Misère de la recherche académique et universitaire
sur nostradamus
Il faut chercher péniblement dans les revues, comptes-rendus
et actes de colloques spécialisés, ou douteusement prétendus
tels pour les études nostradamiennes, de rarissimes articles susceptibles
de contenir quelque information substantielle concernant Nostradamus. Quatre
siècles après les ouvrages de Chavigny, secrétaire
de Nostradamus jusqu'à son décès sous le nom de Jean
de Chevigny, la situation n'a guère évolué. Mis à
part les essais de Pierre Brind'Amour, décédé, et
qui a obtenu une aide au Canada pour entreprendre son ouvrage de 1993,
la recherche vivante se développe principalement chez des passionnés,
à l'écart des institutions culturelles. Force est de constater
qu'elle continue de proliférer en dehors des cercles académiques,
dans l'édition dite populaire et maintenant sur internet. De pseudo-spécialistes
et des fonctionnaires patentés et rétribués par les
institutions culturelles étatiques, que ce soit en France ou à
l'étranger, sont parfois commandités par des éditeurs
et responsables de collection pour couvrir un sujet pour lequel ils n'ont
pas la connaissance requise. C'est ainsi qu'on découvre avec une
certaine stupéfaction des erreurs, des contre-vérités,
des problématiques et des propos désuets dans les articles
les plus récents. J'en étudierai quelques uns pour la période
2001-2006.
Gérard Morisse observe dans la
Revue Française d'Histoire
du Livre que Nostradamus "ne commence que bien timidement à
être toléré dans certains magasins de bibliothèques
universitaires, sans doute exaspérées [les bibliothèques ?] par
les diverses interprétations des
Prophéties." (n.122-125, Bordeaux, 2004, p.293). Il reste
effectivement d'immenses rattrapages à effectuer, et il n'existe
par exemple aucune édition des
Prophéties à l'université
toulousaine (la quatrième ville universitaire de l'hexagone après
Paris-Versailles-Créteil, Lille et Lyon), pas plus que dans le
Réseau
des bibliothèques universitaires de Toulouse et de Midi-Pyrénées,
ni ancienne, ni récente, alors que la médiathèque municipale d'Albi
possède le seul exemplaire connu de la toute première édition des
Prophéties ! La dite "exaspération" et les états
d'âme des spécialistes ne datent pas d'hier, et la raison
invoquée semble bien insuffisante pour expliquer ces lacunes et
ces tares. En réalité la politique d'acquisition des bibliothèques
universitaires françaises en ce qui concerne Nostradamus et dans
des domaines proches comme l'astrologie ou l'histoire de l'astrologie (cf.
ma thèse de 1993) relève d'hostilités viscérales,
de présupposés idéologiques, et d'un obscurantisme
maladif, issus des idéologies positivistes et pseudo-rationnelles
des
XVIIIe et
XIXe siècles.
Morisse note l'intérêt universel pour Nostradamus via une
comparaison établie (en 2004 ?) à l'aide du moteur de recherche
Google : 569.000 de pages indexées pour Nostradamus, 184.000 pour
Rabelais, et 97.700 pour Ronsard (p.42 de son intoduction à Nostradamus
: cf.
infra). En mars 2006, j'ai noté 6.000.000 de pages
pour Montaigne, 4.500.000 pour Rabelais, 3.000.000 "seulement" pour Nostradamus
et 1.000.000 pour Ronsard, mais à la mi-mai 2007 : 8.440.000 de
pages pour Nostradamus, 7.250.000 pour Montaigne, 2.660.000 pour Rabelais
et 1.030.000 pour Ronsard, à comparer aussi aux 45.700.000 entrées
pour Shakespeare, aux 23.400.000 pour Cervantes, aux 20.500.000 pour Erasmus,
et aux 10.400.000 pour Descartes. Ainsi Michel de Nostredame serait en
passe de devenir d'ici peu l'auteur français le plus présent
sur la toile.
"Nostradamus représente ce qu'il y a de meilleur dans la civilisation
provençale de l'époque", note Emmanuel Le Roy Ladurie qui
se déclare à raison sceptique sur les interprétations
d'un Prévost forçant le sens des quatrains pour l'enserrer
dans le carcan de chroniques moyenâgeuses reconstituées :
"Nostradamus est un grand poète : l'obscurité même
de ses textes fait de lui en quelque mesure le contemporain de nos poètes
actuels, qui sont souvent fort obscurs, mais très éloignés
d'avoir son talent." (in Le Figaro magazine, n.17055, 1999, p.64). "Nostradamus,
en fait, est un grand poète, à l'hermétisme fascinant,
qui se situe pour moi quelque part entre Mallarmé et Saint-John
Perse." ajoute-t-il en 2001 ("Le roman de la Provence", in Nouvel Observateur,
n.1918, 2001). Et c'est bien en effet vers l'analyse poétique que
s'orientent la plupart des articles récents. Soulignons cependant
que la survie et la renommée de Nostradamus ne proviennent aucunement
des recherches académiques, mais des études d'autodidactes
passionnés, parfois aux lectures jugées irrecevables pour
la petite raison consensuelle, et de son immense influence sur l'inconscient
collectif populaire. Et si les recherches académiques, universitaires
et para-universitaires amorcent quelque récent intérêt
pour l'astrophile salonnais, elles conserveront une dette vis-à-vis
des études antérieures, ne leur en déplaise.
1. Gilles Polizzi : "Au sanguinaire le nombre raconté
: le thème millénariste dans les Prophéties de Nostradamus"
in
Formes du millénarisme en Europe à l'aube des temps
modernes, Actes du Colloque international de l'Association "Renaissance,
Humanisme, Réforme" (Marseille, 10-12 septembre 1998), éd.
Jean-Raymond Fanlo & André Tournon, Paris, Honoré Champion,
2001
L'universitaire mulhousien expose à nouveau, dans la première
partie de son article, son idée d'une écriture éclatée
rendue par la technique du "cut-up" expérimentée par William
Burroughs dans les années soixante, à partir d'un matériel
provenant de sources diverses, et notamment de l'histoire romaine : "Ne pourrait-on voir
dans les Centuries l'agencement ingénieux de matériaux choisis pour "prendre au piège" les aléas de l'histoire future ?"
(Polizzi, "
'Lac trasmenien portera tesmoignage' ou de
l'usage de l'Histoire Romaine dans les Centuries", in
Nostradamus
ou le savoir transmis, Lyon, 1997, p.72). La composition des quatrains relèverait
de la parataxe (c'est-à-dire d'une syntaxe "disjonctive et contournée")
et du collage aléatoire de syntagmes, repérés principalement
par des noms et vocables empruntés à l'histoire romaine.
L'observation d'emprunts aux poètes et aux historiens romains
est relativement aisée dès lors que les patronymes d'empereurs
et de généraux figurent explicitement dans le texte, et ce
dès les premiers almanachs et pronostications de Nostradamus, comme
dans les extraits de la
Pronostication pour l'an 1550 conservés
par Chavigny : "le siecle de Sylla ou de Marius est de retour" (PP50-2),
ou l'expression "
metuens Poenos Gallumque ferocem" (PP50-3) qui
semble provenir de l'
Histoire romaine de Florus (cf.
