Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
lundi 5 juillet 2021
Jacques Halbronnn Bilan de son activité dans le champ de la bibliographie astrologique et prophétique depuis 1986 (édition augmentée)
Bilan de son activité dans le champ de la bibliographie astrologique et prophétique, depuis 1986.
Dans les Actes du Colloque en Histoire de l'Astrologie (L'Astrologie en Terre de France, en ligne sur SCRIBD) que nous avions organisé il y a 30 ans, dans la crypte de l'Eglise Sainte Anne de la Butte aux Cailles -75013 Paris – en 1987, nous avions organisé un Colloque sur la Lune, au Couvent dominicain Saint Jacques – nous avions consacré notre communication à dresser une Bibliographie de la littérature anti-astrologique français d'Oresme à Voltaire. En1986, nous avions, lors d'un Colloque à Bayeux, (La Cométe de Halley et l'influence sociale et politique des astres,) dressé une bibliographie sur les comètes (Les variations d'impact des comètes en France. Etude bibliographique fin Xve -fin XVIIIe siècles). En 2007, notre post doctorat portait sur le dominicain Jean de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle (EPHE Histoire du Cathlocisme) A cette occasion, nous avions rédigé un mémoire sous la direction de Louis Le Chatelier : » Le recours du clergé catholique français à l'anonymat dans le débat autoir de l'astrologie ( 1618-1710). En 1988, nous avions rédigé dans le cadre de la préparation de notre thèse d'Etat, qui ne sera soutenue qu'en 1999 (!) Le texte prophétique en France Formation et fortune) sous la direction de Jean Céard, un projet intitulé Introduction bibliographique à l'étude de l'Astrologie Française, le dit mémoire sera mentionné dans sa bibliographie par Hervé Drévillon dans sa thèse de doctorat (1994 EHESS) : Lire et écrire l'avenir . Astrologie, prophéties et prédictions dans la France du XVIIe siècle. Enfin, nous sommes l'auteur du CATAF, le Catalogue alphabétique des textes astrologiques français (cf site du CURA)
Nous avons notamment mis en évidence le rôle des membres de la Compagnie de Jésus, notamment à propos du Père Jean François dont le Traité de 1660 reparaitra sous le nom de R. Decartes (cf l'article de G. Bachelard). Mais d'autres Jésuites français avaient retenu notre attention comme le Père Nicolas Caussin Lettre à une personne illustre sur la curiosité des horoscopes-1649 et le Père Jacques de Billy ( Le tombeau de l'Astrologie Judiciaire)1657) Nous signalions aussi la participation au débat autour de l'Eclipse de 1654 de François d'Aix alias Théophraste Orthodoxe (cf le travail d'Elisabeth Labrousse, La Haye, Nijhoff, 1974, cf Nos Questions autour du texte sur l'Eclipse de 1654 attribué à Gassendi, in Gassendi et la modernité, Dir Sylvie Taussig, Brepols, 2008)
Entretiens curieux sur l'eclipse solaire du 12. Aoust 1654.
Mais nous n'avions pas alors réalisé quelle était la véritable identité de ce François d'Aix qui écrivait sous ce pseudonyme dont on nous disait qu'il était Jésuite. (cf Bibliographie de la Compagnie de Jésus de Sommervogel, tome I p. 100). D'aucuns avaient précisé que ce François d'Aix appartenait à la famille de la Chaize mais l'on nous avertissait qu'il ne fallait pas confondre ce personnage avec le Père Lachaise, confesseur de Louis XIV, dont le nom a été immortalisé par le cimetière qui porte son nom, diversement orthographié.
François d'Aix de La Chaize
Chez Guillaume Barbier Imprimeur ordinaire du Roy, en la place de Confort, 1654 -
Or, nous pensons que c'est bel et bien le futur confesseur qui à 30 ans avait produit sous le pseudonyme de Théophraste Orthodoxe le pamphlet en question. On nous signale qu'un oncle de François d'Aix portant le même nom se serait caché sous le pseudonyme en question. Certes, on apprend que 'La grand-mère, née Coton, avait un frère jésuite, grand-oncle de notre François, qui était devenu le confesseur du bon roi Henri IV puis de son fils Louis XIII » Mais cet oncle- certes Jésuite- ne portait nullement le nom de La Chèze. « L’abbé Pierre Coton est né à Néronde en 1564. Il fait ses études à Paris, à l’âge de 25 ans il rentre chez les Jésuites « En tout état de cause, il ne pouvait pas publier le texte de 1654 . à 90 ans. Or, dans certaines notices introduisant l'ouvrage en question on peut lire :
« Entretiens curieux sur l'eclipse solaire du 12. Aoust 1654. Par Theophraste Orthodoxe (i. e. François d'Aix de La Chaize, l'oncle(sic) »
Que vient faire ici cet « oncle » qui serait un autre François d'Aix de La Chaize ?
Nous pensons que l'auteur de ces Entretiens n'est autre que le futur confesseur de Louis XIV. Certes, il eut un (grand) oncle qui occupa ce poste par le passé auprès d'Henri iV puis de Louis XIII.
Le travail du bibliographe, tel que nous l'entendons englobe la question de la paternité des textes tout comme celle de leur datation puisque sur ces deux points, il peut y avoir débat. C'est ainsi que nous avons pu confirmé que Jean Giffré de Réchac était bien l'auteur de l'Eclaircissement des véritables quatrains de Nostradamus (1656), ouvrage souvent attribué à un certain Etienne Jaubert tout comme nous avons pu montrer, ce qui avait échappé à Bachelard ( en 1937) que le traité paru sous le nom de Descartes était en réalité une réédition du Traité du Jésuite Jean François.(cf Jacques Halbronn, Gaston Bachelard et les Véritables Connoissances des Influences Célestes et sublunaires de R. Decartes (site du CURA)
Le XVIIe siècle vit nombre d'auteurs prendre la peine d'écrire sur l'Astrologie de façon critique, ce qui témoignait de l'impact que celle-ci exerçait à l'époque. Le déclin de l'astrologie est marqué par l'absence des attaques.
