dimanche 1 juin 2025

Maurice Ruben Hayoun La place et le rôle de la tradition orale dans le judaisme

La place et le rôle de la tradition orale dans le judaïsme… Juin 8, 2018, 11:37 AM Depuis les origines, depuis la proclamation de l’idée religieuse judéenne, le judaïsme a toujours eu deux sources auxquelles il s’est abreuvé : l’une est la Tora écrite, les vingt-quatre livres canoniques de la Bible hébraïque, la Tora shé bikhtav et la Tora orale, la Tora shé be’al péh (mot à mot, la Tora qui est sur la langue). Donc qui n’est pas consignée par écrit mais transmise oralement de génération en génération. Si le statut de la première Tora n’a jamais été fondamentalement contestée dans le judaïsme, celui de la seconde l’a été, d’abord par les Saducéens dans l’Antiquité juive, puis par les Karaïtes lors du Moyen-Age, ces théologiens juifs avaient précédé le slogan latin sola scriptura ( l’Ecriture seule, et pas les commentaires prescriptifs de l’Eglise), et enfin par les adeptes de la réforme et du libéralisme dans le XIXe siècle allemand. Je renvoie sur ce point précis à mon ouvrage Le judaïsme libéral (Hermann Editeurs, 2016). Je ne parle pas de l’Eglise chrétienne qui s’est, pour sa part, approprié le corpus dit vétérotestamentaire, tout en le vidant de son contenu positif, notamment tout le système juridico-légal de la Tora qui devenait superflu à la suite de l’apparition et du sacrifice de Jésus… Donc, aux yeux de l’église chrétienne, la tradition orale n’avait aucune valeur contraignante. Ni même aucune légitimité. Plus tard, au Moyen Age, lorsque la théologie chrétienne se sera consolidée, il sera question du sensus judaicus senus carnalis (le sens juif est le sens de la chair), et donc pas de l’esprit. Mais en quoi consiste au juste cette tradition orale qui accompagne toujours l’interprétation des versets de la Tora orale ? Il s’agit du vécu et du penser des maîtres de la tradition qui ont appris à interpréter les textes consignés par écrit. Or, on sait bien que la lettre fige, voire pétrifie ou tue alors que le verbe, la langue orale, vivifie et actualise. On évitait ainsi un grave décalage entre l’écrit tel qu’il figure dans les Ecritures et l’évolution de la vie de tous les jours : au cours de l’évolution historique, certaines choses apparaissent qui n’étaient pas prévues depuis les origines. Par l’interprétation orale, on élargit le spectre de l’écrit pour une sorte de mise à jour ou à niveau. Ce corpus d’interprétations orales ne devait pas quitter ce statut d’oralité. Il y avait dans la littérature ancienne un certain interdit d’écriture afin de ne pas donner au verbe humain, à l’intellect humain le même statut que celui de la Tora écrite, censée provenir du Ciel. Un passage talmudique concernant ce point est absolument clair : ce qui t’a été transmis par oral tu n’as pas le droit de le transmettre par écrit : ma shé nimsar lékha be al péh, eynekha rashaï le mossro bikhtav… Comment, alors, en sommes nous parvenus à avoir ce volumineux corpus de traditions orales consignées par écrit ? La réponse est simple : ce sont les vicissitudes de l’Histoire juive, plus proche de la martyrologie que d’une Histoire nationale ou religieuse proprement dite, qui dictèrent cette transformation : pour sauver l’ensemble des lois de la Tora, censée en compter pas moins de 613 (taryag mitswot), pour préserver toute la tradition de l’oubli et de la disparition pure et simple, les Sages ont choisi d’enfreindre une seule loi, l’interdit d’écriture, dans le but de sauver tout le reste. C’est ainsi que la tradition talmudique justifie ce qu’il faut bien nommer une révolution copernicienne : la mise par écrit des exégèses des Sages. C’est donc la détresse qui dominait toute l’Histoire juive au lendemain de la destruction du second Temple et de la mise à sac de Jérusalem, qui a transformé la nécessité en loi : il fallut consigner par écrit tous les enseignements des sages dans leurs académies, faute de quoi ils se seraient perdus entièrement. Les deux plus anciennes tendances, probablement