CN 2). Cependant si l'identification du contexte est aisée,
la reconnaissance de la source effective l'est beaucoup moins, et il ne
suffit pas d'avoir repéré quelques vocables pour
ipso
facto avoir identifié la source avec certitude, et nombre de
passages repérés par Georges Dumézil et Pierre Brind'Amour
n'échappent pas à cette ambiguïté. Comme je l'ai
montré récemment, les deux premiers vers du quatrain 84 de
la première Centurie ne s'inspirent pas des
Géorgiques
de Virgile comme l'affirme Brind'Amour (1996, p.165), mais des
Poemata
d'Ulrich von Hutten (cf.
CN 47). Ce
qui ne signifie pas que ces vers doivent s'appliquer
stricto sensu au
contexte défini par cette source (cf. mon texte : "
Nostradamus
connaissait-il les planètes trans-saturniennes ?",
CURA,
2000 & Atlantis, 404, 2001).
La distinction entre le contexte historique et la source effective est
d'autant plus minimisée dans l'hypothèse de Polizzi que la
technique du collage laisse une marge infiniment extensible à l'interprétation.
L'exégèse s'en trouve facilitée puisqu'il suffit dès
lors d'isoler chaque vers et même chaque syntagme, sans préoccupation
pour l'unité du quatrain, ou même du vers, remise en cause
et niée. Dans cette hypothèse le quatrain ne signifie rien
ou pas grand chose, et "Nostradamus ne sait pas toujours ce que son propre
texte "veut dire"." (p.433). L'analyse déconstructiviste, très
prisée depuis les travaux de Derrida, permet à bon compte
de faire l'économie de la recherche sémantique en admettant
l'interchangeabilité des syntagmes et en présupposant "la
production d'un sens aléatoire" (p.433).
J'estime pour ma part que la confusion entre le contexte apparent, la
source effective (si elle existe), et le sens qui doit être recherché
pour chaque quatrain, est préjudiciable à l'exégèse.
La cohérence de la préface à César ne fait
nullement apparaître les dites techniques de collage, et les emprunts
à Savonarole et au cyclologue Richard Roussat sont toujours arrangés
et modifiés pour illustrer le discours et le mettre en perspective.
Plus qu'une composition systématique par cut-up, le texte intègre
certains éléments du passé afin d'éclairer
des situations historiques comparables dans une configuration répétitive
de l'histoire. Cette mise en perspective est le principal outil au service
d'une vision cyclique de l'histoire et de la figure d'un Janus bi- ou tricéphale
(cf. ma récente analyse de "La lettre de Nostradamus à César",
CN 33).
En revanche, dans la logique du cut-up revendiquée par Polizzi
-- ou plutôt dans son illogique ! -- il ne reste plus qu'à
cerner les thèmes récurrents du texte, tâche faisant
l'objet de la seconde partie de l'article. Polizzi a choisi les motifs
se rattachant au thème millénariste : changement et rénovation,
cycles planétaires et retour saturnien, déluge, famine et
fléaux divers, multiplication des sectes, persécutions de
l'Église, séductions de l'Antéchrist, retour de l'esprit
divin. Outre l'hétérogénéité de ces
prétendus motifs d'une topique qui apparaît peu de manière
explicite dans le texte, on pourra regretter leur manque d'articulation
et l'absence d'un schème qui les coordonne.
La temporalité cyclique et l'annonce du retour d'un état
du monde quasi immaculé mis en évidence dans la première
préface sont minimisées. Comme le suggère Nostradamus
à la fin de son texte (au paragraphe 40 de mon édition),
la seconde préface (1558), est déjà conçue
en 1555 comme une illustration détaillée du cadre cyclique
général mis en place dans la première, laquelle reste
curieusement ignorée par Polizzi (cf.
CN
33). Il est étonnant que son exposé ne s'appuie pas
en premier lieu sur ce texte. Les connotations millénaristes chez
Nostradamus, relativement accessoires, s'inscrivent dans un schéma
cyclique d'ensemble. Autrement dit, ce n'est pas le thème des cycles
planétaires qui serait une articulation du thème millénariste,
mais bien l'inverse : c'est parce que le décompte millénariste
coïncide avec des échéances cycliques que les connotations
millénaristes apparaissent en trompe-l'oeil dans le discours, comme
la date de 1999 dans le quatrain 72 de la centurie X.
Faute d'avoir cerné ou compris le canevas présenté
dans la préface à César, Polizzi en est conduit à
déambuler aléatoirement, un peu à l'image de la méthode
qu'il préconise, dans les méandres du texte nostradamien
dont il ponctionne quelques vers et syntagmes au hasard de l'analyse.
Pour le détail, signalons les trois points suivants :
-
Nostradamus aurait "toujours pris ses distances" avec "le cadre de la 'technique'
astrologique" (p.430). C'est faux, et il suffit de lire la préface
à César pour se persuader qu'il a au contraire voulu inscrire
son inspiration et son intention prophétiques dans le contexte précisément
délimité des cycles planétaires, quelles que soient
les techniques astrologiques qu'il ait utilisées.
-
Polizzi prend curieusement ses citations de la seconde partie des Prophéties
(contenant la préface à Henry et les centuries 8 à 10)
dans une édition tardive, à savoir une édition Pierre
Rigaud (c.1603, BM Lyon Res 808.163), ignorant
le fac-similé d'une édition Benoist Rigaud de "1568" paru
en 2000 ainsi que les exemplaires accessibles signalés par Ruzo
et les bibliographes ultérieurs, alors même qu'il souligne
la nécessité de s'appuyer sur le texte des premières
éditions (p.434). A l'occasion il signale les travaux iconoclastes
et facétieux de J. Halbronn (p.435), et loue le travail critique
de Brind'Amour qui aurait rétabli les "bonnes" graphies "d'après
la source" (p.434). Rappelons que pour la première partie des Prophéties,
des fac-similés des éditions de 1555 et 1557 sont parus et
ont été préfacés par Robert Benazra en 1984
et 1993, et que pour la seconde partie, Brind'Amour ne s'appuie que sur
une édition rouennaise du XVIIe siècle
!
-
Enfin Polizzi a observé (pp.430 & 450) -- sans s'engager plus
avant -- quelques coïncidences numérologiques entre le nombre
666, du nom de la bête de l'apocalypse de Jean, le thème de
l'antéchrist et des sectes hérétiques, et le nombre
attribué aux quatrains s'y rapportant, à savoir les quatrains
VIII-77 (= 777) : "L'antechrist trois bien tost annichilez / Vingt &
sept ans sang durera sa guerre" (vers A-B), X-66 (= 966) : "Roy
Reb. auront un si faulx antechrist" (vers C), et VI-66 (= 566) : "Au
fondement de la nouvelle secte" (vers A). Ajoutons que ces quatrains
se relient aisément au nombre johannique rapporté à
l'unité, à la centaine, et au nombre 3 souligné à
deux reprises dans le quatrain VIII-77 (3 étant la racine cubique
du nombre 27) : 777 = 666 + 111 ; 566 = 666 - 100 ; 966 = 666 + 300. Ce
dispositif corrobore l'organisation tripartite de sous-systèmes
cryptonumériques au sein du texte nostradamien, que j'ai déjà
observée dans de précédents textes (Pour des observations
similaires dans la traduction du livre d'Horapollon, cf.
CN 28).
2. Claude-Gilbert Dubois : "L'invention prédictive
dans les Prophéties de Nostradamus"
in
Ésotérismes, gnoses & imaginaire symbolique,
Mélanges offerts à Antoine Faivre, éd. Richard Caron,
Joscelyn Godwin, Wouter Hanegraaff & Jean-Louis Vieillard-Baron, Leuven,
Peeters, 2001
Le texte s'inscrit dans une approche littéraire similaire à
celle de l'article précédent, mais sans pour autant renoncer
à la dimension oraculaire des
Prophéties : "le temps
futur y est perçu en miettes, sous forme de mosaïque déglinguée.