En ce qui concerne notre œuvre de bibliographe, nous avons conscience qu'elle aura pu être d'une aide précieuse pour divers chercheurs qui n'auront pas eu à accomplir le travail en amont mais se seront contentés de « compléter » en aval.
Nous joignons à la présente étude notre travail paru en 2003 dans l’Encyclopaedia Hermetica, sur le site ramkat.free.fr
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ASTROLOGICA
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Claude Duret et le “Livre Blanc” de l’astro-histoire,
à la fin du XVIe siècle
Quels furent les vrais enjeux de l’anti-astrologie aux XVIe et XVIIe siècles ? Il conviendrait de ne pas considérer que tous les discours astrologiques soient concernés au même titre, ne serait-ce que parce qu’ils ne se situent pas nécessairement au même niveau épistémologique. Parler donc d’une seule astrologie ou d’une seule anti-astrologie ne serait pas de bon aloi.
Il nous semble qu’il y a en fait deux combats, un qui serait d’arrière-garde et un autre d’avant-garde.
Le combat d’arrière-garde concernerait l’astrologie individuelle. Disons que depuis longtemps son affaire est entendue et qu’elle constitue un ensemble si enchevêtré, si touffu, que l’on ne veut plus guère s’y aventurer pour savoir ce qu’il en est. Certes, on lui lance encore quelques piques, on se gausse de ses naïvetés mais la chose est jugée; non pas qu’on lui conteste son emprise sur le public voire même une certaine efficace, mais cela se situe en dehors du champ proprement scientifique.
Le combat d’avant-garde concerne, quant à lui, ce que nous appelons l’astro-histoire, ce que l’on appellera par la suite l’astrologie mondiale (mundane Astrology). Un Pic de la Mirandole, à la fin du XVe siècle, quand il s’en prend, dans ses Disputationes adversus astrologiam divinatricem, à l’Astrologie, au singulier, vise en réalité plus spécifiquement certaines percées de la dite astro-histoire1 et notamment les publications qui viennent de reparaître en imprimés du cardinal français Pierre d’Ailly, consacrées aux concordances entre Astronomie et Histoire, notamment. Cette question est beaucoup plus intéressante que d’autres aspects portant également le nom d’astrologie car elle est en prise, en phase, avec les perspectives scientifiques de l’époque, ce qui n’est pas le cas d’une astrologie traditionnelle et individuelle dont le corpus appartient à d’autres temps et n’a, pour l’essentiel, fait que tenter de se perpétuer. Certes, les adversaires de l’astrologie ne se font pas faute de mélanger, dans leurs attaques, les deux astrologies mais c’est surtout aux fins de discréditer l’une par l’autre, en recourant à l’amalgame, ce qui est, au fond, de bonne guerre.
D’un côté, donc, une tradition qui ne sait plus très bien sur quoi elle repose, véritable entrelacs de recettes, c’est-à-dire de choses reçues, qui n’est en fait qu’un savoir de seconde main, dont personne n’a plus la maîtrise, ni les clefs, de l’autre, des hypothèses à la formulation relativement simple et qui sont avancées par certains chercheurs s’inscrivant dans une dynamique épistémologique jugée pertinente pour l’époque mais qui n’en doit pas moins faire ses preuves.
Rétrospectivement, l’échec de ces deux courants ne saurait donc être apprécié pareillement, les enjeux différant sensiblement. D’une part, un discours décalé, décadent, et n’ayant plus aucune chance de s’imposer même si l’on tentera de le réhabiliter ultérieurement, notamment au XXe siècle, et d’autre part, un projet qui a ses chances, du moins sur le papier et qui ne parviendra finalement pas, à se faire reconnaître une place dans le concert scientifique du temps.
C’est l’aventure malheureuse, du moins à terme, du dit projet qui nous semble devoir intéresser l’historien de l’astrologie du XVIIe siècle beaucoup plus que celle des horoscopes, auxquels un R. G. F. Guérin consacra, en 1997, une thèse, à l’EPHE, L’astrologie au XVIIe siècle. Etude sur la pratique des horoscopes notamment à travers ceux du Roi-Soleil. Dans un cas, nous sommes dans le domaine de l’Histoire des Sciences, dans l’autre, dans celui de l’Histoire des Mentalités.
L’ouvrage de Claude Duret qui est au coeur de la présente étude, paru un siècle après la somme de Pic de la Mirandole, ne fait que confirmer cette bipolarisation., dans la mesure où il n’aborde même pas la question des horoscopes et s’en prend exclusivement aux rapports entre astronomie et Histoire. Nous disons astronomie plutôt qu’astrologie, dans la mesure où l’astrologie désignerait en fait un certain corpus traditionnel qui n’est pas engagé ici. Le seul rapprochement entre astronomie et histoire n’est-il pas d’ailleurs déjà tout un programme ?
