samedi 23 janvier 2010

Le débat prévision/prédiction, vu par Louis Gastin, il y a 60 ans.

par Jacques HalBronn


Les récents remous, au sein du milieu astrologique, autour de la question de la prévision nous conduisent à reprendre le débat sur prévision et prédiction, tel qu'il se posait au lendemain immédiat de la Seconde Guerre Mondiale, notamment chez Louis Gastin ("Almanach astrologique pour 1948", préfacé par le "colonel" Maillaud) qui s'illustra par ailleurs, dès avant la Guerre, par la mise en circulation d'éphémérides graphiques, annonçant les travaux, notamment en astrologie mondiale, de G-L. Brahy, d'Horicks et Michaux, d'André Barbault. (On pense aussi à Gilles d'Ambra dont les tables parues chez Marabout nous servirent dans notre enseignement, dans les années 1980-1990, à la Faculté Libre d'Astrologie de Paris (FLAP)
De nos jours, il est de bon ton, chez les astrologues de se démarquer du mot "prédictions", lui préférant celui de prévision. Mais les explications apportées généralement pour étayer un tel choix terminologique sont-elles vraiment recevables par les milieux scientifiques?
En lisant Gastin, l'on s'aperçoit en effet que le mot prédiction est plus "scientifique" que le mot prévision. Comment se fait-il donc qu'actuellement tant d'astrologues s'imaginent que les prédictions, ce n'est pas sérieux, qu'il faut laisser cela aux voyants. Les astrologues semblent tout fiers de déclarer qu'ils font des prévisions. Mais alors comment appeler ce que font les scientifiques qu'ils traitent d'un phénomène à venir, à commencer par les astronomes? Ils prédisent ou ils prévoient?
Voilà ce qu'il y a un peu plus de 60 ans, Jules Gastin (alias Arcturus, alias Thot Hermés) écrivait sur ce sujet (Almanach, p. 49):
"La complexité des causes générales des événements interdisant leur prédiction par l'astrologie (...) par contre la Tradition et l'expérience permettent à l'astrologie de prévoir le sens dans lequel l'influence astrale intervient en fonction des phénomènes cosmiques obéissant à la mécanique céleste et passibles de ce fait d'une prédiction mathématique et certaine"
et encore "En astrologie scientifique, la prédiction s'applique aux phénomènes célestes annoncés avec une précision mathématique qui lui donne une valeur certaine tandis que les prévisions des influences est analogue à la prévision du temps par la météorologie, elle annonce le "temps astral" avec un caractère forcément conditionnel".
Traduisons: l'astrologie ne saurait prédire parce que la prédiction est l'affaire des sciences les plus rigoureuses. D'ailleurs, en anglais, le terme "predictibility" concerne le champ scientifique. Prévoir serait ainsi en retrait par rapport à prévision. Mais il serait tout à fait abusif de dire que les voyants font des prédictions. En vérité, l'idéal de l'astrologie serait bien de parvenir au stade de la prédiction.
Examinons une autre définition de Gastin concernant le rapport astrologie/astronomie dans sa "Clef de l'horoscope personnel", Nice, 1936:
"l'astrologie ajoute (aux) données physiques et mécaniques de la science des astres (...) des notions conjecturales sur l'influence des forces cosmiques en ce qui concerne les événements terrestres et la destinée individuelle ou collective des êtres" (p. 9)
Cette position qui reflète assez bien le point de vue dominant chez les astrologues au XXe siècle nous semble désormais obsolète. En effet, l'astrologie ne saurait gérer la totalité des phénomènes astronomiques sans s'y noyer, sans saturer...
Il y a d'ailleurs là une tentation à laquelle Gastin ne résiste guère quand il écrit, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans son almanach ( p. 52) :
"La répétition des phénomènes célestes n'est vraie que si on les considère isolément (..). La même influence saturnienne qui frappa notre globe, il y a 38 ans, par exemple, n'y retrouverait pas les mêmes dispositions de réceptivité. C'est ainsi que la conjonction Saturne Pluton qui précéda 1914-1915 à la première guerre mondiale ne parait avoir été en rapport en 1946-1947 qu'avec de graves perturbations politiques "
Tout le problème est là: faut-il ou non combiner les significations planétaires d'un même cycle, faut-il combiner les cycles entre eux? Il importe, selon nous, d'isoler les planètes, ce qui dit, en passant, est bien ce que les astrologues sont supposés avoir fait quand ils décrétèrent, déterminèrent, la signification de telle ou telle planète....
On comprend mieux, en ce début de XXIe siècle, que la seule solution est de rechercher la récurrence de phénomènes plus en profondeur, c'est précisément ce qu'a compris la Nouvelle Histoire (Marc Bloch, Fernand Braudel etc.), laquelle relativise les événements pour faire ressortir des constantes. La guerre est-elle une constante à laquelle doit se référer l'astrologie? C'est ce qu'ont cru les astrologues du XXe siècle, siècle marqué notamment par deux guerres mondiales et ils ont échoué notamment en annonçant, selon leurs graphiques, une troisiéme guerre mondiale pour les années Quatre Vingt, qui n'a jamais eu lieu.