stylisées afin de camper ce que fut dans la vie concrète l’activité académique des générations, sont dénommées d’après le prénom de leurs fondateurs respectifs : Hillel et Shammaï. Et pour bien les mettre en évidence, on les a opposés l’un à l’autre. La première brille par son humanité, sa tendresse et sa douceur, tandis que la seconde passe pour avoir été un modèle de rigueur et de dureté. Au point qu’aujourd’hui même, quand on dit qu’on défend un point de vue rigoriste, on se réclame de l’école de Shammaï. On peut utiliser une métaphore hébraïque à son propos : Fiat justicia pereat mundus (Que la justice soit, le monde dût il en périr) ; en hébreu cela se dit : ykkov ha-din et ha ha-har: la loi percera même la montagne, s’il le faut… Comment se présente cette tradition orale qui a donc perdu son oralité pour les raisons mentionnées ci-dessus ? Elle se révèle à nous sous la forme d’innombrables commentaires de la Tora écrite : d’un côté, on a des commentaires très sérieux, juridico-légaux, portant presque exclusivement sur le corpus juridique de la Torah, il s’agit alors des midrachim de la halakha (midréché halakha), œuvres de juristes chevronnés qui n’ont aucun sens da la fantaisie ; d’un autre côté, nous avons les midrachim plus abordables, qui mettent la Tora à la portée des plus simples. Il s’agit alors des midréché aggada, l’aggada étant un récit narratif qui vous plonge dans une situation concrète. Afin de rendre plus claire et moins abstraite la tradition. Le Talmud va encore plus loin pour souligner l’aspect primordial de cette tradition orale faite de métaphores et d’images concrètes, en édictant le principe suivant : veux-tu connaître Celui qui a dit que le monde soit et le monde fut, alors apprends l’aggada (retsonekha la da’at mi shé amar wé haya ha olam ? Lemad aggada…) On peut dire sans crainte de se tromper que l’aggada a horreur de l’abstraction ; elle opte entièrement pour la métaphore, pour la parabole, pour tout ce qui rapproche du réel ; elle bannit de son vocabulaire tout ce qui relève de l’intellectualisme pur. Et c’est probablement elle qui est à l’origine des récits paraboliques de Jésus conservés dans les Evangiles. Lorsqu’elle veut visualiser un commandement, que ce soit un interdit ou au contraire un commandement positif, elle commence par dire ceci : A quoi cela ressemble-t-il ? Qu’est ce que cela peut bien signifier ? Et elle dit aussitôt ceci : pensez à un roi qui ordonne telle ou telle chose à ses sujets, etc… etc… Voici un exemple encore plus terre-à-terre, sans que cette formule n’implique la moindre nuance péjorative : pourquoi donc la vache rousse a-t-elle des cendres aux vertus lustrales, c’est à dire purificatrices ? Certes, nous ne savons pas pourquoi il en est ainsi mais la tradition orale nous explique la situation : le veau d’or a causé un grave traumatisme dans l’histoire religieuse d’Israël. Il fallait laver cette souillure. L’Aggada trouve la similitude suivante : Que se passe-t-il lorsqu’un enfant salit le palais du roi en y déposant ses excréments ? Eh bien, c’est sa mère qui vient nettoyer ce que son fils a souillé. De même, la vache rousse nettoie la faute du veau : c’est sa mère… Lui ne saurait être tenu pour responsable de quoi que ce soit ! Avec une telle explication si terre à terre, si triviale, les paysans incultes de Galilée comprenaient enfin le rapport entre le veau d’or et la vache rousse… Les savants de la science des religions ou des religions comparées ne seront probablement pas convaincus par cette solution mais voilà les pupitres des prédicateurs et des sermonnaires judéens des premiers siècles de l’ère chrétienne n’occupaient pas des chaires au Collège de France… Mais cette tradition orale a suscité bien des controverses au sein même du judaïsme, et bien évidemment à l’extérieur aussi. Je vais me concentrer sur un exemple émanant d’un juif allemand qui en 1822 à Berlin a directement consacré une analyse à ce sujet portant sur les «débordements» de cette même tradition qualifiée d’arbitraire et de comportement