Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
dimanche 9 juillet 2023
jacques halbronn Comment Nostradaus, l'astrologue est devenu Prophéte
Jacques Halbronn Comment Nostradamus l'astrologue est devenu Prophéte.
Si l'on ne prend pas connaissance des Epitres et adresses de Nostradamus au Pape Pie IV, il est difficile pour l'historien au fait de la production de ce médecin provençal de comprendre une telle métamorphose, à moins d'être victime d'un certain télescopage rétroactif qui fait partir des "Prophéties", ce qui aura conduit certains à se poser la question inverse à savoir quelle est la part de l'astrologie dans le prophétisme nostradamien. Il y a un glissement entre le Nostradamus des années 1550 et celui des années 1560. (cf notre étude sur Lichtenberger, dans la Revue française d'histoire du livre n° 134 -" De l'agencement des recueils prophétiques, de la pronosticatio de Lichtenberger au Mirabilis Liber parisien")
A la fin de sa vie, de fait, Nostradamus avait bel et bien adopté un ton, une posture prophétiques, dont nous avons eu l'occasion de traiter tant en France qu'en Italie..et c 'est probablement pour cela que le terme "prophéties" lui aura été finalement apposé/ Paradoxalement, hormis l'Epitre à Henri II datée de 1558 -et qui est une refonte d'une précédente (cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus; Ed Ramkat, 2002)- Nostradamus est avant tout l'auteur d'une série d'almanachs et de pronostications annuels, agrémentés de quatrains versifiant sa prose.jacque
Mais quand Nostradamus s'aventure à traité de l'Antéchrist, il bascule ipso facto vers le prophétisme, ce dont témoignent les quatrains 76 et 77 de la Centurie VIII parus dans les années 1590 donc bien après sa mort en 1566 lesquels versifient des passages des Epitres au Pape. Nous avons montré que ces Epitres (1561-62) auront été remplacées par la dite fausse Epitre à Henri II (mort en 1559), avec un changement de calendrier, on passe d'échéances pour la fin du XVIe à d'autres pour la fin du XVIIIe siècle (reprenant les calculs d'un Pierre d'Ailly) C'est ainsi que Nostradamus en était arrivé à fixer la date de naissance du futur Antéchrist, à la Saint Marcellin, pour l'an 1567. Son préambule à l'almanach pour 1562 se termine ainsi :" "je ne croy point que que si Dieu n'y met la main, qu'avant que l'on soit parvenu à l'an 1570 que de trois quarts du monde, les deux ne soyent consumées" Le ton est décidément prophétique mais ce texte ne figure pas dans le canon centurique alors qu'il en est une pièce essentielle, ce qui vient hypothéquer singulièrement les travaux des nostradamologues traitant des "Prophéties"!. Le terme "prophétie" va apparairtre, après la mort de Michel de Nostredame, sous le nom de Mi. de Nostradamus, avec la Prophetie merveilleuse commençant ceste presente année & dure jusques en l'An de grand' mortalité, que lon dira M. d. lxviii. An de Bissexte . Par Mi. de Nostradamus
101 - Recherches autour de Nostradamus le Jeune
Par Jacques Halbronn
Si la plupart des nostradamologues ne semblent pas avoir su détecter la série de contrefaçons qui truffent le champ nostradamique, en revanche, ils tiennent absolument à parler d’imposteurs quand il s’agit d’Antoine Crespin et plus encore de Nostradamus le Jeune. Il est vrai que l’on dispose même des « aveux » de Mi. de Nostradamus reconnnaissant qu’il n’est qu’un « disciple »[1]. Robert Benazra, quant à lui, met en avant un argument lié aux signatures qui figurent tant chez Mi. de Nostradamus que dans les œuvres de Mi. de Nostradamus le jeune.