samedi 28 novembre 2009

Le piège des supports astronomiques pour l'astrologie

par Jacques HalBronn


A partir du moment où l'on fige le langage sur des objets, il y a un fort risque de sclérose. Souvent dans la conversation, les gens se référent à tel objet portant tel nom pour montrer que ce qu'ils disent est évident alors qu'ils traitent de questions abstraites. Comme disait Boileau, il faut " appeler un chat un chat". Mais peut-on en faire autant pour l'amour, par exemple à moins de parler du sexe? L'astronomie a ainsi cristallisé toute une série de mots et il nous semble que ce faisant elle a entrainé la pensée humaine et plus spécifiquement la pensée astrologique sur de fausses voies. Certains astrologues, comme Patrice Guinard (voir son "Manifeste", sur son site cura.free.fr) ont au contraire vu dans ce processus un progrès, voire une supériorité par rapport à la philosophie ordinaire. Guinard a qualifié cette diversité qu'offre l'astrologie, à travers l'astronomie, de matrice (voir son texte, paru dans la revue "Trois Sept onze", n°22, mars 2001, et sur le site du RAO, "L'astrologie entre savoir et croyance"). D'autres, comme Alain Gauthier, présentent les signes du zodiaque comme des archétypes (voir interview sur teleprovidence)
Nous commencerons par revenir sur l'article sus nommé de Patrice Guinard, lequel nous interpelle à deux reprises autour de la question de matricialité que nous n'aurions pas bien comprise dans son Manifeste. Ce qui nous distingue (voir notre ouvrage de 1986 "L'étrange Histoire de l'Astrologie, Paris, Ed. Artefact), c'est le fait que selon nous l'astrologie est une création humaine mais en disant cela nous n'en relativisons pas pour autant la réalité car nous "croyons" à la créativité de l'esprit humain et plus précisément à ses facultés d'auto-programmation. Pour Guinard, en revanche, il faudrait que l'astrologie, en tant que réalité, existât en soi dès le départ et non pas en tant que processus ayant fini par exister avec le Temps. Or, pour nous, le facteur Temps est la condition même de toute incarnation dans le réel..
Le mot "astrologues" pourrait ici porter à confusion: ce ne sont pas les astrologues qui ont fait l'astrologie mais les hommes. Les astrologues ont vocation à retrouver ce que les hommes ont généré au niveau de leurs rapports au cosmos. On peut certes qualifier ceux qui ont fixé la nature de ces rapports d'astrologues mais on ne se situe pas du tout dans les deux cas dans un seul et même temps. Mais l'on peut aussi distinguer les astrologues législateurs qui ont fixé certaines lois assises sur certaines configurations arbitrairement découpées et les astrologues exégétes dont nous sommes les successeurs qui depuis des millénaires ont cherché à exhumer les dites lois d'autant plus actives que largement oubliées au niveau culturel et remplacées par un corpus diffus constitué par ce qu'on a coutume d'appeler la "tradition" astrologique. Entre ces deux plans, un hiatus que pour notre part nous essayons de résorber, faute de quoi l'Humanité évolue en une sorte de schizophrénie, du fait du décalage entre ces deux 'astrologies, celle qui existe réellement - tout en étant l'œuvre des hommes d'autrefois - et celle qui est supposée la décrire et qui tombe dans des pièges épistémologiques liés à la méta-astronomie, laquelle nomme à sa façon ses objets (planètes, constellations, signes zodiacaux etc)
Citons Patrice Guinard, toujours dans le même article :
"C'est parce que le signal Matricialité enfin, car ces rythmes ne peuvent s'enraciner vraiment qu'en raison d'une cristallisation d'ordre structural". Mais d'ajouter: "Et la Matrice n'est pas, définitivement, ce que certains entendent par là, notamment Jacques Halbronn qui s'est récemment emparé de ce terme ("approche matricielle" ou "matricialiste" du ciel), suite à sa lecture de mon Manifeste. Il n'y a pas lieu de parler "d'astro-matricialistes", car toutes les approches de l'astrologie sont "matricialistes" par définition, y compris la sienne, dès lors qu'elles mettent en place un modèle, serait-il celui réduit à Saturne, aux luminaires et à deux étoiles. La première proto-astrologie des hommes du paléolithique était plus simple encore : elle ne comprenait que le Soleil et la Lune, ce qui ne l'empêchait pas, déjà, d'être matricielle"
En fait, si nous comprenons bien, les astrologues-et plus largement les hommes depuis toujours et notamment les philosophes quand ils introduisent des classifications (quaternaire, par exemple) - chercheraient intuitivement à retrouver une matrice sous jacente et les réponses apportées ne seraient que des tentatives pour y parvenir
Guinard : "La matrice est le foyer de rencontre et d'harmonisation des structures astrologiques (Zodiaque, Planétaire, Dominion et Cyclade et non une de ces structures, comme le croit Halbronn. Un ensemble de douze signes est une structure, rien de plus, de même un ensemble de dix planètes". La matrice est l'objet idéal de la rencontre de ces structures; elle ne doit pas être confondue avec l'une ou l'autre de ces structures, et encore moins avec les modèles qui en rendent compte. (..) La matrice est inconnaissable par définition : elle est l'éternel objet ou projet du savoir astrologique"