Le Discours des changements divers des Royaumes & Provinces - pour adopter non pas le titre de la page de couverture mais celui qui revient en haut de chacune des 500 pages et plus d’un ouvrage qui parut, pour la première fois, à Lyon, en 1594, chez Benoist Rigaud - nous apparaît avant tout comme une réflexion épistémologique sur l’Histoire et c’est à ce titre que l’on y passe en revue nombre de modèles astro-historiques.2 Toutefois, le titre même complet de l’ouvrage, rédigé en un style ampoulé, ne met qu’accessoirement l’accent sur les astrologues : Discours de la vérité des causes et effects des décadences, mutations, changements, conversions & ruines des Monarchies, Empires, Royaumes & Republiques selon l’opinion & doctrine des anciens & modernes mathematiciens, astrologues, mages, philosophes, historiens, politiques & théologiens, d’autant que le terme “astrologues” peut aussi bien renvoyer aux astronomes. Ceci explique probablement pourquoi un tel traité a longtemps échappé à l’attention des historiens modernes de l’astrologie de la même façon que, un siècle plus tard, ce sera le cas des Tableaux des Philosophes d’Eustache Lenoble, au titre assez peu explicite. Le chercheur israélien Alexandre Haran ne cite Duret que pour son Thrésor de l’histoire des langues de 1613.3
On peut, au demeurant, considérer ce Discours de plus de 500 pages comme un anti-Janus Gallicus; un tel texte, du au jeune avocat, aux allures de procureur, Claude Duret, bourbonnais (1570 ? - 1611), homme déjà fort érudit, qui publiera dix ans plus tard, une autre somme le Thrésor de l’Histoire des Langues de cest univers, présente une sorte de bilan des recherches astro-historiques de son temps, c’est plus du point de vue de l’Histoire que de celle de l’Astrologie. En 1594, on sort d’une période singulièrement agitée tant sur le plan politique qu’astrologique : d’une part, on est, en France, au lendemain de la conversion d’Henri IV, concluant une pénible guerre civile à caractère dynastique, de l’autre, on se souvient des prédictions astrologiques pour les années 1580 mais aussi de l’excitation née du passage de la nova de 1572 et de la comète de 1577. Duret n’est nullement le premier en France à avoir réfléchi sur les thèses proposant des corrélations entre les astres et l’Histoire - thème déjà cher à Pierre d’Ailly au début du XIVe siècle - on citera dans les décennies qui précédent le Discours de Duret les travaux de Loys Le Roy (alias Regius) et de l’angevin Jean Bodin en France.
Les juristes à l’attaque
A la même époque, un autre juriste s’en prendra également avec vigueur aux astro-logues, il s’agit du président Delalouette, conseiller du Roi & Maistre des Requestes, auteur, en 1600, des Impostures d’impiété des fausses puissances et dominations attri-buées à la Lune & Planètes. Sur la naissance, vie, meurs, Etas, volonté & condition des hommes & choses inférieures du Ciel, ouvrage paru à Sedan, centre protestant, chez Jacob Salesse.4 On y retrouve peu ou prou le contenu de l’ouvrage de Duret qui paraît en cette même année 1600, à savoir son second discours, le Discours de la vérité des causes et effets, des diverses cours, mouvemens, flux & reflux & saleure de la mer Océane, mer Méditerranée et autres mers de la terre, Paris, Jacques Réze. La publication des Impostures à Sedan dit assez cependant que l’auteur en est un réformé.
Comment expliquer qu’en la même année paraissent de la plume de deux juristes, l’un catholique, l’autre réformé, une attaque qui vise notamment l’influence de la Lune non pas tant sur les personnes que sur l’environnement de l’Homme ? Pour Regius, les marées constituent le modèle même des transformations affectant l’Histoire des Etats, dès lors, s’en prendre aux marées, c’était tenter de briser un tel modèle lié à la Lune et donc de dénoncer un discours présentant les révolutions comme une nécessaire fatalité.
Le contexte du prophétisme lyonnais
Ce qui retient notre attention, de surcroît, c’est le fait que le Discours de Duret paraît dans un contexte qui n’est peut être pas sans signification: pourquoi en effet est-il publié à une date et en un lieu qui sont déterminants pour l’historien du nostradamisme ?
C’est en effet en 1594 que parut chez Benoît Rigaud, libraire lyonnais bien connu des bibliographes de Nostradamus, et qui parvenait alors au terme de ses activités, ce Discours de la vérité des causes et des effects des décadences, mutations, change-ments, conversions, ruines des Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques selon l’opinion & doctrine des anciens & modernes Mathématiciens, Astrologues etc, ouvrage portant sur sa page de titre “Au Roy” et de fait introduit par une épître de Moulins, datée du Ier mai 1594, dédiée “au tres-chrestien, tres grand et très invincible Roy de France et de Navarre Henry IIII de ce nom”, précédant celle du Janus Gallicus, du Ier juillet 1594, à Lyon, dédiée, quant à elle, “A très heureux, tres victorieux et tres Chrestien Henry IIII Roy de France et de Navarre”. On connaît deux tirages de la première édition chez Benoist Rigaud, un daté de 1594, l’autre de l’année suivante (BNF) mais la date de l’impression est la même : 1595. Cependant, le Janus Gallicus - en fait le titre français Janus François conviendrait mieux quand on cite les texte en français mais c’est le titre latin qui fera fortune au siècle suivant - comporte une pièce plus ancienne probablement d’abord parue séparément, en date du 19 février 1594, donc antérieure à l'Epître de Duret. Il s’agit de l’ “Advénenement à la Couronne de France du Roy de Navarre” (pp. 283 et seq) - en latin Henr. IIII Christ. Fran. Et Nav. Regis Benigna Fata, dédié à Alphonse Dornano. On notera que le titre français ne figure que sur les hauts de pages.