parasitaire. Cette critique que j’esquisse ici même provient d’un érudit nommé Lazarus Bendavid (1762-1832) et qui était aussi mathématicien. Faisant partie du célèbre Culturverein, cénacle culturel pour la renaissance juive, il y a prononcé une conférence sur la loi écrite et le loi orale. Voici ce qu’il dit en tête de son allocution. L’arbre magnifique de la religion a été envahi par des parasites qui en ternissent l’éclat et nous font perdre de vue sa beauté et sa grandeur. Ces branches gourmandes ont rabougri les rameaux de cet arbre, en ont aspiré la sève et détruit le feuillage à l’ombre duquel une humanité réconciliée et fraternelle pouvait se reposer ; et qu’a-t-on fait pour y remédier ? rien du tout et parfois même moins que rien. On contemplait ces excroissances avec une crainte révérencielle car on pensait qu’elles représentaient l’arbre lui-même. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour la bonne raison qu’on n’osait pas s’en prendre à ces parasites car on ne savait pas faire le départ entre la loi écrite et la loi orale. La conséquence en fut l’impossibilité de définir l’essence du judaïsme lui-même. Demain, je consacrerai mon article à l’analyse de cette étude de Lazarus Bendavid à propos de l'auteurNé en 1951 à Agadir, père d'une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs. Comments « Le terrier de Franz Kafka »… Une étrange nouvelle Juin 3, 2018, 10:28 AM Facebook Twitter Email Imprimer Veuillez noter que les publications sur la plateforme OPS & BLOGS proviennent de tierces personnes. Les opinions, les faits et tous les contenus médiatiques qu’elles contiennent sont présentés uniquement par les auteurs, et ni le Times of Israel ni ses partenaires n’en assument la responsabilité. Merci de nous contacter en cas d'abus. En cas d'abus, veillez à nous le signaler. Voilà une nouvelle de Kafka, la toute dernière avant sa disparition due à la tuberculose en 1924, qui m’a donné du fil à retordre, si l’on veut bien me passer cette expression. Après une lecture très attentive, tant la nature même de ce narrateur-constructeur m’a constamment dérouté, j’ai cherché à construire (je dis bien que c’est une construction intellectuelle de ma part, et peut-être absolument étrangère à l’esprit même de son concepteur) un ensemble intelligible, logique, à l’aide de références autobiographiques, disséminées dans le texte. J’en ai trouvé quelques unes qui ramènent à deux éléments fondamentaux dans l’existence même de Kafka, et qui en appellent tant au conscient qu’à l’inconscient : sa judéité et sa maladie qui l’emportera en 1924 et qui fut diagnostiquée dès 1917. Je le souligne encore une fois : il se pourrait bien que je me trompe, mais je me demande aussi vraiment si Kafka a voulu respecter les normes d’une nouvelle, logique avec un début et une fin… D’ailleurs, le récit s’arrête de manière abrupte, sans avoir de fin… C’est donc une œuvre inachevée, comme toute œuvre humaine conditionnée par notre nature mortelle. Encore un détail qui renforce bien involontairement mon désarroi d’interprète-commentateur : par le hasard des envois des éditeurs et l’ordre chronologique de mes lectures, avant de me mettre à l’étude du Terrier (traduction nouvelle par Jean-Pierre Verdet, Gallimard, 2018), j’avais achevé la lecture non moins intrigante de Thomas l’obscur de Maurice Blanchot (également paru chez Gallimard). Je sortais donc d’un livre frappé du coin de l’imaginaire et du fantastique, des pensées morbides, mortifères de l’auteur, pour sauter dans un autre monde symbolique, kafkaïen, tout aussi pénible : j’allais donc de Charybde en Scylla… Cela m’a tellement affecté que j’ai renoncé à parler de cette longue nouvelle de Blanchot, en me promettant de réserver un meilleur sort à ses autres œuvres qui sont entre mes mains. Revenons au Terrier. J’ai cru sentir, vers le milieu du récit, un changement de style, d’approche et même de sensibilité de ce narrateur, mi-homme et mi- animal. De quoi s’agit-il ? On nous présente un narrateur qui parle de son terrier car il ne vit