Estudes nostradamiennes
par Jacques HalBronn
Les deux dernières grandes crises dynastiques que la France connut sont à situer autour de 1584-1594 et, près de trois siècles plus tard, autour des années 1870-1883. Ce furent deux moments importants pour l'histoire des Centuries mais le second est sensiblement moins bien connu, tant au niveau de l'Histoire événementielle qu'à celui de l'Histoire du nostradamisme voire de l'astrologie (voir notre thèse d'Etat, "Le texte prophétique en France, formation et fortune", téléchargeable sur propheties.it). Les relations entre astrologie et nostradamisme au XIXe siècle n'avaient jusque là pas été abordées par nos soins et nous réparons ici une lacune.
Si le XVIe siècle fut marqué par le passage des Valois aux Bourbons, un autre scénario aurait pu, en 1593, imposer les Guises et les Lorrains qui se voulaient descendre des Carolingiens, le XIXe siècle aura été marqué par un encore plus extraordinaire kaléidoscope dynastique. Il commence par Bonaparte, puis l'on passe à deux Bourbons et c'est ensuite l'heure des Orléans, puis à nouveau un Bonaparte. Et selon les interprètes des prophéties, il y aurait à nouveau un Bourbon pour finir avec un Orléans.( voir Torné, "Portraits Prophétiques d'après Nostradamus (..) ou Napoléon III, Pie IX, Henri V, d'après l'Histoire prédite et jugée par Nostradamus etc. ", Poitiers, H. Oudin, 1871; sur la cause orléaniste, cf. Félix Deperlas, "La destinée de M. le Comte de Paris d'après Nostredame", Paris, octobre 1876, BNF) On serait ainsi dans une sorte de république monarchique où tous les candidats au pouvoir devraient appartenir à l'une ou l'autre des dynasties en présence et constituent une menace les uns pour les autres (voir les tentatives subversives de 1839-1840, sous la Monarchie de Juillet, autour de la prophétie d'Orval; cf "Le texte prophétique en France", op. cit.). Ce modèle ne fonctionnera pas, comme on sait, au siècle suivant, le septennat générant ses propres souverains républicains.
Pour en rester au parallèle que nous établissons à près de trois siècles de distance (seconde moitié du XVIe -seconde moitié du XIXe), il y a quelques détails anecdotiques à relever comme celui du nom de Chavigny, auteur ou en tout cas éditeur - au sens anglo-saxon du mot - du Janus Gallicus (1594) et commentateur des Centuries sous le Second Empire et au début de la IIIe République, en la personne de l'abbé Torné-Chavigny. La différence entre les deux époques ainsi mises en parallèle tient avant tout au fait, du point de vue du corpus nostradamique, que dans un cas, c'est le texte même des quatrains qui est retouché, modifié, "complété" alors que dans l'autre, ce texte étant désormais définitivement cristallisé, il n'est plus question que de commentaire, de glose externes et non plus, en quelque sorte, internes. Mais, il n'en reste pas moins que dans les deux cas, l'on fait parler Nostradamus, le "Grand Prophète" selon l'expression de l'abbé Torné, sur les événements du moment.
Nous mettrons au centre de la présente étude le quatrain IV, 86, dont le caractère astrologique - du point de vue conjonctionnel - est au demeurant, assez patent, et son traitement quasiment à 300 ans d'écart face à des situations relativement comparables, à savoir de graves enjeux dynastiques, ce qui relativise quelque peu l'impact de la Révolution Française sur le cours de la monarchie.