[2] :« Le cas de ce « Michel Nostradamus le Jeune » a été définitivement résolu par notre enquête bibliographique. Ainsi, ce Michel Nostradamus le jeune, qui usurpa cette identité, publia des ouvrages sous ce nom. Auparavant, il avait publié ses Pronostications, de 1564 à 1568, du vivant de Nostradamus et peu de temps après sa mort, sous le nom de « Mi. de Nostradamus ». Il récidive après la mort de son «maître », en signant « Mi. de Nostradamus le jeune », avec diverses variantes. Nous le retrouverons en 1571, 1574 et 1575. Après cette dernière date, on n'entendit plus parler de lui : la mort a certainement mis un terme à ses activités illicites. La signature de « Mi. de Nostradamus » est identique, dans le graphisme, avec celle de « Nostradamus le Jeune », ainsi que vous pouvez le constater ci-dessous :
On ne voit pas pourquoi à la mort de Nostradamus cet imposteur aurait pris le nom de Nostradamus le Jeune. Nous pensons qu’il y a bien eu transmission d’une génération à l’autre en 1566. Autrement dit, il nous parait tout à fait possible que Michel Nostradamus, lui-même ait pu prendre le nom de Mi. de Nostradamus et que son fils Michel ait gardé les deux appellations : Michel de Nostradamus le Jeune et Mi. de Nostradamus le Jeune, la signature n’étant qu’un label. En assimilant les deux noms, Mi de Nostradamus et Mi, de Nostradamus le Jeune, Benazra parvient à une impossibilité car le fils Nostradamus s’il était né du second mariage de Nostradamus eut été trop jeune pour publier en 1564/1565/.
Benazra a dressé la liste de toutes les publications connues portant le nom de Nostradamus le Jeune, toutes variantes confondues plus Mi. de Nostradamus. Cela fait intervenir un nombre de libraires considérable, dans toutes les villes ayant une activité d’édition, même en laissant de côté le cas d’Antoine Crespin Nostradamus. Un Benoist Rigaud, un Guillaume Nyverd, un Michel Jove seraient ainsi complices d’une telle « imposture », et ces imposteurs auraient pu indéfiniment continuer à adresser des épitres à toute la famille royale et leurs éditeurs obtenir des privilèges d’impression ;
Benazra évoque la mort de Michel Nostradamus (« L’ancien ») comme ayant fait apparaitre la forme «Nostradamus le Jeune » et de fait Michel de Nostradamus Le Jeune est présenté comme l’éditeur de prévisions retrouvées dans la bibliothèque du défunt. C’est le cas des Prédictions pour 20 ans, parues à Rouen, Pierre Brenouzer, 1568. La formule complète est « trouvée en La Bibliothèque de nostre defunct dernier décédé (que Dieu absolve) Maistre Michel de nostre Dame (sic) A la supplication de plusieurs, (elles) ont estez à très grand’ diligence revues & mises en lumière par Mi. de Nostradamus le Jeune.
Nostradamus le Jeune ne se présente pas comme le « disciple » de Nostradamus et la formule « Nostre défunct dernier décédé » peut être prise pour une expression familiale.
Il est vrai que dans une réédition de 1571, la formule change :Présages pour 13 ans (…) trouvées en la bibliothèque de défunct maistre Michel de nostre Dame (sic) que Dieu absolve. Mi. de Nostradamus le Jeune est devenu M. Nostradamus le Jeune. Cette fois, la dimension familiale a disparu ou en tout cas deux mots ont sauté « dernier décédé ». Le corps du texte est identique et a simplement été mis à jour. Au départ, ce travail commençait en 1562, puis aura connu des rééditions et des réductions successives.
Il y a eu un passage de relais entre le « père » et le « fils », et il n’est pas dit ici que le fils ait rédigé ces textes. L’épitre au duc d’Alençon est reprise d’une édition à l’autre.
L’édition de 1568 Rouen Brenouzer qui a été conservée comporte même les armes du duc au dessus de l’épitre qui lui est destinée. On peut penser que cette épitre est de Michel Nostradamus.