(...) C'est du tachisme, c'est du pointillisme, qui utilise sciemment une
technique déconstructionniste." (p.552). Malheureusement, l'article
est mal informé, très en retard par rapport aux recherches
actuelles, et se contente de reprendre quelques interprétations
communes, incluant le quatrain apocryphe du "fourchu" déjà
signalé par Étienne Tabourot en 1583 et qui apparaît
dans une édition troyenne datée de 1605. Dubois note que
les ouvrages "interprétatifs" actuellement les plus usités
seraient ceux de Serge Hutin (1972) et du fils Fontbrune (1980). Peut-être
en France, et encore, mais qu'importe. Il mentionne une "réédition"
(!) de la
Bibliographie Nostradamus de Chomarat, publiée
à "Lyon" (!) en "1984" (!), un ouvrage que visiblement il n'a pas
consulté, et s'attarde sur le fameux quatrain de Varennes (IX 20)
tout en ignorant les deux principales contributions à son exégèse,
à savoir l'interprétation de Georges Dumézil (1984)
et l'article de Chantal Liaroutzos (1986), lequel n'invalide pas le canevas
proposé par le célèbre mythologue contrairement à
ce qui est affirmé dans les cercles sceptiques. Au final on estimera
qu'Antoine Faivre méritait mieux que ce fourre-tout superficiel
et mal documenté.
Dans un article paru en 2004, "
La mise en forme du style "oraculaire"
dans le français du XVIe siècle" (in
Les normes du
dire au XVIe siècle, Actes du colloque de Rouen (15-17 novembre
2001), éd. Jean-Claude Arnould et Gérard Milhe Poutingon,
Paris, Honoré Champion, 2004), l'auteur revient sur son interprétation
tachiste, apparentée aux tags muraux contemporains, laquelle marquerait
une "série de visions instantanées, de
flashes, sans lien entre
elles" (p.31), qui serait caractéristique du style oral et oraculaire du salonnais,
comme dans le vers III-12A (
Par la tumeur de Heb. Po, Tag. Timbre & Rosne)
ou dans le fameux quatrain onomatopéique XII-4 (
Feu, flamme,
faim, furt, farouche, fumée / Fera faillir, froissant fort, foy
faucher, etc), transcrit par Chavigny dans son
Janus en 1594.
Hélas l'auteur qui s'appuie sur l'édition périmée
de Serge Hutin (1966), transcrit "surt" pour "furt" et "Rome" pour "Rosne"
! Plusieurs oeuvres sont mises à contribution, comme
Les Tragiques
d'Agrippa
d'Aubigné, dans ce sujet trop vaste pour un propos si mince, sans
qu'il en ressorte quelque conclusion satisfaisante, ni comparativement,
ni même relativement à chacun des textes survolés.
3. Yvonne Bellenger : "Nostradamus prophète
de malheur"
in Travaux de Littérature, 16, 2003
Cet article est un supplice pour les yeux et pour l'esprit. Il ne développe
aucune analyse substantielle, mais agglutine certains témoignages
et textes hostiles à Nostradamus ou cités en ce sens, avec
une prédilection pour l'invective de Laurent Videl (1558), l'ouvrage
dépassé de Jacques Boulenger (1943), et celui de Liberté
LeVert, alias Everett Bleiler (1979), sans oser cependant s'appuyer sur
celui de James Randi (1993), le best-seller ignorant des cercles sceptiques
et zététiques anti-nostradamistes. Parsemé d'erreurs
et de confusions, voire d'expressions volontairement désobligeantes
et censées épouser un sujet "mal-traité" ("les catastrophes
naturelles dont les almanachs font leur beurre" (p.243), "c'est évidemment
de cette inquiétude que les faiseurs d'almanachs tirent leur fonds
de commerce." (p.245), etc), il s'achève sur un affligeant constat
concernant Nostradamus, à contre-courant des meilleures études
récentes, à commencer par celle de Brind'Amour, quand bien
même nous en avons ici même souligné certaines limites
: "Imposteur, donc [sic], charlatan, exploiteur cynique de la crédulité
ordinaire ..." (p.256). L'article s'inspire davantage de certaines affirmations
et positions de principe de LeVert ("a canny businessman (...) remarkably
inept as a purveyor of the future") -- par ailleurs beaucoup plus nuancées
que les extraits choisis ne le laissent entendre --, que des recherches
de Brind'Amour dont le but fut précisément d'essayer de sortir
Nostradamus de l'ornière des silences, des hostilités excessives
et des
a-priori ignorants et outrecuidants qui font florès
dans la littérature pseudo-savante depuis plusieurs siècles,
de Gabriel Naudé (1625) à un Camille Pitollet trois siècles après.
L'idée "basique" de l'article, à savoir la lecture d'un
prophète "de malheur", est à la fois abusive et simpliste.
Elle relève d'une lecture superficielle du texte nostradamien, lequel
ne fait que révéler l'effroi et la terreur suscités,
non tant par les conflits extérieurs annoncés, devraient-ils
s'inscrire même dans le contexte de l'histoire et de la décadence
romaine, ou dans celui des guerres religieuses du XVIe siècle, mais
par des peurs, appréhensions et émois intérieurs du
lecteur. La forte teneur autoréférentielle du texte nostradamien
véhicule moins une certaine quantité d'effroi inhérente
à tout texte prophétique, qu'elle révèle, au
sens propre, un rapport de défiance et d'incompréhension
véhiculé par certaine lecture effrayée du texte. Autrement
dit le texte oraculaire renvoie à son lecteur l'image de ses propres
dispositions intérieures. Aussi Raymond Abellio peut noter qu'il
ne croit pas "qu'une peinture pessimiste, si catastrophique soit-elle,
de l'avenir humain, soit aujourd'hui susceptible d'aggraver le désordre
général des esprits" (
Vers un nouveau prophétisme,
Paris, Gallimard, 1950, p.12), précisément parce que c'est
la lecture affolée et désordonnée d'un texte mal compris
qui porte en elle-même les stigmates de sa propre confusion.
Notons encore quelques points qui donnerons au lecteur une idée
de l'étendue des déficiences de cet article :
-
L'astrologie naturelle, par opposition à l'astrologie judiciaire,
est définie comme "simple constatation de l'influence des astres
sur le sort du monde et des hommes" (p.241). Autrement dit l'astrologie
naturelle relèverait du constat, et l'astrologie judiciaire de la
pratique et de la mise en application de ce constat ! J'ignore où
Y. B. a recopié cette ineptie : rappelons que la distinction entre
astrologie naturelle et généthliaque (ou judiciaire) remonte
au moins à l'encyclopédiste Isidore de Séville qui,
dans ses Etymologia, oppose l'astrologie naturelle (météorologique,
agricole et médicale), à ce qu'il appelle l'astrologia
superstitiona (horoscopique et prédictive). En outre, la plupart
des autorités ecclésiastiques ne rejettent pas les influences
astrales générales, mais contestent la possibilité
de prévoir le particulier, en raison du dogme du libre-arbitre (pour
ces questions, cf. mon "Manifeste pour l'astrologie", CURA,
1999).