On trouve, sur la page de titre du Discours, les armes jointes de la France et de la Navarre comme ce sera le cas au siècle suivant sur la page de titre de certains spécimens de la littérature prophétique.5 Le Discours sera réédité en 1595 et en 1598, par les Héritiers de Benoist Rigaud, suivant en cela le sort des Centuries. La famille Rigaud sera ensuite représentée par Pierre Rigaud dont la fortune nostradamique tient au fait qu’on lui attribua des éditions contrefaites, fabriquées au XVIIIe siècle et datées de 1566, année de la mort de Michel de Nostredame, et qui serviront de référence, sous le Second Empire, à Torné Chavigny et à Anatole Le Pelletier. Il reste que Pierre Rigaud publia bel et bien, à son tour, des éditions des Centuries, au lendemain de l’Edit de Nantes.
Il semble bien, en tout cas, que ce ne soit pas par hasard que le Janus Gallicus soit sorti, à Lyon, en même temps que les éditions des Centuries de Benoist Rigaud dont ce libraire lyonnais semble, à l’époque, avoir le monopole. Sortie ô combien opportune puisque le dit Janus Gallicus se présente comme un commentaire des quatrains, une sorte de mode d’emploi, en quelque sorte. On peut d’ailleurs se demander si le dit Benoist Rigaud - qui, il est vrai, est à la fin d’une longue carrière de libraire - avait publié les Centuries antérieurement. Si on peut lui accorder une édition antérieure à 1585, au témoignage d’Antoine du Verdier, dans sa Bibliothèque parue en cette année là, et qui aurait été datée de 1568 et à mille quatrains, il est en revanche fort peu probable que Benoist Rigaud ait commencé à publier les Centuries dès 1568, quand bien même son nom figurerait sur nombre d’éditions conservées datées de cette année là. En tout état de cause, les Rigaud ne verront pas d’obstacle à publier le Discours de Duret.
Il est d’ailleurs probable que cela ait été par le biais de la poésie que Duret aurait été publié par Rigaud. Duret en effet s’était d’abord fait connaître par des commentaires sur les textes du poète réformé languedocien et donc bien vu, au moment où la cause d’Henri de Navarre triomphe, Guillaume de Salluste Du Bartas (1544 - 1590), consacrés au récit de la Création et, les Centuries ne sont-elles pas également, du moins sous la forme des quatrains qui est la leur, de la poésie, également vouée au commentaire ? C’est chez Pierre Roussin que dès 1591, chez qui paraîtra le Janus Gallicus, que Duret avait fait publier un premier commentaire de Du Bartas, au demeurant proche de cet Auger Gaillard, dont le portrait ornera dans les années 1640 - 1660 les éditions lyonnaises des Centuries.6
Dans les chapitres non astrologiques de son Discours, Duret aborde également la question des prophéties. Au chapitre XX, il évoque, pour les rejeter en bloc, “infinies predictions ou propheties des estats des monarchies, empires, royaumes & republiques qui sont de présent & seront à l’advenement, en cest univers lesquelles apres Methodius sont escrittes dans les oeuvres de sainct Hippolyte, Evesque de Rome & martyr, d’Ambroise Merlin, de saincte Brigide de nation Escossoise, de l’Abbé Ioachim Calabrois, d’Anselme Eveque Marsican, de Telesphorus ou Therlespherus Calabrois Hermite, de Leolhardus Allemand aussi hermite, Michel de nostradame (sic) & de plusieurs autres Astrologues Allemands modernes en leurs Ephémerides & prédictions.”7
On aura observé que Nostradamus est ici réduit à la portion congrue (le Discours, malgré ses diverses éditions, n’est pas signalé dans les bibliographies relatives aux Centuries, pourtant friandes de la moindre mention nostradamique). L’astrologie tient encore le haut du pavé ; c’est au cours du XVIIe siècle que le phénomène Nostradamus prendra toute son ampleur. Le Discours de Duret, exact contemporain du Janus Gallicus, n’avait pas encore pu prendre la mesure du nostradamisme.
Le propos du Discours de Duret
L’ “adresse” due à l’Imprimeur (Pierre Chastain dit Dauphin, peut-on lire à la fin de l’ouvrage) - qui précède la Préface de Duret - fournit en fait les chapitres traités dans le Discours, chacun était dédié à un aspect de l’astro-histoire :
“Plusieurs doctes et scavants personnages aux siecles passez & présent siècle (XIVe et et XVIe siècle), se sont voulu mesler de rendre raison des Causes & Ef-fects des decadences, mutations, changements, conversions & ruines des Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques, qui les uns d’iceux par la doctrine & science des Horoscopes ou astres ascendants des villes premières & principales (...) qui les Autres par le cours & mouvement de l’Eccentrique du petit cercle. Aucuns autres par la radiation & constellation de la dernière estoille de la Queue de la grande Ourse du pol (sic) arctique; Autres par les horoscopes ou astres ascendants des monarques, empereurs, roys & princes d’icelles. Autres par les cours & mouvements du huictiesme ou neufiesme Cieux (...) Autres par les Eclypses de Soleil & de Lune. Autres par les cours & mouvements des grands orbes célestes, ou revolutions du (sic) Planette Saturne, ou bien par les conjonctions des Planetes hautes ou basses ou inférieures, faisants mesme les religions les sectes & les Loix (sic) de cest Univers dependre de ces cours & mouvements ou revolutions ou conionctions (...) sans que iceux personnages ayent touché la vraye & certaine Cause & Effect desdictes decadences, mutations, changements, conversions & ruines à scavoir la sagesse, providence & Justice du Dieu vivant, courroucé & irrité par nos vices & pechez.”