Les orientations de la Nouvelle Histoire n'impliquent pas, comme semble le croire un Charles Ridoux, le recours à des périodicités longues (la "longue durée") mais bien plutôt la mise en évidence de cyclicités relativement brèves mais répétées indéfiniment, au niveau de leur alternance. Cette succession relativement rapide des périodes dépasse largement le plan des guerres mondiales et ne saurait prétendre en rendre compte. Ce ne sont pas tant les moyens qui comptent que les fins et la guerre n'est qu'un moyen comme un autre (voir Clausewitz). Une approche plus sociologique nous parait indiquée, à savoir le mode de fonctionnement social passant nécessairement par des phases de recentrage et des phases de dispersion, et cela dans les contextes les plus divers. A l'astrologue de montrer que derrière une certaine diversité, l'on retrouve une unité, tant dans l'espace que dans le temps, de par un processus de diffusion ou de concentration, dont André Barbault avait intuitivement perçu la rythmicité et la dialectique et que l'on peut toujours réduire à deux temps principaux, ce qui montre à quel point les subdivisions en douze voire en quatre sont vouées à nous égarer plutôt qu'autre chose. Olivier Peyrebrune reprend une telle dialectique quand il écrit: "Parce que notre être oscille entre l'unité et une multiplicité plus ou moins chaotique, toutes nos expériences le sont aussi"("La cause philosophique de l'astrologie", ibidem, 2009, p. 83). C'est cet aller retour entre l'un et le multiple qui est vital pour l'Humanité et il revient à chaque individu d'y participer, autant que faire se peut, comme son organisme le fait quand il passe du vide au plein et du plein au vide, le vide étant associé évidemment à l'unité, à cette "blancheur" dont parle Michel Serres qui est virtualité de tous les possibles..
Il est essentiel que l'astrologie de la deuxième décennie du XXIe siècle comprenne que l'astrologie, à son sommet, à son centre, doit se contenter de la conjonction d'un seul astre (avec des points fixes), dont la signification est tout simplement l'idée de conjonction, au sens social du terme et ses dérivations disjonctionnelles temporaires. (C’est le niveau 1 de NOA). En aval, ce premier plan est voué à se complexifier de façon de plus en plus aléatoire.
Comme l'écrit Louis Gastin, avec une certaine lucidité, dans son Almanach astrologique pour 1948, " Nous n'admettons pas que l'on adultère l'astrologie en associant à cette science conjecturale des procédés empruntés aux arts divinatoires ou aux sciences occultes mais cela ne signifie nullement que nous rejetions tout ce qui se rattache à la "vie mystérieuse" des choses et des êtres"(p. 107)
Autrement dit, selon cet astrologue, bien oublié (mais Yves Lenoble le cite dans sa "Pratique des cycles planétaires", 1994), et en cela il rejoint Ptolémée, tout ce qui se présente sous le label astrologique n'est pas forcément ...astrologique. Il peut s'être agi d'emprunts. Et le niveau 2 de NOA n'exclut pas les emprunts, à condition que ceux-ci ne soient pas assimilés au niveau 1 et considérés comme des solutions parmi d'autres. Quant aux niveaux 3 et 4, ils correspondent assez bien au recours qu'un astrologue peut être amené à faire à d'autres disciplines (voir notre entretien sur teleprovidence avec Lionel Barrera et Dominique Defrang), et à une échelle individuelle et spécifique, sans oublier bien entendu l'intégration de "conditionnements" propres au client ou à la situation étudiée. Le problème, c'est qu'au lieu de ramener l'apparence des choses à un modèle simple, les astrologues tendent à vouloir complexifier leur modèle, au nom d'une prétendue orthodoxie astronomique les contraignant à donner sens à tout ce qui relève peu ou prou du système solaire, ce qui aboutit à la construction de véritables usines à gaz, dont le thème natal classique est la manifestation la plus caricaturale. Mais encore une fois, chacun peut avoir sa petite usine à gaz, mais que l'on ne vienne pas nous dire que cela relève du niveau 1 de NOA!
Il convient de comprendre que chacun aborde les documents légués par le passé avec sa sensibilité et son profil psychologique. Il y a ceux qui vont surinvestir le poids des documents, mus par une sorte d'esprit de classe en faveur des scribes, des conservateurs, des bibliothécaires, lesquels ne souhaitent pas devoir passer sous les fourches caudines de l'anthropologie, de la sociologie, de l'épistémologie. Leur position radicale - et nous avons pu le remarquer notamment en ce qui concerne Nostradamus (voir notre soutenance de post doctorat, sur teleprovidence)- est la suivante: ce qui n'est pas attesté par un document. Et puis il y a ceux, à notre instar, qui considèrent ces documents comme un épiphénomène, certes précieux, mais qui n'est qu'un élément d'un puzzle dont nombre de pièces sont manquantes, si l'on s'en tient à ce qu'il en reste, mais dont il est possible de restituer l'essentiel en procédant par analogie avec des situations comparables. Pour ces personnes, en aucune façon, on ne saurait aboutir à des invraisemblances, sur la seule base de ce qui a pu être conservé. C'est bien là selon nous l'esprit de la Nouvelle Histoire. Entre ces deux "écoles", règne un malentendu persistant, qui relève, quelque part, d'une lutte des classes, entre les scribes, les secrétaires, chargés de tout noter et de tout conserver (niveaux 2 à 4 du NOA) et les dirigeants (niveau 1 du NOA) qui ont une vision globale du fonctionnement et de l'organisation des sociétés. En ce qui nous concerne, notre familiarité avec le monde des bibliothèques, des catalogues (nous sommes notamment l'auteur du CATAF, sur cura.free.fr) nous aura conduit à traiter avec beaucoup de précaution voire de scepticisme la valeur des documents conservés, souvent très partiels voire contrefaits, la contrefaçon visant souvent précisément à pallier les manques.




JHB
07 12. 09

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