par Jacques HalBronn
Chaque fois que nous "complétons" une chose par une autre, c'est un signe de déséquilibre, d'un besoin de compensation, la marque d'un manque, d'une défectuosité. Cela vaut pour toutes sortes d'adjuvants, d'outils, d'additions, d'accompagnements.
Il y a des philosophies qui font l'apologie de tels "enrichissements" qui sont en vérité autant de masques, de faux semblants. C'est une philosophie "spaghetti" qui fait passer l'avoir (la sauce) avant l'être (le produit de base)
L'adjuvant se présente dès lors que l'homme ne se contente pas de son propre corps, qu'il doit le vêtir, l'habiller, le costumer, le travestir et cet adjuvant est volontiers présenté comme un "progrès", l'homme habillé étant jugé supérieur à l'homme nu.
L'adjuvant trahit un certain échec. Une vie suffisamment pleine ne saurait y avoir recours. Le problème, c'est que le recours à certains adjuvants est devenu culturel, ce qui est prétexte à bien des dérives et à combien de tentations! .
Dans un ouvrage assez excitant, Roy Lewis explique comment l'homme a pu se transformer pour passer de l'état d'herbivore à celui d'omnivore (et notamment de carnivore). Il n'a pas pour ce faire changé le monde mais il s'est changé lui-même. Le défaut du dit ouvrage est de laisser croire que cette évolution peut s'effectuer en une ou deux générations.
Selon nous, le rapport de l'homme aux astres est assez comparable à celui qu'il entretient avec l'élément aquatique à savoir qu'il s'en sert sans avoir à transformer le dit élément.
Il y a là une problématique écologique à creuser. A partir de quel moment, de quel seuil, les hommes dépassent-ils les bornes d'un développement durable ou soutenable (comme disent les Anglo-saxons)? A partir de quand, les hommes s'aliènent-ils et compromettent-ils leurs chances de progrès par l'amélioration de leurs organismes biologiques en basculant dans une logique de progrès "externe", instrumental? Notons que ce qui compte finalement, au regard de l'espèce, c'est le bagage dont nous disposons héréditairement au moment où nous naissons et non celui dont nous bénéficions dans le milieu qui nous accueille.
Or, tous ces adjuvants relèvent de l'avoir et non de l'être, ils ne sont pas transmissibles héréditairement. Si on nous les enlevait, si l'on nous transférait dans un lieu qui n'en dispose pas, nous ne les trouverions pas en nous. Le cas du sifflement est emblématique: la plupart des gens sont persuadés que les humains ne peuvent pas produire de musique en dehors du chant. Or, le chant implique d'apprendre une langue, à la différence du sifflement qui n'exige par ailleurs le recours à aucun instrument fabriqué. En quelques générations, la pratique du sifflement s'est quasiment perdue en France et désormais il faut passer par la technique pour que nous puissions émettre ou recevoir des sons musicaux, les deux opérations tendant d'ailleurs à se confondre puisque tout émetteur n'est plus qu'un récepteur ou un transmetteur.
L'adjuvant correspond à une approche féminine du monde. On ne revient pas en arrière, on va de l'avant. Si le produit d'origine n'est pas satisfaisant, ce n'est pas grave, on ajoutera ce qu'il faut pour que ça passe.
L’adjuvant est le symptome d’un manque, de quelque chose qui n’est pas présent et que l’on va donc représenter par un présent (objet). Dès lors, tout symbole n’est-il pas voué à combler une absence ? Le recours des hommes à des objets morts ne tient-il pas à une conscience de ce qui n’est pas là ? En ce sens, le symbole ne fait-il pas partie intégrante de l’Histoire des Techniques, en un processus de remplacement, de prothèse ?
11 («Pourquoi j'ai mangé mon père", Paris, Actes Sud 1990)
1 commentaire:
Merci pour ton aide, je suis toute nouvelle dans le monde de votre blog.
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