jeudi 20 novembre 2025

Alexandre Goderniaux : Signes célestes et pouvoir royal : La comete de l’ire de Dieu (1611), manifeste prophétique pour Louis XIII

Pépite : Signes célestes et pouvoir royal : La comete de l’ire de Dieu (1611), manifeste prophétique pour Louis XIII Billet rédigé par Alexandre Goderniaux Illustration de Judicium astrologicum, von dem newen Cometa den I. Decemb. 1618 zu Augspurg gesehen worden. Auteur non identifié ; Elias Ehinger, auteur de texte. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France La comete de l’ire de Dieu. Nous advertissant des maux dont les terres d’Occident sont menacees d’icy à la conversion du Turc à l’Eglise catholicque, apostolique et romaine. À commencer de l’an 1612. Sous un titre ample, typique des imprimés d’actualité des XVIe et XVIIe siècles, se déploie un document d’une quarantaine de pages paru en 1611 chez Claude Percheron, imprimeur-libraire parisien. Très peu étudié jusqu’ici, il semble en outre avoir circulé de façon extrêmement limitée1, mais se révèle néanmoins d’un intérêt historique majeur : il montre, à trois niveaux, comment la mise en récit de prodiges peut devenir un instrument polémique dans un contexte particulièrement dense, à la jonction de l’expérience du présent et des projections sur l’avenir, de la littérature prophétique et du manifeste politique. La comete de l’ire de Dieu illustre de manière exemplaire le rôle politique des récits prodigieux dans les imprimés d’actualité des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles. Durant la première Modernité, alors que certaines voix contestent que catastrophes, naissances monstrueuses ou phénomènes astronomiques revêtent une signification particulière, d’autres, à l’abri de l’anonymat, s’en emparent au contraire pour élaborer des lectures originales, parfois même subversives. Limité à un texte seul – là où d’autres imprimés proposent des illustrations de phénomènes célestes –, l’opuscule alterne prophéties et prières, nouant étroitement interprétation astronomique et commentaire sur l’actualité du temps. La comte de l’ire de Dieu […], Paris, Claude Percheron, 1611. Source : Bibliothèque municipale de Lille / Alexandre Goderniaux L’auteur anonyme affirme d’abord que Dieu intervient sur terre « pour advertir tout homme vivant » (p. 2r). Les signes envoyés à ses fidèles doivent être lus comme autant d’avertissements et conduire au repentir pour éviter le courroux céleste : « Aussi-tost verras Dieu monstrer sa colere/ Pour destourner le coup, fais pœnitence amere » (p. 3r). Paradoxalement, malgré son titre, l’imprimé ne décrit pas une comète récemment apparue mais assemble différentes prophéties contradictoires quant à la période de châtiment divin – 23 ans à partir de 1616 ou 1625, 1584-1667, 1453-1653 (p. 10v-11r)… Renvoyant ces chronologies dos à dos, l’auteur conclut que « les dispositifs de la corruption des mœurs » annoncent dès à présent des temps « plains de desolation » (p. 11r). L’opuscule se positionne ainsi comme un texte d’urgence et de crise : il invite ses lecteurs à scruter le présent pour en comprendre les dangers et agir afin de conjurer le pire. De ce diagnostic découle un véritable programme politique. L’auteur identifie les responsables de la colère divine : « Depuis l’an 1500 jusques à l’an 1600, toute la chrestienté en l’Occident a esté traversee d’heretiques plus que depuis quinze cens ans auparavant, […] et le chancre n’est pas mort. […] Toute la chrestienté en a esté principalement empestee depuis cent ans en ça, et ceste contagion ne cesse point » (p. 6v et 7v). En désignant les protestants comme les coupables des malheurs qui affligent la chrétienté, l’auteur dévoile sa probable appartenance à la mouvance des catholiques zélés. Ce groupe social et confessionnel particulier, aux limites imprécises, à l’organisation mal connue et à l’évolution incertaine se caractérise par une opposition plus ou moins explicite à d’autres groupes de catholiques – et notamment les catholiques royaux – à propos d’un certain nombre d’idées2. Ainsi, à rebours de la politique menée par Marie de Médicis – qui renouvelle l’édit de Nantes et s’efforce d’en appliquer les dispositions3 –, l’auteur soutient que la cohabitation confessionnelle a échoué et qu’il faut en tirer les conséquences. Treize ans après l’imposition de cette solution par Henri IV, il en appelle à un changement : l’avènement d’un nouveau roi ouvre, selon lui, la possibilité d’un tournant salutaire. Frans Pourbus le Jeune, Louis XIII enfant roi (1611), Palis Pitti. Source : Wikimedia / Jean-Pol Grandmont Le texte place en effet Louis XIII au cœur de ce scénario. Longtemps éclipsé par la figure de Richelieu et souvent présenté comme un souverain effacé, le jeune roi incarne ici l’acteur décisif d’une restauration catholique. Selon l’auteur anonyme, « toutes propheties et revelations demeurent d’accord […] qu’un roy de France levera les armes en main forte contre [les Turcs] » (p. 12r-v). Cette croisade rêvée permettrait non seulement la reconquête des terres chrétiennes occupées par l’Empire ottoman, mais aussi l’avènement d’un projet visant à restaurer l’unité confessionnelle par les armes : l’auteur prédit que, par ce même souverain, « n’y aura au monde qu’un pasteur à une bergerie, tout schisme et heresies ostees, tous tyrans et meschans tuez et puniz ; y aura un s. pape, un s. clergé, un s. roy de France, assisté de sainte noblesse, et de bon peuple » (p. 12r-v) – un programme politique typique des catholiques zélés, entre projection du passé sur l’avenir et antiprotestantisme à peine voilé. En 1611, Louis n’a que neuf ou dix ans et ne règne que depuis un an, mais l’auteur lui attribue une mission quasi messianique : mettre fin à la parenthèse henricienne et incarner un nouveau départ pour la France et la chrétienté. L’intérêt de La comete de l’ire de Dieu se mesure enfin à son réseau de production. Son imprimeur, Claude Percheron, actif de 1610 à 1628, reste une figure méconnue mais intrigante de l’actualité parisienne. Ses presses publient à la fois récits d’empoisonnement, prophéties, meurtres ou possessions diaboliques4 et commentaires serrés des événements politiques5. On sait en outre qu’il est condamné en 1607 à résider dans le périmètre de l’Université6, ce qui suggère que Percheron est à la fois très actif dans la vie politique des années 1610-1620 et inséré dans des réseaux potentiellement subversifs. Diffuser La comete de l’ire de Dieu en 1611 n’a donc rien d’anodin : c’est agir délibérément, par la diffusion de discours polémique, en faveur des idées catholiques zélées alors qu’un nouveau roi monte sur le trône. En outre, l’imprimé est réédité, en 1617, sous le titre Extrait des propheties et revelations des sainctz Peres, ensemble la noble fleur de lys de Louys treiziesme, roy de France et de Navarre7. Diffusées dans les suites immédiates du « coup de majesté » de Louis XIII8, les prédictions – légèrement modifiées par rapport au texte original de La comete – apparaissent alors comme un rappel adressé au souverain : désormais maître du royaume, il lui revient d’écarter la colère divine en menant une politique catholique offensive, contre les Turcs comme contre les protestants. À VENIR Cet imprimé se situe à la croisée de deux projets de recherche que je mène actuellement. Il appartient d’abord au corpus de ma thèse de doctorat, Une autre foi, une autre France. Les libelles imprimés par les catholiques zélés durant les guerres de Religion (1585-1629), dont je révise actuellement le manuscrit en vue d’une publication chez la librairie Droz. Il illustre aussi, de manière très concrète, la façon dont les récits de prodiges ont permis à divers acteurs d’élaborer des discours politiques parfois inattendus. C’est cette dynamique que je souhaite explorer, avec Cordelia Floc’hic, dans le cadre d’un colloque qui se tiendra les 12 et 13 février 2026 à l’Université de Lausanne : Présents prodigieux. Représentations, usages et savoirs de l’extraordinaire à l’épreuve du temps (XVe–XVIIe siècle) (appel à communications désormais clôturé). BIBLIOGRAPHIE Delphine Amstutz et Bernard Teyssandier (dir.), 1617, le coup d’État de Louis XIII, Dix-Septième siècle, 276, 2017/3. Nicolas Balzamo, Les miracles dans la France du XVIe siècle. Métamorphoses du surnaturel, Paris, Belles Lettres, 2014. Hervé Drévillon, Lire et écrire l’avenir. L’astrologie dans la France du Grand siècle, 1610-1715, Seyssel, Champ Vallon, 1996. Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003. Jean-François Dubost, Marie de Médicis. La reine dévoilée, Paris, Payot & Rivages, 2009. Jacques Halbronn, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, thèse de doctorat, Université de Paris 10, 1999.

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