vers une dictature du Yin consistant à ne rien tolérer qui ne soit, comme l'aurait voulu Kant, acceptable pour tous. La Crise actuelle, sous ses différents aspects, écologique, économique, serait finalement due à la négation de la dialectique yin yang. Le yang est aisément décelable et c'est ce qui le rend vulnérable alors que le yin est diffus, il englobe le "public" anonyme, qui réagit à la rumeur, au bouche à oreille et que l'on ne peut atteindre que de façon plus ou moins aléatoire en ce qu'il s'agit d'une "masse" qui mobilise et fait converger un grand nombre de personnes. En fait, nous sommes tous voués à une vie cyclique, que nous soyons à dominante yang ou yin en ce que nous n'existons vraiment qu'à certains moments, en certaines circonstances, mais ce ne sont pas les mêmes moments pour l'humanité yang et pour l'humanité yin, laquelle est décalée par rapport à la première, dans le temps et dans l'espace.
Déontologiquement, toute personne qui prétend renforcer l'égo de ses clients notamment en 'cultivant " son thème natal mais plus largement en mettant l'accent sur des vécus individuels assez insignifiants, montés en épingle, leur rend-elle service? Pousser le bouchon jusqu'au point de laisser entendre que chaque personne a un destin astral qui lui est propre relève d'une bien fâcheuse surenchère. Il vaudrait mieux se contenter modestement de se préparer à des enjeux collectifs et en tout cas dans la synchronie avec autrui. Or, l'astrologie n'est nullement obligée de pratiquer une prévision individuelle, même si elle trouve les techniques appropriées dans son arsenal. Nous conseillerons bien plutôt d'insister sur les cycles concernant en un même temps un grand nombre de personnes, ce qui se rapproche assez d'ailleurs de l'astrologie de la presse (voir notre entretien avec Michele de Vita, sur la Télévision Astrologique), sinon au niveau conjonctionnel du moins au niveau disjonctionnel (carré, opposition à l'astre de référence fixe, voir un autre texte du JBA sur ce point). Le temps d'une prévision sur mesure qui ne vaudrait que pour le seul client est révolu!
JHB
11. 02. 10
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