-
"Il ne reste aucun almanach de Nostradamus répertorié dans
une bibliothèque publique." (p.241). Tiens donc : celui pour l'an
1561 est à Sainte-Geneviève, celui pour 1562 est à
Bruxelles, celui pour 1563 à Aix, celui pour 1565 à Pérouse,
celui pour 1566 à Naples et Montréal ! Y. B. a du mal à
comprendre la succession des éditions des Prophéties,
et passe de l'édition de 1555 à
des éditions à dix centuries "complétées dans
les dix années suivantes" (p.242), c'est-à-dire entre 1555
et 1565 ! Elle remercie un collègue à qui elle doit une citation
figurant dans une édition tardive
de la Prosopographie d'Antoine Du Verdier (p.249), laquelle est
mentionnée en page 155 du Répertoire de Benazra !
Finalement elle ignore ou a vaguement parcouru les bibliographies de Ruzo, de
Chomarat et de Benazra (pourtant cité) comme l'ouvrage de Chevignard,
publiés respectivement en 1982, 1989, 1990 et 1999.
-
Y. B. qui confond almanachs et pronostications, pronostication et pronostications,
voire présages et publications annuelles, croit que le quatrain
inaugural pour l'an 1555 est paru dans l'almanach, et ne parvient pas même
à lire ce qu'écrit Benazra qui n'a jamais prétendu
"contrairement à ce qu'a écrit Du Verdier" que les publications
mensuelles parues en 1554 ont été les premières publiées
par Nostradamus (pp. 242 & 253) ! Quand on a la prétention d'écrire
sur un sujet aussi complexe, la moindre des exigences serait d'essayer
de comprendre et si possible de vérifier les affirmations des auteurs
consultés.
A l'issue de cet article, et compte tenu des propos tenus, une seule question
vient à l'esprit : existe-t-il un comité de lecture aux
Travaux de Littérature ? On peut en douter.
La pigiste des revues académiques réitère sa méconnaissance des recherches nostradamiennes
dans un article paru en 2007,
"Nostradamus au fil du temps" : "Il ne reste aucun almanach de Nostradamus répertorié dans une bibliothèque
publique", reprenant sa formule de 2003 (in Fiona McIntosh-Varjabédian (ed.),
La postérité de la Renaissance,
Université de Lille III, 2007, p.115). En
quatre ans Y. B. n'a rien appris ou pas grand chose, se bornant à
recopier les entrées du Répertoire de Benazra (se référant aussi à cet
ouvrage pour les quatrains des almanachs, en continuant d'ignorer
l'ouvrage de Chevignard paru en 1999 !), et mentionnant le site internet
grand public
"Nostradamia", ignorant l'Espace Nostradamus de Benazra comme les Études
nostradamiennes du Cura. Elle trouve "un peu inquiétant" que deux
thèses
aient pu être soutenues sur Nostradamus (en 1941 et 1951), toujours
recopiant les relevés du Répertoire de Benazra : On pourra trouver
beaucoup
plus inquiétant que des presses universitaires en restent à ce degré
d'obscurantisme et d'indigence.
4. Anna Carlstedt : "Nostradamus mélancolique:
Un poète déguisé en prophète?"
in Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 22.2, 2004
L'article débute mal en expliquant dans sa première note
que les 353 quatrains de l'édition de 1555 "sont disposés
en trois centuries" (p.41) et finit plus mal encore en affirmant que
"Nostradamus en tant qu'auteur offre peu de mystère" (p.55) !
A. C. participe à ce courant d'universitaires
et de prétendants, qui ayant au moins et tardivement reconnu la
valeur littéraire du texte des
Prophéties, cherchent
à "enlever l'oeuvre nostradamienne à la prophétie
pour la rendre à la poésie." (p.41) L'ennui est que cette
lecture, si elle favorise la diffusion de l'oeuvre de Nostradamus et autorise
enfin au sein des départements de recherche la parution d'articles,
encore de piètre qualité, a tendance à faire l'impasse
sur l'essentiel, car en se polarisant sur le rythme du vers et sur le décompte
des mots et des syllabes, elle a tendance à évacuer la recherche
du sens. L'étude des seuls états et agencements du signifiant
occulte la possibilité même de la significabilité du
texte. Et pour avoir suivi des études de phonétique et linguistique
par d'innombrables méthodes concurrentes fort prisées dans
les années 70, je suis devenu depuis longtemps sceptique sur leur
efficience réelle et sur leur prétendue supériorité
par rapport aux analyses philologiques et rhétoriques classiques.
Autrement dit la méthode ne remplace pas le savoir et la perspicacité
de l'interprète.
La première partie de l'article s'alimente essentiellement des
observations et des références du pénétrant
article d'Olivier Pot, "
Prophétie et mélancolie : La querelle
entre Ronsard et les Protestants (1562-1565)" (in Cahiers V. L. Saulnier,
15, Paris, 1998), pour n'y ajouter que de plates conclusions : "Nostradamus
écrit ses
Centuries dans un style issu de cette fureur prophétique
et notamment lié au tempérament mélancolique." (p.44).
Concernant les premiers quatrains des
Prophéties, A. C. attribue
à Brind'Amour la découverte d'un emprunt de Nostradamus à
Jamblique (p.46), bien connu depuis les études de Buget (1860 !)
et l'interprétation de Le Pelletier (1867), alors que l'universitaire
canadien avait voulu précisément montrer que Nostradamus
se serait plutôt inspiré d'une source intermédiaire,
le
De honesta disciplina de l'érudit italien Pietro Riccio (1543).
A. C. qui comptabilise et énumère les occurences dans
le texte des "planètes associées à la mélancolie"
(p.50) -- Saturne 27 fois, Mars 45 fois, Mercure 11 fois --, ignore que
Mars, la planète la plus fréquente, est associée au
tempérament colérique, qui est précisément
l'inverse du mélancolique (cf. l'ouvrage classique de Raymond Klibansky
et al. (1964) et ma thèse doctorale de 1993). Non seulement A. C.
se fourvoie sur une donnée simplissime de l'histoire de la psychologie
et de l'astrologie -- une erreur que de commettrait pas la plupart des
débutants et apprentis astrologues --, mais ne se rend pas compte
que son décompte invalide finalement ses propos et sa "méthode",
laquelle se borne à continuer de comptabiliser les vocables (
mort
148 fois,
feu 79 fois,
sang 114 fois ...) pour en arriver
à ce constat banal -- issu d'une lecture superficielle -- que "les
Centuries ne constituent qu'une fresque privée de tout espoir" (p.48)
-- pas plus que le journal télévisé qui ne traite
que d'attentats, de conflits armés, de catastrophes écologiques,
d'accidentés de la route, d'actes criminels, de décès,
de procès financiers, etc ! En outre, le genre prophétique
n'est pas de nature bucolique, et il ne suffit pas d'observer que le vocable
"mort" et ses dérivés figurent environ 150 fois dans les
Prophéties,
car à ce compte on pourrait aussi bien remarquer, par exemple, que
les vocables "neuf", "nouveau", "changement" et leurs dérivés y figurent tout autant.