pas sur terre mais sous terre où il s’est creusé un terrier afin d’échapper à tous ses ennemis, imaginaires pour la plupart , mais qui l’obsèdent de tout temps et justifient les précautions infinies dont il s’entoure, au point même de créer une fausse entrée de son gîte, une sorte de tapis de mousse visant à égarer d’éventuels intrus. Sur plus de cinquante pages, c’est-à-dire une bonne moitié de l’œuvre, le narrateur-creuseur évoque son travail dans le terrier qui fait parfois figure de refuge, de place forte d’où personne ne pourra le déloger ; il présente aussi ses entrepôts regorgeant de carcasses d’animaux dont l’odeur embaume son gîte et dont il se repait à l’instar de tous les autres insectes qui chassent pour se nourrir. Les galeries souterraines font penser à des dédales, des labyrinthes que le narrateur est le seul à bien connaître… Mais on se demande ce que signifient toute cette volonté, toute cette ardeur à creuser toujours un peu plus, comme si on voulait se couper définitivement du monde des hommes. Dont on n’attend plus rien : l’homme malade se sait condamné. Voici, à présent, les différentes citations que j’ai relevées pour reconstruire un sens et tenter de percer au jour l’intention profonde de l’auteur. Je dois, cependant, rappeler quelque chose : Max Brod fut l’ami et le légataire testamentaire universel de Kafka, lequel l’avait prié de brûler toutes ses œuvres après sa mort… Mais Brod s’est attiré l’inimitié et l’agacement des spécialistes de Kafka en raison de ses interprétations juives ou judaïsantes… Même un éminent spécialiste de Kafka comme Claude David, dont je fus jadis l’étudiant au département d’études germaniques, a contesté cette approche judaïsante de Brod… Selon moi, à tort, avec tout le respect dû à la mémoire d’un si grand spécialiste de la littérature allemande. Une chose demeure incontestable : comme l’auteur se savait gravement malade et donc condamné, certaines déclarations se retrouvent presque automatiquement sous sa plume : Pour qui les vieux jours approchent, il fait bon avoir un terrier comme le mien, où se mettre à l’abri quand arrive l’automne (p.31). On a l’impression de lire les dernières volontés d’un homme qui se prépare à quitter le monde des vivants… L’automne c’est la saison où les arbres perdent leurs feuilles et pour les êtres humains c’st l’antichambre de la mort. Certains critiques ont assimilé cette entreprise de creusement de galeries souterraines aux travaux d’écriture, au labeur auquel l’écrivain se soumet pour produire une œuvre : il creuse avec son front, son front ensanglanté par tant d’efforts, comme on peut le lire ici : J’étais heureux quand mon front était ensanglanté (p 33). Et quelques pages plus loin, Kafka revient sur cette image et y mêle l’idée même de Providence : Probablement parce que la Providence tenait à la conservation de mon front qui est un marteau-pilon particulièrement opportun (p.41). On creuse avec son front. Voici une phrase qui avalise mon interprétation : Je m’égare un moment dans ma propre création (p.49) Pourquoi ce vif sentiment de culpabilité ? C’est bien le thème central de l’œuvre de ce Juif pragois, employé par une compagnie d’assurance, lui qui n’était jamais sûr de rien et versait si facilement dans l’imaginaire. Il sent peser sur ses épaules l’hostilité générale. Est ce une allusion à l’antisémitisme ambiant qui faisait rage à l’époque, n’épargnant personne ? Il faut bien trouver une raison à cette nécessité de vivre seul, barricadé derrière des mottes de terre où le moindre bruit, le moindre sifflement ou bruit vous met en alerte et fait que vous retenez votre souffle : Le terrier m’offrait de bons moments au cours desquels je n’étais pas loin de me dire que l’hostilité du monde à mon égard avait peut-être cessé – ou pour le moins se calmait- ou que la puissance du terrier me dispensait du combat à mort que j’avais mené jusque là. Le terrier me protégeait peut-être plus que je ne l’avais jamais pensé ou que j’osais l’imaginer quand j’étais à l’intérieur… Cela étant, un effroi