Nous ne reviendrons cependant que succinctement sur la première crise, aux seules fins de ménager quelque comparaison avec la seconde. Rappelons que les Valois n'ayant pas eu d'enfants légitimes, la couronne devait passer à de lointains cousins, les Bourbons qui avaient le tort d'être passés à la Réforme, notamment dans le cas du premier d'entre eux, Henri de Navarre. Nous avons montré (voir nos Estudes nostradamiennes et notre post doctorat sur "Giffré de Réchac et la renaissance de la critique nostradamienne au XVIIe siècle", sur le site propheties.it) que le quatrain IV, 86 avait été mis en avant par les adversaires d'Henri de Navarre et faisait pendant au quatrain IX, 86 lié au couronnement de ce dernier à Chartres et non à Reims (1594). Or, c'est ce même quatrain IV, 86 qu'utilise, le datant astrologiquement, Anatole Le Pelletier pour annoncer le prochain avènement d'Henri V, au cours des années 1870. A noter qu'Henri V, seul arrière-arrière petit fils légitime de Louis XV - si l'on excepte toutefois la (prétendue) descendance d'un Louis XVII - n'a pas non plus d'enfants - ce qui fut le sort des Valois, en 1589 - et qu'il lui faut accepter à terme de passer le relais aux cousins Orléans, qui ont déjà régné de 1830 à 1848, en la personne de Louis-Philippe Ier, dont le règne avait été endeuillé en 1842 par la mort accidentelle de son fils.
Il est clair que le premier volet des Centuries favorisait le clan catholique et que le second était exploité par le clan réformé, annonçant notamment la victoire des Bourbons sur les Lorrains, dynastie ayant également des vues alors sur le trône de France. Ce n'est qu'ultérieurement que les deux volets seront réunis, après l'abjuration et le couronnement d'Henri IV, ce qui mit fin au projet d'Etats Généraux ayant pour mission d'élire un nouveau roi de France, entre plusieurs candidats dont le Marquis de Pont à Mousson, de la maison de Lorraine, au point que par la suite, l'on voudra attribuer l'ensemble, tel quel, au seul Nostradamus. Processus unitaire qui fait écho à l'Edit de Nantes de 1598.
En ce qui concerne la seconde crise, elle se solda par un échec définitif pour toute dynastie en France, du moins tout au long du XXe siècle. Mais, pour le XIXe siècle, il s'en fallut de peu qu'une des dynasties ayant régné fût rétablie en France au cours des années 1870 (jusqu'à l'amendement Wallon de 1877 qui correspond à un ressaisissement de la IIIe République). Si Henri V (puisqu'on l'appelait volontiers ainsi) le "dernier" Bourbon, petit fils de Charles X, avait été plus inspiré, le parti monarchiste eut probablement trouvé son unité. A la différence de son aïeul, Henri IV (qui abjura le protestantisme, "Paris vaut bien une messe"), il n'accepta pas certaines concessions (affaire du drapeau blanc) pour s'entendre avec les Orléans dont il reconnaissait pourtant, faute de descendance, que c'est à eux qu'ensuite reviendrait la couronne. Un Torné Chavigny mettra son talent de commentateur au service du comte de Chambord, lisant dans Norlaris, non pas l'anagramme de Lorraine mais celui d'Orléans... Quant au retour de Napoléon III -successeur attitré de son oncle avant la naissance du roi de Rome - il aurait pu se concevoir, à la façon des Cent Jours, avec l'empereur revenu de l'Ile d'Elbe, si la maladie n'avait eu raison de lui, en janvier 1873 et si son fils avait été un peu plus âgé- il n'atteindra la majorité de 18 ans qu'en 1874, l'option d'une régence de l'Impératrice ne passant guère. (voir A. Frerejean, "Napoléon IV, un destin brisé (1856-1879)", préface de Philippe Seguin, Paris, Albin Michel, 1997), le précédent de Catherine de Médicis et plus généralement des régences du XVIIe siècle, ne faisant pas foi.