Ces tendances se retrouvent dans la thèse d'Anna Carlstedt,
La
poésie oraculaire de Nostradamus : Langue, style et genre des Centuries
(Université de Stockholm, 2005), dirigée par Mireille Huchon et disponible sur
internet. A. C. qui ignore les recherches et études publiées
au
CURA, s'appuie sur une documentation triviale et
sur les quelques articles qu'elle a pu trouver dans les bibliographies
autorisées dans son milieu. De nombreuses confusions quant à
la connaissance de son sujet, des textes et des articles mentionnés,
et une analyse passable et partielle de la métrique, de la prosodie
et surtout de la sémantique du texte de la première édition
des
Prophéties, font de cette thèse un travail médiocre
qui s'inscrit dans un canevas à prétention "scientifique",
restant très en-deça de la recherche actuelle et de ce qu'on
est en droit d'attendre d'un travail universitaire, surtout médiatisé
et sponsorisé comme il l'a été, et d'autant plus facilité
qu'il y a moins de risques à opiner sur les lectures de Brind'Amour
qu'à entreprendre l'étude d'autres parties du corpus prophétique
qui n'ont toujours pas fait l'objet d'une édition critique.
Dans un luxe d'analyses comptables parfois inutiles (décomptes
de la particule "et", de la nature des rimes, etc...), rien ou presque
sur l'interprétation proprement dit, sur les figures de style et
éléments de rhétorique, sur l'interprétation
et le cadre sémantique des quatrains, dont ne sont relevés
que trois thèmes. A. C. se contente de quelques paraphrases des
quatrains, en majorité empruntées à Brind'Amour --
ce qui en passant s'avérait déjà être le point
faible de son ouvrage de 1996 --, et n'apporte aucun éclairage nouveau
sur les sources historiques, contrairement aux préoccupations de
l'universitaire canadien et de ses successeurs. Quant à la discussion
des interprètes du passé, à commencer par Chavigny
(qui a parfois vu juste), c'est le vide absolu. Au final, dans une panoplie
de références à de petits maîtres de la linguistique
et de la stylistique modernes, et dans une exubérance de gammes
scolaires et d'exercices d'application, l'auteur aura accouché d'une
souris.
5. Gérard Morisse : "Nostradamus, cet humaniste"
in Nostradamus,
Les prophéties [Lyon, Antoine du Rosne,
1557, fac-similé de l'exemplaire de Budapest], [Budapest], Kossuth, 2004
On regrettera le choix éditorial discutable de cette réédition
d'une impression du Rosne de 1557 ayant déjà fait l'objet
d'un fac-similé en 1993. L'apport essentiel du texte annexé
à cette réédition réside dans l'étude
matérielle des premières impressions et notamment des éditions
Antoine du Rosne de 1557 au moment même où indépendamment
j'entreprenais une étude similaire concernant les éditions
Macé Bonhomme de 1555 (étude 135 du Ramkat, parue sur le
site de Robert Benazra le 1er janvier 2005 : cf.
CN
26). J'ai depuis pris connaissance de ce texte accompagné
du fac-similé de l'exemplaire de Budapest, que G. M. m'a aimablement
envoyés en mars 2006 ; et je l'en remercie (cf. ma propre synthèse
concernant l'appareil typographique des éditions du Rosne :
CN 27). D'autre part, j'ai expliqué à diverses
reprises pourquoi je ne croyais pas que l'édition du Rosne, à
l'achevé d'imprimer daté du 3 novembre, aurait été
imprimée en 1556 pour la foire de l'Épiphanie de Lyon du
mois de janvier "1557" (cf.
CN 25, 27 &
31). Ma récente étude du quatrain IV-88 et des variantes
incorrectes de cette édition, ne plaide pas non plus en faveur de
son hypothèse (cf.
CN 48), -- d'autant
plus qu'avant la réforme calendaire de Charles IX (1567), au mois de janvier
qui suit décembre, on est toujours en 1556.
Un autre intérêt du texte, à savoir le signalement
d'un important article oublié de Claude Dalbanne consacré
à l'imprimeur lyonnais Robert Granjon (mais le texte relatif à la livraison des
ouvrages de Nostradamus avait déjà été reproduit par Édouard Gosselin dans
ses
Glanes historiques normandes dès 1870 : cf.
CN 58),
rend cette étude utile et appréciable, nonobstant les quelques erreurs qui suivent :
-
Gérard Morisse hésite sur l'une ou l'autre des éditions
du Rosne concernant l'exemplaire de Moscou : "on ne sait pas s'il s'agit
bien de cette même édition [celle reproduite en fac-similé]"
(p.5). Il s'agit bien de cette dernière édition s'il faut
en croire Klinckowstroem et Leoni (cf. CN
27).
-
Une certaine confusion entre les éditions lyonnaises Bonhomme de
1555 (p.20). La première est l'édition de l'exemplaire d'Albi,
et c'est la seconde, celle de l'exemplaire de Vienne (en Autriche), qui
est le retirage corrigé et porteur d'annotations manuscrites latines
(cf. CN 25).
-
G. M. admet sans discussion que seules les éditions lyonnaises de
1555 et de 1557 seraient parues du vivant de Nostradamus (p.24) : c'est
oublier l'édition de 1558 dont l'existence apparaît désormais
de plus en plus probable (cf. CN 11, 25,
etc).
-
Il confond Jean Brotot et Maître Bertot dit la Bourgogne dans
la procuration du 11 novembre 1553 (p.30). On voit mal Nostradamus intenter
une démarche en justice contre celui qui restera son plus fidèle
imprimeur jusqu'à son décès en 1560 (cf. CN 8).
-
Morisse mentionne une lettre du même Jean Brotot du 20 septembre 1554,
incorrectement datée de l'année 1557 dans le manuscrit de
Chavigny, et en tire certaines conclusions irrecevables concernant les
Prophéties
(p.31 ; cf. CN 13).
M. Morisse présente aimablement les travaux du
CURA
: "L'approfondissement récent des connaissances sur Nostradamus
doit beaucoup à l'impulsion d'un autre groupe de "nostradamologues",
peu connus du grand public (mais la vraie recherche n'est-elle pas discrète?),
dont nous ne saurions trop recommander les travaux aux lecteurs des
Prophéties.
Gravitant initialement autour du Centre Universitaire de Recherche en Astrologie,
ces chercheurs chevronnés ..." (p.9). J'eusse été
inconditionnellement reconnaissant envers lui, s'il eût daigné
mentionner quelque part dans son texte l'instigateur et le seul responsable
du
CURA, plutôt que tel collaborateur qui n'en
fut pas membre à la première heure, pas plus que dans les
dernières. En outre, les travaux du
CURA me
semblent pour l'heure davantage appréciés du "grand public",
en raison de leur accessibilité, qu'ils ne reçoivent écho
auprès des medias académiques et de leurs réseaux
de connivence.
6. Bernard Chevignard : "L'énigme Chevigny /
Chavigny : les pièces du dossier"
in Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 67, 2005
Le spécialiste incontestable de Jean Chevignard, alias Chevigny
ou Chavigny, reprend et amplifie ses brillantes études consacrées
au secrétaire puis exégète de Nostradamus (cf. notamment
"
Jean-Aimé de Chavigny : esquisse bio-bibliographique" (1995-1996)
et "
Jean-Aimé de Chavigny : son identité, ses origines
familiales", 1996), répondant aux attaques de Jean Dupèbe
épaulé par Jean-Paul Barbier (BHR, 63, 2001), selon lesquels
"les explications que nous offre M. Bernard Chevignard sont d'une insigne
faiblesse" (p.182 et p.303). Il m'apparaît au contraire que c'est
bien la spéculation hasardeuse de M. Dupèbe qui requiert
ce qualificatif. Qu'elle ait pu piéger le jugement de Brind'Amour
en 1996, habituellement perspicace, ne prouve rien. En outre le malheureux
Chevignard, pour son ouvrage de 1999, avait déjà eu la malchance de faire l'objet
du compte-rendu tardif d'un Roger Prévost, qui ne rend pas compte de son intérêt, et
y mêle imprécisions et bévues de son cru ("des quatrains de ses Almanachs annuels
rassemblés en 1605" (sic), (in la
Revue d'histoire littéraire de la France 103, 2003, p.708-9).
