Etudes de Critique biblique, astrologique nostradamiquej et linguistique.
mardi 18 avril 2023
gérard REMY le tragigque dans la pensée de Saint Augustin
Gérard Rémy Le tragique dans la pensée de Saint Augustin (in Rvues des sciences philosophiques et théologiques 2008
2 – Destin et fatalité
19En tant qu’objet de représentation, le tragique touche le spectateur par l’affinité qui se crée entre lui et le héros, attestant ainsi sa signification profondément humaine. Il découle d’un conflit entre la liberté et une nécessité qui vient la contrecarrer, sous la forme d’un malheur ou d’un intérêt supérieur qui demande le sacrifice de soi. La souffrance qui en résulte suscite l’interrogation : qui se cache derrière cette adversité ? Une puissance aveugle, appelée fatum ou destin ? Cette interrogation rencontre la pratique de l’art divinatoire, dont Augustin fut un adepte fervent; cette pratique était plus qu’une mode dans la mesure où elle aboutissait à une question fondamentale : le libre arbitre serait-il neutralisé par un déterminisme supérieur ou une Providence divine devrait-elle faire les frais de son maintien ?
a – Destin et monde astral
20L’astrologie et le théâtre, qui ont fasciné le jeune Augustin, se sont croisés dans sa vie, lorsqu’un haruspice lui proposa ses services à l’occasion d’un concours de poésie dramatique [15]
[15]
Conf. IV, ii, 3., mais le candidat a décliné l’offre par répugnance [16]
[16]
Cette répugnance serait due à la croyance manichéenne… pour les pratiques sacrificielles liées à ce genre d’intervention. Il est toutefois un art qui, indemne de rites sacrificiels ou d’invocations religieuses, le retint captif : l’astrologie ou la divination.
21Tel qu’Augustin le comprend et l’hérite de la culture de son temps, le destin n’Gérard Rémy Le est pas nécessairement cause de tragique, car il se concrétise dans la diversité des destinées individuelles ou collectives, promises au bonheur comme au malheur [17]
[17]
Voir C. duas ep. pelag. II, vi, 12 : « les partisans du destin…. Est-il prévisible ? S’il l’est, c’est par recours à l’astrologie qui sera un nouveau lieu de l’affrontement d’Augustin non seulement avec le paganisme mais aussi avec le manichéisme dans la mesure où celui-ci prône le culte des astres jusqu’à leur donner une signification trinitaire [18]
[18]
Conf. III, vi, 10.. Le De beata uita évoque des gens qui rangent la lumière sensible parmi les réalités dignes d’adoration [19]
[19]
Voir De beata vita i, 4. La traduction de colenda par…, ce que confirme le Contra Faustum XX, ii :
22
Nous adorons une seule et même divinité sous la triple appellation du Père, Dieu tout puissant, du Christ son Fils et du Saint-Esprit; mais nous croyons que le Père habite la lumière souveraine et principale, que Paul nomme inaccessible; le Fils consiste dans cette lumière secondaire et visible; et comme lui-même est double, ainsi que l’Apôtre le reconnaît en disant que le Christ est la puissance et la sagesse de Dieu; nous croyons que sa puissance habite le soleil et sa sagesse la lune; sans omettre l’Esprit saint qui est la troisième majesté; nous confessons qu’il a pour demeure tout cet espace aérien lui qui, par sa puissance et sa prodigalité spirituelle, tout en fécondant la terre, engendre le Jesus patibilis, vie et salut des hommes, suspendu à toute la croix.
23Cette cosmologie trinitaire est révélatrice de la sacralité de l’univers, sans pour autant attester une pratique astrologique dans le manichéisme. Au mieux celui-ci lui aurait-il ménagé des conditions favorables [20]
[20]
Henri-Charles Puesch relève dans le manichéisme un réseau de…. La propension d’Augustin pour ce courant apparaît concomitante avec son attrait pour l’astrologie, qui paraissent tout à fait conciliables; il faudrait les dater de son séjour comme étudiant à Carthage (370-373). Sauf indication expresse [21]
[21]
Ainsi Conf. IV, i, 1 donne une indication précieuse sur la…, bien que les Confessions interrompent l’engouement pour l’Hortensius par la dérive manichéenne [22]
[22]
Conf. III, vi, 10. et rapportent un peu plus loin l’attrait pour l’astrologie [23]
[23]
Ibid. IV, iii, 4., leur souci n’est pas tant de retracer les étapes de l’évolution d’Augustin que de revenir sur les déviances à abandonner [24]
[24]
L’évocation de cette double attirance revient dans les livres…. Elles les évoquent comme des égarements dont le libérera la maturation de son jugement critique se rendant à l’évidence des faits [25]
[25]
Les raisons qui le désillusionnent sont diverses, alliant….