Cette accumulation de formules dont chacune fera, au demeurant, l’objet d’un chapitre dénote bien une certaine effervescence au niveau de l’astro-histoire, une sorte de printemps où toutes sortes d’entreprises sont engagées, chacune selon un modèle différent, mais toujours avec le même objet. Ce n’est plus l’astrologie, stricto sensu, qui est ici en ligne de mire mais bien plutôt une para-astrologie, en partie née de la nouvelle astronomie et qui, d’une certaine façon, relève aussi d’une forme d’anti-astrologie s’ajoutant à l’anti-astrologie traditionnelle. Les coups de butoir des uns et des autres, pour des raisons fort distinctes, auront raison, en définitive, au cours du XVIIe siècle, du reste de crédit de l’astrologie judiciaire traditionnelle. Le fait que dès 1595 une telle attaque contre divers procédés astro-historiques - dont certains remontent à l’astrologie arabe avec les Grandes Conjonctions (Jupiter rejoignant Saturne tous les 20 ans environ) montre bien que Kepler, par ses tentatives de réforme de l’astrologie, autour de 1600, avait bien des précurseurs dont Gérard Simon, dans son ouvrage Kepler astrologue-astronome n’a guère fait mention.
La formule finale de l’Avis de l’imprimeur résume bien en outre le souci que ces recherches historiques provoquent dans les milieux religieux. Une Histoire qui découvrirait ses propres lois s’émanciperait, en quelque sorte, de la croyance en la Providence divine et abolirait ainsi un argument essentiel en faveur du religieux, à savoir - comme il apparaît dans notamment dans l’Ancien Testament - que l’Histoire serait d’abord l’expression même de la volonté divine.
Le Discours de Duret est ainsi organisé autour du traitement de chacun des modèles élaborés comme cela ressort de la table des matières. On ne signalera ici que les chapitres traitant de l’astro-histoire.
Ch. V Scavoir si les sources et origines ensemble les décadences (...) proviennent des horoscopes des villes premières et principalement d'icelles.
Ch.. VI Scavoir si les décadences, mutations (...) procèdent du cours et mouvement de l'eccentricité du petit cercle.
Ch. VII Scavoir si les sources et origines des monarchies (...). procèdent de la radiation des constellations, de la dernière estoille, de la Queue de la Grande Ourse du Pol arctique ou septentrion.
Ch. VIII Si les décadences, changemens, conversions et ruines des monarchies proviennent et procèdent des horoscopes des monarchies, empereurs, roys et chefs des républiques.
Ch. IX Si les décadences, mutations, changemens, conversions et ruines des monarchies (...) dépendent des cours et mouvemens du huitième ou neuvième ciel, c'est-à-dire de la huitième ou neuvième sphère céleste.
Ch. X Scavoir si les religions, les sectes et les Loix (...) proviennent et procèdent des cours et mouvemens des grands orbes célestes ou révolutions du planète Saturne ou bien des conjonctions des planètes hautes ou basses et intérieures.
Ch. XII Scavoir s'il n'y a eu et n'y aura jamais en ce monde que six religions comme aucuns astrologues l'ont osé écrire et assurent en leurs œuvres.
Ch. XIII Si les décadences, mutations, changemens (...) proviennent et procèdent des Comètes ou duplication de Soleils & de Lunes.
Précisons cependant qu’avant d’aborder la question des astres, Duret, notamment en son Ier chapitre, nous semble adopter un point de vue anthropologique, c’est-à-dire qu’il s’efforce de décrire le fonctionnement des premières sociétés, comme en témoigne le titre du dit chapitre : “Des premières et plus anciennes sources et origines des premières et plus antiques societez & assemblées humaines, lesquelles (...) ont produit & engendré les premières & plus anciennes Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques de l’Univers.”
Les arguments de Duret
Au chapitre V, consacré aux Horoscopes des villes, Duret met en avant la diversité des solutions proposées par les uns et par les autres, ce qui conduit à penser que l’astro-histoire présentait une image assez déconcertante alors que finalement la tradition astrologique, figée, pouvait sembler mieux établie. Sa description nous semble toujours d’actualité même s’il nous semble que le débat était plus ouvert au XVIe siècle qu’en ce début de XXIe siècle : “La plus grande partie des aucteurs qui ont escrit de cette matière sont du tout contraires & dissemblables en leurs regles & fondements, aucuns d’eux disants qu’il faut principalement en calculant & dressant les horoscopes des villes qu’on bastit & édifie avoir esgard aux estoilles fixe, les autres aux planètes, les autres aux estoiles fixes, planettes & signes.” (p. 101) Autrement dit, Duret semble laisser entendre que le problème tient au fait que chaque chercheur a son idée de ce qu’est le ciel utile en astrologie.
Au chapitre VI, Duret attribue à Copernic ou plutôt à ses disciples, à la suite de Bodin, au IVe Livre (chapitre II) de sa République, la thèse selon laquelle “les décadence, mutations, changements (doivent) dépendre & provenir de l’eccentrique du petit cercle & de son tour & mouvement”, ce qui montre bien les liens qui avaient pu être envisagés à l’époque entre la nouvelle astronomie et ce que l’on pourrait appeler une nouvelle Histoire qui fit long feu.
On signalera tout particulièrement le recours à l’argument précessionnel au chapitre IX : (pp. 141 et seq) : “Si les décadences, mutations, changements et ruines des Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques proviennent des cours & mouvements du huictieme ou neufième Ciel, c’est-à-dire, de la huitième ou neufième Sphère celeste.” Duret se fait l’écho de théories qui considèrent que le mouvement précessionnel serait une clef de l”Histoire. Or, les auteurs cités divergent quant à l’année où le décalage était nul. Pour Duret, pourrait-on dire en termes plus modernes, l’incapacité des astrologues à se mettre d’accord est le signe d’un dysfonctionnement de leur Cité scientifique.