Rappelons le scénario imaginé par Dupèbe en 1983
et corsé ou plutôt corseté par Brind'Amour : Jean-Aimé
de Chavigny aurait usurpé l'identité et la devise du secrétaire
de Nostradamus, Jean de Chevigny, lequel serait décédé
vers 1580 pour laisser la place à son successeur qui aurait récupéré
auprès du premier les oeuvres et notamment les opuscules annuels
laissés par Nostradamus à sa mort : "Je suppose aussi qu'à
la mort, précoce, de Chevigny, il hérita de la collection
d'ouvrages nostradamiens de ce dernier." (Brind'Amour, 1996, p.
LXIII).
L'origine de cette hypothèse provient d'une lecture "au premier
degré" de quelques vers de Chavigny se morfondant sur la mort de
son jeune ami Antoine Fiancé (1552-1581) dans
Les larmes et souspirs
sur le trespas tres-regretté de M. Antoine Fiancé Bizontin
(Paris, Estienne Prevosteau, 1982, p.41) :
"
Car il est bien raison que ceux qui en la vie
Ont fidelles amis mesme course suivie,
Cerché mesme laurier, eu mesmes volontez,
Soyent apres la mort blesme en mesme lieu portez."
Il est pour moi évident depuis au moins dix ans que ce texte
allégorique n'est pas à lire littéralement comme le
font Dupèbe et Brind'Amour pour appuyer l'hypothèse selon
laquelle Chavigny et Fiancé auraient été du même
âge, mais au sens métaphorique, comme un ami ou pourquoi pas
un amoureux, peut s'adresser à son aimé, et que la différence
d'âge n'interdit pas des parcours existentiels similaires chez les
deux médecins bourguignons. On peut estimer que cette différence
d'âge entre Chavigny et Fiancé fut la même qu'entre
Socrate et Alcibiade, et le dernier vers semble précisément
illustrer la mort symbolique dont se pare Chevigny et qui annonce sa métamorphose
existentielle et identitaire. Comment d'ailleurs un imposteur aurait pu
commettre cet impair de révéler implicitement son âge,
alors qu'il viendrait de s'emparer des précieux opuscules nostradamiens
avec l'intention de les publier ? Nous sommes là en plein coeur
d'une romance partitionnée par divers interprètes aux instruments
discordants.
Cette théorie spécieuse est encore ressassée par Jean-Paul Barbier, dans
Ma Bibliothèque poétique
(vol. IV.4 (De Marquets à Pasquier), Genève, Droz, 2005, p.40 et p.474
sq.) avec un acharnement navrant, d'autant plus que les biographes
généralement, faute de courage, évitent d'émettre de telles
spéculations. La source principale de cette théorie sur laquelle
s'excite certaine glose moderne, vient d'une idée émise par Simon
Gautheret-Comboulot en 1886 (cf. CN 125
in fine). Ce collectionneur, né en 1930, juge avec un goût littéraire à rafraîchir que
"l'auteur des Prophéties n'a rien d'un poète inoubliable"
(p.450), avoue son manque d'intérêt pour Nostradamus (p.495), reprend
la bourde de Chomarat sur l'imposteur "Nostradamus le Jeune", fils
supposé de Nostradamus (p.461), et ignore d'autres travaux bio- et
bibliographiques plus fiables, ceux de Benazra, comme ceux de Ruzo
(1900-1991) qu'il n'a pas consulté mais qu'il imagine être son
"contemporain ou même plus jeune" (p.445) ! Il serait temps que les
éditions académiques et en particulier Droz, prennent conscience du
retard considérable accumulé quant à la connaissance des écrits de
Nostradamus, de son environnement, des auteurs qui ont souligné son
importance culturelle depuis des siècles (en dépit de la lâcheté et de
l'obscurantisme de leur temps, y compris le présent même), et permettent
que soient publiés les travaux de recherche pionniers et originaux, et
pas seulement filtrés par les compilations du personnel local autorisé
et par les héritiers et clans protégés par la coupe des directeurs de
collection (cf. mon épilogue,
infra).
Chevignard, outre des compléments d'information à ses
articles précédents, diverses précisions généalogiques,
et des recoupements textuels entre les écrits publiés sous
les noms de Chevigny et de Chavigny, aborde l'essentielle question graphologique
que les tireurs d'oreille des compte-rendus de 2001 ont pris soin d'éluder.
Car la comparaison des écritures, pour qui connaît notamment
le manuscrit du
Recueil des épîtres latines transcrit
par Chevigny vers 1566, et ceux de Chavigny, notamment son
Recueil des
Presages prosaïques (1589), ne laisse aucun doute quant à
la similitude des écritures. Chevignard en tire les conclusions
qui s'imposent à partir de l'horoscope de Rouen (1581), signalé
par Françoise Joukovsky en 1971 (cf.
CN
10), et de la correspondance partiellement latine de Nostradamus,
transcrite par Chevigny mais récupérée par César
de Nostredame (p.360). J'étais parvenu aux mêmes conclusions
lors de mon examen des manuscrits de 1589 (cf.
CN
1 & sq.). et de 1566, dont Brind'Amour avait donné quelques images
en 1993 (p.128 & p.140), mais malheureusement le
Corpus Nostradamus,
après 58 articles, n'en est qu'à l'année 1558, et
donc bien loin d'aborder dans le détail les textes relatifs à
Chevigny alias Chavigny.
Signalons deux pièces à rajouter éventuellement
au dossier bibliographique de Chevignard paru en 1996 :
-
un sonnet de Io. du Cha. dans la Briefve description de l'esjouissance
de la reduction du Havre (Lyon, Benoist Rigaud, imprimé par
Ambroise du Rosne selon Baudrier, 1563, f.C2v)
-
un Chavigny signataire d'une missive favorable à Henry IV dans la
Lettre escrite par les deputez des princes, officiers de la Couronne, et autres
Seigneurs Catholiques qui recongnoissent le Roy aux deputez de l'Assemblée
qui est à present à Paris, du XXIII jour de juin, 1593
(Lyon, Benoist Rigaud, 1594)
L'imposture de Chavigny consisterait non pas à avoir maquillé
son identité, mais à avoir voulu instrumentaliser le texte
de Nostradamus, voire son épitaphe, selon ses
desiderata,
en accord avec ses premières sympathies pour les milieux ultra-catholiques
(cf. Chevignard, p.370), et j'ai souligné que la transformation
de la date de naissance de Nostradamus par l'astrologue bourguignon plaidait
précisément en faveur de l'identification Chevigny / Chavigny
(cf.
CN 10). Et si Chevigny est bien
le copiste de la correspondance de son maître, la date de naissance
du provençal, qui n'est attestée que par Chavigny dans son
Janus
et par la douteuse copie de la lettre LI publiée en 1701 par Ludwig
Mieg (cf. Dupèbe, pp.167-169), prouverait précisément
que cette lettre a bien été ultérieurement falsifiée,
quelles qu'en soient les circonstances. Car autrement, pourquoi Chevigny,
transcrivant la dite lettre de la correspondance, aurait-il voulu supprimer
la mention affectueuse "meo Joanni Chevignaeo" ?