Passons à un autre ouvrage de Mi. de Nostradamus : la Prognostication ou Revolution avec les présages pour l’an 1565, chez nul autre que Benoist Rigaud[3].
Cette fois l’épitre est adressée à l’autre frère du Roi, le futur Henri III, duc d’Anjou- ce qui est indiqué sur la page de titre. On notera que l’almanach pour 1565 est dédié à Charles IX (en date du 14 avril 1564 pour la dédice, alors que la date de l’épitre à Alençon est du 13 juin 1565) On peut lire une formule qui nous semble bien audacieuse de la part d’un imposteur qui joue carrément son va tout :
« ainsi que l’avons dict & escript par plusieurs fois en noz Almanachs & Prognostications ». Voilà donc notre « imposteur » qui n’hésiterait pas à revendiquer la production annuelle de ce Michel de Nostradamus ! Il évoque « noz œuvres preterites »/. Il est vrai que généralement Nostradamus s’exprime à la première personne du singulier.. L’auteur évoque en cette épitre les interdictions qui menacent les faiseurs d’almanach depuis 1560 : « avions délibéré y mettre plusieurs autres choses dignes de mémoire mais les avons réservé, craignant désobéir aux Edictz & Ordonnances du tres Chrestien Roy » Signé Mi. de Nostradamus. Michel Chomarat cite ce passage mais non celui qui renvoie à « noz almanachs & prognostications ». En revanche, il cite ce passage :
« nous avons de coutume tous les ans extraire pour la prochaine année un advertissement des choses futures », ce que l’on peut comprendre éventuellement comme signifiant qu’un volume sur plusieurs années a été composée que l’on peut aussi découper année par année.
Cela pourrait aussi avoir été le cas d’une Prophétie ou Révolution merveilleuse des quatre saisons de l’an (….) depuis l’an présent iusques en l’an de grande mortalité 1568, par Mi. de Nostradamus, Lyon, Michel Jove avec encore une préface au jeune duc d’Alençon.
Benazra date à tort cette édition de 1568 alors que c’est la date terminale et non initiale.[4] En 1568, Michel de Nostradamus est mort, vive Nostradamus le Jeune !.
L’évocation des 4 saisons (ou des 4 temps) désigne le genre de la Pronostication, qui est le propre des prophéties pluriannuelles, à savoir l’interprétation d’un thème astral par saison, ce qui porte ici le nom de « révolution » car chaque thème est calculé par rapport au passage, au « retour », du Soleil sur les équinoxes ou les solstices...
C’est à rapprocher de la Pronostication et Prédiction des quatre temps pour l’an bissextil 1572 (…) iusques en l’An 1616 (…) contemplé & calculé par M. Anthoine Crespin Nostradamus, Lyon, Melchior Arnoullet. Texte dédié au duc d’Alençon, « frère du Roy ».
Crespin, un autre « imposteur », qui semble avoir pris la succession de ce Nostradamus le Jeune et fréquenter aussi effrontément la famille royale, stipendié par les libraires les plus en vue. Plus c’est gros, mieux ça passe, dit-on. Successeur ne signigie pas imposteur.