L'Histoire de l'Astrologie et du nostradamisme -et du prophétisme en général - nous invite souvent à revisiter des moments oubliés et parfois à peine signalés, à tort ou à raison, dans les manuels d'Histoire, ce qui apparente une telle littérature à une forme de presse, de journalisme, en tout cas de propagande, où l'effet d'annonce est déterminant, parfois au service d'une cause bien fragile. On est dans l'Histoire à chaud sinon dans la "petite" Histoire. Etrange paradoxe que des outils qui supposeraient une prise de distance, tant dans l'espace (les astres) que dans le temps (les Centuries censées parues dans les années 1550) et qui, en réalité, se font le reflet de projets avortés ou tombés totalement dans les oubliettes, les poubelles de l'Histoire. En ce sens, il est vrai, l'étude de cette littérature prophétique apparait comme une précieuse et probablement incontournable source de documentation pour l'Historien qui ne saurait se contenter de valider, après coup, la façon dont ont finalement, parfois in extremis, tourné les événements, ce qui tend à relativiser l'importance et la nécessité des dits événements, permettant ainsi une approche plurielle de l'Histoire, sans tomber dans la fiction.
Les auteurs que nous aborderons étaient fort concernés, au lendemain de la défaite française face à la Prusse, par l'idée d'un retour de Napoléon III et, à sa mort (en janvier 1873), de Napoléon IV (1856-1879), donc âgé de 16 ans lors du décès de son père. Mais le prophétisme aime les jeunes princes et leur promet volontiers des ascensions fulgurantes. N'oublions pas le cas de Louis XVII! En cela, la fin du XIXe siècle n'aura rien eu à envier celle du XVIe siècle. Selon nous, comprendre ce qui s'est passé, au niveau de la littérature prophétique au début des années 1870 permet de mieux comprendre la période finissante de la dynastie des Valois des années 1580-1590, au sein du même pays, le bonapartisme n'étant pas sans rappeler les Guise, la Lorraine et la Corse étant des provinces périphériques, et le républicanisme laïc- qui sortira vainqueur de l 'affaire - pouvant exprimer un néo-protestantisme.
I Le Pelletier et le quatrain IV, 86
Il importe de comprendre que l'usage de l'astrologie mondiale est considérablement plus facile, au niveau astronomique, que celui de l'astrologie généthliaque. Autrement dit, l'astrologie mondiale n'exige pas de manuels, de traités. Son principe est des plus simples: quand il y a conjonction, cela correspond à une échéance du point de vue de la vie publique et pour savoir s'il y a conjonction, il suffit de parcourir des tables planétaires et de repérer deux planètes dont les chiffres coïncident, en tel mois de telle année. Un jeu d'enfants qui n'est pas sans faire songer à ces machines que l'on trouve dans les casinos où l'on gagne quand les mêmes motifs se retrouvent sur une même ligne! Dès qu'il s'agit de rechercher un autre aspect que la conjonction, cela devient déjà sensiblement plus ardu! Et bien entendu, au niveau de l'observation directe du ciel, la conjonction est un des phénomènes les plus manifestes.
C'est ainsi que l'auxerrois Anatole Le Pelletier, l'auteur, en 1867, des "Oracles", à l'occasion du troisième centenaire de la mort de Nostradamus, en 1866, dans un fascicule d'une série (non signalée par Benazra) intitulée "La clef des temps", dès 1872, écrivait, à propos de IV, 86 :
"Saturne dont la révolution est de trente ans environ passe deux ans et demi alternativement dans chaque signe. Il entrera dans le verseau en 1874 et par conséquent il s'y trouvera en conjonction avec le soleil dont la révolution est d'un an et qui passe alternativement dans chaque signe. La même conjonction se réitérera en 1875 et peut-être encore au commencement de 1876...' Le Pelletier annonce, dans son plan de parutions d'une série de cahiers, une "Dissertation sur l'astrologie judiciaire" dont nous ignorons si elle parut jamais. Signalons que le texte ci dessus est un commentaire astrologique du quatrain 86 de la centurie IV et que Le Pelletier relie le mot "eau" du premier verset avec ...le verseau (alors que la tradition astrologique en fait un signe d'air) / "L'an que Saturne en eaue sera conjoinct". Quatrain au demeurant royal voire impérial "Avecques Sol, le Roy fort & puissant/ A Reims & Aix sera receu & oingt...."