subit vous arrache à ces rêves enfantins. (p.55) L’inévitable finit par arriver : le sentiment de solitude pèse à notre narrateur mi homme et mi animal. Ses sens sont aux aguets, (p.63 mais il ne vient personne et je suis réduit à dépendre de moi seul). Si vous êtes désespérément seul (Seul comme Franz Kafka, disait Marthe Robert), vous ne pouvez compter sur personne, aucune âme charitable ne viendra à votre secours en cas de besoin, aucun ami ne viendra à la rescousse. De fait, le terrier a du bon mais il comporte aussi des failles : Si seulement j’avais quelqu’un en qui je puisse avoir confiance, que je puisse placer à mon poste d’observation, je pourrais alors bien sûr, descendre en toute tranquillité… Et pourtant, ce désir d’isolement dont on souffre à un moment donné n’en reste pas moins prédominant puisque l’auteur écrit ceci : Admettre volontairement quelqu’un dans mon terrier me serait extrêmement pénible (p.65) Car Le terrier et moi sommes étroitement liés (p.73). Mais peut-on vivre éternellement sans contact avec personne ? On ne peut pas rompre tout contact avec le monde des hommes : J’ai changé d’endroit ; du monde d’en haut je suis venu dans mon terrier et j’en ressens sur le champ les effets (p.77) Dans la citation suivante, je vois une allusion aux Juifs et à leur destin, même si le contexte renvoie aux petits insectes ou autres rongeurs dont parle l’auteur. (p.83) : Quel peuple perpétuellement actif et que leur assiduité est importune… Cette déclaration reprend en termes plus choisis les défauts que les antisémites attribuaient aux juifs, dénonçant leur activisme dans tous les domaines, notamment culturels et économiques. Nous avons à faire à un homme, le narrateur qui se sait condamné et dont la fin est proche. Quand il dit qu’il creuse, il signifie aussi qu’il lutte contre la maladie qui va l’emporter : n’est ce pas aussi une manière d’avoir enfin la paix ? Lisons cette citation : Alors, la paix y serait garantie et je serai son gardien. Mais justement une telle harmonie ne règne pas présentement et je dois être à mon travail, presque heureux qu’il soit désormais bien directement consacré à la place forte… (p.93). Comment interpréter cette fausse joie, cette accalmie qui tarde à venir ? Est ce un désespoir de ne jamais voir arriver la rédemption tant attendue ? Car, au fond, quelle est la caractéristique majeure de l’époque messianique, sinon la paix, la paix univesrelle. S’il croyait à une issue heureuse, Kafka ne serait plus Kafka : un grain de sable vient tout compromettre, Un bruit qui existe depuis toujours. Et c’est quoi, ce bruit ? Je pense que c’est l’antisémitisme, un mouvement irrationnel qui sévit depuis toujours comme le disait Théodore Mommsen. A la fin de la nouvelle, Kafka en appelle à la raison, de manière presque désespérée : Si la raison doit revenir à l’honneur, elle doit y revenir pleinement. Il parle aussi de paix, ce qui est très révélateur : Quand je reviendrai, la paix retrouvée, je réparerai tout définitivement (p.105) A l’évidence, le terrier ne saurait être ce havre de paix auquel aspire l’auteur : (p.129) Là du moins, je serai en paix, autant que la paix puisse régner encore ici. Cette nouvelle retient encore par devers elle son secret, celui d’un homme de lettres qui vit dans son imaginaire, entièrement absorbé par sa création littéraire. Ne parle t il pas de son front, symbole de l’intelligence, comme d’un marteau-pilon ? à propos de l'auteurNé en 1951 à Agadir, père d'une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs. Comments Dieu, quelle place dans la cité ? Mai 31, 2018, 10:28 AM Facebook Twitter Email Imprimer Veuillez noter que les publications sur la plateforme OPS & BLOGS proviennent de tierces personnes. Les opinions, les faits et tous les contenus médiatiques qu’elles contiennent sont présentés uniquement par les auteurs, et ni le Times of Israel ni ses partenaires n’en assument la responsabilité. Merci de nous contacter en cas d'abus. En cas d'abus, veillez à nous le signaler. Tel est l’intitulé du