Nous pensons que Nostradamus s’était consacré, à une certaine époque de sa vie, à produire des recueils de pronostications sur une très longue période et que par la suite, il en extrayait des éléments. On ne peut exclure qu’il ait d’abord utilisé la forme Mi. de Nostradamus et que celle-ci se maintint pour ce type d’ouvrage alors qu’il avait choisi, par la suite, de fournir son prénom tout entier. On ajoutera que les traductions italiennes concernent surtout ces Prédictions sur plusieurs années - Li Présagi et pronostici - et qu’elles sont attribuées à M. Michel Nostradamo Francese. Elles datent de 1565 donc précédent sa mort/[5] Or, il apparait que c’est Nostradamus lui-même qui en aurait assuré l’édition italienne, son nom, sur la page de titre, à deux reprises, en tant qu’auteur et en tant que libraire[6]. Mais cette fois sous le nom de « Michel nostradamo Medico di Salon di Craux in provenza » :
LI PRESAGI ET PRONOSTICI DI M. MICHELE NOSTRADAMO FRANCESEQVALE PRINCIPIANDO L'ANNO M.D.LXV. diligentemente discorrendo di Anno in Anno fino al 1570. Chiara mente ci dimostra tutto quello che gli influssi Celesti dinotano tanto di bene, quanto di male, si delli raccolti boni, quanto delli rei. ANCORA PREDICE NELLI DETTI ANNI 1565. fina al 1570, (...) Diligentemente estratti dalli originali francesi; nella nostra italica lingua.
Michel nostradamo Medico di Salon di Craux in provenza. Alla S. di Papa Pio. III.
di questo nome Composto;
Il faudrait, par ailleurs s’intéresser aux vignettes[7].
Celle de l’Almanach pour l’an 1566, Lyon, Antoine Volant & Pierre Brotot[8] est celle qui est utilisée pour la Prophétie merveilleuse/ commençant ceste presente année dure jusqu'à l'an de/ grande mortalité, que/ l'on dira M.d.lxviij./ An de bissexte. Par Mi. de Nostradamus. Paris,/ Par Guillaume de Nyverd –par ailleurs également éditeur de la Prognostication et amples prédictions pour 1567-dédié à Alençon- par Mi. de Nostradamus qui s’en sert aussi pour [9] la Prognostication : & Amples Predictions, à tous-jours & jamais, à commencer de ceste presente Année.Composée & calculeé [sic]par Mesaire Panthalamus, grand Docteur en Argorine, Residant es Villes Recreatives & Joyeuses. (vers 1565-1568) . Signalons aussi, chez Benoist Rigaud, les Predictions pour trantesept ans, des choses plus memorables, qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens soixante & dix, jusques à l'an mil six cens sept[10].
C’est aussi celle qui servira pour les fausses éditions Benoist Rigaud 1568, elles-mêmes dérivées de l’édition Pierre Rigaud autour de 1600. L’année 1568 figure justement sur l’édition Nyverd avec la dite vignette. On trouve aussi le portrait de Nostradamus le Jeune in Prédictions pour 20 ans ( jusqu’en 1583…)trouvées en la bibliothèque de nostre dernier défunct décédé, Rouen, Pierre Hubault. Ce portrait sera repris dans les éditions Pierre du Ruau, Troyes, notamment pour les fausses éditions Lyon 1568. il est accompagné d’un quatrain que l’on retrouvera en tête de la première centurie.
La thèse de l’imposture nous parait assez peu probante, même si un Nicolas du Mont, en 1571 se lance dans un violent réquisitoire contre certains imitateurs. Il est clair que le cas Crespin n’est pas comparable au cas Nostradamus Le Jeune, si ce n’est que Crespin reprend dans son œuvre le quatrain I, 1 associé à Nostradamus le Jeune.
Selon nous, Michel Nostradamus utilisait la forme Mi. de Nostradamus dans certains cas, et en fait uniquement quand il s’agissait de « prophéties » couvrant plusieurs années. Elle sera reprise à sa mort, comme le note Benazra, avec l’adjonction Le Jeune tout comme la forme Michel Nostradamus sera complétée de la même façon. Nous avons signalé la référence assez précise dans certains intitulés liés à la bibliothèque qui semblait relever d’un lien de famille.