24L’astrologie attirait le jeune Augustin au point qu’il eut beaucoup de mal à s’en arracher, faisant la sourde oreille aux conseils dissuasifs qui lui étaient tenus [26]
[26]
Conf. IV, iii, 5.. Il attendait des raisons suffisamment fortes pour s’affranchir de l’autorité des manuels qui en faisaient un autodidacte passionné. Sa réaction contre cette pratique fut à la mesure de l’attachement qu’il lui avait porté. Elle s’exprimera dans le procès intenté au paganisme dans les premiers livres de la Cité de Dieu.
25Même si l’astrologie était pratiquée dans un but de curiosité pour prévoir l’avenir grâce aux conjonctions astrales, elle répondait aussi à la question du mal qu’elle imputait aux astres, déchargeant, de ce fait, la conscience humaine, cette imputation mettant ultimement Dieu en cause, selon la relecture chrétienne d’Augustin [27]
[27]
Ibid., IV, iii, 4.. Cette solution converge avec celle du dualisme manichéen qui renvoie le mal à une cause extrinsèque [28]
[28]
Ibid. VII, iii, 4-5; VIII, x, 22-24.. Un indice de ce lien se laisse discerner dans les Confessions VII, vi, 10 – vii, 11. Alors qu’Augustin vient de jouer ses cartes décisives contre l’astrologie, il enchaîne par cette formule : « Tu venais, mon Secours, de me libérer de ces liens et je cherchais l’origine du mal. »
26Cette question lancinante demeure ainsi entière une fois que les voies pour la résoudre se sont révélées chimériques. L’interrogation répétée du « unde malum » dans les Confessions [29]
[29]
Ibid., VII, iii, 4-5; iv, 6; v, 7; vii, 11; xii, 18. est révélatrice de la hantise du tragique qui taraudait alors Augustin, avec d’autant plus d’accablement que, son origine et sa raison d’être se dérobant, il défiait invinciblement la raison.
b – La divination à l’épreuve des faits
27Alors que la tragédie est la représentation des effets du destin dans la vie d’illustres personnages, les hypothèses explicatives émises par l’astrologie échouent devant leur nature énigmatique et imprévisible. L’astrologie comme le manichéisme promettent une réponse aux inquiétudes de l’existence affrontée à son avenir et finalement au problème du mal. Pour qu’Augustin se détourne de ces deux voies, il faut que lui apparaisse la nature chimérique de leur réponse et que s’impose une solution critiquement plus satisfaisante.
28Le doute que Vendicianus tente d’instiller dans l’esprit d’Augustin consiste à substituer à l’art (ars) divinatoire le recours au hasard (sors) [30]
[30]
Ibid., IV, iii, 5. La soumission de la divination à l’épreuve…. Entrent ainsi en conflit l’autorité [31]
[31]
On sait le prestige de l’auctoritas dans l’épistémologie et la… des manuels d’astrologie qui accrédite cet art et l’explication par le hasard répandu dans la nature. Mais le recours à l’art et l’attribution au hasard n’opposent-ils pas le besoin de prévoir, en remontant à la cause, au renoncement à comprendre ? L’ars comme la sors supposent une vision cosmique, la première postulant l’harmonie entre le macrocosme et le microcosme, la seconde se résignant à l’inconnaissance de ce genre d’influence.
29La compétence de l’art divinatoire est mise en cause par l’épreuve des faits. Il faut donc en référer à une autre instance : la sors. Le cas de la gémellité sert de pierre de touche. L’exemple avancé par Firminus établit que la disparité sociale entre deux enfants de naissance simultanée se moque de l’identité de leur constellation, tandis que le destin de Jacob et d’Ésaü fut divergent. Augustin en tire une leçon subtile dans sa forme mais logique dans le fond :
30
Les prédictions vraies, fondées sur l’examen des constellations, ne sont pas dues à l’art mais au hasard; les fausses ne sont pas dues à l’incompétence de l’art mais au mensonge du hasard [32]
[32]
Conf. VII, vi, 9.Voir B. Bruning, art cit., p. 598-602..