colloque, organisé le 24 mai au soir, lors de la nuit de la philosophie, par Madame Paule Henriette Levy, la talentueuse directrice de le RCJ et responsable de l’action culturelle du FSJU. Il s’agit de la seizième édition de cette sympathique rencontre qui se tient à Aix en Provence, dans les locaux de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, sous les auspices du centre culturel Darius Milhaud. L’amphithéâtre universitaire où tous les orateurs ont parlé, est une ancienne chapelle aménagée pour ce nouvel usage mais tout en conservant de splendides peintures murales et une très bonne acoustique. On conviendra aisément que le sujet – la place de Dieu dans la cité- était très vaste et que nous n’étions pas de trop pour tenter de la cerner : étaient présentes Mesdames P-H. Levy et Perrine Simon-Nahum, qui animaient les deux tables rondes qui se sont succédées, séparées par un buffet très bienvenu, offert dans la cour de l’Institut. Les participants étaient Messieurs Dan Arbib, Nicolas Baverez et Hakim Al-Karaoui. L’auteur de ces lignes a eu l’honneur de prendre part à la première table ronde, en fait un agréable échange de vues avec Me Paule Henriette Lévy qui fut, aux côtés de la responsable du centre culturel juif d’Aix en Provence, la puissance invitante… Comment parler de la place de Dieu dans la cité, près d’un siècle après le cri lancé par Fr. Nietzsche dans son livre, Ainsi parlait Zarathoustra qui parodie, comme chacun sait, le style biblique : Dieu est mort… Qu’est-ce qui se cache derrière cette formule à l’emporte-pièce et volontairement si provocante ? Que faut-il en déduire ? C’est le terme d’un processus de désenchantement du monde (Entzauberung der Welt), d’une expulsion de Dieu comme l’autorité suprême de l’intelligibilité de l’univers, c’est une manière de rejeter la férule tyrannique de l’Eglise chrétienne, surtout catholique, car dans le cas de l’Allemagne, l’advenue de la religion évangélique a libéré les esprits et s’est caractérisée par une grande liberté dans la critique textuelle des textes bibliques et évangéliques révélés ou prétendus tels. Dieu, considéré durant tout le Moyen Age de l’Europe chrétienne comme le créateur des cieux et de la terre, par sa simple volonté et son Verbe créateur à nul autre pareil, tandis que la science qui le constitue en objet, la théologie, se voyait promue au rang de reine des sciences : la critique de ce système est nettement perceptible dans la première partie du Faust de Gœthe, notamment dans le Prologue au ciel, où le héros, revenu de tout et ne croyant plus en rien, dit avoir tout étudié, toutes les sciences, y compris le droit et, pour couronner le tout, la théologie, censée donner un sens ultime, voire insurpassable au monde et aux hommes qui l’habitent. Il était évident, et la seconde table ronde l’a amplement prouvé, nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes : mon exposé initial s’en est tenu à la philosophie, à l’histoire des idées et à la confrontation entre le pensée discursive et la Révélation, alors que la suite s’est focalisée sur les débats actuels au sein de l’hexagone autour de l’islamisme… Or, comme le montre le dernier ouvrage de notre collègue Jean-François Colosimo (Aveuglements… Cerf, 2018), cette éclipse progressive de Dieu a commencé dès la fin du Moyen-Age, si célèbre pour sa tentative de faire de la philosophie grecque, revue et corrigée, la servante de la théologie, et donc l’asservissement de la spéculation philosophique à la foi religieuse, pour donner naissance à la scolastique ; pourtant c’est à cette même époque que la pensée gréco-arabe a permis à au moins un médecin-philosophe du XIIe siècle, Ibn Tufayl, de rédiger une épître de Hayy ibn Yaqzan (Vivant fils de l’éveillé), qui permet à un solitaire, né sans parents dans une île déserte, sans jamais avoir subi la moindre influence d’une tradition religieuse fondée sur une révélation divine, de parvenir à scruter efficacement les mystères de l’univers, d’en donner une description, fondée sur ses propres et uniques capacités