Il y a certes, une objection de taille qui est celle du testament de 1566 qui ne mentionne pas de Michel, parmi les enfants de Nostradamus mais Benazra, lui-même, a publié des textes qui mentionnent un Michel comme étant l’ainé des enfants qu’eut Michel Nostradamus avec Anne Ponsard. Nous ne pensons pas que le dit testament soit un document si sûr que cela. Il révèle certainement une volonté d’évincer le dit Michel pour quelque raison que ce soit. C’est plutôt de ce côté que nous voyons une contrefaçon. Rappelons que la pierre tombale a été tronquée dans le Brief Discours, d’où le nom d’Anne Ponsard a totalement disparu alors qu’il figure dans la version anglaise de 1672, non seulement sur l’épitaphe mais dans le cours de la biographie. Il faut probablement y voir quelque règlement de compte entre César et le dit Michel, vraisemblablement mort en 1574, devant Le Pouzin, dans des conditions assez troubles..
Patrice Guinard nous met sur une piste[11] en citant César de Nostredame (Histoire de Provence, p. 804) : "Si j'ai composé cette inscription, ce n'est ni par ostension, ni superflue vanité, mais par un juste devoir, accompagné d'un désir de jetter plus loin et plus avant le nom de celui qui m'a mis au monde, laissé quelque trace d'honneur excellent et non commun... Il a bien mérité cette niche tant exiguë et modeste parmi tant d'illustres et magnifiques trophées et marque d'immortalité." (Leroy, 1972, p.107). Guinard commente : « Ce texte a été tronqué et interprété par certains, avec et après Leroy, comme indiquant que César lui-même, âgé de 12 ans en juillet 1566, aurait pu composer l'épitaphe de son père (…) Or, bien évidemment, César ne prétend pas l'avoir composée, mais l'estime digne d'être citée et de figurer dans son texte ! » Mais l’on peut aussi supposer que cette épitaphe ait pu être composée bien après 1566. Au nom de l’honneur de la famille, de quoi César n’était-il pas capable ? Relevons ce passage étrange du testament : « et aussy a prélégué et prélègue ledict Maistre Michel de Nostradamus testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu'il a à celluy de ses filz qui proffitera plus à l'estude et qui aura plus beu de la fumée de la lucerne, lesquels livres ensemble toutes les lectres missives que se treuveront dans sa maison dudict testateur, ledict testateur n'a vouleu aulcunement estre invantarizées ne mis par description ains estre serrés en paquetz et banastes jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l'eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict testateur » Autrement dit, Nostradamus ne sait pas encore dans le dit testament à qui il va léguer ses documents.
Et voilà que justement, autour de 1568, ce Mi. de Nostradamus le jeune se réfère à cette bibliothèque, en vue de publier des pièces astrologiques, ce qui fait bel et bien écho au dit testament – dont on peut se demander comment il en aurait eu connaissance s’il n’avait pas été de la famille, et semble ainsi répondre à la question restée en suspens du fils qui aura accès à la dite « chambre ». On peut se demander si César ne se serait pas senti trahi par sa mère pour quelque raison. Or, Chavigny souligne son amitié pour César à la fin du Brief Discours.(p. 6), dans le passage qui précisément traite des enfants de Nostradamus : « De la seconde femme (pas de nom !),il a laissé six enfants, trois fils & trois filles. [Le premier des masles nommé César, personnage d’un fort gaillard &
gentil esprit est celuy auquel il a dédié ses Centuries premières duquel nous devons espérer de grandes choses si vray est que l’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père (…) où je renvoye le lecteur] » : On a l’impression d’une interpolation, d’une digression (que nous avons mise entre crochets) car immédiatement le texte se poursuit « Entre autres enfantements de son esprit second (..) il a escrit XII Centuries ». « Il », ce n’est évidemment pas César mais Nostradamus et cela devrait faire suite à la phrase « Il a laissé six enfants, trois fils & trois filles ». Le texte du testament tel qu’il nous est parvenu n’a pas été débarrassé de ses passages assez troublants. On a l’impression que l’on cherchait des signes de la faveur de Nostradamus envers tel ou tel de ses fils – on pense à Isaac et au droit d’ainesse que Jacob avait obtenu d’Esaü, son jumeau pour « un plat de lentilles », devant le lit de mort du père. La Préface que Nostradamus aurait laissée à son fils César et qui serait une sorte d’avenant au testament, donnant le nom du fils élu, doit certainement être appréhendée dans un tel contexte.