Dans un article paru en 2003 ("
Le climat dans les Almanachs de Nostradamus", in
L'homme et l'environnement : Histoire des grandes peurs et géographie
des catastrophes, Actes du colloque de Dijon (novembre 2000), dir.
Jocelyne Pérard & Maryvonne Perrot, Dijon, Université
de Bourgogne), Bernard Chevignard épingle les "élucubrations"
rétrospectives ou prospectives de certains glossateurs de Nostradamus,
"doux illuminés ou fins commerciaux" (p.75), parmi lesquels s'alignent
Elisée du Vignois (1910), François Payotte (1996) et Peter
Lemesurier (1997), lequel aura échangé depuis ses imaginations
prospectives par des prétentions rétrospectives, plus rassurantes
car alimentées par sa lecture des ouvrages de Brind'Amour et d'un
Roger Prévost.
Mais que propose Chevignard, qui reprend les conclusions
discutables de Brind'Amour quant aux déficiences techniques du discours
astrologique de Nostradamus (cf.
CN 52 : "
Les données astrométriques dans les opuscules pour l'an 1557") ? Il est amusant de constater que
les affirmations et boutades de Pierre Brind'Amour, qui avait sérieusement
étudié la problématique astrologique et notamment
celle de la domification, aient réussi à gagner la plupart
des suffrages, et en particulier de ceux auxquels ces techniques et questions
échappent totalement, si bien qu'ils se contentent d'en répéter
les conclusions sans en aborder vraiment l'étude. Chevignard s'en
tient prudemment aux descriptions astro-météorologiques
figurant dans l'
Almanach pour 1557 (que j'ai réédité
pour la première fois en décembre 2006 : cf.
CN 41), et conclut étrangement de leur énonciation ambiguë et souvent contradictoire
à "une incitation au discernement et à la responsabilité,
un appel à l'initiative" (p.83), voire au libre arbitre, à
l'action et à la prière.
Ces conclusions, en contrepoint des élucubrations
fatalistes précédemment mentionnées, semblent bien
y ajouter de leur cru, car le caractère apodictique de l'énoncé
oraculaire peut difficilement être dénié malgré
ses ambiguïtés recherchées. En revanche l'humour de
Nostradamus sur lequel se clôt l'article, et son espièglerie (cf.
l'inscription de la fontaine de Salon en 1553), sont à prendre en considération, même
si le caractère facétieux des
Prophéties et
des
Almanachs n'est pas à interpréter comme le signe
d'un engagement de type moderniste comme le voudrait Chevignard -- et décidément,
oui, "l'oeuvre de ce méridional ressemble à ces auberges
espagnoles ..." (p.84) -- mais d'une distanciation de l'intelligence, non
par nature ironique mais nécessairement
et incessamment confrontée aux postures et impostures des lâches
et des ignorants, et non pour engager des troupes et les conduire à
quelque loupiotte des discours dominants au tréfonds d'une Caverne
consensuelle et moite, mais pour accompagner son lecteur vers une véritable
lumière qui n'est peut-être pas celle imaginée par
l'auteur de l'article.
Pour le détail, précisons que Michel
Chomarat n'a pas reproduit "la première édition complète
connue des
Centuries" (p.77), mais la seconde (cf.
CN 40 : "
Chronologie
des éditions Benoist Rigaud de 1568"), et
que Nostradamus n'a pas changé d'imprimeur en 1556 pour ses publications
annuelles, contrairement à ce qui est affirmé p.78 (cf.
CN 42 : "
Les publications de l'année 1556 pour l'an 1557").
7. Hervé Drévillon : "Michel de Nostradamus"
in
Dictionnaire historique de la magie & des sciences occultes,
éd. Jean-Michel Sallmann, Paris, Librairie Générale
Française, 2006
Ce petit article de vulgarisation n'est pas fiable. Drévillon,
qui écrit que Nostradamus publie son "
Excellent & moult utile
Opuscule" en 1556, aura été berné par l'ajout
manuscrit à la date de l'exemplaire disponible sur le site Gallica
et ignore mon article paru en mars 2006 (cf.
CN
9). La littérature des almanachs est présentée
comme un genre populaire à "vocation essentiellement utilitaire"
(p.519), ce qui précisément n'est pas le cas des publications
annuelles de Nostradamus. Drévillon reprend l'erreur d'appréciation
de son collègue Denis Crouzet concernant la supposée "inspiration
calviniste" de Couillard (cf.
CN 50),
et l'iconographie de l'article nous ressert une image du frontispice de
l'édition parisienne facétieuse de Pierre Ménier (1589),
plutôt que l'une ou l'autre des éditions lyonnaises originales.
Je signalerai, anticipant sur une prochaine étude, que cette édition
n'apparaît dans aucun catalogue de vente de collections privées
ou de libraires. J'en ai dépouillé plus d'un millier en 2005,
pour la plupart parisiens, et n'ai trouvé qu'une seule mention d'une
édition Pierre Ménier des
Prophéties, mais datée de 1610.
H. D. qui mentionne des "erreurs de calcul" figurant dans l'
Almanach
pour 1557 (cf.
CN 52), affirme
que le
Traité des Fardements et des Confitures
est publié en 1556 (sans mentionner les éditions de 1552 et 1555), que les
Prophéties "prédisent l'avenir jusqu'en 3797"
(une date nécessairement cryptée comme l'ont observé
la plupart des exégètes), que la première édition
(achevé d'imprimer du 4 mai 1555) serait parue après le voyage
de Nostradamus à Paris durant l'été 1555, et que le
fameux quatrain qui aurait annoncé le décès du roi
Henri II serait le quatrain I-36 (pour I-35) ! On comprendra dans ces conditions,
-- à la lecture de ces confusions entre un nombre et son suivant,
entre l'antérieur et le postérieur --, que Drévillon
et son acolyte Pierre Lagrange aient eu des difficultés à
comprendre les "pirouettes arithmétiques" de mon étude sur
les quatrains VIII-69, IV-33 et I-84, dont un extrait a été
reproduit avec mon autorisation dans leur ouvrage de vulgarisation intitulé
Nostradamus : L'éternel retour (Gallimard, 2003, pp.111-113). Les auteurs
ignorent que la crypto-numérologie était un procédé
devenu commun au début du
XVIe siècle
(Trithemius, Dürer, Agrippa, etc), que les jeux anagrammatiques sur
les patronymes s'étaient généralisés dans toutes
les sphères littéraires, et que Nostradamus a crypté
nombre de ses idées à l'aide de schèmes précis,
comme je l'ai montré dans de nombreux articles (cf. aussi l'article
de Polizzi,
supra). Ce qualificatif ironique émanant de gens
qui n'ont apparemment effectué aucune recherche personnelle sur
Nostradamus, mais se contentent de répéter ce qu'ils ont
lu chez Leroy, Brind'Amour, Crouzet, ou d'autres, est particulièrement
déplaisant.