intellectuelles… sans avoir jamais été catéchisé ou élevé dans une communauté religieuse. Plus tard, même son jeune protégé, le grand Averroès (Ibn Rushd), l’auteur du fameux Traité décisif dira que la religion, donc la Révélation, est la première éducatrice de l’humanité. Sous entendu : ceux qui le méritent et savent le faire, finiront par s’émanciper du surnaturel et du miraculeux. A la regarder de plus près, cette théorie précède de plusieurs siècles la thèse de G.E. Lessing dans son Education du genre humain (Erziehung des Menschengeschlechts). Il serait intéressant de voir s’il existe entre ces deux auteurs une relation de source à emprunteur… Nous tenons avec cette belle épître, rédigée dans un style élégant et sobre, initialement traduite par Léon Gauthier, la toute première critique des traditions religieuses et de la notion même de Révélation. Jamais une telle entreprise n’avait eu lieu, jamais un sage ne s’était assigné pour tâche de se mesurer à un tel défi. Qu’il l’ait ou non voulu, le sage musulman a ouvert la voie à l’idée même de critique des religions révélées et de leur message, sous forme de dictée divine ou comme une loi de même provenance. Cette épître est une sorte de manifeste humaniste qui, au milieu du XIIe siècle et au sein d’une communauté religieuse qui, de nos jours, pose tant de problèmes à l’Europe judéo-chrétienne, a dégagé un horizon absolument nouveau pour son temps : l’épître fut traduite en hébreu médiéval et le meilleur commentateur juif d’Averroès, Moïse de Narbonne (1300-1362) l’a commentée avec talent : toutes les copies de ce manuscrit, tant à notre Bibliothèque Nationale de Paris ou ailleurs dans le monde (Berlin, Munich, Leeuwarden, Oxford, Hambourg, etc…) comportent, en plus du texte de l’épître, le subtil commentaire de Moïse de Narbonne. Mais le monde chrétien, moins attentif aux productions philosophiques des milieux arabes ou andalous, a attendu quelques siècles avant de disposer d’une version latine procurée par Pococke (1604-1691)(Philosophus autodidactus) qui parla d’une Robinsonnade arabe. Cette manière de donner congé à Dieu ne manquait pas d’élégance ; l’auteur ne mettait pas vraiment fin à la présence de Dieu dans la cité, ni dans sa cité (nécessairement musulmane), mais frayait une voie nouvelle à la sagesse orientale et promouvait une approche du divin, totalement autre. On est loin de la Cité de Dieu de Saint Augustin… C’est la hikma (hochma en hébreu) qui prenait le pas sur la falsafa (philosophie gréco-arabe). La sagesse est antérieure au savoir démonstratif. L’époque de la Renaissance a représenté une étape importante dans cette évolution historique puisque la conscience européenne, affectée par les critiques de Spinoza et soucieuse de mieux comprendre ses assises théologiques et les sources qui les abreuvent, s’est lancée dans un vaste examen des langues anciennes… Elle ne voulait plus de commentaires des textes, inspirés par la foi religieuse mais les textes eux-mêmes, étudiés hors la présence des clercs. Cette tendance a, comme on l’a dit plus haut, donné naissance à l’humanisme et à la Réforme de Luther (qui placarda ses thèses en octobre 1517 sur la porte de son église à Wittenberg) et qui bouleversa ainsi l’équilibre religieux des pays germaniques. Mais Luther et ses partisans ne récusaient pas Dieu en tant que tel mais simplement la vision que le catholicisme romain entendait en imposer. Tout mouvement initial finit toujours par s’accélérer, qu’on l’ait ou non voulu : cet effort de sécularisation, de laïcisation, a fini par se développer au point de dominer le siècle des Lumières qui s’est construit contre Dieu et son régime sur terre, mais l’Aufklärung allemande est bien plus modérée que son corollaire français par exemple. Et notamment, en matière d’exégèse biblique. Un exception, peut-être : les Fragments d’un Anonyme (en fait un philosophe de Hambourg, Hermann Samuel Reimarus), publiés par Lessing en personne. Mais l’Allemagne s’est abstenue de décocher les traits les plus violents contre la croyance