L’on peut certes nous reprocher de voir des contrefaçons un peu partout. Mais dans le cas de Nostradamus le Jeune, la thèse d’une imposture suppose un ensemble de complicités qui nous semble bien plus invraisemblable par son ampleur démesurée –une bonne dizaine de libraires en diverses villes- que la seule contrefaçon d’une page de texte manuscrit et l’intervention d’une mère. Force en tout cas est de constater que Michel Nostradamus le Jeune semble avoir pris son frère de vitesse, peut être avec la complicité de sa mère laquelle a peut être instrumentalisé son fils. Qu’il y ait eu des complaisances, des intérêts en jeu, probablement mais que ce fils Michel ait été une invention, c’est aller un peu trop vite en besogne Il est probable que la publication des Commentaires de Nostradamus sur ses présages prosaïques parus entre 1550 et 1567 a fort bien pu être assurée, chez Benoist Rigaud, par ce Nostradamus le Jeune.-ouvrage qui n’a pas été retrouvé mais qui est signalé dans la bibliographie- parue sous le nom de Bibliothèque- de Du Verdier (1585) « dix centuries de quatrains. Benoist Rigaud. 1568 ». La substitution d’un autre corpus constitué de centaines de quatrains, précédé d’une pseudo préface de Nostradamus (l’Ancien) à un autre fils, César, va s’effectuer au cours des années 1580 avec pour commencer une série de 349 quatrains, non encore divisés en centuries (mouture restituée, en dépit du titre, dans Rouen Du Petit Val 1588) pour éviter la redondance des titres avec l’ancien corpus naturellement divisé en centuries, selon un critère annuel. Mais très vite, l’idée de présenter ce nouveau corpus lui aussi « divisé en quatre centuries » va s’imposer (cf le titre de Rouen 1588) et on se dirige alors vers un nouvel ensemble de 10 centuries. Chavigny présente ces deux corpus comme un diptyque, en retouchant la fin du Brief Discours ; il semble avoir effectué un certain revirement : au départ, il s’inscrit dans le corpus ancien des présages prosaïques et ensuite, il va basculer en intégrant des éléments de ce nouveau corpus, ce qui d’ailleurs correspond aussi un revirement politique en faveur d’Henri IV, qui correspond à l’émergence d’un nouveau lot de trois centuries.
Le fils de Benoist Rigaud, Pierre, va aller dans le même sens en publiant, autour de 1600, suite à la mort, début 1597, de Benoist Rigaud, lequel avait été partie prenante dans la publication en 1568 du premier corpus, d’une édition du nouveau corpus de 1000 prophéties (environ), à partir de l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590. Quant aux libraires troyens, sous le nom de Pierre du Ruau, ils vont confondre allégrement les deux corpus en se référant à une édition Lyon 1568, mais avec le portrait de Nostradamus Le Jeune., pour faire paraitre vers 1643, le nouveau corpus avec quelques éléments de l’ancien, en annexe, à savoir les Présages, tirés des commentaires du Janus Gallicus...