Auteur et référence [évaluation
de l'intérêt des documents signalés : de 0 à ***] |
année |
valeur |
Jean-Paul Barbier : "Nostradamus" in Ma Bibliothèque poétique |
2005 |
0 |
Yvonne Bellenger : "Nostradamus prophète de malheur"
Yvonne Bellenger : "Nostradamus au fil du temps" |
2003
2007 |
0
0 |
Anna Carlstedt : "Nostradamus mélancolique: Un poète
déguisé en prophète?" |
2004 |
0 |
Bernard Chevignard : "Le climat dans les Almanachs de Nostradamus"
Bernard Chevignard : "L'énigme Chevigny / Chavigny : les
pièces du dossier" |
2003
2005 |
*
** |
Hervé Drévillon : "Michel de Nostradamus" |
2006 |
0 |
Claude-Gilbert Dubois : "L'invention prédictive dans les
Prophéties de Nostradamus" |
2001 |
0 |
Gérard Morisse : "Nostradamus, cet humaniste" |
2004 |
* |
Gilles Polizzi : "Au sanguinaire le nombre raconté : le
thème millénariste dans les Prophéties de Nostradamus" |
2001 |
* |
Philippe Gournay : "Les Facéties de Me Michel Nostradamus : Une explication au quatrain prophétique dit 'de Varennes' " |
2012 |
0 |
Addenda 29 Sept. 2013
8. Philippe Gournay : "Les Facéties de Me Michel Nostradamus : Une explication au quatrain prophétique dit 'de Varennes' "
in Le Bordager, 104, 2012, (copie PDF)
On n'en finira plus avec la dite misère, éprouvante, ici décrite
: alors ajoutons par divertissement, l'interprétation astucieuse,
mais caduque, d'un électronicien d'origine française, enseignant à
l'université de Sherbrooke au Québec. Il est intéressant de constater
à quel point les quatrains donnent envie à quiconque, du couturier au
cuisinier, et du météorologue à l'ingénieur (cf. CN 130), de se
lancer sans complexe mais rarement avec les bagages philologiques
suffisants dans le déchiffrement du texte énigmatique des Prophéties.
Ph. G. interprète le Q IX 20 comme une devinette facétieuse
cachant un loup, destinée à l'instruction future de son fils César,
comme le précédent (IX 19) désignerait le bâtard Jean de Dunois
(1402-1468) : l'essentiel de l'explication repose sur trois mots du vers
2 à lire comme suit : "la pierre blanche" symbolise et marque la
distance, c.-à-d. la lieue, sa mesure ancienne (en grec leukos ), phonétiquement proche du loup (en grec leukos
), véritable protagoniste du quatrain. Le reste du vers serait à
oublier puisque "pars" (ou partiment) découle de l'ancien sens du verbe
"partir" (diviser, partager, séparer, choisir entre deux choses) ... et
incite donc ici à abandonner une moitié de vers !
Il répète après les cliqueurs wikipédifiants que Nostradamus fut
apothicaire (tenait-il une boutique ?) et peut-être médecin (on en
doute encore au consensus wikipédant contrôlé par les négationnistes pseudo-scientistes)
! [On saisit mieux par l'exemple encyclopédique le devenir et le décor
de la connaissance du siècle courant : ce sera le passage de
l'obscurantisme à l'arbitraire semi-inculte et au règne de la futilité.]
Ph. G. répète encore d'après les mêmes "sources", ou plutôt égouts,
qu'il aurait été l'auteur d'un "Traité de la Peste", prend son texte des
quatrains dans une édition B. Rigaud dont il ignore qu'elles furent
nombreuses, mais cite le Corpus Nostradamus (CN 131 bis) pour la date de
naissance de César (mais cf. CN 33).
Ce qui reste toujours stupéfiant, d'autant plus quand les propos
viennent d'un intellectuel de formation scientifique (à moins qu'on ne
se fasse une trop haute idée de la rigueur exigée par un tel
apprentissage), est que l'interprétation proposée, qui a pour but
affiché de nous faire croire qu'il n'est ni vision, ni prédiction
d'aucune sorte dans les quatrains, se
satisfasse d'un résultat partiel, tiré par les cheveux, souvent
davantage que nombre de ceux présentés par les illuminés qui s'acharnent
à éclairer le futur du vers oraculaire nostradamien. Mais cela on le
savait déjà avec les interprétations passéistes et autres lemesuriades.
Proposition en guise d'épilogue
Il existe deux réseaux classiques de diffusion des idées
: le réseau populaire-pécuniaire et le réseau académique-élitiste,
l'un étant financé par la publicité et par les recettes
des ventes, l'autre par les institutions étatiques, et donc par
le contribuable. Et il n'est pas certain que l'avènement d'un troisième
réseau, celui d'internet, parvienne à gauchir cette polarisation.
Il semble plus vraisemblable qu'il finisse par l'imiter, le reproduire,
et même l'accentuer.
Une recherche qui serait indépendante des idéologies associatives
et étatiques, c'est-à-dire extérieure aux associations
"reconnues d'intérêt public" (subventionnées en raison
de leur utilité idéologique et de leur soutien aux entreprises
scientistes et étatiques), et indépendante des réseaux
de connivence académiques et pseudo-académiques, n'a pas
droit et pouvoir d'expression. Elle est exclue par les réseaux de
distribution institutionnels pour des raisons de statut ou d'appartenance
aux communautés élitistes -- un tel est-il professeur de
telle université, responsable de telle institution? -- et aussi
pour sa non-conformation aux critères de présentation, de
méthodologie, ou de mode qui définissent ces communautés
et par lesquels on y accède.
Et elle est pareillement refoulée par les chaînes de distribution
grand public pour des raisons de non-rentabilité, d'après
des estimations le plus souvent absurdes, car elle reste étrangère,
par définition, aux normes définies par le marché
et aux évaluations fondées sur la répétition,
qui évacuent l'innovation et l'émotion qui en résulte.
L'édition grand public est d'ailleurs incapable d'après ses
propres critères d'estimer correctement si une publication va "marcher"
ou non, d'abord parce que l'éditeur grand public et ses responsables
de collection sont souvent plus ignares et insensibles que le public auquel
ils attribuent leur propre incompétence.
Cette séparation des deux sphères de diffusion des idées
redouble celle de la formation et de l'éducation analysée
par Christian Baudelot et Roger Establet dans
L'école capitaliste en
France (Paris, Maspero, 1971), un texte qui conserve toute son actualité
en montrant que deux circuits distincts de scolarisation découlent
d'un dualisme idéologique organisé et de conditions sociales
héréditaires et normatives, qui se reproduisent en France
plus qu'ailleurs et dont on pourrait trouver des antécédents
historiques dans les conflits religieux et idéologiques de la Renaissance
opposant les réformés aux conservateurs ultra-catholiques.
Ce dualisme trouve son équivalent dans les circuits de distribution
des idées, et les possibilités de s'exprimer s'en trouvent
singulièrement appauvries au point que nombre de chercheurs s'expatrient
pour trouver ailleurs un espace d'expression qui tend dans leur pays natal
à se réduire comme une peau de chagrin.
Je suggère que soit organisé un véritable partage
de la parole dans les medias et dans les sphères d'expression institutionnelles,
afin qu'elle ne soit pas exclusivement réservée soit aux
marchands et à ceux qui se plient à leurs seuls intérêts
mercantiles, soit aux fonctionnaires, propriétaires et usufruitiers
de la culture et de la recherche. Je propose notamment qu'au sein
des revues académiques, un pourcentage minimal soit réservé
à une recherche indépendante des critères de conformation
communautaire, des processus de reconnaissance identitaire, et des méthodologies
s'appuyant sur des autorités fantoches, et qu'une place soit enfin
laissée à des études affranchies des politiques de
production de littératures de complaisance.
Toulouse, 17 mai 2007
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