Citons la description -conférence (Séminaire de Vilnius, sur l'Astrologie Mondiale)- que Charles Ridoux ("divers aspects de l'actualité astrologique en France", repris sur le site ridoux.fr) donnait, en 2005, de la "raison matricielle":
"Elle correspond à une donnée profonde du réel qui consiste en une « structuration quaternaire du psychisme », à une « quadripartition du réel par l’esprit », que Patrice Guinard voit à l’œuvre dans toute activité de l’esprit. C’est cette logique matricielle fondée sur le quaternaire qui conduit Patrice Guinard à discerner quatre structures fondamentales de l’astrologie qui résultent de quatre modes de décomposition du réel par la pensée. Et de citer Guinard : " Je désigne les quatre structures cardinales de l'astrologie, qui apparaissent déjà chez les Grecs, par les termes de Planétaire (ou ensemble structuré des Planètes), de Dominion (ou ensemble structuré des Maisons), de Cyclade (ou ensemble structuré des Cycles, Aspects et Ages planétaires), et bien sûr de Zodiaque (ou ensemble structuré des Signes zodiacaux). (…) Les Planètes représentent les modes de perception du réel, les Maisons les modes de relation du sujet au réel perçu, les Cycles les modes de variation de ces relations, les Signes les modes de fixation du sujet après stabilisation de ces variations."