A cette thèse vient, comme on l’a dit plus haut, s’opposer le fait des aveux en règle de Mi. de Nostradamus figurant dans l’Epitre, non datée, du dit Mi. de Nostradamus au très jeune duc d’Alençon, frère du duc d’Anjou et de Charles IX, placée en tête d’une Prognostication pour 1567 (privilège 31 août 1566, soit immédiatement au lendemain de la mort de Nostradamus) : « non sous le nom de Maistre Michel de nostre Dame, de Salon de Craux de Provence, conseiller & medecin ordinaire de la sacrée maiesté du Roy vostre frere mais bien sous le nom de MI. DE NOSTRADAMUS qui n’ay point honte de m’avouer son disciple & sous la main duquel j’ay esté conduit à la cognoissance de plusieurs choses celestes & pour le faire profiter & n’estre ingrat de son bien receu, à son imitation, mesmes de son vivant, j’en ay mis en lumiere, qu’il a trouvez telz soyent de bon tesmoignage de luy, je ne lairay à tenir les mesmes voiles, s’il plaît à Dieu » Et Dupébe de commenter (à propos de la Lettre XXXIV) : « Ainsi cet astrologue révèle son imposture après la mort de son « Maître » et cela vaudrait pour l’ensemble de ses publications antérieures, à commencer par la Prognostication pour 1565..
Il est fait référence dans cette épistre à une précédente, déjà signalée au même dédicataire. « vous dédier encore le Recueil des Prédictions, Prognostications & Présages de cette présente année 1567 » Il semble qu’il soit fait ici référence à une autre Epitre au duc figurant en tête des Prédictions pour vint ans continuant d'an en an jusques en l'an mil cinq cens quatre vintz troys par lesquelles sont prédittes choses merveilleuses et de grande considération selon le seigneur et dominateur de l'année extraictes de divers aucteurs, trouvée en la bibliothèque (sic) de nostre défunct dernier décédé... maistre Michel de Nostre Dame... ont estez...
reveus et mises en lumière par Mi. de Nostradamus le jeune. Rouen: Pierre Brenouzer, 1568, également écrite à la suite de la mort de Michel de Nostredame. Mais cettte épitre, qui sera reprise en 1571 (cf supra), est due à Mi. de Nostradamus le Jeune alors que celui qui s’exprime dans la seconde épitre est Mi. de Nostradamus tout court mais elle ne serait parue qu’en 1568 même si elle concerne un document censé dater du début des années 1560, étant donné que ces Prédictions pour 20 ans, valent jusqu’en 1583..
P. Guinard note[12] à propos de la vignette, assez étrange et en fait unique sous la forme qui est la sienne : « La Prognostication pour 1567 (Paris, Guillaume de Nyverd) du farceur "Mi. de Nostradamus le jeune", parue à Paris chez Guillaume de Nyverd reprend (sic) la vignette "équilibriste" avec un personnage qui serait Jupiter, lequel se tient cette fois sur deux poissons, probablement visqueux et glissants, avec un petit sagittaire se tenant à sa gauche. Il tient désormais une épée dans sa main droite, et lève son bras gauche comme dans la représentation qui lui sert de modèle. Dans la théorie hellénistique des maîtrises astrologiques, la planète Jupiter est domiciliée dans les signes du Sagittaire et des Poissons. L'image jupitérienne est reprise dans une contrefaçon parisienne, la Pronostication fort utile & proffitable à toutes gens (Antoine Houic, vers 1570), et deux siècles plus tard dans une prétendue édition "Benoist Rigaud de 1568", imprimée à Avignon à la fin du XVIIIe siècle (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 38). » On ne voit vraiment pas comment cette vignette pourrait « reprendre » d’éditions postérieures, à commencer par celle des éditions Benoist Rigaud 1568 alors que la Prognostication est censée dater de 1566. à moins évidemment que l’édition de la Prognostication pour 1567 ait été antidatée, ce qui nous semble en effet avoir été le cas. Il nous semble que cette épitre, comme cela est reconnu ingénument, s’inspire d’une autre épitre au duc d’Alençon, parue à la mort de « Maistre Michel de nostre Dame » -on notera qu’elle « reprend » la formulation exacte assez singulière du titre de l’édition datée de 1568. (Rouen, Brenouzer), laquelle lui serait en fait postérieure. C’est d’ailleurs l’occasion de préciser que Mi. de Nostradamus se rapproche de Michel de nostre Dame, au moins autant que la forme sans particule de « Michel Nostradamus », On notera que sur la page de titre des Pronostications de Nostradamus, les deux formes cohabitent : d’une part, au titre « Michel Nostradamus » et d’autre part dans le cadre même de la vignette, « M DE/ NOSTRE/ DAME », sur trois niveaux.