Au chapitre X, on relèvera un argument d’une certaine habileté: à propos de la question des éclipses de soleil et de lune :
“Si cela estoit vray, depuis que l’univers est cree, il n’y aurait à présent aucunes Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques, veu qu’il ne s’est passé guere année qu’il ne se soit trouvé & rencontré en icelle quelque Eclypse de Soleil & de Lune assez bastante & suffisante selon le dire des Astrologues pour apporter & entraisner avec soy des decadences, mutations etc.” (p. 165)
Sur la question des grandes conjonctions (chapitre XI), sujet qui avait défrayé la chronique, dans les années 1580, Duret s’exprime ainsi, notamment sur la base des écrits de Pierre d’Ailly (ou d’Assiac) signale que bien des astrologues reconnaissent ne pas pouvoir déterminer à quel moment Jupiter se conjoint à Saturne. Duret nous rappelle (p. 205) que les triplicités associées aux grandes conjonctions ont vocation chorographique, permettant de localiser géographiquement les événements. “Nous devons scavoir & apprendre, objecte-t-il, qu’il est presque impossible, en si peu de temps qu’il y a que le monde a eu son prince & commencement & en si peu d’observations & remarques que nous avons des Anciens, que nous puissions avoir une certaine & infaillible doctrine de ces choses etc.”
La production de Duret
Duret est aux antipodes d’un auteur qui ne se serait consacré qu’à l’astrologie, il l’aborde plutôt en “honnête homme”, parmi bien d’autres sujets et d’ailleurs c’est moins à l’astrologie judiciaire qu’il en a qu’à diverses conceptions, plutôt extérieures à la tradition astrologique stricto sensu.
Claude Duret, disposant en tout cas d’une fort riche bibliothèque, se fit d’abord connaître, on l’a dit, sur le plan littéraire par des commentaires de l’oeuvre du protestant Du Bartas, la Semaine où l’on note déjà son intérêt pour le ciel Son étude de 1594 sur l’Eden de la Seconde Semaine est également dédié à Henri IV auquel Duret, dit-on, “plaisait”. Toutefois, nous n’avons pas affaire un réformé, il s’inscrit bel et bien dans un milieu catholique ; c’est ainsi que Claude Feydeau, docteur en théologie en droit canon, doyen de l’Eglise Collégiale Notre Dame de Moulins sera en 1612, à la mort de Duret, le préfacier du Thrésor de l'histoire des langues de cest univers. Contenant les origines, beautés, perfections, decadences, mutations, changemens, conversions & ruines des langues hébraïque etc.
En 1600, Duret publie le second volet de ses Vérités des Causes et effects à savoir le Discours de la vérité des causes et effets, des diverses cours, mouvemens, flux & re-flux & saleure de la mer Océane, mer Méditerranée et autres mers de la terre.
En 1613, Duret, devenu Président, à Moulins, publie un ouvrage de linguistique de plus de mille pages dont le titre évoque étrangement celui du Discours puisqu’il y est question des décadences, mutations, changemens, conversions & ruines des langues, comme il était question, vingt ans plus tôt, des Causes et effects des decadences, mutations & ruines, changements, conversions & ruines des Monarchies.
Chronologie des oeuvres de Claude Duret
1591 - Commentaire La Seconde Semaine de Du Bartas, Nevers P. Roussin, BNF Res Ye 541.
1594 - L'Eden ou le Paradis Terrestre de la Seconde Semaine de Du Bartas etc. Au Tres chrestien Roy de France; Henry IIII de ce nom (épître de janvier 1594), Lyon, Benoit Rigaud, Mazarine 10857.
1594 Discours de la vérité des causes et effets des décadences, mutations, change-mens, conversions et ruines des Monarchies, Empires, Royaumes et Républiques selon l'opinion et doctrine des Anciens et Modernes. Au Tres Chrestien, Très grand et très invincible Roy de France et de Navarre Henri IIII de ce nom, Lyon, Benoist Rigaud (Impr. Pierre Chastain), Mazarine 28131.
1595 - Discours de la vérité des causes et effets des décadences, mutations, change-ments, conversions et ruines des monarchies, empires, royaumes et républiques selon l'opinion et doctrine des anciens et modernes mathématiciens, mages, philosophes, his-toriens politiques & théologiens. astrologues. Epître au Roy, Lyon, Benoist Rigaud (Impr. P. Chastain), BNF *E 3575.
Note : le nom de Lyon est rayé sur l'exemplaire de la BNF.
1598 - Discours de la vérité des causes et effets des décadences, mutations, etc ..., Lyon, Héritiers Benoist Rigaud, BNF R 12969.
1600 - Discours de la vérité des causes et effets, des diverses cours, mouvemens, flux & reflux & saleure de la mer Océane, mer Méditerranée et autres mers de la terre, Paris, Jacques Rèze, BNF R 12970, Mazarine 28639.
1605 - Histoire admirable des Plantes et herbes esmerveillables, par C.D.B. Dédié à Maximilien de Béthune (Sully), Paris, Nicolas Buon, Mazarine 56074.
1613 - Thrésor de l'histoire des langues de cest univers. Contenant les origines, beautés, perfections, decadences, mutations, changemens, conversions & ruines des langues hébraïque etc, Cologne, M. Berion (pour la société caldorienne), Reprint Slat-kine, 1972.
1619 - Thrésor de l'histoire des langues de cest univers. Contenant les origines, beautés, perfections, decadences, mutations, changemens, conversions & ruines des langues hébraïque etc, Seconde édition, Yverdon, Sté Caldoresque, BNF X 1512 et Mazarine 1000 Q bis.