Selon nous, l'idée d'un quaternaire est parfaitement illusoire, elle relève de ces tentatives d'appréhension de la réalité astrologique mais elle est victime de certaines apparences dictées justement par l'astronomie mais aussi par les aléas des astro- programmations humaines, ce que nie Guinard.
Qui contesterait, en effet, que le 4 ne nous fût dicté par une certaine observation du ciel et notamment des rapports soleil-lune? On pourrait énumérer les 4 semaines, les 4 saisons, les 4 points cardinaux, les 4 Etoiles fixes royales etc etc, aux fondements plus ou moins objectifs.
Or, nous avons montré qu'il ne fallait pas s'arrêter au 4. Dans le cas de l'Astrologie 4 Etoiles, nous découpons certes le cycle de Saturne du fait du balisage des 4 Etoiles Royales mais nous nous gardons bien de différencier les 4 étoiles entre elles, si bien que nous restons dans la dualité : Saturne se conjoint et se disjoint et ainsi de suite. De même en ce qui concerne le cycle lunaire, on est également dans la dualité, du fait de la symétrie du passage de la nouvelle lune à la pleine lune et de la pleine lune à la nouvelle lune (symétrie exprimée par le dispositif des doubles domiciles, voir notre récent interview, sur teleprovidence, réalisé par Mirelle Petit, le 11.10. 09), lequel dispositif a été mise en pièces par une astrologie contemporaine recourant aux planètes transsaturniennes. Rudhyar aura erré en s'attardant sur la diversité des phases lunaires au regard de l'astrologie (cycle de la lunaison).
Guinard distingue pour mener à bien sa démonstration les signes et les maisons (qu'il appelle Dominion) -outre les aspects ( la Cyclade) et le Planétaire. Il s'agit là plus d'un constat historique que d'un quelconque impératif métaphysique. On est d'ailleurs ici dans la logique du thème astral, lequel intègre les 4 registres sur lesquels Guinard se focalise. Ce thème syncrétisant signes, planètes, maisons, aspects. Nous avons déjà dénoncé pareil amalgame syncrétique et la non viabilité du thème natal sous la dite forme, notamment la cohabitation au sein d'un même schéma d'une astrologie/astronomie articulée sur la rotation de la Terre et d'une astrologie articulée sur les révolutions planétaires. De même, les aspects nous apparaissent comme une aberration (notamment avec les transits qui en sont une dérivation) dans le contexte du moment de naissance. En fait, le thème natal est fondé sur une dualité : planètes/maisons (et l'on retrouve la symétrie ascendant/descendant, qui reste dans le 2 et non dans le 4, tout comme d'ailleurs les saisons avec les 2 équinoxes) tout comme la cyclicité l'est sur la dualité planètes/étoiles. A ce propos, on notera que Guinard reste lié au zodiaque et ne mentionne aucunement les étoiles fixes dont le zodiaque n'est qu'un conglomérat, que ce soit sous la forme des constellations ou des "signes", les aspects ne faisant sens qu'entre planètes et étoiles et à la rigueur entre planètes mais non du fait du passage d'une planète dans un signe ou dans une constellation.. Mais ce que semble ignorer Patrice Guinard, c'est que nous avons affaire ici à deux astrologies bien distinctes, la rotationnelle (planète passant à l'horizon et au méridien) et la révolutionnelle (planètes en aspect avec d'autres astres) dont l'existence se constate certes mais relevant de deux astrologies visant l'une comme l'autre la dualité. Que le corpus astrologique ait réuni ces deux dualités ne suffit pas à faire la preuve d'une structure quaternaire!!! Deux plus deux ne font pas quatre, ici....
En tout état de cause, nous ne pensons pas que l'on puisse séparer planètes, aspects et zodiaque comme le propose Guinard: en astrologie, les astres n'existent que dans la mesure où ils sont en configuration, donc en aspect et le zodiaque n'est en fait à la base qu'un balisage du parcours des planètes et n'a pas non plus d'existence en soi.
Pour en revenir aux pièges tendus par le support astronomique, il est clair que le fait que l'on ait un certain nombre de planètes, de signes, de maisons, d'aspects, aura conduit à l'illusion d'une astrologie dépassant le deux et même le quatre et qui finalement est une astrologie en miettes, et sur ce point nous tomberons probablement d'accord avec P. Guinard lequel s'est arrêté à mi-chemin.
Certes, il existe un grand nombre de dieux, dans les panthéons (comme le nom l'indique). mais ce ne sont en vérité que les manifestations, les avatars d'une seule et même force qui se trouve déclinée sous diverses formes, comme c'est le cas pour une langue dont les racines connaissent toutes sortes de dérivations, de suffixations, de conjugaisons. La question de la dénomination est assurément la cause d'une certaine illusion de multiplicité. Si dans une famille, il y a dix enfants, il faut bien leur donner des noms pour les distinguer (voir les 12 tribus d'Israël) mais cela vaut aussi pour les mois de l'année et pour toute série que l'on ne peut ou veut désigner sous une forme globale, trop vague. C'est alors que nous disons que le recours à l'astronomie peut se révéler pervers - même s'il s'avère productif comme dans le cas des cinq planètes gauqueliniennes- puisqu'il va cristalliser et finalement autonomiser les subdivisions ainsi déterminées. Désormais, les astrologues ne percevront plus le dieu qu'au prisme de la planète qui porte ce nom. Quitte à éliminer du corpus astrologique les dieux non affectés à un astre, du moins jusqu'à l'époque moderne, du fait de la découverte de nouveaux astres. Et l'on sait la fortune de ces nouvelles dénominations pour l'astrologie contemporaine!
Or, le dispositif des domiciles qui attribuent des dieux aux signes ne se référait pas aux planètes mais bien aux dieux puisque ces planètes ne pouvaient se trouver en permanence dans les signes qui leur étaient attribués.... (voir Manilius sur le rapport signes/dieux)
En conclusion, nous dirons que l'astronomie aura contribué à cristalliser la pensée humaine, à la prendre à son propre piège, l'empêchant ainsi de remonter vers le concept central, ce qui est la marque même d'un refus de la dualité, qui est au cœur même de toute cyclicité.
Concernant Guinard, nous serons d'accord avec lui sur l'idée d'une réalité sous jacente à découvrir, mais il ne s'agit pas du Quatre mais bien du Deux et il est regrettable que voulant en fait légitimer ce que l'astrologie était devenue, il n'ait pas compris en quoi le 4 n'était qu'une apparence due au fait que tout processus passe par une évolution et par une involution et qu'au cours de chacune de ces deux phases, il atteint un mi-point, une phase ne faisant que répliquer l'autre. Si je vais à cheval de Paris à Orléans aller retour, à mi chemin je passerai par une "crise", du fait de l'éloignement tant du point d'origine que du point d'arrivée. Et qu'il en sera de même au retour. Est-on pour autant dans le 4? Nous pensons que la dualité est la référence et notamment au regard du jour et de la nuit; l'aube et le crépuscule étant symétriques, jeu de miroirs. Même les 4 saisons n'en font en fait que deux, les temps intermédiaires étant inhérents structurellement au fait même du passage d'un pôle à l'autre. En réalité, cette dualité est elle-même réductible au 1 tout comme la nuit n'est qu'une absence de jour et l'Hiver une absence de soleil (inversée d'un hémisphère à l'autre). Dans notre civilisation judéo-chrétienne monothéiste -et il faut inclure l'Islam dans un tel tableau - comment une astrologie du 4 pourrait-elle avoir droit de cité? Telle est la vraie réponse à la question que se pose Patrice Guinard quat au rejet de l'astrologie. Quand l'astrologie retrouvera le Un et le Deux, qui en est le corollaire, les choses iront probablement autrement. Le veau d'or, c'est la cristallisation d'un concept et pis encore de l'un de ses attributs, de telle sorte que le dit attribut ne puisse être réintégré et ressourcé. L'astronomie nous apparait donc comme le propre même de la tentation de l'image, elle favorise le polythéisme. A contrario, l'astrologie une fois ressourcée et recentrée est bien plus en phase avec le monothéisme, à condition de ne pas s'embourber dans l'astronomico-mythologique et pis encore dans le zodiaco-symbolique..


JHB
18. 10. 09

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