samedi 28 novembre 2009

La notation musicale, un mimétisme organisé

La notation musicale, un mimétisme organisé
par Jacques HalBronn


En tant que compositeur - encore faudrait-il préciser l'acception de ce mot - nous ne pensons pas que le fait de réaliser une partition fasse partie intégrante du "métier".
Dans le cas de la peinture, il suffit de copier et il n'est pas nécessaire de donner des instructions sur la manière dont on doit s'y prendre: c'est le résultat final qui est fourni et qui peut être conservé.
Dans le cas de la musique, jusqu'à l'invention des enregistrements, à la fin du XIXe siècle, le résultat final se serait perdu s'il n'y avait pas eu de partition mais en même temps une partition ne "parle" pas aussi directement qu'une peinture, sauf peut être pour de relativement rares initiés.
La musique, en ce sens, a longtemps été défavorisée par rapport à la peinture.
Selon nous, le compositeur ne réalisait de partition que pour aider d'autres à l'imiter voire à le remplacer. C'est un processus de démultiplication tout comme un écrivain mettait par écrit pour qu'à haute voix d'autres puissent le prolonger, le relayer.
La peinture est au demeurant proche de l'écriture et elle est même quelque part écriture ou l'écriture peinture.(idéogrammes); Il est possible qu'un de ses rôles ait été de donner le climat d'une oeuvre musicale, ce que la notation musicale n'aurait pas suffi à rendre. Pour nous la production visuelle, au départ, est le prolongement et le substitut de la production orale. L'une d'ailleurs a besoin de lumière, pas l'autre. La nuit, seule l'oralité peut exister, sauf recours au feu, à la lumière artificielle. Le jour prolonge la nuit comme l'écrit l'oral. Dans la tradition juive, l'on parle d'un passage de la tradition orale (be alpé; de la bouche) à la tradition écrite (bikhtav), notamment en ce qui concerne l'élaboration du Talmud.
Le scribe a vocation à faire l'interface entre l'orateur, le compositeur et ceux qui sont prêts à l'imiter, pour quelque raison que ce soit. On voit bien d'ailleurs, dans un concert, que l'on applaudit l'interprète, celui qui se sert d'une partition, comme s'il s'agissait du compositeur : on peut même dire que les deux ne font qu'un, pour le dit public.
Il y a dans le mort Art, une connotation d'artifice et l'on voit bien à quel point cela est juste. Sauf à entendre un compositeur improviser devant vous, on est toujours dans l'artifice, dans le faux semblant; dans une certaine illusion d'optique.
Dès qu'un écrit existe (et cela vaut aussi pour une carte du ciel dans le cas d'un astrologue, par exemple), il y a quelque chose de l'ordre d'une mystification qui se trame, étant entendu que le progrés est souvent motivé par quelque forme de mystification. On pense à ces automates joueurs d'échecs au statut ambigu.
Celui qui lit une partition nous fait d'ailleurs penser à un "pick up", à un "tourne disques" vivant. On lui fournit le document et il en sort du son. Le lecteur devient une machine. L'enfant qui apprend à lire "à voix haute" acquiert ipso facto un statut de machine.
Le statut du scribe n'est pas celui du lecteur. Il lui est supérieur. Et d'ailleurs de nos jours, il n'est pas facile de trouver un bon scribe alors que les lecteurs sont légion, du fait de l'alphabétisation qui, il est vrai, n'inclut que rarement, de nos jours, le solfége, ce qui est probablement dommage.
Le scribe, en effet, a le talent-plus ou moins grand - de transcrire de l'oral - et il est évident ici que nous assimilons tout son à de l'oralité même quand la bouche n'intervient pas- encore qu'il soit coutumier d'attendre du compositeur lui-même qu'il soit son propre scribe tout comme de l'auteur qu'il soit son propre "écrivain", le terme écrivain ayant fini par s'imposer alors qu'à la base il est de la même racine que "scribe". Qu'un romancier se désigne comme écrivain est assez insolite! Il fut un temps, encore pas si lointain, où un auteur dictait son propos à quelque secrétaire.(on pense à Napoléon)
Le scribe est en position d’interface. Il a le don de "traduire" d'un registre à l'autre. Qu'il y ait scribe évite d'ailleurs de confondre l'œuvre et sa transcription, aussi heureuse fût-elle. Car la partition n'est pas l'œuvre pas plus que la carte n'est le territoire (sémantique générale d'Alfred Korzybski)
De nos jours, avec les enregistrements, une œuvre musicale mais aussi un discours, par exemple, peuvent exister et se diffuser sans le truchement d'une transcription mais à partir de là cette œuvre devient inimitable. A la différence de la peinture où le copiste ne reproduit jamais parfaitement à l'identique son modèle, on ne peut copier une musique enregistrée que sous la forme d'une transcription qui devra passer par un interprète à un stade ultérieur. Et de plus en plus rares ceux qui sont aptes à transcrire une musique, d'autant que cela peut sembler assez vain en raison des enregistrements. Mais peut-on organiser des concerts pour entendre des enregistrements? C'est toute une vie sociale qui est compromise en ce qui concerne la musique contemporaine. Telle est probablement une des raisons de son absence dans la programmation. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas carrément laisser une plus grande place à l'improvisation, comme on le fait pour le jazz? On attend des concerts où une partie du programme soit vouée à l'improvisation.
L'invention des divers modes de transcription, de notation, aura, selon nous, généré une sorte de sous-humanité, privée de la lettre pour ne plus avoir que l'esprit puisque la lettre est fournie d'office. Une humanité qui se satisfait de partir d'un support, d'un substrat fourni par d'autres; plus ou moins idéalisés mais aussi que l'on tend à vouloir remplacer, à faire oublier, à éclipser par son talent d'interprète, qui (re)donne vie à un objet inanimé, tel une sorte de magicien..





JHB
19. 10. 09

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