La postérité de Duret
On peut comparer avec profit le Discours de Duret et les attaques qui se produiront soixante ans plus tard de la part des Jésuites, Jacques de Billy et Jean François. Au vrai, stricto sensu, Duret ne s’en prenait pas directement à l’astrologie judiciaire tandis que les deux Jésuites, également auteurs de travaux assez considérables, par leur volume, visent probablement plus une pratique qu’une science. C’est en fait plutôt au réformé Pierre Bayle des Pensées sur la Comète (1682) que nous songeons en lisant le Discours de Duret, paru un siècle plus tôt. Toutefois, le travail de Bayle se limite aux comètes et aux éclipses. On pourrait comparer utilement le chapitre XIII du Discours avec les arguments statistiques de Bayle au sujet des comètes (cf. infra).
Pierre Bayle, pourfendeur de l'astro-histoire
Mais on peut aussi voir en Duret un précurseur de Jacques Gaffarel, auteur en 1629, des Curiosités Inouïes, qui d’ailleurs cite son Histoire des langues. Les connaissances de Duret en matière de littérature et de langue judaïque n’ont en effet rien à envier à celles dont dispose un Gaffarel lequel traite longuement de l’astrologie chez les Hébreux. On ne peut exclure que Gaffarel ait puisé une partie de son érudition chez Duret qui nous apparaît comme une sorte de Pic de la Mirandole, si souvent cité par lui.
Duret, en dépit de ses doutes sur les solutions proposées par les uns et les autres, n’en est pas moins, à l’instar d’un Bodin, en quête de quelque loi sous-jacente qui rendrait compte du cycle constaté déjà par Aristote8 qui conduit d’un régime à un autre. Le Discours truffé de références montre à quel point un tel sujet est d’importance pour la culture ambiante et la présence de chapitres ne traitant pas des astres souligne le fait que le problème posé dépasse cette seule affaire. Somme toute, on est en droit de se demander si Duret n’a a pas conscience d’un certain échec collectif qui n’incombe pas aux seuls astrologues; le fait est qu’ aucun progrès ne semble alors avoir été accompli depuis les Grecs au niveau de la science politique.
A l’issue du XXVe et dernier chapitre, Duret annonce (pp. 539 - 540) une suite qui ne semble pas avoir été publiée si tant est qu’elle ait été rédigée et qui comprendrait notamment les “moyens & aides pour garder & conserver longuement & heureusement les Estats d’icelles Monarchies, Empires, Royaumes & Républiques.”
Claude Duret, en s’adressant ainsi au Roi de France et de Navarre, nous fait penser à Nicolas Oresme (1325 - 1382), évêque de Lisieux, conseillant Charles V et l’engageant déjà, deux siècles plus tôt, à se méfier de l’astrologie. Mais, en 1682, Pierre Bayle fera-t-il autre chose à l’endroit de Louis XIV ?9
En effet, la Lettre - anonyme - sur la comète, adressée par un Catholique prétendu - étrange subterfuge - à un Docteur de Sorbonne, qui changera son nom, quand l’ouvrage paraîtra sous le nom du réformé Pierre Bayle, en Pensées Diverses sur la comète, s’achève sur une mise en garde au roi, l’engageant à ne pas se lancer dans une nouvelle guerre, en ne tentant pas la fortune, toujours incertaine. Situation paradoxale que celle de Bayle qui n’aura cessé, tout au long de son “traité des comètes” comme il le désigne, de montrer comment les hommes politiques se servent des astrologues pour manipuler les esprits et leur faire annoncer, au nom des astres, ce qu’eux-mêmes ont planifié et qui descend, lui-même, dans l'arène pour peser sur la politique de la France, au nom de l’incertitude de toute prévision, quel qu’en soit le fondement, astrologique ou non.
“La prévision de l’avenir, conclue Bayle, n’est pas plus facile à l’astrologue qui observe les prétendues règles de l’art qu’à celui qui ne les observe pas (...) En conséquence de la mauvaise qualité des règles de l’astrologie, l’on vous soutiendra que si un astrologue prédit quelquefois la vérité, c’est ou par hasard ou par le moyen de quelque passion qu’il inspire ou parce qu’il a suivi des conjectures indépendantes de ses règles & fondées sur la condition et sur la profession du sujet dont il dressait l’horoscope.”
L’enseignement de la “Continuation aux Pensées Diverses” (1705)
Vingt ans après les Pensées Diverses, l’on bascule vers le XVIIIe siècle, ce qui est l’occasion pour Bayle de faire, dans des Continuations, le bilan du siècle qui s’est achevé, comme c’est souvent le cas. Et Bayle, de faire dire à son interlocuteur imaginaire, que l’astrologie n’a pas été “ruinée” par les attaques qu’elle eut à subir tout au long du siècle écoulé. Bayle fait même demander par son interlocuteur si entre temps son attitude à l’égard de l’astrologie n’a pas évolué favorablement, ce qui est assez significatif d’un sentiment des contemporains selon lequel l’astrologie aurait été peu ou prou réhabilitée et remonterait la pente.
“S’il était facile, dites-vous, de faire voir la vanité & l’absurdité de l’astrologie judiciaire, le monde en serait pleinement désabusé depuis que les philosophes du XVIIe siècle ont combattu les vieilles erreurs, avec un succès admirable. Mais tout le mal qu’ils ont pu faire à l’astrologie (est) une diminution de son crédit, elle se maintient encore, elle a des sectateurs considérables.”
Le nouveau siècle ne commence nullement dans l’idée que l’astrologie a fini par être éradiquée. Et Bayle de citer notamment le cas d’Eustache Lenoble et c’est d’ailleurs grâce aux Continuations de 1704, peu avant sa mort en 1706, que nous avons exhumé son oeuvre astrologique, les Tableaux des Philosophes ou l’Uranie10
“On sait, déclare Bayle, que Mr Lenoble n’est point bigot ou superstitieux ou engagé dans les erreurs populaires, qu’il a infiniment de l’esprit, beaucoup de lecture, qu’il sait traiter une matière (...) qu’il connaît l’ancienne et la nouvelle philosophie. Cependant, il a bien voulu faire savoir au public, non pas qu’il a adopté toutes les chimères des astrologues mais qu’il croit qu’ils peuvent prédire les événements contingents. Il se vante d’avoir fait beaucoup d’horoscopes qui ont réussi & il s’attache avec soin à maintenir le crédit de l’Astrologie judiciaire. Son ouvrage fut imprimé à Paris, l’an 1697.”