Que penser donc des «aveux » de ce Mi. de Nostradamus – il y revient tout à la fin du volume- dans cette « nouvelle » épitre au duc d’Alençon, avec une vignette fantaisiste et hybride ? Pour notre part, nous les trouvons suspects. On notera que la vignette de la Prognostication pour 1565 n’est pas reprise pour celle censée être vouée à l’an 1567. Nous pensons au contraire à cette lettre dédiée au duc d’Anjou, publiée par Benoist Rigaud – Prognostication ou Revolution pour 1565 – dans laquelle Mi. de Nostradamus (alias Michel de Nostre Dame) se réfère (fol A III) à ses « Almanachz & Prognostications » (donc parus sous le nom de Michel Nostradamus) et qui nous semble bien l’œuvre du « premier » Nostradamus. Que penser de la formule de la seconde épitre de Mi. de nostradamus à Alençon : . « vous dédier encore le Recueil (sic) des Prédictions, Prognostications & Présages de cette présente année 1567 », formule assez inhabituelle ?
Ce Mi. de Nostradamus qui déclare prend la suite du fait de la mort de M. de nostre dame, pourrait avoir ensuite préféré adopter le nom de Mi. de Nostradamus le Jeune pour se démarquer. On note que la page de titre comporte un quatrain et que chaque mois est en fait résumé par un quatrain. Cette pratique du quatrain placé au titre va caractériser la production néonostradamique, notamment chez Crespin. En ce cas, il ne faudrait pas confondre Mi. de Nostradamus le Jeune et Michel Nostradamus le Jeune, ce dernier étant bel et bien le fils de Michel Nostradamus, lequel, on l’a vu, se référe à la bibliothèque du défunt et donc indirectement au Testament [13][14] alors que le « Mi. de Nostradamus » ne serait qu’un « disciple ». Mais quelque part de tels aveux ne visaient-ils pas à disréditer, par riccochet, Nostradamus le Jeune ? Cette pratique des quatrains mensuels attestée donc dans la Prognostication pour 1567 va dans le sens de la thèse selon laquelle les « Centuries » auraient été nourries en partie d’une telle production poursuivant celle des almanachs de Nostradamus. On notera que désormais les présages mensuels figurent au sein de la Prognostication.
JHB
25. 08. 12
[1] Cf J. Dupébe, Intr. Lettres Inédites, Droz , 1983, p.115
[2] Les imposteurs et pièces apocryphes sur Nostradamus, espace Nostradamus
[3] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, 1989, planche p. 43
[4] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit. planche p. 55
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 67-68
[6] Voir notre étude in RHR 1990 sur la Contrepronostication de Nostradamus.
[7] CORPUS NOSTRADAMUS 55 -- par Patrice Guinard « Les vignettes de Nostradamus (avec près de 100 vignettes commentées, dont une quinzaine, inédites ou inconnues des nostradamologues) ‘
[8] Cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit, planche p. 46
[9] CORPUS NOSTRADAMUS 54 -- par Patrice Guinard « Quatre pronostications sous influence nostradamique «
[10] CORPUS NOSTRADAMUS 60 -- par Dr. Patrice Guinard. Biblio-iconographie du Corpus Nostradamus.
[11] CORPUS NOSTRADAMUS 10 –« Naissance de Michel de Nostredame : le 21 décembre 1503 «
[12] (Corpus 55 « Les vignettes de Nostradamus »
[13] Cf texte in Daniel Ruzo, Le Testament de Nostradamus, Ed Du Rocher, 1982, pp ; 21-27
JHB 09 0 23
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