A la mort de Napoléon III, début 1873, Le Pelletier - dans son "Apollon Pythien et Michel de Nostredame . Lettres au sujet de la mort de Napoléon III et oracles qui y ont trait" (Benazra, en dépit du titre, date, à tort cet ouvrage de 1843, RCN, p. 389) déclare patent l'échec de l'abbé Torné-Chavigny
Mais dès 1867 (réédition 1976), Le Pelletier avait fait paraitre, à la fin de ses "Oracles" des "fragments fatidiques de 1866 à l'Antéchrist", autour d'une terminologie planétaro-mythologique (Mars, Jupiter, Saturne)
II Le nostradamisme astrologique de Ch. de Villeplaine
Villeplaine, dont on nous dit qu'il fut zouave pontifical, est quasiment absent des travaux nostradamologiques consacrés au XIXe siècle. Il est pourtant, comme le signale R. Benazra(voir Répertoire Chronologique Nostradamique, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1990, p. 427 et 429-431), pris à parti, en sa qualité d'astrologisant, par l'abbé Torné-Chavigny, dans ses éditions de l'Almanach du Grand Prophéte. Il nous a donc semblé utile de nous étendre quelque peu sur son œuvre "prophétique" dont cependant une partie - à commencer par le nom de leur auteur - ne nous est connue que par ce qu'en dit son contemporain Torné (Almanach pour 1877, p. 10, Paris, chez l'auteur, BNF Lc 22 466 (1877) et Lc22 466 (1877) A)
La BNF a conservé divers ouvrages de Villeplaine, parus soit sous le nom de Delphes soit anonymement, dont certains connurent plusieurs éditions (ils sont presque tous sur le site numérisé Gallica). En fait -et Torné s'en plaint - aucun de ses textes n'est signé de son nom et c'est par Torné que nous l'identifions: "Qu'on ne me fasse pas solidaire non plus de l'auteur de "Ce que sera le règne du Grand Roi. Le 16 décembre prochain" et autres petites feuilles du même genre. M. Ch. de Villeplaine les publie malgré moi. Il me fait le plus grand tort en ne les signant pas et en donnant à penser qu'elles ont été inspirées par l'étude de mon travail"("Henri V prédit", Bruxelles, 1875, p. 7)
L'ordre que nous proposons tient compte du contexte politique dans lequel chaque document s'inscrit.
A Textes parus avant la mort de Napoléon III
pseudo C.V. B. Delphes, "Morts de Napoléon III et Napoléon IV", chez Madre, Paris (BNF, numérisation Gallica NUMM 5456488)
Delphes (sans les initiales) "Morts de Napoléon III et de Napoléon IV. Fixation des époques
1 Du retour de Napoléon III, 2 de la nouvelle chute de Napoléon III, 3 de la mort de Napoléon III; 4 de la mort de Napoléon IV, 5 de l'avènement de Henri V; 6 du troisième siège de Paris, Paris, Madre (Lb57 2931)
Il est probable que Villeplaine ait eu vent des velléités de Napoléon III et de ses partisans de reprendre le pouvoir, début 1873 mais la maladie et la mort déjouèrent tous les plans. En octobre 1873, Villeplaine propose un nouveau scénario:
B Début 1873; mort de Napoléon III.
-Prophéties précises et claires. Napoléon IV, Henri V et la République Octobre 1873 (Lb57 4499)
-Prophéties précises et claires Napoléon IV, Henri V et la République, Paris, J. Madre (Lb57 4499 B)
A ne pas confondre avec la plaquette " Napoléon IV et Henri V", 1872, violement hostile au bonapartisme et sans caractère prophétique.
Enfin, l'astrologie réapparait au titre.