religieuse, contrairement à ce qu’a fait Voltaire, par exemple. Aujourd’hui encore, des notions qui nous apparaissent, à nous Français, comme coulant de source ne sont pas perçues comme telles en Allemagne où la religion est encore et toujours une matière académique comme les autres… Comme la société française a presque entièrement perdu son homogénéité sociologique, ce pays et sa laïcité se sont retrouvés, depuis une bonne décennie, confrontés à une contestation communautariste, essentiellement arabo-musulmane, qui ne se résout pas à cet exil de Dieu hors du monde. Les croyants ne veulent pas s’émanciper du surnaturel, du religieux ou du miraculeux… Autant de choses que la mentalité française ne parvient pas à admettre, depuis au moins la loi de séparation de 1905. Mais les deux autres religions monothéistes se défendent pour conserver à Dieu de nombreuses prérogatives dans la cité. Pourtant, le discours religieux fait partie intégrante de la culture européenne. La Bible constitue l’humus irremplaçable de notre spéculation philosophique et ses commentaires juifs ou chrétiens ont irrigué les siècles. Pourtant, on cite souvent ce passage talmudique où Dieu affirme en être lui-même réduit à la portion congrue dans cet univers qu’il a pourtant créé ; il se retranche, dit-il dans une légende talmudique, dans l’espace confiné séparant les deux chérubins du temple, l’un de l’autre. La question divine revient sur le devant de la scène grâce ou à cause des revendications d’une certaine religion dont les adeptes sont devenus la seconde religion du pays. Mais même jadis, dans sa politique à l’endroit des communautés musulmanes de son empire (voir la brillante thèse de Madame Jalila Sbaï, La politique musulmane de la France, 2018) les différents gouvernements de la République ont tout fait pour corriger cette tendance qui leur apparaissait comme une sorte de déviance… Le ministère des colonies et les autres institutions qui géraient l’empire français étaient d’avis qu’avec le temps on pourrait convertir tout ce monde aux idéaux laïcs et républicains. On connaît la suite… Mais voilà, de nos jours, cette forte réaffirmation de la présence divine et de sa loi, se passe en France métropolitaine avec, non plus des sujets musulmans, soumis au statut de l’indigénat, mais des citoyens française à part entière, décidés à défendre leur vision ou leur conception du monde (Weltanschauung). Comment mettre fin à ces dissonances et rétablir une paix civile sans restriction aucune ? En fait, il faudrait prendre des mesures fortes et intelligentes, respectueuses des croyances de chacun dans la mesure où elles n’entrent pas en collision avec la République qui a le dernier mot, insistant sur la complémentarité des cultures et non sur leur opposition diamétrale. On a oublié que Maître Eckhart, le fondeur ou l’inspirateur de la mystique rhénane entendait démontrer la véridicité de sa foi chrétienne en se servant des écrits d’Averroès et de Maimonide, traduits en latin… Quel bel exemple d’universalité de l’intellect humain… Ce problème de la coexistence dans un même état de populations d’origines différentes et régies par d’autres lois que les leurs, a déjà été évoqué dans la littérature talmudique. Il s’agissait de savoir si les enfants d’Israël devaient se soumettre aux lois des puissances étrangères d’occupation. C’est un sage du IIIe siècle, un certain Samuel, qui émit un principe, formulé en langue araméenne et qui a fait couler tant d’encre et gaspillé tant de salive : Dina de malkhouta dina (Guittin, fol. 10b), la loi du royaume, c’est la loi. Etant entendu que ce royaume ne nous contraint pas à violer des interdits fondamentaux pour le respect desquels il vaut mieux trépasser que transgresser… Dieu trouve toujours des voies d’accès que l’homme ne soupçonne guère. En somme, un colloque très riche, un public aixois très attentif et des intervenants de très grande valeur. à propos de l'auteurNé en 1951 à Agadir, père d'une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs. Comments

Aucun commentaire: