samedi 28 novembre 2009

Nouvelles sources de l'Epître à César (1555)

Estudes nostradamiennes

Nouvelles sources de l'Epître à César (1555)
par Jacques HalBronn
Il y quasiment six ans, le 26 janvier 2004, nous avions publié sur Internet un texte intitulé
"Le mémoire à César de Nostredame et le premier quatrain centurique" (Espace Nostradamus). dans lequel nous accordions une grande importance au mot "mémoire" figurant dans les premières lignes de la '"Préface" à César Nostradamus.
N'étant pas de confession catholique, nous n'avions pas perçu - et les autres chercheurs non plus, d'ailleurs, à notre connaissance - que le passage en question semblait faire écho à une formule célébre de la liturgie pascale. C'est en assistant, récemment, et par hasard, à une messe, que le mot de "mémorial" qui y fut prononcé retint notre attention et ce d'autant plus qu'il était précédé du verber "laisser".
Rappelons le texte de la Préface:
Ed 1555 (édition selon nous antidatée et au texte corrompu) :
"Ton tard advenement César Nostradame, mon filz, m'a faict mettre mon long temps par continuelles vigiliations nocturnes referer par escript, toy délaisser memoire, apres la corporelle extinction de ton progéniteur, au commun profit des humains de ce que la Divine Essence par Astronomiques revolutions m'ont (sic) donné congnoissance"

Nous lui préférons une autre version, attestée seulement au XVIIe siècle mais selon nous reprenant un texte antérieur à celui de la version "canonique":
Ed. Antoine Besson (Lyon, s. d.)
“Ton tard avenement (...) m’a fait mettre mon loisir à continuelles vigilations nocturnes pour référer par écrit & à toy laisser un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains des singularitez & absconses evenements dont la divine Essence m'a donné cognoissance (...) et puisqu’il a plu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrienne plaide que tardivement etc.”
Texte anglais ( Théophile de Garencières, Londres, 1672) à partir d'une version française plus ancienne disparue et que l'on retrouve chez Besson, une vingtaine d'années plus tard :
Thy late coming (...) hath caused me to bestow a great deal of time in continual and nocturnal watchings that I might leave you a Memorial of me after my death (...) concerning the things which the Divine Essence hath revealed to me by Astronomical Revolutions and since it hath pleased that immortal God that thou are come late into this World etc.” The Preface to Mr Michael Nostradamus His Prophecies (sic).
On s'arrêtera pour commencer sur une incongruité grammaticale qui ne semble pas avoir été relevée à savoir une faute d'accord: à un sujet singulier, l'on fait correspondre un verbe au pluriel. "Essence" est suivi de "ont" au lieu de "a". Or, cette faute est absente de la seule édition Besson susnommée ("Essence ....a ") ainsi que de la traduction anglaise ("Essence......has")
Ajoutons que chez Besson, le texte est sensiblement plus riche:
"des singularitez & absconses evenements dont la divine Essence m'a donné cognoissance"
alors que dans la version canonique on n' a que:
"de ce que la Divine Essence par Astronomiques revolutions m'ont (sic) donné congnoissance"
Londres 1672:
"the things which the Divine Essence hath revealed to me"
On laisse au jugement du lecteur d'apprécier si l'édition Besson fut tardivement "améliorée" -comme la plupart des nostradamologues le soutiennennt - ou si -comme nous le pensons - elle est la moins corrompue.....
Mais revenons à la question du Mémoire et rappelons que pour Brind'amour dans son édition critique posthume (Droz 1996), il ne s'agit pas d'un document - un mémoire - mais bien d'une fonction - la mémoire. Masculin ou féminin : tel est l'enjeu.
Le vendredi saint (en anglais Good Friday, "le Bon Vendredi"), à l'occasion de la Fête Dieu ou du Saint Sacrement, qui précéde le dimanche de Pâques - on notera l'importance des jours de la semaine dans la fixation même de la Pâque, par rapport à l'équinoxe de printemps - on lit dans les églises un texte:
Latin : Oremus: Deus, qui nobis sub sacramento mirabili, passionis tuæ memoriam reliquisti: tribue, quæsumus, ita nos corporis et sanguinis tui sacra mysteria venerari, ut redemptionis tuæ fructum in nobis iugiter sentiamus. Qui vivis et regnas in sæcula sæculorum. R. Amen.
une traduction française : Oraison. Seigneur Jésus Christ, dans cet admirable sacrement tu nous as laissé le mémorial de ta passion ; donne-nous de vénérer d’un si grand amour les mystères de ton corps et de ton sang, que nous puissions recueillir sans cesse le fruit de la rédemption. Toi qui vis et règnes pour les siècles des siècles. Amen.
On notera que la date de la préface, à savoir le Ier mars 1555, est proche de Pâques, ce qui d'ailleurs pose le probléme du millésime (1555 ou 1556?) puisque c'est à Pâques qu'on en changeait alors, pour encore quelques années. Paradoxalement, si la lettre est antérieure à Pâques, il faudrait lire 1555 comme signifiant, pour nous....1556 tout comme la défaite de Pavie eut lieu officiellement en 1524, mais pour nous "modernes", en 1525.
Ce texte latin - qui est récurrent dans la liturgie de l'eucharistie - nous semble avoir influencé la prose de Nostradamus. Rappelons que si nous considérons la préface à César comme un faux, elle n'en est pas moins, selon nous, issue - et inspirée - d'une vraie Epitre à César, attestée par Antoine Couillard, seigneur du Pavillon.(Prophéties, 1556).
La prière catholique s'adresse à Jésus : "tu nous as laissé le mémorial de ta passion", ce qui nous semble renvoyer aux Evangiles.
L'épitre de Nostradamus, si elle s'adresse à son fils, est ici à la première personne:
“Ton tard avenement (...) m’a fait mettre mon loisir à continuelles vigilations nocturnes pour référer par écrit & à toy laisser un mémoire...."(Ed. Besson). La version anglaise comporte le mot "memorial".
La situation est en quelque sorte inverse de celle instituée par l'Eglise: c'est le père qui laisse un mémoire à son fils César à l'intention des humains et non le Fils (Jésus, fils du Père) qui laisse un mémoire aux humains.
Il reste que Nostradamus se dit directement inspiré par la "Divine Essence" (Dieu, chez les Juifs est "celui qui est") qui "lui a donné cognoissance", "au commun profit des humains".
Or, on notera que ce mémoire est censé être transmis après la mort de son auteur - ce qui est en phase avec la mort prochaine de Jésus, au sortir de la Céne (dont l'eucharistie est la commémoration, le pain et le vin, l'hostie et la coupe):
"après la corporelle extinction de ton progéniteur"
"after my death"
Selon nous, le texte en question confirme le caractère censé être posthume de l'épître. Notre thèse est la suivante: lorsqu'il s'est agi de produire l'édition de textes censés être restés inédits, et censés avoir été retrouvés dans les papiers, la bibliothèque du défunt Nostradamus, l'on récupéra l'ancienne version de l'Epitre à César, telle qu'elle était en effet, parue du vivant de l'auteur et on la transforma en texte posthume au prix de certaines retouches, à commencer par cette idée de "mémoire", sorte de testament spirituel laissé à l'intention de César.
Autrement dit, l'emprunt à la liturgie pascale ne serait nullement le fait de Michel de Nostredame mais de ceux qui, après sa mort, décidérent de publier des textes, sensiblement retouchés - et le plus souvent qu'ils versifièrent- à partir de pièces authentiques déjà parues ou non, en n'imaginant pas que l'on retrouverait les documents d'origine ou même des échos aux dits documents comme la parodie de Couillard. Le rapprochement -d'ailleurs largement confirmé par des chercheurs comme Robert Benazra - ne laisse aucun doute quant à l'existence d'une telle Préface, dans les années 1550. Pour Benazra, Couillard atteste de l'existence de la dite Préface. Pour nous, Couillard atteste du remaniement de celle-ci!
Encore une fois, faut-il rappeler, que les sources du canon centurique ne sont pas nécessairement révélatrices des méthodes de travail propres à Michel de Nostradame mais souvent celles - on pense à la Guide des Chemins de France - de ceux qui furent chargés, au sens anglais du terme, d'éditer des publications posthumes à l'authenticité très relative, vouées par la suite à des antidatations confondant la date de rédaction supposée (par exemple 1555) et la date de parution (post 1566). Tout se passe comme si l'on avait voulu, par un zèle excessif, constituer une bibliothèque nostradamique en restituant une chronologie qui aurait combiné celle des imprimés et celle des manuscrits. Faute de savoir publier des fac similés, eux-mêmes d'ailleurs contrefaits, l'on aura opté pour imprimer ce qui ne l'avait point été et n'était point supposé l'avoir été, d'où les confusions bibliographiques qui perdurent jusqu'à nos jours.

25. 10. 09

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