-Ceci est une prédiction astrologique. Le 16 décembre prochain 1874. Paris 1874. BNF Lb56 5104
-Follicule à joindre à la Prédiction astrologique, le 16 décembre prochain 1874. Réponse aux critiques
BNF Lb57 5740
Comme Torné le rapportera, en 1875, dans son "Henri V prédit", Bruxelles, pp. 7 et seq), Villeplaine, en restituant un passage d'une lettre reçue de Villeplaine, le 12 novembre 1874, annonçait la mort de MacMahon, président de la République suivie de peu de celle de Napoléon IV (soit deux ans après la mort de son père) : " "Ce que sera le règne du grand Roi; Par calculs astronomiques, c'est le 16 décembre prochain 1874 qu'aura lieu tout au moins la mort de Mac Mahon, congestion et apoplexie foudroyante. Au milieu de janvier 1875, Napoléon IV -qui ne se mariera pas- disparaitra -c'est un scrofuleux. Le 16 décembre prochain va être imprimé".
Or, Villeplaine, apparemment conscient des limites du prévisionisme nostradamique, notamment en matière de fixation de dates, accorde, dans ses dernières publications connues, la plus grande importance à une conjonction de Mars et de Jupiter, pour le 16 décembre 1874 :
"Le 16 décembre à 2 heures 53 minutes du matin (Mars se dirige sur Jupiter) aura lieu la conjonction des planètes Jupiter et Mars. A ce moment là, les ascensions droites et les déclinaisons de ces deux corps célestes seront sensiblement identiques"
"Commence le 15 novembre 1874 et finit le 15 janvier 1875'
"Mois lunaire du 14 décembre 1874 au 13 janvier 1875"
Cette conjonction Mars-Jupiter eut bien lieu, à la mi-décembre 1874 à 25° Balance (cf. "Grandes Ephémérides" de Gabriel (tome second 1700-1899), Paris, Trédaniel-Grande Conjonction, 1990, pp. 150-151) mais sans les effets escomptés. C'est elle, donc, qui désignait la mort de Mac Mahon, maréchal -donc soldat (Mars) et président (Jupiter). Celui-ci (né en 1808, la même année que ? Napoléon III) ne mourut pas à la date fixée - mais en 1893 après avoir quitté, avant la fin de son septennat, le pouvoir début 1879 ; ayant fait sa carrière sous Napoléon III (Guerres de Crimée, d'Italie, il est Duc de Magenta), ce comte, d'ascendance irlandaise, était en place depuis mai 1873, succédant à Thiers. Quant à Napoléon IV, il fut tué au combat, en Afrique du Sud, contre les Zoulous, sous l'uniforme anglais.
L'intérêt d'un tel corpus, échelonné sur quelques années est d'observer comment Villeplaine retouche, corrige le tir, par l'ajout ou la suppression d'une phrase, chaque fois, d'une édition à l'autre, d'une publication à l'autre, dès lors que de nouvelles données événementielles lui sont fournies, à commencer par la mort de Napoléon III au début de 1873 qui porta un coup terrible à l'abbé Torné, ce dont se gaussera un Chabauty ou une mort annoncée par le dit Villeplaine ne se réalisant pas comme celle du Prince Impérial. Mais tous ces prophètes n'en resteront pas moins convaincus du prochain avènement d'Henri V lequel ne décédera qu'en 1883, 4 ans après Napoléon IV (voir en 1881, de G. Vallée, "Henri V sauveur de la France. Son avènement prochain d'après les prophéties les plus authentiques, Paris, V. Palmé, BNF, dans lequel est cité (p. 28) le fameux quatrain "royal", IV, 86. C'est là une épée de Damoclès qui restera longtemps placée au dessus du destin de la IIIe République. Prophétisme et vie politique sont indissociables, chaque camp prophétique s'inscrivant, comme sous la Ligue, dans un certain camp politique, d'ailleurs est-il raisonnable de nier qu'il puisse en être autrement? (voir notre étude sur l'anti-astrologisme nostradamiste, au lendemain de la Guerre de 1870, dans la présente livraison)
Ce Villeplaine avait, sur les conseils de l'abbé Torné, abandonné l'astrologie puis aurait "rechuté", probablement fasciné par sa découverte conjonctionnelle. "Malheureusement, note l'abbé, la conversion n'a pas été durable et l'astrologue moderne [donc Villeplaine] est revenu prédire à jour fixe la mort de Mac Mahon et celle du prince impérial" (Almanach pour 1877, p. 10). C'est notamment, probablement, à Villeplaine que s'adresse l'abbé quand il publie son "Nostradamus et l'astrologie" (Nouvelle Lettre du Grand Prophète, 1872, BNF 8° V Pièce 3372, voir notre étude sur l'anti-astrologie de Torné, dans la présente livraison)
Si les documents que nous indiquons ne sont jamais signés Villeplaine - comme le note Torné - la double terminologie employée ('astrologique", "nostradamienne") nous semble pouvoir conforter une telle attribution, outre le fait que ces "Calculs" seraient bel et bien parus en 1874, aux dires de l'almanach sus mentionné. En tout état de cause, ce que Torné relate (dans son Almanach pour 1877, reprenant celui pour 1873) des publications de Villeplaine correspond littéralement aux dates figurant sur les fascicules susmentionnés.