31En toute hypothèse, le hasard l’emporte sur l’art. Mais que recouvre cette notion de hasard ? Elle comporte une connotation qui dépasse le langage des faits et débouche sur un plan supérieur où la vérité et le mensonge trouveraient leur origine dans l’antagonisme entre le Dieu de vérité et le démon « père du mensonge ». Ainsi apparaît la collusion de l’art divinatoire avec le démon [33]
[33]
Le De divinatione daemonum nous donne une idée des spéculations…. La contestation d’Augustin ne vise pas la valeur des observations des astrologues mais le sérieux des conclusions qu’ils en tirent sur l’avenir et qu’il qualifie de « grande erreur et de grande folie » [34]
[34]
De doctrina christiana II, xxii, 33..
32Augustin ne fit pas œuvre de pionnier dans le traitement de ce genre d’énigme. Cicéron s’y était déjà intéressé et surtout la philosophie stoïcienne pour en tirer une leçon morale. Que fera Augustin de cet héritage ?
33Les débuts du livre V de la Cité de Dieu relatent une clarification d’ordre lexical à propos de la grandeur de Rome. Celle-ci n’est « ni fortuite ni fatale [35]
[35]
De Civ. Dei V, i. ». Le sens de ces deux adjectifs est distinct : on appelle fortuits « les événements qui n’ont aucune cause ou qui ne découlent pas d’un ordre rationnel » et fatals « ceux qui arrivent malgré la volonté de Dieu et des hommes sous la nécessité d’un certain ordre ». Le premier adjectif, de sens notionnel, renvoie à l’inconnaissable et à l’irrationnel; le second, de portée plutôt opératoire, postule une cause inconnue, sans doute une conjonction astrale, indépendante de Dieu et des hommes. Cette exclusion de Dieu équivaut, aux yeux d’Augustin, à une conception athée du destin qui motive son rejet par le croyant et tout adepte de quelque dieu que ce soit [36]
[36]
Ibid. Voir la thèse dactylographiée d’Augustin Pic, Augustin et…. Aussi Augustin se livre-t-il à une longue diatribe contre l’astrologie, réutilisant des objections déjà invoquées par d’autres, notamment le cas de la gémellité, sur laquelle se greffe une fois de plus celui de Jacob et d’Ésaü [37]
[37]
De Civ. Dei. V, iv..
34Une autre définition, d’origine philosophique, est également avancée [38]
[38]
Ibid., V, viii., indépendante de l’astrologie : le destin est « l’enchaînement et la série de toutes les causes par lesquelles advient tout ce qui advient ». Cette définition vient du stoïcisme, représenté par Sénèque, qui fait profession d’une soumission inconditionnelle au destin ou mieux à la volonté du Père souverain, dont dépend précisément l’enchaînement des destins [39]
[39]
Nous n’entrerons pas ici dans la question des emprunts qui se….
35Le débat rebondit et dévoile son véritable enjeu théologique avec la négation de la divination par Cicéron, qu’il conteste aussi bien aux hommes par le recours à l’astrologie, qu’à Dieu, afin de sauvegarder l’indépendance du libre arbitre. Mais Augustin en discerne immédiatement la conséquence, à savoir la négation de la prescience divine et de la prophétie. Ainsi se trouverait sapée une vérité essentielle de la foi : la volonté souveraine et la prescience de Dieu. Si l’enjeu est simple dans sa formulation, il n’en sera que plus ardu dans sa solution. Alors que Cicéron pose une disjonction : ou la prescience divine ou le libre arbitre de l’homme, « l’âme religieuse retient l’un et l’autre; elle confesse l’un et l’autre et les confirme par la foi et la piété [40]
[40]
Ibid., V, ix, 2. ».
36Tandis que la polémique contre l’art divinatoire visait son pouvoir de prévision et se situait au plan de la connaissance, la problématique opère un glissement avec l’entrée en scène de Cicéron : elle passe du domaine astral à celui de la divine Providence et du fatalisme vers la défense du libre arbitre, menacé par un déterminisme divin, elle se situe ainsi sur le plan de l’agir. La foi d’Augustin s’insurge contre la raison cicéronienne, obligée qu’elle s’estime de maintenir la coexistence de deux instances apparemment inconciliables. Le rétablissement de Dieu dans ses droits et sa providence en ferait-il l’auteur du destin et donc finalement du tragique de l’existence humaine asservie à ses décrets ? C’est la question cruciale à laquelle aboutissent les étapes parcourues. La présence de ce tragique est à vérifier dans le statut originaire de l’homme et dans son irréversible destinée ultime.
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