Et de Bayle de noter aussi avec une certaine pointe d’amertume :
“Personne n’ignore combien les sciences & notamment la philosophie fleurissent en Angleterre, néanmoins l’astrologie n’y manque pas de sectateurs & de protecteurs. Témoin le livre imprimé à Londres l’an 1690 sous le titre de Astrometeorologia sana.”
Comme quoi, en cette fin du XVIIe siècle et en ce début du XVIIIe siècle, l’astrologie n’est pas (encore) exclue de sociétés et de cultures par ailleurs réputées pour leur avancement intellectuel. Mais force est de constater que des travaux d’envergure et dus à des auteurs réputés, visant directement et exclusivement, l’astrologie, sur un mode critique, ne verront plus guère le jour après cette Continuation de 1705.
En fait, il faut comprendre la stratégie de Bayle, à la lumière de nos propos introductifs : d’une part, il y a le dossier de l’astrologie traditionnelle, qui fait partie du paysage culturel populaire et qu’il faut appréhender comme on le fait de croyances, de superstitions, dont le succès tient à l’entregent, au savoir-faire, de l’astrologue plus qu’à la validité de la science dont il prétend se revendiquer. Bayle juge bon de ne pas s’attaquer de front à cette astrologie là dont il convient qu’elle persiste dans un certain crédit qu’on veut bien lui accorder et puis, d’autre part, il y a , reprenant le dossier constitué, un siècle plus tôt, par Duret, ces lois, qui ont le mérite de la clarté, quant à leur formulation et qui peuvent donc être infirmées, qui méritent qu’on les examine avec quelque attention, ce qui ne saurait être le cas de cette Tradition à laquelle un Gassendi a bien voulu s’atteler.
Bayle, faisant, en 1705, le bilan de la nouvelle astronomie - celle d’un Edmund Halley - pressent la fin de l’astrologie cométique dès lors que la course des comètes aura été décryptée et qu’elle n'appartiendra plus au registre des miracles.
“Apparemment, (les comètes) ont une durée constante & peut-être aussi un cours régulier”. Voilà, constate Bayle, un argument dont son maître Calvin, dans son Discours sur l’astrologie Judiciaire (1549), ne disposait pas encore au milieu du XVIe siècle.
Coup fatal porté contre les comètes comme expression de la divine providence et qui allait entraîner l’astrologie dans sa chute, ce qui tend à montrer que la science en banalisant le phénomène des comètes tranchait le lien qui unissait encore la religion et les corps célestes. Mais c’est aussi le lien entre Histoire et corps célestes que la nouvelle science des comètes va définitivement ébranler car ne peut-on penser que les historiens n’ont pas longtemps fait preuve d’une certaine indulgence envers une astrologie, une astro-histoire, dont on pouvait à terme espérer qu’elle viendrait leur apporter une certaine assise astronomique sinon astrologique ? Par ailleurs, quand Bayle traite de la proportion de malheurs correspondant ou non au passage d’une comète, est-ce qu’il ne met pas aussi le doigt sur le caractère terriblement schématique servant à ses contemporains - qui ne disposent guère d’un meilleur modèle fourni par les historiens - pour qualifier les événements ? Et quand Bayle écrit que bien des événements étaient prévisibles, comme pour cette année 1618, qui serait le début d’une “Guerre de Trente Ans”, est-ce qu’il ne souligne pas, ipso facto, le fait que l’on n’a pas besoin d’être un grand astrologue ni d’ailleurs un grand historien pour l’avoir prévu ? Est-ce qu’en définitive, semble demander Bayle, dans l’introduction de ses Pensées Diverses, donnant le coup de pied de l’âne, l’historien ne véhicule pas aussi les erreurs populaires avec quelque complaisance / complicité, toujours désespérément en quête d’une rationalité qui aura trop longtemps fait le jeu de l’astrologie, sous ses différentes facettes ? Double procès donc contre l’Histoire : elle véhicule et perpétue des savoirs révolus et, par ailleurs, elle justifie leur permanence par ses prétentions explicatives qui l’exposent aux solutions les plus chimériques. Et dans les deux cas, l’astrologie profite de tels errements.
Jacques Halbronn
Paris, le 26 septembre 2003
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Notes
1 Cf. notre étude “De l’astrologie à l’astro-histoire”, Site du Cura.free.fr. Retour
2 Sur le concept d’astro-histoire, voire notre étude sur le Site du Cura.free.fr, “De l’astrologie à l’astro-histoire”. Retour
3 Cf. Le lys et le globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France aux XVIe et XVIIe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2000, pp. 287 - 288. Retour
4 Cf. BNF, R 24399. Retour
5 Cf. M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden, 1989, pp. 95 - 97. Retour
6 Cf. notre étude sur “le caractère et la carrière posthumes des Centuries”, Site Ram-kat.free.fr. Retour
7 Cf. pp. 395-396. Sur ces auteurs, voir notre Texte prophétique en France, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du septentrion, 2002. Retour
8 Cf. Discours, chapitre IV, p. 69. Retour
9 Sur le rapport de Bayle au prophétisme, voir notre étude in Le texte prophétique en France, Ville-neuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. Retour
10 Cf. l’étude de P. Guinard, sur le Site du Cura.free.fr. Retour
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