Les passages de ces fascicules fort minces qui sous tendent notre propos sont les suivants:
"Ceux qui croient encore au gouvernement des choses de ce monde, à ceux qui considèrent l'harmonie des astres la magnifique horloge sur laquelle Dieu a gravé non seulement les grandes heures de l'Univers et de l'Humanité mais encore les divisions infinitésimales de temps par rapport aux êtres. Pauvres d'esprit! Au point de vue purement astrologique cette conjonction (Mars-Jupiter) permet de conjecturer qu'à cette époque les apoplexies, les congestions et en un mot toutes les maladies violentes qui affectent la tête et le cœur seront nombreuses- les accidents, particulièrement les chutes (de cheval) seront également à redouter. C'est alors que les Grands, en général, pourront craindre que la main du Seigneur s'appesantisse sur eux. Un Grand de la Terre dont la réputation est universelle est plus menacé que tous, il devra se recueillir car la mort a la faux levée sur sa tête". Villeplaine annonce le décès proche de Napoléon IV, ce qui laissera, prophétise-t-il, bien à tort, la place pour Henri V.
Cette conjonction (mais aussi parallèle de déclinaison) de Mars et Jupiter de 1874- qui est au demeurant un phénomène astronomique assez fréquent , bien plus que la conjonction Saturne-Jupiter- n'en est pas moins, symboliquement, à mettre en vis à vis, toute proportion gardée, de la conjonction Jupiter-Saturne de 1584. Force est de constater, enfin, que le mélange d'astrologie et de nostradamisme se retrouve, à trois siècles d'intervalle et semble être un des traits spécifiques de l'astrologie française. Le fait est que Torné n'a pas tort de s'interroger sur la dimension astrologique du canon centurique (qui d'ailleurs ne comporte pas les almanachs, les pronostications et autres publications périodiques) et il semble bien qu'à la mort de Nostradamus, d'aucuns se soient efforcé de le faire passer avant tout pour un prophète. Une telle évolution avait eu des précédents, notamment avec, à la fin du XVe siècle, Johannes Lichtenberger dont les pronostications astrologiques donnèrent lieu en France, dans les années 1520, à un "Mirabilis Liber", truffé de prophéties dépassant largement le seul cadre de l'astrologie.(voir notre "Texte prophétique en France", op. cit.)
Force est donc de constater que tant Villeplaine que Le Pelletier étaient en mesure au début des années 1870 de se référer à des données astronomiques et il est à supposer que leurs lecteurs étaient peu ou prou en mesure de les suivre, voire de vérifier leurs dires dans la "Connaissance des Temps". D'ailleurs, en 1874, le chanoine Chabauty, hostile à l'astrologie, prenait la peine de décrire par le menu, en cinq points, le dit savoir astrologique ("Les prophéties modernes vengées", Poitiers, p. 107) :
1° Les maisons, 2° les regards, 3° les conjonctions des planètes dans la même maison, 4° les astres seigneurs, 5°les astres ascendants. En fait Chabauty par "maison" désigne le "signe" - le mot maison était utilisé au XVIIe siècle dans ce sens (est resté le mot domicile)- et par "regard", l'aspect - le mot regard étant l'ancienne dénomination (voir notre étude à son sujet dans la présente livraison, à propos des attaques de l'époque contre Nostradamus et/ou l'Astrologie)
Le tableau ne serait pas complet en ce qui concerne l'activité prophétique des années 1873-74, si l'on ne s'intéressait pas à un texte paru cette fois à Bar Le Duc, dans le département de la Meuse, non loin de la nouvelle frontière franco-allemande: "Au 17 février 1874, le grand avènement précédé d'un grand prodige prouvé par le commentaire (...) de la célèbre prophétie d'Orval".
Ce texte connut plusieurs éditions dont la première simplement signée F. P., parue en août 1873, donc peu après la mort de Napoléon III mais surtout au lendemain du "pacte de réconciliation du 5 août 1873, entre le comte de Paris et le Comte de Chambord". La deuxième édition, dès décembre de cette même année, portait la mention " F. Parisot, ancien notaire" (cf R. Benazra, RCN, p. 427). On notera que cette nouvelle édition et les suivantes, l'année suivante, furent publiées conjointement à Paris, chez Victor Palmé, lequel s'occupa également des productions de Torné et de Chabauty. A partir de la deuxième édition, une annexe signalée au titre comportera à la suite "ainsi que celles de Nostradamus et de saint Malachie".
L'avènement d'Henri V est annoncé, dans la foulée du "pacte de réconciliation" du mois d'août. Parisot a calculé la date du 17 février 1874 à partir de la Prophétie d'Orval - laquelle avait déjà en 1839-1840 servi à préparer l' hypothétique avènement du jeune Henri V, au début de la Monarchie de juillet - en soustrayant à la date du Ier janvier 1900 un certain nombre de "lunes", selon un système établi dans la dite Prophétie d'Orval laquelle s'apparentait, d'ailleurs, à une certaine forme d'astrologie, sans rapport avec la réalité astronomique. Parisot y prévoyait une démission de Mac Mahon et considère comme nulles les chances du Prince Impérial.
En conclusion, nous ferons remarquer que s'il y eut une compétition entre plusieurs dynasties pour la prise de pouvoir, il y eut parallèlement une sorte de "guerre" des prophéties, les partisans de Nostradamus étant pris à parti par un chanoine Chabauty, pourtant partisans d'une "concordance" des prophéties modernes (voir notre étude sur ces deux auteurs, dans la présente livraison).Désaccord et tiraillement entre prophétologues qui fait pendant à la discorde qui régna entre les prétendants au trône, d'autant qu'il ne faudrait pas oublier l'affaire Naundorff-Louis XVII (voir "Le texte prophétique en France, formation et fortune", thèse d'Etat, 1999, sur le site propheties.it). A la mort de Napoléon IV, en Afrique, en 1879, Torné consacrera naturellement un chapitre de son "Almanach du Grand Prophète pour 1880".(voir R. Benazra, RCN, p. 428) mais il est cette fois définitivement installé à Paris. Quant à Henri V, il meurt dix ans plus tard, la IIIe République suivant son cours sans lui et , sans être parvenue, en dépit des précédents, à servir de tremplin pour un retour monarchique ou impérial, comme l'avaient fait les deux premières Républiques. Le XIXe siècle aura ainsi servi de sas entre un Ancien et un nouveau Régimes. D'aucuns soutiennent que la Ve République, dans les années cinquante du XXe siècle, aurait pu préparer le retour des Orléans, du Comte de Paris, sous la houlette du général De Gaulle, nouveau Mac Mahon....Notons que Torné annonçait carrément une guerre civile, sur le modèle de ce qui se produisit sous la Ligue et dont Henri V sortirait vainqueur à l'instar d'Henri IV. On aura compris que le prophétisme, nostradamique ou non, est intimement liée aux enjeux dynastiques.
JHB
24. 12. 09
1 commentaire:
Votre travail m’a beaucoup surpris car ça fait longtemps que je n’ai pas trouvé comme ce magnifique partage.
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